Lettre-décision n° 2015-06-18
VERSION ÉPURÉE
Demande présentée par Louis Dreyfus Commodities Canada Ltd. contre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, conformément à l’article116 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée.
DEMANDE
[1] Le 17 octobre 2014, Louis Dreyfus Commodities Canada Ltd. (LDC) a déposé auprès de l’Office des transports du Canada (Office) une demande en matière de niveau de services contre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) concernant le service ferroviaire à l’installation de Dawson Creek de LDC.
[2] LDC fait valoir que CN a manqué à ses obligations en matière de niveau de services en ne fournissant pas à LDC une quantité suffisante et convenable de wagons à son installation de Dawson Creek, de la semaine 1 de la campagne agricole 2013‑2014 jusqu’à la date de sa demande (période visée par la plainte).
[3] De plus, LDC soutient que la mise en œuvre des nouvelles procédures et politiques de CN pour commander des wagons amènerait CN à manquer à ses obligations en matière de niveau de services.
[4] LDC demande à l’Office de déterminer que CN ne s’est pas acquittée et ne s’acquitte toujours pas de ses obligations en matière de niveau de services envers LDC, et d’ordonner :
- que CN fournisse le service aux installations conformément aux commandes que LDC a passées et à celles qu’elle passera à l’avenir;
- que CN ne réduise pas la quantité de wagons qu’elle fournit aux installations de Glenavon et d’Aberdeen de LDC conformément à toute ordonnance de l’Office concernant l’installation de Dawson Creek, [SUPPRESSION];
- que CN acquiert des wagons-trémies et du matériel moteur supplémentaires, embauche plus de personnel, et place des wagons supplémentaires au service du grain canadien;
- comme solution de rechange, que CN remplisse ses obligations en matière de niveau de services aux installations selon les modalités de forme et de temps qu’il estime indiquées ou pendant toute période qu’il juge opportune, eu égard aux intérêts légitimes, lesquelles obligations auront été précisées par l’Office;
- que toutes réparations supplémentaires ou d’une autre nature que l’Office estimera indiquées dans les circonstances soient accordées.
[5] LDC et CN demandent une adjudication de frais dans le cadre de la présente instance.
QUESTION
[6] CN s’est-elle acquittée de ses obligations en matière de niveau de services envers LDC à son installation de Dawson Creek relativement à la réception, au transport et à la livraison des wagons au cours de la période visée par la plainte comme le prévoient les articles 113 à 115 de la Loi sur les transports au Canada (LTC)?
APPROCHE D’ÉVALUATION
[7] Dans une décision confidentielle du 3 octobre 2014 (décision AÉ) [dont une version publique est affichée sur le site https://www.otc-cta.gc.ca/fra/decision/2014-10-03], l’Office a établi l’approche d’évaluation (AÉ) suivante pour les demandes relatives au niveau de services conformément aux obligations statutaires prévues aux articles 113 à 115 de la LTC :
À moins qu’il détermine qu’un demandeur n’est pas admissible à présenter une demande en vertu des dispositions portant sur le niveau de services de la LTC, l’Office se penchera sur trois questions dans le cadre d’une évaluation d’une demande liée au niveau de services, notamment :
- La demande de services de l’expéditeur est-elle raisonnable?
- La compagnie de chemin de fer a-t-elle répondu à cette demande?
- Dans la négative, y a-t-il des raisons qui pourraient justifier le manquement à une obligation de services?
- S’il existe une justification raisonnable, l’Office déterminera que la compagnie de chemin de fer n’a pas manqué à ses obligations relatives au niveau de services.
- S’il n’existe aucune justification raisonnable, l’Office déterminera que la compagnie de chemin de fer a manqué à ses obligations en matière de niveau de services et il examinera les recours possibles.
[8] L’Office note qu’aucune question n’a été soulevée concernant l’admissibilité de LDC à déposer une demande en vertu des dispositions en matière de niveau de services de la LTC. L’Office conclut que LDC peut, en tant que « personne », faire examiner son cas en vertu des articles 113 à 116 de la LTC.
[9] Dans la décision AÉ, l’Office a également indiqué ce qui suit :
L’Office appliquera l’approche d’évaluation dans les cas où la demande relative aux obligations en matière de niveau de services porte sur les obligations prévues aux articles 113 à 115 de la LTC. Lorsqu’un contrat confidentiel ou un autre accord écrit existe conformément au paragraphe 113(4) de la LTC, la décision de l’Office est assujettie aux clauses du contrat confidentiel.
[10] Dans le cas présent, LDC a déposé les quatre contrats suivants à l’appui de sa demande :
- Accord de consentement entre CN, la British Columbia Railway Company (BC Rail) et le commissaire à la concurrence, conclu le 30 juin 2004;
- Accord de transport Louis Dreyfus BCOL BP551, entre BC Rail et LDC, conclu le [SUPPRESSION];
- Accord de modification du bail de Dawson Creek 3050853 entre CN et LDC du [SUPPRESSION];
- Deuxième accord de modification de l’accord de transport BCOL BP551 et Accord de règlement et quittance conclu entre CN et LDC [SUPPRESSION].
[11] Toutefois, dans une décision du 20 janvier 2015, l’Office avait déjà déterminé qu’il n’était pas lié par l’accord de consentement, et que son rôle n’était pas d’en faire respecter les conditions.
[12] En ce qui a trait aux autres accords, l’Office note qu’ils renferment effectivement des dispositions sur des aspects du niveau de services de CN envers LDC à l’installation de Dawson Creek. Il est toutefois indiqué dans le deuxième accord de modification que [SUPPRESSION].
