Décision n° 101-AT-W-2005

le 24 février 2005

Suivi - décision no 110-AT-W-2006

le 24 février 2005

DEMANDE présentée par Elliot Richman en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, concernant l'impossibilité d'accéder par ATS (appareil de télécommunication pour personnes sourdes ou malentendantes) au système de réservation canadien de Coho Ferry.

Référence no U3570/00-3


DEMANDE

[1] Le 2 décembre 1999, Elliott Richman a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la demande énoncée dans l'intitulé. Le 7 février 2000, Coho Ferry a déposé sa réponse à la demande. M. Richman n'y a pas répliqué.

CONTEXTE

[2] Conformément au paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC), l'Office peut, sur demande, enquêter sur toute question pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. La décision de l'Office repose sur le bien-fondé de chaque cas qui lui est présenté.

[3] Toutefois, à la suite d'un examen préliminaire de la demande à l'étude, l'Office a déterminé que toute décision rendue à l'égard de celle-ci pourrait avoir d'importantes répercussions pour les exploitants de traversiers étrangers qui assurent des services dans le réseau de transport canadien. De plus, à ce même moment, l'Office a conclu qu'il ne pouvait pas déterminer s'il y avait obstacle abusif aux personnes ayant une déficience relativement à l'affaire visée par la demande sans d'abord examiner, dans l'ensemble, la conjoncture dans laquelle évoluent les exploitants de traversiers étrangers et considérer les répercussions de toute décision de l'Office sur ces derniers. Pour ce faire, l'Office a jugé nécessaire de mener des consultations auprès des transporteurs étrangers qui exploitent des services à destination ou en provenance du Canada afin de recueillir suffisamment de renseignements pour déterminer ce qui constitue un niveau de service adéquat en matière de communication pour les personnes ayant une déficience auditive. C'est pourquoi, le 9 mars 2000, l'Office a suspendu la procédure relative à cette demande.

[4] Le 3 juin 2004, l'Office a publié un code de pratiques en matière de communication intitulé L'Élimination des entraves à la communication avec les voyageurs ayant une déficience (ci-après le code de pratiques). Ce code de pratiques est le fruit de vastes consultations portant sur les entraves à la communication auxquelles font face les voyageurs ayant une déficience; on y a notamment traité des systèmes de télécommunication qu'utilisent les fournisseurs de services de transport pour les réservations et les renseignements relatifs aux services. Au stade de l'élaboration du code de pratiques, l'Office a aussi tenu compte des commentaires soumis par les transporteurs étrangers qui ont été consultés à la suite de la suspension de la procédure relative à cette demande et à d'autres. Bien que les dispositions du code de pratiques en matière de communication ne visent pas les transporteurs étrangers, elles reflètent les points de vue de l'Office quant à l'importance des ATS sur le plan de l'accessibilité des services de transport pour les personnes ayant une déficience et du principe qui convient d'accorder aux personnes ayant une déficience l'égalité d'accès à tous les services de transport fournis à destination ou en provenance du Canada.

QUESTION

[5] L'Office doit déterminer si l'impossibilité d'accéder au système de réservation canadien de Coho Ferry par ATS a constitué pour M. Richman un obstacle abusif et, le cas échéant, les mesures correctives qui doivent être prises.

FAITS

[6] M. Richman est une personne sourde et il utilise un ATS pour communiquer par téléphone. M. Richman a souligné que le site Web de Coho Ferry ne comprenait pas de numéro d'ATS ou que celui-ci n'y était pas clairement indiqué.

[7] Coho Ferry n'avait pas de ligne de réservation par ATS au moment du dépôt de la demande. Le service était toutefois accessible à ses clients malentendants par le biais du système de relais téléphonique. Ce système permet aux utilisateurs de divers modes de communication d'interagir entre eux en assurant la conversion de l'information. Un téléphoniste assure normalement la conversion de l'information.

POSITIONS DES PARTIES

[8] M. Richman fait valoir que comme il ne peut communiquer par téléphone qu'à l'aide d'un ATS, le fait que Coho Ferry annonce des numéros de téléphones pour les personnes qui entendent, sans fournir un numéro d'ATS équivalent à l'intention des personnes malentendantes, lui cause un préjudice indu.

