Décision n° 2-AT-A-2012

le 3 janvier 2012

PLAINTE déposée par Malcolm Johnson contre Air Canada.

No de référence : 
U3570/11-05203

INTRODUCTION

Malcolm Johnson a déposé auprès de l’Office des transports du Canada (Office) une plainte en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée (LTC), contre Air Canada à propos des frais supplémentaires qu’impose le transporteur pour l’assignation de sièges de classe économique qui procurent plus d’espace pour les jambes. M. Johnson allègue qu’en raison de sa taille, il ne peut s’asseoir dans un siège « ordinaire » sans que cela présente un risque pour sa santé; le fait d’être assis dans un espace restreint contribuerait à une mauvaise circulation sanguine dans ses jambes.

M. Johnson demande qu’Air Canada cesse d’imposer ces frais supplémentaires aux personnes qui, en raison de leur taille, ont besoin de sièges de classe économique qui procurent plus d’espace pour les jambes. M. Johnson demande aussi qu’Air Canada lui rembourse tous les frais supplémentaires qu’il a engagés par le passé pour obtenir un siège lui procurant plus d’espace pour les jambes.

QUESTION

M. Johnson est-il une personne ayant une déficience aux fins de la partie V de la LTC en raison de sa taille?

LA LOI

Le mandat législatif de l’Office en ce qui concerne les personnes ayant une déficience est énoncé à la partie V de la LTC, laquelle confère le pouvoir d’enquêter sur les plaintes [paragraphe 172(1)], dans le but exprès d’éliminer les obstacles abusifs aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience dans le réseau de transport fédéral.

Étant donné que la partie V de la LTC est une législation sur les droits de la personne, l’Office décèle et élimine les obstacles abusifs auxquels font face les personnes ayant une déficience dans le contexte du transport d’une manière qui est compatible à celle qui est utilisée pour déceler et éliminer toute discrimination en vertu des lois sur les droits de la personne.

L’Office utilise un test à trois volets pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. Il doit déterminer :

  1. si la personne a une déficience au sens de la LTC;
  2. si la personne a rencontré un « obstacle » (une règle, une politique, une pratique, un obstacle physique, etc. qui, directement ou indirectement, fait preuve de discrimination à l’égard d’une personne ayant une déficience et qui prive cette personne des avantages et privilèges qui sont offerts à d’autres dans le réseau de transport fédéral);
  3. si l’obstacle était « abusif ». Cela exige de l’Office qu’il détermine si le fournisseur de service a fait tout ce qu’il pouvait pour répondre aux besoins de la personne ayant une déficience sans se voir imposer une contrainte excessive.

ANALYSE ET CONSTATIONS

Démarche de l’Office pour conclure à l’existence d’une déficience

Pour déterminer s’il y a eu obstacle aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience, l’Office doit d’abord déterminer si la demande a été déposée par une personne ayant une déficience ou en son nom.

Bien qu’il existe des cas où la déficience est évidente (p. ex. une personne qui se déplace en fauteuil roulant), il y en a d’autres où des éléments de preuve supplémentaires sont nécessaires pour établir à la fois l’existence d’une déficience et le besoin de mesures d’accommodement. Dans pareils cas, l’Office peut avoir recours à la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) de l’Organisation mondiale de la santé, instrument mondialement reconnu de classification normalisée des handicaps, et/ou à de la documentation médicale.

L’Office prête trois dimensions au terme déficience, à savoir l’invalidité, la limitation d’activité et la restriction de participation. Pour conclure à l’existence d’une déficience aux fins de la partie V de la LTC, ces trois dimensions doivent être présentes.

La CIF définit l’invalidité comme une perte ou une anomalie d’une structure du corps ou d’une fonction physiologique (incluant les fonctions mentales).