[13] Par conséquent, l’Office conclut qu’il n’est pas lié par les conditions établies dans des contrats confidentiels pour rendre une décision dans la demande en matière de niveau de services de LDC.
ÉTAPE 1 : LA DEMANDE DE SERVICE DE LDC À SON INSTALLATION DE DAWSON CREEK EST-ELLE RAISONNABLE?
[14] Dans la décision AÉ, l’Office a indiqué ce qui suit :
Lorsque les faits indiquent qu’un expéditeur a présenté une demande de service légitime et qu’il a adéquatement déclenché les dispositions portant sur le niveau de services, sa demande sera considérée comme étant raisonnable.
Position de LDC
[15] LDC fait valoir que les obligations en matière de niveau de services de CN ont été adéquatement déclenchées, car LDC a utilisé le système du registre des demandes de wagons de grain de CN pour demander à CN de lui fournir des wagons, et CN a accepté ces commandes. LDC maintient que sa demande de wagons était tout à fait raisonnable et qu’elle dispose d’une capacité plus que suffisante pour recevoir, charger et libérer les wagons qu’elle a commandés.
[16] LDC affirme que certaines livraisons n’avaient pas encore été effectuées dans le cadre de contrats avec ses producteurs en date du 24 septembre 2014, ce qui prouve l’incapacité des producteurs de livrer le grain selon les conditions des contrats, du fait que CN n’a pas fourni le service. LDC fait également valoir que les lettres qu’elle a reçues de ses clients, dont les achats constituent une part importante des achats de produits, prouvent que la demande était là, mais aussi qu’il y a eu des retards de livraison.
Position de CN
[17] CN soutient que la demande de service de LDC est sans fondement et déraisonnable. Selon CN, LDC devrait être tenue de fournir des preuves de ses contrats d’acquisition de grain, de ses contrats de vente, de sa capacité et des autorisations aux terminaux et d’autres engagements et mesures en matière de livraison; sinon, rien ne permet de présumer que CN devait tenter de répondre à la demande de service de LDC.
[18] CN fait valoir que la demande de service de LDC au cours de la campagne agricole 2013‑2014 représente une hausse de 48 pour cent comparativement à celle de la campagne agricole 2012‑2013. CN maintient en outre que le service à LDC prévoit la fourniture de 48 wagons et qu’il n’est pas typique de fournir plus que 48 wagons au cours d’une semaine agricole. CN fait valoir que selon ce qui précède, la demande de service de LDC était déraisonnable.
[19] CN indique que LDC a passé des commandes tactiques, soit respectivement 144 et 96 wagons pour les semaines 10 et 11, qui ont précédé le dépôt de sa demande.
Analyse et constatations
[20] Dans la décision AÉ, l’Office a énoncé le contexte des dispositions en matière de niveau de services de la LTC qui établissent les obligations de transporteurs publics des compagnies de chemin de fer et sont conçues pour servir de recours pour les expéditeurs du fait que le transport est une demande dérivée. C’est dans ce contexte que le caractère raisonnable de la demande de service de LDC sera considéré.
[21] En vertu de la LTC, les obligations de la compagnie de chemin de fer en tant que transporteur public prévoient qu’elle fournisse des installations convenables pour la réception, le chargement, le transport, le déchargement et la livraison des marchandises « à transporter par chemin de fer ». Rien dans les dispositions en matière de niveau de services ne permet de conclure que les obligations de la compagnie de chemin de fer s’éteignent après qu’un certain volume de marchandises a été acheminé, ni que la compagnie de chemin de fer serait tenue de fournir à un expéditeur un nombre de wagons ne dépassant pas la limite historique de cet expéditeur. Il est clair que le régime prévu à l’article 113 de la LTC exige que le transporteur fournisse « des installations convenables » pour toutes les marchandises à transporter par chemin de fer, mais cette disposition ne peut être interprétée comme si la compagnie de chemin de fer avait le droit de décider de son propre chef de fournir le service pour seulement une partie de ces marchandises et non la totalité.
[22] Si la demande de service d’un expéditeur donné diffère de ses habitudes, les marchandises de l’expéditeur associées à cette demande doivent tout de même être reçues et transportées par la compagnie de chemin de fer, comme le prévoit la LTC.
[23] L’Office estime qu’en général, un expéditeur de grain a adéquatement déclenché les obligations en matière de niveau de services de la compagnie de chemin de fer en commandant des wagons au moyen du système de commande de wagons de la compagnie de chemin de fer, même si le service demandé dépasse ses habitudes historiques de commande. L’Office est d’avis qu’un expéditeur, dans certaines circonstances, pourrait ne pas connaître longtemps d’avance l’ampleur de ses besoins en matière de transport ferroviaire, car ils dépendent en partie de facteurs difficiles à prévoir, tant en ce qui a trait à la demande de grain du marché qu’à l’offre des producteurs. Cela dit, une compagnie de chemin de fer pourrait ne pas être en mesure de fournir sur-le-champ tous les wagons commandés si elle n’a pas été mise au courant d’un changement des habitudes de commande de wagons de cet expéditeur. L’Office reconnaît qu’une compagnie de chemin de fer pourrait avoir besoin de temps pour planifier son utilisation des biens, ou encore ajouter de nouvelles ressources ou réaffecter les ressources existantes pour répondre à la demande de l’expéditeur, tout en continuant à fournir des services à ses autres clients. Cette situation ne rend pas la demande de service de l’expéditeur déraisonnable; toutefois, l’Office pourrait examiner la question une fois de plus à l’étape no 3 de l’AÉ au moment de déterminer si la compagnie de chemin de fer avait des raisons valables pour tarder à répondre à la demande de service de l’expéditeur.