[9] M. Richman demande que Coho Ferry annonce un numéro d'ATS sur son site Web et dans toutes ses autres publications partout où est annoncé un numéro de téléphone pour les personnes qui entendent.

[10] Dans sa réponse, Coho Ferry déclare qu'elle entend publier les numéros permettant d'accéder aux systèmes de relais téléphonique de l'État de Washington et de la Colombie-Britannique sur son site Web et dans ses autres publications.

[11] Coho Ferry fait également valoir qu'elle reçoit des appels de ses clients malentendants par le biais du système de relais téléphonique de façon sporadique, et qu'elle ne comprend pas comment M. Richman en arrive à conclure que cela lui cause un préjudice. Coho Ferry ajoute qu'elle a trouvé les numéros nécessaires dans les annuaires locaux, mais, malgré tout, elle n'a pas d'objection à publier ces renseignements pour plus de commodité pour les clients qui en ont besoin.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

[12] Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.

[13] La demande doit être présentée par une personne ayant une déficience ou en son nom. M. Richman est sourd. Il est donc une personne ayant une déficience aux fins de l'application des dispositions d'accessibilité de la LTC.

[14] Pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si les possibilités de déplacement de la personne qui présente la demande ont été restreintes ou limitées par un obstacle. Le cas échéant, l'Office doit alors décider si l'obstacle était abusif. Pour répondre à ces questions, l'Office doit tenir compte des circonstances de l'affaire dont il est saisi.

Les possibilités de déplacement ont-elles été restreintes ou limitées par un obstacle ?

[15] L'expression « obstacle » n'est pas définie dans la LTC, ce qui donne à penser que le Parlement ne voulait pas limiter la compétence de l'Office compte tenu de son mandat d'éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. De plus, le terme « obstacle » a un sens large et s'entend habituellement d'une chose qui entrave le progrès ou la réalisation.

[16] Pour déterminer si une situation constitue ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience dans un cas donné, l'Office se penche sur les déplacements de cette personne qui sont relatés dans la demande. Dans le passé, l'Office a conclu qu'il y avait eu des obstacles dans plusieurs circonstances différentes. Par exemple, dans certains cas des personnes n'ont pas pu voyager, d'autres ont été blessées durant leurs déplacements (notamment quand l'absence d'installations convenables durant le déplacement affecte la condition physique du passager) et d'autres encore ont été privées de leurs aides à la mobilité endommagées pendant le transport. De plus, l'Office a identifié des obstacles dans les cas où des personnes ont finalement été en mesure de voyager, mais les circonstances découlant de l'expérience ont été telles qu'elles ont miné leur sentiment de confiance, de dignité, de sécurité, situation qui pourrait décourager ces personnes de voyager à l'avenir.

Le cas présent

[17] M. Richman a indiqué que comme il ne peut communiquer par téléphone que par le biais d'un ATS, le fait que Coho Ferry annonce des numéros de téléphones pour les personnes qui entendent, sans fournir un numéro d'ATS équivalent à l'intention des personnes malentendantes, lui cause un préjudice indu.

[18] L'Office est d'avis que la possibilité de communiquer par téléphone, sans l'intervention d'une tierce partie, est essentielle pour tous les voyageurs, y compris les personnes sourdes ou malentendantes. Bien que Coho Ferry offre à ses clients la possibilité de communiquer avec elle par le biais d'autres technologies de télécommunication, l'Office estime que de tels services ne sont pas nécessairement accessibles à toutes les personnes ayant une déficience et qu'ils ne permettent pas un échange d'information « en temps réel », comme l'offre l'utilisation de téléphones et d'ATS. L'Office fait également observer que dans plusieurs cas, les personnes qui sont sourdes ou malentendantes considèrent l'utilisation d'un ATS comme le mode de communication le plus efficace.

[19] L'Office prend note qu'au moment du dépôt de la demande, Coho Ferry ne disposait d'ATS. À la lumière de ce qui précède, l'Office estime que l'impossibilité d'accéder par ATS au système de réservation canadien de Coho Ferry a constitué un obstacle pour M. Richman, en particulier, et pour toutes les personnes sourdes ou malentendantes en général.

L'obstacle était-il abusif ?

