Décision n° 11-C-A-2012

le 10 janvier 2012

Plainte déposée par Peter Jeffery contre Air Canada.

No de référence : 
M4120-3/11-50115

INTRODUCTION ET QUESTION

[1] Peter Jeffery a déposé une plainte auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Air Canada concernant le refus d’Air Canada de le transporter, ainsi que son épouse, à bord du vol no AC1234 partant de Toronto (Ontario) à destination de Fort Myers, en Floride, le 24 février 2011, au motif qu’il aurait eu un comportement turbulent.

[2] M. Jeffery exige qu’Air Canada lui présente des excuses et lui verse une indemnité pour le stress, les insultes et l’embarras que lui et son épouse ont vécu.

[3] La question dont est saisi l’Office relativement à cette plainte est la suivante :

Air Canada a-t-elle correctement appliqué les conditions de transport énoncées dans le tarif d’Air Canada intitulé Canadian General Rules Tariff NTA(A) No. 241 d’Air Canada (Tarif) en ce qui concerne le refus de transporter, conformément au paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié (RTA)?

[4] Comme il est indiqué dans les motifs qui suivent, l’Office conclut que, selon la prépondérance des probabilités, Air Canada a correctement appliqué les conditions énoncées dans son Tarif relatives au refus de transporter. Par conséquent, l’Office rejette la plainte.

OBSERVATION PRÉLIMINAIRE

[5] L’Office ne traitera pas la demande de M. Jefferey en vue d’obtenir des excuses et une indemnité pour le stress, les insultes et l’embarras que lui et son épouse ont vécu, car il n’a pas compétence pour ordonner à un transporteur aérien de s’excuser ou de verser des indemnités pour des questions de cette nature.

POSITIONS DES PARTIES

Plaignant

[6] M. Jeffery déclare dans sa plainte que lui et son épouse ont été débarqués du vol no AC1234 après qu’on a refusé à son épouse de se rendre aux toilettes. M. Jeffery affirme qu’avant l’embarquement, Mme Jeffery et les autres passagers ont été retenus dans le couloir en raison de l’arrêt prématuré de l’embarquement. Mme Jeffery s’est rendue aux toilettes alors que l’aéronef était encore à la porte d’embarquement et que la porte de chargement était encore ouverte. De même, les passagers n’étaient pas encore tous assis. M. Jeffery déclare en outre que la directrice de vol, Mme Annie Michaud, a tenu à voix haute des propos offensants concernant « une foutue femme qui avait besoin d’aller aux toilettes » [traduction]. M. Jeffery a demandé à la directrice de vol Michaud de s’excuser pour cette remarque, puis l’incident a dégénéré et des paroles désagréables ont été échangées. M. Jeffery fait valoir que lui et son épouse ont ensuite été débarqués au motif que Mme Jeffery avait « bousculé » l’agente de bord, une accusation complètement fausse selon M. Jeffery.

[7] M. Jeffery déclare qu’il s’agit d’un incident humiliant causé par le comportement intolérable et offensant de la directrice de vol Michaud et par le fait que les autres membres du personnel d’Air Canada ne sont pas intervenus.

[8] M. Jeffery a présenté à l’appui de sa plainte plusieurs courriels envoyés par d’autres passagers. Ces courriels décrivent la directrice de vol Michaud comme étant grossière et dénigrante envers les passagers durant l’embarquement et ayant une attitude désagréable et irrespectueuse envers les passagers. Un passager affirme qu’il a entendu la directrice de vol Michaud dire à un autre employé qu’elle était contrariée que le vol soit retardé, car elle voulait aller faire des achats. Parmi les passagers figurait une ancienne employée d’une compagnie aérienne, qui a décrit le comportement de la directrice de vol Michaud comme étant « non professionnel et injustifié », ajoutant qu’elle pensait que le reste de l’équipage était intimidé par son comportement et vaquait à ses fonctions en essayant de ne pas envenimer la situation.

[9] Une employée d’Air Canada qui n’était pas en service et qui était assise derrière le couple indique, à propos des remarques formulées à voix haute par la directrice de vol Michaud concernant l’utilisation des toilettes par Mme Jeffery, qu’elles étaient « inutiles et insultantes ». Elle indique que dans la discussion qui a suivi avec M. Jeffery, la directrice de vol Michaud « s’est emportée et a perdu son sang-froid » et que « la situation a pris une importance disproportionnée ».

[10] M. Jeffery a également fourni une copie d’une lettre d’Air Canada dans laquelle des bons de transport d’un montant de 200 $ lui sont offerts ainsi qu’à son épouse pour un futur voyage.