[24] Dans le cas présent, on ne remet pas en question le fait que LDC ait commandé plus de wagons qu’au cours de la campagne agricole précédente ou qu’elle ait demandé l’ensemble de ses wagons en passant des commandes valides de wagons dans le système de commande de wagons de CN.
[25] Toutefois, les renseignements au dossier indiquent que ni Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) ni l’industrie du grain n’ont été en mesure de bien prévoir l’ampleur de cette récolte. En mars 2013, en vue de la campagne agricole 2013‑2014, AAC prévoyait une production de 60 millions de tonnes métriques (MTM). L’estimation est restée inchangée jusqu’en septembre 2013, moment auquel AAC a modifié ses prévisions à 63 MTM. En décembre 2013, elles étaient rehaussées à 76 MTM, pour finalement être confirmées en octobre 2014 à 77 MTM. Selon CN, la récolte a été évaluée à 20 MTM de plus que ce qui aurait été prédit en fonction des données historiques. Selon ce qui précède, il est clair que LDC n’aurait pas pu prévoir longtemps à l’avance l’augmentation de sa demande de service en matière de transport ferroviaire en conséquence du plus grand volume de récolte.
[26] L’Office conclut qu’en passant des commandes conformément à la politique de CN et à son système de commande, LDC a adéquatement déclenché les obligations de CN en matière de niveau de services. La demande de service ne devient pas déraisonnable du simple fait que LDC n’a pas avisé CN que sa demande serait beaucoup plus élevée que ses habitudes historiques de commande de wagons.
[27] Conformément à l’AÉ, il incombe à l’expéditeur de démontrer que sa demande de service est raisonnable. Cette étape est nécessaire pour que l’Office ne se penche pas inutilement sur une demande en matière de niveau de services déposée par un expéditeur dont la demande de service excède clairement les obligations en matière de niveau de services de la compagnie de chemin de fer en vertu de la LTC, à savoir de fournir des installations convenables pour la réception et le chargement des marchandises à transporter par chemin de fer.
[28] Toutefois, l’Office considère que pour démontrer qu’une demande de service est raisonnable, un expéditeur n’a pas à produire une documentation rigoureuse de chaque transaction qu’il fait relativement à l’acquisition ou à la production, puis à la vente ou à l’utilisation subséquente des marchandises que l’expéditeur prévoit expédier. Dans le contexte du transport du grain, la demande de wagons est directement liée à la demande de grain. Les expéditeurs de grain commandent des wagons parce qu’ils ont du grain à transporter et des clients qui achètent ce grain. En l’absence de preuve démontrant qu’un expéditeur de grain a commandé des wagons qu’il n’était pas en mesure de charger ni d’envoyer à la compagnie de chemin de fer pour le transport, par exemple des factures pour des droits de stationnement, l’Office conclura, en général, que si une compagnie céréalière commande des wagons, elle doit acheminer les produits vers le marché.
[29] Comme l’Office l’a fait remarquer, le transport est une demande dérivée, et l’objet de l’article 113 de la LTC doit être compris dans son contexte le plus vaste. Dans sa demande, LDC indique qu’elle est un commerçant mondial de produits de base, qui traite des produits agricoles, et qu’elle est présente dans plus de 100 pays. Elle ajoute qu’elle envoie, traite et transporte environ 77 millions de tonnes de produits de base partout dans le monde chaque année.
[30] Dans le contexte de l’industrie du grain, compte tenu de la façon dont ces produits sont commercialisés, il serait déraisonnable que l’Office exige qu’un expéditeur produise, pour chaque tonne de grain qu’il prévoit expédier, des contrats démontrant que le grain a été acheté puis revendu. La disponibilité des recours en cas de manquement aux obligations en matière de niveau de services serait subordonnée au fait que l’expéditeur soit en situation de rupture de contrat avec ses partenaires d’affaires.
[31] Les contrats entre un expéditeur et ses fournisseurs de grain et ses clients pourraient constituer des preuves convaincantes qu’un expéditeur de grain avait du grain à expédier dans les wagons qu’il a commandés de la compagnie de chemin de fer. Toutefois, le fait que des contrats n’ont pas été produits pour chaque wagon commandé de la compagnie de chemin de fer ne signifie pas nécessairement que l’expéditeur n’a pas réussi à prouver que sa demande était raisonnable. D’autres éléments de preuve pourraient démontrer à la satisfaction de l’Office que l’expéditeur avait bel et bien du grain à expédier dans les wagons qu’il a commandés de la compagnie de chemin de fer.
[32] Dans le cas présent, LDC a déposé des lettres de l’un de ses clients qui se plaint de retards de livraison. Elle a également fourni une liste dressée par la collectivité desservie, démontrant le nombre de producteurs avec qui elle détient des contrats, la distance de la collectivité par rapport à son installation et le volume en tonnes métriques confié à LDC à l’installation de Dawson Creek.
[33] De plus, les preuves au dossier indiquent qu’au niveau systémique, la récolte a été exceptionnelle en 2013 et que le nombre de wagons fournis ne suffisait pas pour la quantité de grain à transporter. Cette situation cadre avec la nécessité de CN de rationner les wagons, car la demande de wagons excédait le nombre de wagons qu’elle pouvait fournir.
[34] L’Office est d’avis que cela prouve que les stocks de grain existaient et qu’il y avait une demande pour que le grain de LDC soit livré. Par conséquent, la demande de service de transport du grain de LDC était légitime.