[20] À l'instar du terme « obstacle », l'expression « abusif » n'est pas définie dans la LTC, ce qui permet à l'Office d'exercer sa discrétion pour éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. Le mot « abusif » a également un sens large et signifie habituellement que quelque chose dépasse ou viole les convenances ou le bon usage (excessif, immodéré, exagéré). Comme une chose peut être jugée exagérée ou excessive dans un cas et non dans un autre, l'Office doit tenir compte du contexte de l'allégation d'obstacle abusif. Dans cette approche contextuelle, l'Office doit trouver un juste équilibre entre le droit des passagers ayant une déficience d'utiliser le réseau de transport de compétence fédérale sans rencontrer d'obstacles abusifs, et les considérations et responsabilités commerciales et opérationnelles des transporteurs. Cette interprétation est conforme à la politique nationale des transports établie à l'article 5 de la LTC et plus précisément au sous-alinéa 5g)(ii) de la LTC qui précise, entre autres, que les modalités en vertu desquelles les transporteurs ou modes de transport exercent leurs activités ne constituent pas, dans la mesure du possible, un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

[21] L'industrie des transports élabore ses services pour répondre aux besoins des utilisateurs. Les dispositions d'accessibilité de la LTC exigent quant à elles que les fournisseurs de services de transport du réseau de transport de compétence fédérale adaptent leurs services dans la mesure du possible aux besoins des personnes ayant une déficience. Certains empêchements doivent toutefois être pris en considération, par exemple les mesures de sécurité que les transporteurs doivent adopter et appliquer, les horaires qu'ils doivent s'efforcer de respecter pour des raisons commerciales, la configuration du matériel et les incidences d'ordre économique qu'aura l'adaptation d'un service sur les transporteurs aériens. Ces empêchements peuvent avoir une incidence sur les personnes ayant une déficience. Ainsi, ces personnes ne pourront pas nécessairement embarquer avec leur propre fauteuil roulant, elles peuvent devoir arriver à l'aérogare plus tôt aux fins de l'embarquement et elles peuvent devoir attendre plus longtemps pour obtenir de l'assistance au débarquement que les personnes n'ayant pas de déficience. Il est impossible d'établir une liste exhaustive des obstacles qu'un passager ayant une déficience peut rencontrer et des empêchements que les fournisseurs de services de transport connaissent dans leurs efforts pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience. Il faut en arriver à un équilibre entre les diverses responsabilités des fournisseurs de services de transport et le droit des personnes ayant une déficience à voyager sans rencontrer d'obstacle, et c'est dans cette recherche d'équilibre que l'Office applique le concept d'obstacle abusif.

Le cas présent

[22] Ayant déterminé que l'impossibilité d'accéder par ATS au système de réservation canadien de Coho Ferry au moment du dépôt de la demande a constitué un obstacle pour M. Richman en particulier, et pour toutes les personnes sourdes ou malentendantes en général, l'Office doit maintenant déterminer si cet obstacle était abusif.

[23] L'Office estime que les personnes ayant une déficience doivent pouvoir se prévaloir des options qui sont offertes aux autres voyageurs. Ainsi, dans la présente affaire, elles devraient pouvoir communiquer directement avec le transporteur pour faire des réservations. Les personnes ayant une déficience ont les mêmes droits que les autres de participer pleinement dans leurs collectivités et il ne fait aucun doute que l'égalité d'accès aux transports et aux services est primordiale pour permettre à ces personnes d'exercer leurs droits. Les personnes ayant une déficience tendent au plus haut degré d'autonomie possible dans leur vie quotidienne et, il en va de soi, dans leurs déplacements. En l'espèce, et considérant les faibles coûts y associés, la fourniture du service par ATS aurait permis de respecter de tels principes.

[24] Par ailleurs, l'Office souligne que le code de pratiques l'établit comme suit sous la rubrique « Systèmes de télécommunication pour les réservations et les renseignements » :

Les fournisseurs de services de transport qui utilisent des lignes téléphoniques pour des réservations, des renseignements ou des services relatifs au succès du déplacement doivent fournir un niveau de service équivalent aux voyageurs ayant une déficience en mettant à leur disposition des systèmes de communications auxiliaires, comme une ligne pour ATS.