Air Canada

[11] Air Canada affirme que M. Jeffery a fait preuve d’un comportement offensant et irrespectueux après que la directrice de vol Michaud, ait fait remarquer que son épouse aurait dû suivre les instructions de l’équipage et attendre que l’aéronef ait décollé avant d’utiliser les toilettes. Plus précisément, Mme Jeffery, qui était assise près de M. Jeffery, a demandé à la directrice de vol Michaud si elle pouvait utiliser les toilettes avant le départ. À ce moment-là, les agents de bord, y compris la directrice de vol Michaud, effectuaient les derniers préparatifs pour le départ. Air Canada soutient que la directrice de vol Michaud avait été chargée par le commandant de bord de fermer la porte de l’aéronef et de faire le décompte final des passagers afin de pouvoir décoller dès que possible, car le vol avait déjà été retardé en raison de problèmes mécaniques. La directrice de vol Michaud a informé Mme Jeffery qu’elle ne pouvait pas utiliser les toilettes à ce moment-là et l’a avisée d’attendre après le décollage.

[12] Air Canada soutient que Mme Jeffery n’a pas suivi les directives et s’est rendue à l’avant de l’aéronef pour utiliser les toilettes, perturbant ainsi le décompte final des passagers qui était alors en cours. Air Canada déclare en outre que Mme Jeffery a également ignoré les directives d’une autre agente de bord qui s’occupait des passagers de la classe Affaires et a ainsi retardé davantage le départ du vol.

[13] Air Canada affirme que la directrice de vol Michaud a été surprise de constater que Mme Jeffery n’avait pas suivi les directives et, tandis que Mme Jeffery se rendait aux toilettes, a murmuré qu’elle aurait pu utiliser les toilettes lorsqu’elle attendait l’embarquement du vol. Air Canada soutient que la directrice de vol Michaud n’a pas utilisé les paroles évoquées par M. Jeffery dans sa plainte.

[14] Air Canada soutient que M. Jeffery a fait un commentaire irrespectueux relatif à l’origine ethnique de la directrice de vol Michaud. En entendant cela, la directrice de vol Michaud a demandé qui avait fait une telle remarque et M. Jeffery a déclaré qu’il s’agissait de lui. La directrice de vol Michaud a alors informé M. Jeffery que sa remarque était inacceptable et que tous les autres agents de bord du vol étaient de la même origine ethnique. Cherchant à déterminer si M. Jeffery respecterait les directives et l’autorité de l’équipage pendant le vol, la directrice de vol Michaud a demandé à celui-ci de s’excuser. Air Canada déclare que M. Jeffery a persisté dans son attitude conflictuelle et a continué à demander des excuses pour son épouse. Étant donné l’attitude agressive et irrespectueuse de M. Jeffery envers l’équipage, on lui a ordonné de débarquer de l’aéronef.

[15] Air Canada soutient qu’étant donné le comportement de M. Jeffery et son attitude envers la directrice de vol Michaud et l’autorité de l’équipage, le commandant de bord a décidé de maintenir la décision de la directrice de vol Michaud de débarquer M. Jeffery afin d’éviter la poursuite de tout comportement turbulent qui pourrait compromettre l’exploitation sécuritaire et adéquate du vol no AC1234 et mettre en péril la sécurité et le confort de l’équipage et des autres passagers.

[16] Air Canada affirme que lorsque la décision a été communiquée à M. Jeffery, celui-ci a encore fait preuve d’un comportement perturbateur, ce qui a nécessité l’intervention de la gestionnaire du service à la clientèle d’Air Canada. Au lieu de rassembler ses effets en vue de débarquer de l’aéronef, M. Jeffery est demeuré dans l’aéronef et a receuilli des informations auprès des autres passagers, retardant d’autant plus le vol. Air Canada déclare que M. Jeffery a insisté pour que la gestionnaire du service à la clientèle procède à une enquête sur place concernant l’incident, ce qui a été refusé, car la décision du commandant de bord était définitive et le départ de l’aéronef était imminent.

[17] Air Canada soutient qu’une fois que M. Jeffery a été débarqué, aucune autre mesure n’a été prise contre lui et que lui et son épouse ont été en mesure d’embarquer le jour même sur un vol direct d’Air Canada vers Fort Myers.

[18] Air Canada a également présenté les témoignages de la directrice de vol Michaud, de Mme Villeneuve, l’agente de bord chargée de la classe Affaires, et de Mme Leonardo, gestionnaire du service à la clientèle.