[35] CN n’a pas réfuté cette preuve. CN a bel et bien allégué que LDC avait passé des commandes tactiques. Toutefois, CN n’a pas fourni de preuve pour démontrer que LDC avait commandé plus de wagons que ce dont elle avait réellement besoin pour transporter le grain à sa disposition et le vendre à ses clients. En mentionnant le concept de demande légitime dans la décision AÉ, l’Office a signalé qu’il reconnaît que l’existence de commandes fantômes est possible dans l’industrie. Toutefois, aucune preuve n’a été produite dans le cas présent qui pourrait laisser entendre que LDC a passé des commandes fantômes. Une commande de wagons pour acheminer des produits n’est pas déraisonnable simplement parce qu’elle dépasse la capacité qu’une compagnie de chemin de fer a prévue.
[36] L’Office note, tout comme l’a fait CN, que LDC a commandé à de nombreuses reprises plus de wagons que la capacité de sa voie d’évitement ne le permet. Toutefois, cela ne fait que prouver que LDC a passé des commandes nécessitant que CN desserve LDC plus d’une fois au cours de la même semaine agricole. Cela ne prouve toutefois pas que LDC a commandé plus de wagons que nécessaire compte tenu des conditions de l’offre et de la demande du marché, ni que LDC a manifesté une tendance globale de passer systématiquement des commandes trompeuses et abusives, comme l’affirme CN.
[37] CN fait valoir que le service à Dawson Creek a été conçu pour placer 48 wagons par semaine, mais elle poursuit en admettant qu’elle a placé plus de wagons que la capacité de la voie d’évitement ne le permettait dans les années passées. De l’avis de l’Office, cela indique que le facteur de limitation n’est pas lié à la limite de capacité de l’expéditeur à l’installation, mais plutôt au plan de service de la compagnie de chemin de fer.
[38] L’Office estime que, dans le contexte de la campagne agricole exceptionnelle de 2013‑2014, il est raisonnable de conclure, en se fondant sur la disponibilité du grain au niveau systémique, que la demande de service de LDC était légitime, à savoir que LDC aurait eu du grain à expédier si elle avait reçu les wagons qu’elle avait commandés. À cette étape de l’analyse, c’est tout ce qui est nécessaire.
[39] L’Office conclut donc, selon la prépondérance des probabilités, que les wagons commandés par LDC à son installation de Dawson Creek durant la période visée par la plainte constituent une demande de service raisonnable.
ÉTAPE 2 : CN A‑T‑ELLE RÉPONDU À CETTE DEMANDE?
[40] Dans la décision AÉ, l’Office a indiqué ce qui suit :
De façon générale, une compagnie de chemin de fer a une obligation statutaire en matière de niveau de services en vertu de laquelle elle doit fournir des installations convenables pour recevoir, charger, transporter, livrer et décharger les wagons, dans la mesure où le service demandé est raisonnable dans les circonstances, tel qu’il est expliqué à l’étape 1.
Lorsque l’Office estime que la demande de service est raisonnable, il doit ensuite déterminer si la compagnie de chemin de fer a répondu à cette demande.
Afin de déterminer si la compagnie de chemin de fer a répondu à la demande de service, dans le contexte du cas présent, il est nécessaire, tout d’abord, d’établir les paramètres dans lesquels l’évaluation aura lieu.
Analyse et constatations
[41] LDC a présenté des données hebdomadaires concernant les wagons qu’elle a commandés et ceux qu’elle a reçus de CN pour la semaine 1 de la campagne agricole 2013‑2014 à [SUPPRESSION].
[42] CN ne remet pas en question les données de LDC, sauf en ce qui a trait à [SUPPRESSION]. CN fait valoir que, à la demande de LDC, les [SUPPRESSION] wagons que LDC a commandés pour l’installation de Dawson Creek ont plutôt été envoyés à l’installation de Rycroft de LDC.
[43] LDC reconnaît qu’elle a demandé que les wagons soient envoyés ailleurs, mais elle affirme qu’elle en a décidé ainsi pour fournir des wagons à l’installation de Rycroft qui, autrement, n’aurait reçu aucun wagon cette semaine‑là.
[44] Comme LDC reconnaît que les wagons ont été envoyés à une autre installation, l’Office ne considérera pas ces wagons en tant que wagons commandés, mais non reçus. L’Office considérera que pour [SUPPRESSION], LDC n’a pas commandé de wagons. Cela ne reflète aucune conclusion de la part de l’Office concernant la question plus large à savoir si les obligations en matière de niveau de services sont satisfaites quand des wagons sont envoyés ailleurs. Cela ne s’est produit qu’une seule fois, et avec le consentement des parties en cause. Dans le cas présent, cette question n’est pas essentielle pour la détermination de la question de savoir si les obligations ont été satisfaites de façon globale au cours de la période visée par la plainte.
[45] Sans tenir compte de [SUPPRESSION], les données présentées dans le cadre du cas présent démontrent qu’au cours de la période visée par la plainte, LDC a commandé en tout 2 655 wagons et en a reçu au total 2 205, soit 83 pour cent des wagons qu’elle a commandés au cours de la période visée par la plainte.
[46] Un examen plus poussé des données de LDC montre que pendant les 55 semaines au cours desquelles LDC a passé des commandes, parmi les semaines prises en compte pour la présente analyse :
- CN a fourni au cours de 23 semaines le nombre exact de wagons commandés par LDC;
- CN a fourni au cours de 12 semaines un nombre de wagons supérieur à ce que LDC avait commandé;
- CN n’a fourni aucun wagon au cours de sept semaines (soit au cours des semaines [SUPPRESSION]);
- CN a fourni au cours de neuf semaines moins de 75 pour cent des wagons commandés;
de ces semaines, CN a fourni au cours de six semaines moins de 50 pour cent des wagons commandés;
de ces semaines, CN a fourni, au cours d’une semaine, moins de 25 pour cent des wagons commandés.