[25] L'Office est conscient que les dispositions du code de pratiques ne s'appliquent pas expressément aux transporteurs étrangers. Cependant, le code de pratiques reflète le point de vue de l'Office quant à l'importance des ATS sur le plan de l'accessibilité des services de transport pour les personnes ayant une déficience et reconnaît le principe qui convient d'accorder aux personnes ayant une déficience l'égalité d'accès à tous les services de transport fournis à destination ou en provenance du Canada.

[26] Cela dit, l'Office estime que l'impossibilité d'accéder par ATS au système de réservation canadien de Coho Ferry au moment du dépôt de la demande a constitué un obstacle abusif pour M. Richman en particulier, et pour toutes les personnes sourdes ou malentendantes en général.

MESURES PRISES OU DEVANT ÊTRE PRISES

[27] Un examen du site Web de Coho Ferry révèle l'accessibilité de deux numéros d'ATS sans frais : un premier est disponible aux clients de la province de Colombie-Britannique, et l'autre l'est aux clients des États-Unis d'Amérique. Cela démontre que bien que les mesures envisagées par Coho Ferry au moment des plaidoiries consistaient en la publication de numéros pour obtenir l'assistance de deux services de relais téléphonique, elle a procédé à l'installation d'ATS et les numéros apparaissent sur son site Web. Ces mesures prises par Coho Ferry devraient permettre aux personnes sourdes ou malentendantes qui téléphonent de la Colombie-Britannique de communiquer directement avec le transporteur. Par ailleurs, il est constaté que les utilisateurs d'ATS en Colombie-Britannique bénéficient d'un accès sans frais, ce qui n'est pas le cas pour les autres clients de Coho Ferry. L'Office constate que ces mesures donnent aux clients de la Colombie-Britannique un accès amélioré au système de réservation de Coho Ferry et il approuve l'initiative prise par Coho Ferry de fournir un tel accès.

[28] Cependant, l'Office remarque que les clients sourds ou malentendants qui sont à l'extérieur de la Colombie-Britannique n'ont toujours pas d'accès par ATS au service de réservation de Coho Ferry. L'Office juge donc que les mesures prises par Coho Ferry ne fournissent pas aux clients sourds ou malentendants les mêmes capacités de communiquer avec son service de réservation que celles offertes aux autres clients.

[29] Par conséquent, et pour les raisons précitées, l'Office estime que l'impossibilité pour les clients sourds ou malentendants qui sont à l'extérieur de la Colombie-Britannique d'accéder par ATS au système de réservation canadien de Coho Ferry constitue pour ces personnes un obstacle abusif.

CONCLUSION

[30] À la lumière des constatations qui précèdent, l'Office conclut que l'impossibilité d'accéder par ATS au système de réservation canadien de Coho Ferry au moment du dépôt de la demande a constitué un obstacle abusif pour M. Richman en particulier, et pour toutes les personnes sourdes ou malentendantes en général.

[31] L'Office a pris note que Coho Ferry a depuis installé des ATS et que les numéros apparaissent sur son site Web. Bien que l'Office approuve les mesures prises par Coho Ferry qui permettent, entre autres choses, aux personnes sourdes ou malentendantes qui téléphonent de la Colombie-Britannique de communiquer directement avec le transporteur, il constate qu'il est toujours impossible aux utilisateurs d'ATS qui sont à l'extérieur de la Colombie-Britannique d'accéder au système de réservation canadien de Coho Ferry.

[32] Par conséquent, et puisque l'impossibilité pour les clients sourds et malentendants qui sont à l'extérieur de la Colombie-Britannique d'accéder par ATS au système de réservation canadien de Coho Ferry constitue pour ces personnes un obstacle abusif, l'Office enjoint par les présentes à Coho Ferry de prendre l'une ou l'autre des mesures qui suivent dans les soixante (60) jours suivant la date de la présente décision :

  • rendre accessible partout au Canada le service actuellement offert par ATS sans frais, et fournir à l'Office une confirmation écrite attestant que ledit service est accessible; ou
  • instaurer un nouveau service par ATS, et fournir à l'Office une confirmation écrite attestant l'accessibilité de ce service.

[33] Après examen des mesures qui auront été prises par Coho Ferry pour satisfaire aux exigences de cette décision, l'Office déterminera si d'autres mesures s'imposent.

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