Lettre-décision n° 2015-07-10

VERSION ÉPURÉE

le 10 juillet 2015

Demande déposée par Emerson Milling Inc. contre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, en vertu de l’article 116 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée.

Numéro de cas : 
14-06408

[1] Le 24 décembre 2014, Emerson Milling Inc. (EMI) a déposé auprès de l’Office des transports du Canada (Office) une demande relative au niveau de services contre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN).

[2] EMI fait valoir que CN a manqué à ses obligations en matière de niveau de services envers EMI pour la réception, le transport et la livraison des wagons qu’elle a commandés à destination ou en provenance de l’installation de chargement des wagons située sur la voie RD-47 de CN près d’Emerson (Manitoba) [voie d’évitement] au cours de la campagne agricole 2013-2014 jusqu’à la date de sa demande, au cours de la campagne agricole 2014-2015 (de la semaine 1 de la campagne agricole 2013-2014 jusqu’à la semaine 21 de la campagne agricole 2014-2015) [période visée par la plainte].

[3] EMI demande à l’Office de déterminer que CN ne s’est pas acquittée et ne s’acquitte toujours pas de ses obligations en matière de niveau de services envers EMI et d’ordonner que CN :

  • fournisse le service à la voie d’évitement conformément aux commandes qu’EMI a passées et à celles qu’elle passera à l’avenir;
  • achète, loue ou acquiert suffisamment de wagons-trémies et de locomotives supplémentaires, embauche autant d’équipes de train qu’il faudra pour lui permettre de remplir ses obligations en matière de niveau de services envers EMI;
  • remplisse ses obligations en matière de niveau de services envers EMI sur la voie d’évitement selon les modalités de forme et de temps que l’Office estime indiquées, ou pendant toute période qu’il juge opportune eu égard aux intérêts légitimes, lesquelles obligations auront été précisées par l’Office;
  • fournisse des installations convenables pour les marchandises d’EMI à la voie d’évitement, dont EMI s’est servie pour charger des wagons sur des voies de CN depuis plus de 25 ans; ou sur d’autres voies convenables pour le chargement de wagons par EMI sur des voies de CN;
  • verse une indemnisation à EMI pour les dépenses qu’elle a engagées en raison du manquement, par CN, à ses obligations en matière de niveau de services envers EMI.

[4] EMI demande également que l’Office détermine que la politique de CN concernant le seuil du nombre maximum de wagons par commande (seuil maximum) est discriminatoire; n’est pas conforme aux dispositions sur le niveau de services de la LTC; et ne s’applique pas aux marchandises d’EMI.

[5] EMI et CN demandent une adjudication de frais dans le cadre de la présente instance.

CONTEXTE

[6] EMI est une minoterie d’avoine qui s’occupe aussi des opérations de distribution de son produit, à Emerson (Manitoba). L’installation d’EMI est à environ 6 kilomètres au nord d’Emerson. À son installation, EMI fournit des services de nettoyage, de calibrage, de décorticage, de traitement et de mise en silo aux producteurs d’avoine canadiens. EMI traite l’avoine brute et le carthame, et produit de l’avoine entière, du gruau d’avoine, du gruau d’avoine épointée, du gruau d’avoine colorée, du gruau d’avoine épointée colorée, du carthame coloré, des flocons d’avoine roulée et de l’avoine à cuisson rapide, principalement destinés aux marchés des États-Unis et du Mexique. EMI achemine ses produits par camion vers la voie d’évitement où ils sont chargés à bord de wagons-trémies. EMI charge ses marchandises à cette voie d’évitement depuis 25 ans.

[7] EMI et CN ont conclu un accord de licence provisoire (ALP) en vigueur du 1er mars 2013 au 31 juillet 2015, [SUPPRESSION].

[8] Dans une lettre du 29 août [2014], CN a informé EMI qu’elle modifiait sa politique sur la façon de recevoir et d’administrer les commandes de wagons pour la campagne agricole 2014-2015, à compter du 14 septembre [2014] (lettre de modification), selon la lettre de modification :

  1. Mardi midi, heure normale des Rocheuses, est le délai limite pour passer des commandes de wagons pour la semaine suivante;
  2. CN examinera toutes les demandes de wagons en fonction de l’approvisionnement en wagons;
  3. CN communiquera ensuite les commandes de wagons confirmées dans le rapport de services prévus publié chaque vendredi pour la prochaine semaine de services. Les changements au plan de services seront aussi communiqués par l’intermédiaire des rapports de services prévus, continuellement mis à jour;
  4. Les commandes de wagons ne figurant pas dans le plan de services de CN pour la prochaine semaine de services sont reportées à titre de demandes en suspens aux fins d’examen au cours du cycle de planification de la semaine suivante, à moins d’une annulation ou d’un retrait de la demande pour d’autres motifs;
  5. Les commandes de wagons planifiées mais non placées sont reportées à la semaine de services suivante à titre de commandes non remplies, à moins d’une annulation ou d’un retrait de la demande pour d’autres motifs.