[47] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que CN n’a pas entièrement répondu à la demande de service de LDC au cours de la période visée par la plainte, et l’Office doit donc se pencher sur l’étape 3 de l’AÉ.
ÉTAPE 3 : Y A-T-IL DES RAISONS QUI POURRAIENT JUSTIFIER LE MANQUEMENT À UNE OBLIGATION DE SERVICES?
[48] Dans la décision AÉ, l’Office a indiqué ce qui suit :
En vertu de la LTC, une compagnie de chemin de fer fédérale doit recevoir, transporter et livrer toutes les marchandises offertes pour le transport « dans le cadre de ses attributions ». Cependant, cette obligation n’est pas absolue aux termes de toutes les conditions. Une compagnie de chemin de fer n’est pas tenue de réaliser ce qui est déraisonnable ou impossible. Ainsi, lorsque l’Office estime qu’une compagnie de chemin de fer n’a pas répondu à une demande raisonnable de la part d’un expéditeur, il examinera les justifications présentées par la compagnie de chemin de fer à l’égard de ce manquement à une obligation de service.
Positions des parties
CN
[49] CN fait valoir qu’une compagnie de chemin de fer doit être sensée et pratique, et non parfaite, dans ses offres de service, et que la norme imposée aux compagnies de chemin de fer est le caractère raisonnable. CN maintient qu’il n’est pas question de manquement si la compagnie de chemin de fer ne fournit pas immédiatement chaque wagon commandé, à moins que ce soit impossible de le faire; il est absurde de confondre « caractère raisonnable » et « possibilité ».
[50] CN souligne que LDC a commandé 48 pour cent plus de wagons au cours de la campagne agricole 2013‑2014 qu’en 2012‑2013. CN fait valoir qu’il est déraisonnable de s’attendre à ce qu’une telle augmentation de la demande soit instantanément satisfaite, particulièrement pendant qu’une mesure de rationnement est en vigueur. Elle ajoute qu’elle a presque toujours fourni tous les wagons demandés par LDC pour son installation de Dawson Creek, mais qu’au cours des huit semaines pendant lesquelles elle ne l’a pas fait, l’écart a été comblé rapidement et diligemment.
[51] CN soutient que la campagne agricole 2013-2014 a connu un sommet historique au Canada, soit une probabilité de moins de un pour cent. CN fait valoir qu’il serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’on puisse prévoir une telle situation, étant donné que la planification commence six mois avant la récolte estivale, et que l’ajout de wagons, de locomotives et d’équipes prend un certain temps et exige une planification de sept à 12 mois. Plus particulièrement, en septembre 2013, on savait que la récolte serait plus importante que prévu; CN a donc ajouté 500 wagons-trémies en décembre, 500 autres entre avril et juin, puis 800 wagons temporaires.
[52] De plus, CN affirme que l’hiver (de décembre 2013 à mars 2014) a été extrêmement froid, entraînant des restrictions d’exploitation. Elle soutient que ces événements ne peuvent pas être évités même avec une meilleure planification ou l’ajout de ressources. Selon CN, il existe des restrictions lorsque les températures chutent en dessous de -25 oC, et au cours de la période visée par la plainte, quatre corridors ou plus ont été soumis à des restrictions pendant la majorité des semaines de l’hiver. CN explique que lorsque cela se produit, de graves répercussions sont ressenties partout dans son réseau, qui perd ainsi en fluidité.
[53] CN a déposé un document qu’elle a rédigé en novembre 2014 à l’intention du comité d’examen de la LTC, intitulé The Unique Impact of Winter on Railroad Operations. Ce document décrit, entre autres choses, comment les températures hivernales nuisent à l’exploitation ferroviaire : trains ralentis; rails brisés; wagons défectueux; aiguillages, signaux et locomotives en panne; et trains raccourcis. CN explique qu’en moyenne, les températures hivernales entraînent une réduction de la vitesse des trains de 15 pour cent; comme les trains sont moins rapides, il en faut plus sur un territoire donné. Il y a donc plus de rencontres de trains et davantage de changements d’équipes. Des voies d’évitement sont alors hors service, ce qui ralentit les trains, car les voies d’évitement servent à faciliter le passage.
[54] Le bris de rails est un autre problème exacerbé par les températures froides. Selon CN, un rail tend beaucoup plus à se briser en hiver. En moyenne, le nombre de rails brisés augmente de 300 pour cent durant l’hiver comparativement au reste de l’année. Les températures froides et les changements rapides de température en sont les principales causes, car le rail se contracte et génère des efforts de tension plus grands.
[55] CN soutient qu’à cause des températures hivernales, le nombre de wagons à garer en raison de problèmes avec les roues et les freins augmente de 175 pour cent. Selon CN, si un wagon doit être garé en hiver, le train auquel le wagon était rattaché peut être retardé pendant plusieurs heures, car il est difficile de marcher dans des conditions hivernales, et il faut rétablir la pression dans les conduites de freins.
[56] CN maintient qu’en moyenne, en hiver, les aiguillages et les signaux font défaut 50 pour cent plus souvent. Ces défaillances sont attribuables soit à un aiguillage qui ne se positionnera pas vers le trajet voulu ou encore une panne du système de commande centralisée de la circulation qui sert à dégager à distance les signaux et les itinéraires des lignes, qui peuvent tous deux être touchés par la glace et la neige. CN fait valoir que dans un cas comme dans l’autre, ces défaillances retardent les trains.
