Décision n° 171-C-A-2007
le 11 avril 2007
RELATIVE à une plainte déposée par Robert Primeau contre Air Canada au sujet du déroutement du vol no AC937 d'Air Canada du 6 novembre 2006 partant de West Palm Beach, Floride, États-Unis d'Amérique, à destination de Toronto (Ontario), Canada.
Référence no M4120-3/06-50845
Plainte
[1] Le 24 novembre et le 12 décembre 2006, Robert Primeau a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la plainte énoncée dans l'intitulé.
[2] L'Office a ouvert les plaidoiries le 28 décembre 2006, lesquelles ont pris fin le 26 janvier 2007.
Questions
[3] L'Office doit déterminer :
- (1) si Air Canada a appliqué adéquatement les conditions ayant trait au non-respect de l'horaire d'un vol, lesquelles sont établies dans le tarif des règles générales applicables aux services de transport canadiens, CGR-1, du transporteur (ci-après le tarif), comme l'exige le paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié (ci-après le RTA), et
- (2) si les dispositions du tarif d'Air Canada relatives au non-respect de l'horaire d'un vol sont justes et raisonnables au sens de l'article 111 du RTA.
Faits
[4] M. Primeau devait voyager de West Palm Beach à Montréal via Toronto avec Air Canada le 6 novembre 2006. Ce jour-là, l'aéronef assurant le vol no AC937 d'Air Canada de West Palm Beach à Toronto a été dérouté sur Tampa, en Floride, pour aller prendre des passagers qui y étaient immobilisés en raison du bris mécanique de l'aéronef qu'ils devaient prendre. En raison du retard résultant de ce changement d'itinéraire, M. Primeau a raté son vol de correspondance de Toronto à Montréal. Air Canada a par la suite assuré le transport de M. Primeau à bord d'un autre vol de Toronto à Montréal, mais il est néanmoins arrivé à Montréal deux heures plus tard que prévu.
Positions des parties
[5] M. Primeau fait valoir que parce qu'il a manqué le vol de correspondance pour Montréal, il a également raté le transport terrestre qui devait le ramener à sa destination finale et n'a pas dormi de la nuit. Il ajoute qu'il n'a obtenu que 2 500 points Aeroplan d'Air Canada en guise de compensation et comme geste de bonne volonté.
[6] M. Primeau déclare que ce n'est qu'après que la porte de l'aéronef a été fermée qu'Air Canada a avisé les passagers que le vol serait dérouté sur Tampa. Il trouve cela aberrant étant donné qu'Air Canada savait que le vol partant de Tampa accusait déjà un retard de cinq heures. M. Primeau ajoute que les passagers n'ont pas été invités à descendre de l'aéronef, surtout ceux qui allaient sans doute manquer leurs vols de correspondance à Toronto. Il déclare que s'il en avait eu l'occasion, il serait descendu de l'aéronef et aurait voyager le lendemain. À son avis, Air Canada a refusé aux passagers le droit de descendre de l'aéronef et de prendre d'autres arrangements de transport parce que le déchargement des bagages aurait entraîné un retard et pour d'autres raisons d'ordre financier pour le transporteur.
[7] M. Primeau fait valoir qu'il est incroyable qu'Air Canada ait pu dérouter un vol vers une autre destination pour des raisons autres que des conditions météorologiques ou un bris mécanique de l'aéronef assurant le vol.
[8] M. Primeau maintient que le déroutement du vol no AC937 d'Air Canada constitue un « changement d'horaire » tel qu'on le décrit dans le tarif d'Air Canada, et non pas une « irrégularité d'horaire », toujours au sens que lui accorde le tarif. Selon M. Primeau, Air Canada a contrevenu au paragraphe (D) de la règle 240AC de son tarif, lequel porte sur les changements d'horaire, du fait qu'elle ne lui a pas offert le choix de descendre de l'aéronef et de demander qu'on lui rembourse la partie inutilisée de son billet.
[9] M. Primeau demande que l'Office enjoigne à Air Canada, à tout le moins, de lui rembourser le prix du billet et de modifier le tarif afin de limiter la capacité du transporteur de dérouter un vol particulier une fois que l'aéronef a quitté la porte d'embarquement uniquement aux situations où il y a un bris mécanique, pour des questions de sécurité ou en raison des conditions météorologiques. M. Primeau maintient que pour toute autre raison que celles qui sont précitées, Air Canada devrait être tenue de laisser aux passagers qui ne souhaitent pas voyager à bord d'un vol dérouté l'option de descendre de l'aéronef.
[10] Air Canada fait valoir que le but de l'escale à Tampa était d'aller prendre soixante-quinze passagers qui y étaient immobilisés en raison d'un bris mécanique imprévu de l'aéronef qu'ils devaient prendre. Le transporteur ajoute que ce cas en question n'a rien d'un changement d'horaire; il s'agissait plutôt d'une irrégularité du fait que l'arrivée du vol à Toronto a été retardée, si bien que M. Primeau a raté son vol de correspondance de Toronto à Montréal. De plus, cette perturbation est survenue le jour du départ. Air Canada ajoute que dans de telles circonstances, sa seule responsabilité est d'assurer le transport du passager, sans escale, à bord du prochain vol disponible et dans la même catégorie de service que le passager avait réservée à bord du vol initial, et qu'elle s'est acquittée de cette obligation en transportant M. Primeau à bord du prochain vol disponible du transporteur de Toronto à Montréal.