Les limitations d’activité désignent les difficultés qu’éprouve une personne à exécuter des activités. Elles désignent aussi la présentation de symptômes et des difficultés qui en résultent, quel que soit le contexte. Selon la CIF, une limitation d’activité peut se traduire par un écart plus ou moins grand, sur le plan de la qualité ou de la quantité, dans la capacité d’exécuter l’activité de la manière et dans la mesure escomptées par les personnes qui n’ont pas ce type d’invalidité. L’Office estime que, pour parvenir à une détermination aux termes de la partie V de la LTC, la limitation doit être suffisamment importante pour entraîner une difficulté inhérente à accomplir une tâche ou une action.

Les restrictions de participation désignent les problèmes qu’une personne peut éprouver dans des situations de vie réelles. La présence d’une restriction de participation est établie en comparant la participation d’une personne à celle que l’on escompte d’une personne sans déficience dans cette culture ou société. Aux fins de la partie V de la LTC, cela désigne une corrélation entre la personne qui a une invalidité et le réseau de transport fédéral.

L’Office est d’avis que, pour qu’elle soit considérée comme étant une personne ayant une déficience aux fins de la partie V de la LTC, la demanderesse doit démontrer :

  1. qu’elle a une invalidité;
  2. que son invalidité se traduit par une limitation d’activité qui est suffisamment importante pour entraîner une difficulté inhérente à accomplir une tâche ou une action;
  3. qu’elle éprouve une restriction de participation dans le cadre du réseau de transport fédéral.

Invalidité

Comme il a été mentionné plus haut, la CIF définit l’invalidité comme une perte ou une anomalie d’une structure du corps ou d’une fonction physiologique (incluant les fonctions mentales). La CIF précise que le terme « anomalie » est strictement utilisé pour désigner un écart important par rapport à des normes statistiques établies (c.-à-d. un écart par rapport à la moyenne de la population dans le cadre de normes mesurées).

Dans une note, le médecin de M. Johnson indique que ce dernier mesure 202 centimètres. Du dos aux genoux, il mesure 70 centimètres, et des genoux au sol, 69 centimètres. Le médecin explique que ce que l’on doit retenir de l’état de M. Johnson est que toute immobilisation prolongée durant un vol peut accentuer le risque de thrombose veineuse profonde. Le médecin recommande qu’on reconnaisse à M. Johnson le besoin d’un siège procurant plus d’espace aux jambes. M. Johnson ajoute que le risque qu’il développe une thrombose veineuse profonde est lié au fait qu’il ne puisse pas bouger dans son siège et de la pression que cela exerce sur ses genoux et ses jambes.

M. Johnson affirme que son médecin reconnaît que sa taille, de 202 centimètres, constitue une « anomalie ».

Analyse de l’Office

M. Johnson prétend que son médecin a reconnu que sa taille constituait une « anomalie ». Or, ce dernier n’en fait aucune mention dans sa note. En fait, le médecin y indique la taille et la longueur de jambes de M. Johnson, mais il ne mentionne pas que ces mesures se traduisent par une perte ou une anomalie d’une structure du corps ou d’une fonction physiologique. De plus, pour conclure à une anomalie, il aurait fallu démontrer un écart important par rapport à des normes statistiques établies.

Le médecin a signalé que l’immobilité à laquelle est soumis M. Johnson pendant un vol en raison d’un siège qui ne lui procure pas suffisamment d’espace aux jambes peut accentuer le risque qu’il développe une thrombose veineuse profonde. Cependant, le risque de développer un trouble médical n’atteste pas l’existence d’un trouble médical.

M. Johnson n’a pas démontré que sa taille constituait une perte ou une anomalie d’une structure du corps ou d’une fonction physiologique. C’est pourquoi l’Office conclut que M. Johnson ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il a une invalidité, qui est l’un des critères essentiels à l’existence d’une déficience. Par conséquent, l’Office n’est pas tenu de se pencher sur la question de savoir si M. Johnson a démontré ou non l’existence des deux autres dimensions d’une déficience, à savoir l’existence d’une limitation d’activité et d’une restriction de participation dans le contexte du transport aérien.

CONCLUSION

À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que M. Johnson ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve de démontrer qu’aux fins de la partie V de la LTC, il est une personne ayant une déficience en raison de sa taille. La demande est donc rejetée.

Membre(s)

J. Mark MacKeigan
Geoffrey C. Hare
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