[57] CN explique que la défaillance d’une locomotive en route risque soit de réduire la vitesse du train, soit de l’arrêter complètement. Durant l’hiver, la fréquence des pannes de locomotive s’accroît, faisant augmenter de 110 pour cent en moyenne les retards de train. Selon CN, une panne de locomotive peut être causée par la surchauffe d’un compresseur ou le désenclenchement de relais de protection de mise à la terre des moteurs de traction en raison de la neige ou de l’humidité.
[58] CN fait valoir qu’en conséquence de la façon dont le système de freinage des trains fonctionne, les trains doivent être raccourcis lorsque les températures chutent en dessous de -25 oC. CN ajoute que si les trains sont raccourcis, le nombre de trains en marche augmente, donc il faut ajouter des ressources; il s’ensuit de la congestion aux terminaux, et par conséquent, des retards.
[59] CN maintient que son rendement est plus élevé que la moyenne de l’industrie, et que malgré la température, CN a transporté 13 pour cent plus de marchandises que le record historique précédent.
LDC
[60] Selon LDC, le fait que CN ait expédié plus de grain qu’au cours des années précédentes ne justifie pas son manquement à ses obligations en matière de niveau de services. De plus, LDC fait valoir que, comme les températures hivernales ont commencé au cours de la semaine 20 de la campagne agricole 2013‑2014 et ont pris fin durant la semaine 30, elles n’ont pas eu d’incidence sur le service avant ou après cette période. LDC affirme que CN aurait dû être prête pour l’hiver, même s’il a été rigoureux.
[61] LDC affirme que CN doit fournir des preuves particulières liées au cas présent démontrant qu’elle a fait des efforts pour répondre aux demandes de service de LDC et qu’elle n’a pas pu le faire en raison de facteurs hors de son contrôle. LDC maintient que les arguments de CN liés à l’ajout de wagons‑trémies et aux températures hivernales ne constituent pas des preuves propres à la demande; CN n’a pas démontré en quoi ces facteurs étaient liés à un manquement à ses obligations en matière de niveau de services envers LDC à son installation de Dawson Creek.
Analyse et constatations
[62] Dans la décision AÉ, l’Office a précisé les éléments qu’il considère pour déterminer s’il existe une justification lorsqu’il conclut qu’il y a eu un manquement aux obligations en matière de niveau de services :
L’Office est d’avis que lorsqu’une compagnie de chemin de fer ne fournit pas un service, elle doit démontrer qu’il n’était pas raisonnablement possible de fournir des installations convenables malgré ses efforts déployés en ce sens et en raison de facteurs qui échappent à son contrôle.
Pour déterminer si une compagnie de chemin de fer s’est acquittée de ses obligations en matière de niveau de services d’une façon raisonnable, dans ses décisions antérieures, l’Office a tenu compte de facteurs tels que les solutions de rechange offertes et les conséquences de l’exécution de la demande du plaignant sur les opérations et la viabilité de la compagnie de chemin de fer. Lorsque cela est pertinent, il a aussi tenu compte de facteurs atténuants qui échappent au contrôle de la compagnie de chemin de fer.
Dans l’affaire Patchett, la Cour suprême du Canada a déterminé qu’une compagnie de chemin de fer ne manque pas à ses obligations en matière de niveau de services s’il ne lui est pas possible de fournir le service pour des raisons sur lesquelles elle n’exerce aucun contrôle. Dans cette même affaire, la compagnie de chemin de fer était incapable de fournir le service en raison de piquets de grève illégaux sur la propriété du client. Dans le cadre de son évaluation du caractère raisonnable, la Cour suprême du Canada a tenu compte de qui était responsable de l’impossibilité de fournir le service. La Cour a déterminé que puisque seul le client avait le pouvoir de rectifier la situation, la compagnie de chemin de fer n’avait pas manqué à ses obligations en matière de niveau de services.
Pour établir s’il existe une justification au fait de ne pas répondre aux besoins d’un expéditeur, l’Office déterminera si la compagnie de chemin de fer a dû faire face à une situation qui échappait à son contrôle. D’autres exemples que ceux mentionnés dans l’affaire Patchett comprennent les conditions météorologiques, les déchargements dans les terminaux, la congestion dans les terminaux portuaires, les restrictions opérationnelles ainsi que les déraillements.
[63] Dans la décision AÉ, l’Office s’est également penché sur la question particulière du rationnement :
Les situations où une compagnie de chemin de fer a rationné les wagons sont parmi les plus compliquées lorsqu’il faut déterminer si le défaut de la compagnie de chemin de fer de fournir tous les wagons demandés constitue une justification raisonnable. Dans la décision no 323-R-2002, l’Office a fait valoir que le rationnement des wagons est une pratique susceptible d’être jugée appropriée dans des cas exceptionnels où le nombre de wagons disponibles est insuffisant pour répondre à la demande excédentaire. Cependant, l’Office a clairement indiqué dans sa décision que cela peut se produire pendant les périodes de demande extrême, qui sont en général relativement courtes.
L’Office n’estime pas que le défaut d’une compagnie de chemin de fer de répondre à une demande de services est justifié lorsque le rationnement se poursuit pendant de longues périodes, lorsque les périodes de demande extrême sont prolongées et prévisibles ou lorsque les pénuries de service représentent un aspect routinier des opérations d’une compagnie de chemin de fer.
L’Office est d’avis que dans certaines circonstances, les caractéristiques passées d’expédition peuvent être pertinentes lorsqu’il doit établir s’il existe une justification au défaut de répondre à une demande de services raisonnable. Cependant, lorsque, par exemple, le volume de la récolte dépasse les attentes ou lorsque la compagnie de chemin de fer se fie au volume de récolte estimé, les caractéristiques passées d’expédition pourraient ne pas être suffisantes pour établir si le service fourni par une compagnie de chemin de fer respecte ses obligations en matière de niveau de services. Dans de telles situations, les efforts précis déployés par la compagnie de chemin de fer pour régler la situation seront également pris en compte afin d’établir si elle a manqué à ses obligations en matière de niveau de services.