[9] La lettre de modification renferme également la politique sur le seuil du nombre maximum de wagons par commande, notamment les informations suivantes :

  • toutes les commandes de wagons doivent être passées par l’intermédiaire du site des Services de commerce électronique de CN pour les commandes de wagons de grain;
  • le nombre total maximum de wagons demandés pour la prochaine semaine de service et les semaines de service antérieures pour lesquelles CN n’a pas encore de plan de service équivaut à deux fois la capacité de placement de wagons;
  • les commandes dépassant le maximum seront retirées du registre de commandes.

QUESTIONS

  1. CN a-t-elle manqué à ses obligations en matière de niveau de services envers EMI relativement à la réception, au transport et à la livraison des wagons au cours de la période visée par la plainte, comme le prévoient les articles 113 à 115 de la Loi sur les transports au Canada (LTC)?
  2. La politique de CN sur le seuil du nombre maximum de wagons par commande représente-t-elle un manquement, par CN, à ses obligations en matière de niveau de services envers EMI?

QUESTION 1 : CN A-T-ELLE MANQUÉ À SES OBLIGATIONS EN MATIÈRE DE NIVEAU DE SERVICES ENVERS EMI RELATIVEMENT À LA RÉCEPTION, AU TRANSPORT ET À LA LIVRAISON DES WAGONS AU COURS DE LA PÉRIODE VISÉE PAR LA PLAINTE, COMME LE PRÉVOIENT LES ARTICLES 113 À 115 DE LA LTC?

APPROCHE D’ÉVALUATION

[10] Dans une décision confidentielle du 3 octobre 2014 (décision AÉ) 2014-10-03">https://www.otc-cta.gc.ca/fra/decision/2014-10-03], l’Office a établi l’approche d’évaluation (AÉ) suivante pour les demandes relatives au niveau de services conformément aux obligations statutaires prévues aux articles 113 à 115 de la LTC :

À moins qu’il détermine qu’un demandeur n’est pas admissible à présenter une demande en vertu des dispositions portant sur le niveau de services de la LTC, l’Office se penchera sur trois questions dans le cadre d’une évaluation d’une demande liée au niveau de services, notamment :

  1. La demande de services de l’expéditeur est-elle raisonnable?
  2. La compagnie de chemin de fer a-t-elle répondu à cette demande?
  3. Dans la négative, y a-t-il des raisons qui pourraient justifier le manquement à une obligation de services?

(a) S’il existe une justification raisonnable, l’Office déterminera que la compagnie de chemin de fer n’a pas manqué à ses obligations relatives au niveau de services;

(b) S’il n’existe aucune justification raisonnable, l’Office déterminera que la compagnie de chemin de fer a manqué à ses obligations en matière de niveau de services et il examinera les recours possibles.

[11] L’Office note qu’aucune question n’a été soulevée concernant l’admissibilité d’EMI à déposer une demande en vertu des dispositions en matière de niveau de services de la LTC. L’Office conclut qu’EMI peut, en tant que « personne », faire examiner son cas en vertu des articles 113 à 116 de la LTC.

[12] Dans la décision AÉ, l’Office a également indiqué ce qui suit :

L’Office appliquera l’approche d’évaluation dans les cas où la demande relative aux obligations en matière de niveau de services porte sur les obligations prévues aux articles 113 à 115 de la LTC. Lorsqu’un contrat confidentiel ou un autre accord écrit existe conformément au paragraphe 113(4) de la LTC, la décision de l’Office est assujettie aux clauses du contrat confidentiel.

[13] Dans le présent cas, EMI a déposé l’ALP à l’appui de sa demande. L’Office note toutefois que l’ALP ne renferme aucune disposition à propos du niveau de services de CN envers EMI.

ÉTAPE 1 : LA DEMANDE DE SERVICES D’EMI À SON INSTALLATION DE DC EST-ELLE RAISONNABLE?

[14] Dans la décision AÉ, l’Office a indiqué ce qui suit :

Lorsque les faits indiquent qu’un expéditeur a présenté une demande de service légitime et qu’il a adéquatement déclenché les dispositions portant sur le niveau de services, sa demande sera considérée comme étant raisonnable.