[19] La directrice de vol Michaud, déclare que Mme Jeffery n’a pas suivi les directives voulant que l’utilisation des toilettes devrait se faire après le décollage et qu’elle devrait utiliser les toilettes situées à l’arrière de l’aéronef; Mme Michaud n’a pas prononcé les paroles évoqués par M. Jeffery, mais s’est demandé effectivement pourquoi Mme Jeffery n’était pas allée aux toilettes avant l’embarquement; M. Jeffery a fait une remarque désobligeante et inacceptable envers les Canadiens français, à savoir « foutus Canadiens français » [traduction] et l’on s’inquiétait du fait que M. Jeffery puisse continuer à se montrer irrespectueux et à ne pas suivre les directives.

[20] L’agente de bord de la classe Affaires déclare qu’elle a entendu Mme Jeffery demander d’utiliser les toilettes; on lui a répondu qu’elle devait s’asseoir et attendre après le décollage; Mme Jeffery n’a pas suivi ces directives et a voulu utiliser les toilettes de la classe Affaires; Mme Jeffery a interrompu le service aux passagers de la classe Affaires et a écarté l’agente de bord pour se rendre aux toilettes après qu’on lui ait dit de retourner s’asseoir. M. Jeffery est entré et sorti de l’aéronef à plusieurs reprises pour rassembler ses effets personnels et obtenir les coordonnées des autres passagers; chaque fois que M. et Mme Jeffery passaient près de l’agente de bord, ils avaient une attitude agressive et conflictuelle.

[21] La gestionnaire du service à la clientèle d’Air Canada déclare qu’elle a été appelée à la porte d’embarquement, car deux passagers étaient débarqués; elle a demandé au commandant de bord si la décision était définitive, et ce dernier lui a confirmé sa décision; elle a expliqué à M. Jeffery qu’il devait débarquer; M. Jeffery a retardé davantage le vol en recueillant les coordonnées des passagers avoisinants; pendant tout ce temps, M. Jeffery était très agité et a pris un certain temps pour se calmer une fois débarqué.

ANALYSES ET CONSTATATIONS

[22] Lorsqu’une plainte est déposée auprès de l’Office, il incombe au plaignant de prouver que, selon la prépondérance des probabilités, le transporteur n’a pas correctement appliqué les conditions de transport énoncées dans son tarif, comme l’exige le paragraphe 110(4) du RTA.

[23] L’Office note que le tarif d’Air Canada prévoit que le transporteur aérien peut refuser de transporter un passager ou le contraindre à quitter l’aéronef lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire que celui-ci a eu un comportement inacceptable. Plus précisément, la règle 35AC II(1) du Tarif prévoit ce qui suit :

Comportement interdit

Sans restreindre la portée générale de ce qui précède, ce qui suit constitue des exemples de conduite interdite lorsque, le cas échéant, le transporteur, agissant de façon raisonnable, doit prendre des mesures pour s’assurer du confort physique ou de la sécurité de la personne, des autres passagers (au moment présent ou ultérieurement) ou des employés du transporteur, de la sécurité de l’appareil, ou de l’exécution sans entraves des tâches qui incombent à l’équipage ou de l’exploitation sécuritaire et adéquate du vol :

(...)

b) la conduite de la personne, ou son état, est ou est connue par le passé comme abusive, offensante, menaçante, intimidante, violente ou autrement désordonnée, et de l’avis raisonnable d’un employé responsable du transporteur, il est possible que ce passager perturbe le confort physique ou la sécurité des autres passagers ou des employés du transporteur, ou y porte gravement atteinte, entrave l’exécution des tâches d’un membre d’équipage ou mette autrement en péril l’exploitation sécuritaire et adéquate du vol.

(...)

d) le passager omet ou refuse de respecter les directives du Transporteur et de ses employés, y compris les directives de cesser un comportement interdit;

[24] L’Office reconnaît que des éléments de preuve contradictoires ont été présentés, notamment en ce qui concerne les remarques exactes formulées par la directrice de vol Michaud, à l’égard de Mme Jeffery. Lorsque l’Office est en présence de preuves contradictoires, il doit déterminer quelle version des événements est la plus probable en fonction de la prépondérance de la preuve. Dans ce cas toutefois, l’Office estime qu’il n’est pas nécessaire de déterminer quelle version est la plus probable, car la série d’événements qui ont conduit au débarquement de M. et Mme Jeffery du vol no AC1234 ont été reconnus par Air Canada et M. Jeffery.

[25] Selon les témoignages écrits présentés à l’Office, Mme Jeffery a utilisé les toilettes à l’avant de l’aéronef alors que se déroulaient les derniers préparatifs avant le décollage. Ce faisant, Mme Jeffery a ignoré les directives de la directrice de vol Michaud, qui lui avait indiqué d’attendre après le décollage et d’utiliser les toilettes situées à l’arrière de l’aéronef; elle a ignoré les directives de l’agente de bord de la classe Affaires, qui lui avait demandé de retourner à son siège. M. Jeffery n’a pas nié que son épouse a ignoré ces directives.