[64] Pour la campagne agricole 2013-2014, l’Office a conclu, dans les décisions du 18 décembre 2014 mettant en cause Richardson International Limited et Viterra Inc., que les circonstances extraordinaires de la campagne agricole 2013‑2014 justifiaient le rationnement. Plus particulièrement, l’Office a indiqué ce qui suit :
[...] étant donné qu’en 2013, l’Ouest canadien a obtenu une récolte record, soit un volume du grain d’exportation était de 50 pour cent supérieur à la moyenne, et que l’on a donné un préavis relativement court au réseau ferroviaire pour répondre à l’augmentation transitoire de la demande qui en a découlé, l’Office convient avec CN que la campagne agricole 2013-2014 présentait un ensemble de circonstances extraordinaires justifiant la nécessité temporaire d’une méthodologie de rationnement.
[65] Toutefois, compte tenu de la portée des demandes en matière de niveau de services dans ces deux cas, l’Office a seulement été appelé à déterminer si CN avait manqué à ses obligations en matière de niveau de services en ne fournissant pas le nombre de wagons conformément à la méthodologie de rationnement qu’elle avait imposée et communiquée à ses clients. La méthodologie de CN était fondée sur les parts de marché, c’est‑à‑dire que l’expéditeur se verrait attribuer un nombre de wagons en fonction de sa part de marché historique de l’ensemble des wagons-trémies. Par conséquent, dans ces cas, l’Office a été en mesure d’utiliser la part de l’expéditeur et de la comparer avec le service réel reçu pour déterminer si CN avait servi ses clients conformément à son propre système d’attribution de wagons.
[66] Dans le cas présent, l’Office ne dispose pas des mêmes paramètres que dans les cas de RIL et de Viterra. Il doit donc déterminer si CN avait une justification raisonnable pour ne répondre qu’à 83 pour cent de la demande de LDC, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles les wagons ont été commandés par LDC et lui ont été livrés. Selon les preuves au dossier du cas présent, l’Office doit prendre en compte les facteurs qui suivent pour déterminer si CN avait une justification raisonnable pour ne pas répondre entièrement à la demande de service de LDC.
Taille de la récolte 2013-2014
[67] Dans sa réponse, CN indique que la récolte 2013-2014 était d’environ 20 MTM supérieure à la tendance de production historique. L’ampleur de la récolte est également corroborée par un communiqué des ministres des Transports et de l’Agriculture publié le 7 mars 2014 annonçant des mesures pour transporter davantage de grain. Il était indiqué dans l’annonce que : « [c]ette année, la récolte dans l’Ouest canadien, qui se chiffrait à 76 millions de tonnes, est de 50 % supérieure à la moyenne. » L’Office note que cette affirmation cadre avec la modification de la demande de LDC, qui a augmenté de 41 pour cent par rapport à la campagne agricole précédente. L’Office conclut que la taille de la récolte 2013‑2014 était beaucoup plus importante qu’au cours des dernières années.
Efforts de CN pour acquérir des wagons supplémentaires afin de composer avec la demande accrue au niveau systémique
[68] À compter de décembre, CN a loué et mis en service 500 wagons supplémentaires, puis entre avril et juin, elle en a loué 500 autres. CN a également augmenté temporairement sa capacité par l’ajout de 800 wagons. Ces ajouts à la capacité du système ont fait augmenter le nombre de wagons disponibles aux fins d’attribution aux clients de CN, afin de répondre à l’augmentation de la demande globale au niveau systémique (qui comprend la demande de LDC).
Changement dans les habitudes d’expédition de LDC
[69] La preuve montre qu’au cours de la campagne agricole 2013‑2014, LDC a commandé 41 pour cent plus de wagons qu’au cours de celle de 2012‑2013 et 39 pour cent plus qu’au cours de celle de 2011‑2012.
Conditions hivernales durant la campagne agricole 2013-2014
[70] CN indique que durant la campagne agricole 2013-2014, les Prairies ont fait face à un hiver exceptionnellement rigoureux avec près de 30 jours de températures sous les -30 oC à Winnipeg et à Saskatoon. À l’appui de cette déclaration, CN a déposé un article d’Environnement Canada indiquant que Winnipeg avait connu l’hiver le plus froid de décembre à mars inclusivement depuis 1898.
[71] Même si les conditions météorologiques rigoureuses décrites par CN se sont améliorées au cours de la semaine 30 de la campagne agricole 2013‑2014, il est compréhensible que CN ait eu besoin de temps pour récupérer.
[72] L’Office reconnaît que durant des périodes de froid extrême, les compagnies de chemin de fer font face à des contraintes opérationnelles, notamment à des restrictions dans les corridors, à des limites de vitesse et au raccourcissement des trains, ce qui prolonge le cycle de rotation des wagons et empêche les compagnies de chemin de fer de poursuivre leurs activités comme à l’habitude. De plus, l’Office accepte les affirmations de CN selon lesquelles lors de périodes de froid extrême prolongées, l’infrastructure fait manifestement défaut plus souvent : bris de rails, défaillance d’aiguillages et wagons défectueux. Dans les circonstances particulières de la campagne agricole 2013‑2014, les conditions rigoureuses ont persisté pendant une longue période, et ces contraintes opérationnelles étaient également beaucoup plus grandes et ont duré beaucoup plus longtemps qu’à l’habitude.