Position d’EMI

[15] EMI fait valoir que les obligations en matière de niveau de services de CN ont été adéquatement déclenchées, car EMI a toujours communiqué sa demande de services conformément aux procédures de CN. EMI soutient qu’elle n’a jamais commandé plus de wagons que nécessaire pour honorer ses engagements commerciaux, et qu’elle n’a jamais commandé de wagons au-delà du nombre de places disponibles sur sa voie d’évitement.  

[16] EMI fait valoir qu’elle a des contrats de ventes à terme en suspens. EMI allègue également que les lettres de deux de ses principaux clients qu’elle a présentées montrent qu’il y avait une demande et qu’ils ont dû retarder des livraisons en raison de la médiocrité du service.

Position de CN

[17] CN soutient que la demande de services d’EMI est sans fondement et déraisonnable. Selon CN, EMI devrait être tenue de fournir une preuve de ses engagements et de ses mesures concrets en matière de livraison; par exemple, la nature et la portée de ses contrats d’acquisition de grain,  ses contrats de vente, sa capacité à destination et tous autres engagements de livraison. Autrement, rien ne permet de présumer que CN devait tenter de donner suite aux commandes de wagons d’EMI.

[18] CN fait valoir que la demande de services d’EMI au cours de la campagne agricole 2013-2014 a doublé comparativement à celle de la campagne agricole 2012-2013. En outre, CN maintient que la capacité de la partie de la voie d’évitement prévue dans l’accord de licence est de [SUPPRESSION] wagons. CN fait valoir que la demande de service d’EMI était donc déraisonnable.

[19] CN allègue qu’EMI a passé des commandes tactiques pour pouvoir augmenter ses commandes de wagons pour tenter de renforcer sa position.

Analyse et constatations

[20] Dans la décision AÉ, l’Office a énoncé le contexte des dispositions en matière de niveau de services de la LTC qui établissent les obligations de transporteurs publics des compagnies de chemin de fer et qui sont conçues pour servir de recours pour les expéditeurs du fait que le transport est une demande dérivée. C’est dans ce contexte que le caractère raisonnable de la demande de service d’EMI sera considéré.

[21] En vertu de la LTC, les obligations de la compagnie de chemin de fer en tant que transporteur public prévoient qu’elle fournisse des installations convenables pour la réception, le chargement, le transport, le déchargement et la livraison des marchandises « à transporter par chemin de fer ». Selon ces obligations, une compagnie de chemin de fer « reçoit, transporte et livre ces marchandises sans délai et avec le soin et la diligence voulus » et reçoit, transporte et livre ces marchandises « sur paiement du prix licitement exigible pour ces services ». Rien dans les dispositions en matière de niveau de services ne permet de conclure que les obligations de la compagnie de chemin de fer s’éteignent après qu’un certain volume de marchandises a été acheminé, ni que la compagnie de chemin de fer serait tenue de fournir à un expéditeur un nombre de wagons ne dépassant pas la limite historique de cet expéditeur. Il est clair que le régime prévu à l’article 113 de la LTC exige que le transporteur fournisse « des installations convenables » pour toutes les marchandises à transporter et cette disposition ne peut être conciliée avec un régime où la compagnie de chemin de fer a le droit de décider de son propre chef de fournir le service pour seulement une partie de ces marchandises et non la totalité.

[22] Si la demande de service d’un expéditeur donné diffère de ses habitudes, les marchandises de l’expéditeur associées à cette demande doivent tout de même être reçues et transportées par la compagnie de chemin de fer, comme le prévoit la LTC.

[23] L’Office estime qu’en général, un expéditeur de grain a adéquatement déclenché les obligations en matière de niveau de services de la compagnie de chemin de fer en commandant des wagons au moyen du système de commande de wagons de la compagnie de chemin de fer, même si le service demandé dépasse ses habitudes historiques de commande. L’Office est d’avis qu’un expéditeur, dans certaines circonstances, pourrait ne pas connaître longtemps d’avance l’ampleur de ses besoins en matière de transport ferroviaire, car ils dépendent en partie de facteurs difficiles à prévoir, tant en ce qui a trait à la demande de grain du marché qu’à l’offre des producteurs. Cela dit, une compagnie de chemin de fer pourrait ne pas être en mesure de fournir sur-le-champ tous les wagons commandés si elle n’est pas mise au courant d’un changement des habitudes de commande de wagons de cet expéditeur. L’Office reconnaît qu’une compagnie de chemin de fer pourrait avoir besoin de temps pour planifier son utilisation des biens, ou encore ajouter de nouvelles ressources ou réaffecter les ressources existantes pour répondre à la demande de l’expéditeur, tout en continuant à fournir des services à ses autres clients. Cette situation ne rend pas la demande de services de l’expéditeur déraisonnable; toutefois, l’Office pourrait examiner la question une fois de plus à l’étape no 3 de l’AÉ au moment de déterminer si la compagnie de chemin de fer avait des raisons valables pour tarder à répondre à la demande de services de l’expéditeur.