[11] De plus, Air Canada soutient que la règle 240AC portant sur les irrégularités d'horaire est juste et raisonnable, car elle oblige le transporteur à exécuter le contrat de transport en dépit de l'irrégularité.
[12] Air Canada ajoute que son tarif tient également compte de l'application de la Convention de Montréal qui définit la responsabilité du transporteur au chapitre du transport international et les recours du passager contre le transporteur. De plus, Air Canada indique qu'en cas d'une irrégularité d'horaire, les dispositions de son tarif assurent que le passager sera transporté jusqu'à la destination finale figurant sur le billet et que si le passager subit des dommages par suite du retard, la Convention de Montréal prévoit un mécanisme permettant au passager d'exercer ses droits contre le transporteur.
Dispositions législatives et réglementaires applicables
[13] Le paragraphe 110(4) du RTA prévoit que :
(4) Lorsqu'un tarif déposé porte une date de publication et une date d'entrée en vigueur et qu'il est conforme au présent règlement et aux arrêtés de l'Office, les taxes et les conditions de transport qu'il contient, sous réserve de leur rejet, de leur refus ou de leur suspension par l'Office, ou de leur remplacement par un nouveau tarif, prennent effet à la date indiquée dans le tarif, et le transporteur aérien doit les appliquer à compter de cette date.
[14] L'article 113.1 du RTA se lit comme suit :
113.1 Si un licencié n'applique pas les prix, taux, frais ou conditions de transport applicables au service international et figurant à son tarif, l'Office peut :
a) lui enjoindre de prendre les mesures correctives qu'il estime indiquées;
b) lui enjoindre d'indemniser les personnes lésées par la non-application de ces prix, taux, frais ou conditions de transport.
[15] L'article 111 du RTA dispose ce qui suit :
111.(1) Les taxes et les conditions de transport établies par le transporteur aérien, y compris le transport à titre gratuit ou à taux réduit, doivent être justes et raisonnables et doivent, dans des circonstances et des conditions sensiblement analogues, être imposées uniformément pour tout le trafic du même genre.
(2) En ce qui concerne les taxes et les conditions de transport, il est interdit au transporteur aérien :
a) d'établir une distinction injuste à l'endroit de toute personne ou de tout autre transporteur aérien;
b) d'accorder une préférence ou un avantage indu ou déraisonnable, de quelque nature que ce soit, à l'égard ou en faveur d'une personne ou d'un autre transporteur aérien;
c) de soumettre une personne, un autre transporteur aérien ou un genre de trafic à un désavantage ou à un préjudice indu ou déraisonnable de quelque nature que ce soit.
(3) L'Office peut décider si le trafic doit être, est ou a été acheminé dans des circonstances et à des conditions sensiblement analogues et s'il y a ou s'il y a eu une distinction injuste, une préférence ou un avantage indu ou déraisonnable, ou encore un préjudice ou un désavantage au sens du présent article, ou si le transporteur aérien s'est conformé au présent article ou à l'article 110.
[16] L'article 113.1 du RTA se lit comme suit :
113. L'Office peut :
a) suspendre tout ou partie d'un tarif qui paraît ne pas être conforme aux paragraphes 110(3) à (5) ou aux articles 111 ou 112, ou refuser tout tarif qui n'est pas conforme à l'une de ces dispositions;
b) établir et substituer tout ou partie d'un autre tarif en remplacement de tout ou partie du tarif refusé en application de l'alinéa a).
[17] Les dispositions suivantes de la Convention de Montréal s'appliquent au cas présent :
Article 19 — Retard
Le transporteur est responsable du dommage résultant d'un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, le transporteur n'est pas responsable du dommage causé par un retard s'il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s'imposer pour éviter le dommage, ou qu'il leur était impossible de les prendre.
Article 22 — Limites de responsabilité relatives aux retards, aux bagages et aux marchandises
1. En cas de dommage subi par des passagers résultant d'un retard, aux termes de l'article 19, la responsabilité du transporteur est limitée à la somme de 4 150 droits de tirage spéciaux par passager.
Les dispositions du tarif
[18] La règle 240AC du tarif portant sur le non-respect de l'horaire se lit en partie comme suit :
[traduction libre]
[...]
(B) Définitions
Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente règle :
[...]
(8) Irrégularité d'horaire s'entend de l'une ou l'autre situation suivante qui survient le jour du départ, mais non aux interruptions résultant d'un conflit de travail ou d'une grève :
(a) arrivée ou départ tardifs d'un vol d'AC faisant en sorte qu'une correspondance est manquée, ou
(b) annulation d'un vol ou omission d'une escale prévue, ou tout autre retard ou toute interruption liés à l'exploitation régulière d'un vol d'AC, ou
[...]
(C) Irrégularité d'horaire
(1) Lorsqu'un passager subit un retard en raison d'une irrégularité d'horaire d'un vol d'AC [...]