Rationnement en vigueur au cours de la période visée par la plainte
[73] Comme la demande de wagons a considérablement excédé l’offre, CN a mis en place une politique d’attribution des wagons (rationnement) au cours de la semaine 8 de la campagne agricole 2013‑2014. Cette politique d’attribution des wagons était fondée sur l’utilisation historique de chaque expéditeur des services de transport du grain de CN durant la période de pointe suivant les récoltes de la campagne agricole 2012‑2013, plus particulièrement les semaines 8 à 22.
Planification
[74] L’Office conclut que, dans le cas présent, il faut également tenir compte du fait que CN a manqué de temps pour planifier l’utilisation de ses biens et pour soit ajouter de nouvelles ressources soit réattribuer ses ressources existantes. Si LDC n’aurait pas pu aviser CN longtemps à l’avance de sa demande accrue, comme l’Office l’a conclu à l’étape 1, il n’en demeure pas moins que, même si CN avait été au courant d’une augmentation généralisée des stocks de grain, elle n’aurait pas pu planifier précisément l’augmentation considérable de la demande au cours de la période visée par la plainte. Ni AAC ni l’industrie du grain n’avaient bien anticipé cette récolte.
[75] Si la demande de service de transport de grain d’un expéditeur donné est inattendue ou diffère de ses habitudes historiques, l’expéditeur doit néanmoins recevoir le service de la compagnie de chemin de fer qui se doit d’effectuer le transport. Toutefois, cela peut être un facteur à considérer pour déterminer dans quel délai la compagnie de chemin de fer aurait dû répondre à la demande de service. L’expression « sans délai » de l’alinéa 113(1)c) de la LTC doit être interprétée dans le contexte des circonstances particulières de chaque cas. Devant une demande de service inattendue, surtout si la compagnie de chemin de fer n’a pas eu suffisamment de temps pour réagir, l’alinéa 113(1)c) de la LTC sera interprété comme s’il fallait fournir à une compagnie de chemin de fer un délai raisonnable pour répondre à la demande de service en question.
[76] Toutefois, cela ne signifie pas que la compagnie de chemin de fer peut invoquer indéfiniment et dans tous les cas le manque de temps de réaction. En vertu de la LTC, les compagnies de chemin de fer doivent veiller à attribuer suffisamment de ressources de façon continue, afin de fournir des installations convenables pour le transport, le déchargement et la livraison des marchandises à transporter par chemin de fer. Le manque de temps pour planifier n’annule aucunement les obligations de la compagnie de chemin de fer de recevoir, de transporter et de livrer, sans délai, les marchandises.
[77] Au cours de la période visée par la présente plainte, LDC a commandé 41 pour cent plus de wagons qu’au cours de la campagne agricole précédente. CN n’a pas été informée longtemps à l’avance de ce changement dans les habitudes de commande de LDC. L’Office conclut que CN avait besoin de temps, à partir du moment où la commande de wagons a été placée, pour ajuster ses ressources et ainsi répondre à la demande. L’Office conclut donc que le manque de temps de CN pour planifier en vue de répondre à la demande de service de LDC constitue un facteur qui explique que CN ait manqué à ses obligations en matière de niveau de services envers LDC. L’Office conclut en outre qu’il est nécessaire de préciser que ce facteur ne justifie généralement pas un manquement en matière de services en soi. Il s’agit d’un élément de la justification dans le cas présent en raison de l’incidence des deux autres facteurs importants présents au cours de la période visée par la plainte, à savoir la taille inattendue de la récolte et un hiver rigoureux ayant touché les activités.
[78] L’Office conclut que, tout compte fait, lorsque les facteurs sont pris ensemble, ils constituent une explication raisonnable pour justifier la raison pour laquelle CN n’a fourni que 83 pour cent des wagons demandés par LDC pour son installation de Dawson Creek au cours de la période visée par la plainte. La taille de la récolte a été extraordinaire et l’hiver a été exceptionnellement rigoureux. Ces deux facteurs étaient hors du contrôle direct de la compagnie de chemin de fer et difficiles à prévoir. Le premier facteur aurait dû être un avantage tant pour l’expéditeur que pour la compagnie de chemin de fer, et aurait pu être mieux géré; mais c’est sans compter la température, qui a constitué une entrave pour les deux parties.
[79] Pour plus de clarté, cette conclusion a trait au service particulier fourni à LDC dans les circonstances exceptionnelles qui ont prévalu au cours de la période visée par la plainte.
CONCLUSION
[80] À la suite de son examen visant à déterminer, au moyen de son AÉ en trois étapes, si CN a manqué à ses obligations en matière de niveau de services envers LDC, l’Office conclut que :
Étape 1 : La demande de service de LDC à son installation de Dawson Creek au cours de la période visée par la plainte constitue une demande de service raisonnable.
Étape 2 : CN n’a pas répondu à la demande de service de LDC au cours de la période visée par la plainte.
Étape 3 : CN a établi des motifs qui justifient raisonnablement la livraison de seulement 83 pour cent des wagons demandés au cours de la période visée par la plainte.
[81] L’Office conclut donc que CN n’a pas manqué à ses obligations en matière de niveau de services envers LDC en ce qui a trait à l’installation de Dawson Creek au cours de la période visée par la plainte.
ADJUDICATION DES FRAIS
[82] LDC et CN demandent l’adjudication des frais relativement à la présente instance.
[83] Devant de telles demandes, l’Office a comme pratique de n’adjuger des frais que dans des circonstances particulières ou exceptionnelles. L’Office conclut que les requêtes examinées dans la présente décision ne sont pas particulières ni exceptionnelles, et il rejette donc ces requêtes.
La présente décision est la version publique épurée d’une décision confidentielle émise le 18 juin 2015 qui ne saurait être rendue publique.
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