[26] Selon les remarques de M. Jeffery et les témoignages à l’appui de sa plainte, le comportement global de la directrice de vol Michaud a contribué en partie à la manière dont l’incident a dégénéré en une dispute entre elle et M. Jeffery. Selon la preuve au dossier, cette dispute était caractérisée par l’échange de remarques possiblement désagréables formulées à voix haute tant par M. Jeffery que par la directrice de vol Michaud.

[27] Le libellé utilisé dans le Tarif d’Air Canada accorde une certaine latitude aux employés dans l’interprétation de ce qui constitue un comportement interdit. Cependant, l’interprétation et les mesures subséquentes prises par un employé d’Air Canada doivent reposer sur un discernement raisonnable. La disposition contenue dans le Tarif d’Air Canada ne peut pas être utilisée pour justifier le débarquement des passagers simplement parce qu’il y a un désaccord ou une dispute entre un employé du transporteur aérien et un passager. Certaines preuves doivent étayer le fait que le comportement du passager constitue réellement une menace à la sécurité ou au confort des autres passagers, du personnel du transporteur aérien ou de l’aéronef lui-même.

[28] L’Office doit décider si la directrice de vol Michaud a fait preuve d’un discernement raisonnable lorsqu’elle a décidé que M. et Mme Jeffery devaient être débarqués de l’aéronef en raison de leur comportement. Étant donné que Mme Jeffery avait ignoré les directives et que M. Jeffery était argumentateur, la directrice de vol Michaud se demandait légitimement si ce comportement risquait de se poursuivre pendant le vol et de compromettre le confort et la sécurité des autres passagers. La remarque de M. Jeffery au sujet de l’origine ethnique de la directrice de vol Michaud n’a été d’aucune aide pour régler la situation et a été jugée péjorative. Bien que la simple question de l’origine ethnique d’une personne ne porte pas à conséquence dans certaines situations, on voit mal comment une personne raisonnable pourrait conclure qu’une telle remarque est appropriée, qu’elle permet de réduire la tension ou qu’elle est susceptible de fournir la solution recherchée par la personne, à savoir obtenir des excuses. Dans ces circonstances, l’Office estime que ces remarques peuvent être interprétées comme un comportement offensant.

[29] Les remarques formulées à voix haute par la directrice de vol Michaud concernant l’utilisation des toilettes étaient inappropriées et ont contribué à l’agitation. Il n’est pas clair pourquoi, face à un passager demandant des excuses, la directrice de vol Michaud a conclu qu’il fallait, pour assurer la sécurité de l’aéronef, qu’elle demande à son tour des excuses. Toutefois, peu importe dans quelle mesure son manque de retenue a contribué au fait que l’incident a dégénéré, la directrice de vol Michaud avait tout de même la responsabilité d’évaluer le comportement de M. et Mme Jeffery et son incidence potentielle sur la sécurité et le bon déroulement du vol.

[30] Bien que la disposition contenue dans le Tarif n’ait pas pour but de protéger les agents de bord des conséquences de leurs propres erreurs de jugement, dans ce cas, il n’était pas déraisonnable de croire que ce comportement désordonné risquait de se poursuivre. La décision de débarquer les passagers a ensuite été confirmée par le commandant de bord.

[31] Les événements qui sont survenus après qu’on ait exigé que M. et Mme Jeffery débarquent de l’aéronef sont totalement sans rapport avec la décision de la directrice de vol Michaud de débarquer M. et Mme Jeffery.

[32] Tout bien pesé, et en tenant compte de l’objectif légitime pour lequel elles ont été établies, l’Office estime qu’Air Canada a appliqué correctement les conditions de transport énoncées dans son Tarif en ce qui concerne le refus de transporter.

[33] Air Canada a transporté M. et Mme Jeffery à Fort Myers sur un vol ultérieur le même jour. Par conséquent, la disposition du Tarif exigeant le remboursement d’une portion inutilisée d’un billet ne s’applique pas. Air Canada a également fourni des bons de transport à M. et Mme Jeffery avant que ces derniers ne portent l’affaire devant l’Office.

CONCLUSION

[34] L’Office conclut qu’Air Canada a appliqué correctement les conditions de transport énoncées dans son Tarif ainsi que les exigences réglementaires applicables.

[35] Par conséquent, l’Office rejette la plainte.

Membre(s)

Jean-Denis Pelletier, ing.
Raymon J. Kaduck
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