(a) AC assurera le transport du passager, sans escale, à bord du prochain vol disponible et dans la même catégorie de service que celle qu'il avait réservée à bord du vol initial.
[...]
(D) Changement d'horaire
Si en raison d'un changement d'horaire d'AC un passager payant doit changer d'itinéraire, AC :
(1) assurera le transport du passager sur une autre route, sans escale, à bord du prochain vol disponible du transporteur et dans la même catégorie de service qu'il avait réservée à bord du vol initial; ou
(2) à la demande du passager, assurera son transport sur une autre route, sans escale, à bord d'un autre vol disponible du transporteur et dans une catégorie de service autre que celle qu'il avait initialement réservée [...]
(3) rembourse la ou les parties non utilisée(s) du billet conformément à la règle 260 (REMBOURSEMENTS - INVOLONTAIRES).
Analyse et constatations
[19] Pour en arriver à ses constatations, l'Office a examiné attentivement tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries. L'Office a également revu les conditions de transport établies dans le tarif d'Air Canada qui sont pertinentes en l'espèce.
1. Air Canada a-t-elle appliqué adéquatement les conditions ayant trait au non-respect de l'horaire d'un vol qui sont établies dans son tarif, comme l'exige le paragraphe 110(4) du RTA?
[20] Air Canada a expliqué que le 26 novembre 2006, il y a eu irrégularité d'horaire du vol no AC937 au sens de la règle 240AC du tarif du transporteur du fait que l'arrivée du vol à Toronto a été retardée, si bien que M. Primeau a raté son vol de correspondance de Toronto à Montréal, et que cette perturbation est survenue le jour même du départ du vol. Air Canada a ajouté qu'elle avait satisfait aux conditions établies dans son tarif, car M. Primeau a pris place à bord du prochain vol disponible d'Air Canada de Toronto à Montréal.
[21] M. Primeau a indiqué que le déroutement du vol no AC937 d'Air Canada constituait un « changement d'horaire », selon la définition qu'en donne le tarif d'Air Canada et que celle-ci a contrevenu au paragraphe (D) de la règle 240AC de son tarif, lequel porte sur les changements d'horaire, du fait qu'elle ne lui a pas offert le choix de descendre de l'aéronef et de demander le remboursement de la partie inutilisée de son billet.
[22] L'Office est d'avis, en se fondant sur la preuve au dossier, que la perturbation de l'exploitation régulière du vol no AC937 d'Air Canada est arrivée le jour même du départ dudit vol. Par conséquent, il s'agissait d'une irrégularité d'horaire au sens de la règle 240AC du tarif.
[23] À la lumière de ce qui précède, l'Office conclut qu'Air Canada a appliqué adéquatement les conditions de son tarif, car, conformément à la règle 240AC, Air Canada a assuré le transport de M. Primeau sans escale à bord du prochain vol disponible.
[24] En ce qui a trait à la responsabilité d'Air Canada en vertu de la Convention de Montréal pour les dommages résultant du retard du vol no AC937, l'Office note que la preuve au dossier ne permet pas de conclure que M. Primeau a subi de tels dommages.
2. Les dispositions du tarif d'Air Canada relatives au non-respect de l'horaire d'un vol sont-elles justes et raisonnables au sens de l'article 111 du RTA?
[25] M. Primeau a indiqué qu'il était déraisonnable qu'Air Canada puisse dérouter un vol vers une autre destination pour des raisons autres que des conditions météorologiques ou d'ordre mécanique. Il a ajouté que l'Office devrait enjoindre au transporteur de modifier son tarif afin de limiter sa capacité de dérouter un vol particulier une fois que l'aéronef a quitté la porte d'embarquement uniquement aux situations où il y a un bris mécanique, pour des questions de sécurité ou en raison des conditions météorologiques. M. Primeau a déclaré que pour toute autre raison que celles qui sont précitées, Air Canada devrait être tenue de laisser aux passagers qui ne souhaitent pas voyager à bord d'un vol dérouté l'option de descendre de l'aéronef.
[26] Air Canada a indiqué que la règle 240AC était raisonnable du fait qu'elle oblige le transporteur à exécuter le contrat de transport en dépit d'une irrégularité d'horaire.
[27] L'Office est d'avis que les dispositions du tarif d'Air Canada portant sur le non-respect de l'horaire d'un vol offre au transporteur la flexibilité qui est essentielle au déroulement de ses activités tout en respectant les contraintes d'ordre opérationnel et commercial. Qui plus est, l'Office estime que ces dispositions sont conformes aux pratiques d'autres transporteurs qui assurent des services internationaux réguliers à destination et en provenance du Canada. Ces dispositions tarifaires constituent une façon acceptable de répondre aux besoins des passagers en cas d'irrégularité d'horaire.
[28] Par conséquent, l'Office détermine que dans le cas en l'espèce, la règle 240AC est juste et raisonnable au sens de l'article 111 du RTA.
Conclusion
[29] Compte tenu des constatations qui précèdent, l'Office rejette par les présentes la plainte.
Membres
- Baljinder Gill
- Mary-Jane Bennett
- Date de modification :