[24] Dans le cas présent, on ne remet pas en question le fait qu’EMI ait commandé plus de wagons qu’au cours de la campagne agricole précédente ou qu’elle ait demandé l’ensemble de ses wagons en passant ses commandes dans le système de commande de wagons de CN.

[25] Conformément à l’AÉ, il incombe à l’expéditeur de démontrer que sa demande de services est raisonnable.

[26] Toutefois, les renseignements au dossier indiquent que ni Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) ni l’industrie du grain n’ont été en mesure de bien prévoir l’ampleur de cette récolte. En mars 2013, en vue de la campagne agricole 2013-2014, AAC prévoyait une production de 60 millions de tonnes métriques (MTM). Cette estimation est restée inchangée jusqu’en septembre 2013, moment auquel AAC a modifié ses prévisions à 63 MTM. En décembre 2013, elles étaient rehaussées à 76 MTM, pour finalement être confirmées en octobre 2014 à 77 MTM. Selon CN, la récolte a été évaluée à 20 MTM de plus que ce qui aurait été prédit en se fondant sur des données historiques. Selon ce qui précède, il est clair qu’EMI n’aurait pas pu prévoir longtemps d’avance l’augmentation de sa demande de services en matière de transport ferroviaire attribuable à une récolte exceptionnellement élevée.

[27] L’Office conclut qu’en passant des commandes conformément à la politique de CN et à son système de commande, EMI a adéquatement déclenché les obligations de CN en matière de niveau de services. La demande de services ne devient pas déraisonnable du simple fait qu’EMI n’a pas avisé CN que sa demande serait beaucoup plus élevée que ses habitudes historiques de commande de wagons.

[28] En ce qui a trait à l’allégation de CN selon laquelle EMI aurait dû fournir la preuve des engagements et des mesures concrets de livraison, l’Office considère que, pour démontrer qu’une demande de service est raisonnable, un expéditeur n’a pas à produire une documentation rigoureuse de chaque transaction qu’il fait relativement à l’acquisition ou à la production, puis à la vente ou à l’utilisation subséquente des marchandises que l’expéditeur prévoit expédier. Dans le contexte du transport du grain, la demande de wagons est directement liée à la demande de grain. Les expéditeurs de grain commandent des wagons parce qu’ils ont du grain à transporter et des clients qui achètent ce grain. En l’absence de preuve démontrant qu’un expéditeur de grain a commandé des wagons qu’il n’était pas en mesure de charger ni d’envoyer à la compagnie de chemin de fer pour le transport, par exemple des factures pour des droits de stationnement, l’Office conclura, en général, que si une compagnie céréalière commande des wagons, elle doit acheminer le grain vers le marché.

[29] Comme il est noté précédemment, le transport est une demande dérivée, et l’objet de l’article 113 de la LTC doit être compris dans son contexte le plus vaste. [SUPPRESSION].

[30] Dans le contexte de l’industrie du grain, compte tenu de la façon dont ces produits sont commercialisés, il serait déraisonnable que l’Office exige qu’un expéditeur produise, pour chaque tonne de grain qu’il prévoit expédier, des contrats démontrant que le grain a été acheté puis revendu. Cela rendrait la disponibilité des recours en cas de manquement aux obligations en matière de niveau de services subordonnée au fait que l’expéditeur soit en rupture de contrat avec ses partenaires d’affaires.

[31] Les contrats entre l’expéditeur et ses fournisseurs de grain et ses clients pourraient constituer des preuves convaincantes que l’expéditeur de grain avait du grain à transporter dans les wagons qu’il a commandés de la compagnie de chemin de fer. Toutefois, le fait que des contrats n’ont pas été produits pour chaque wagon commandé de la compagnie de chemin de fer ne signifie pas nécessairement que l’expéditeur n’a pas réussi à prouver que sa demande était raisonnable. D’autres éléments de preuve pourraient démontrer à la satisfaction de l’Office que l’expéditeur avait bel et bien du grain à transporter dans les wagons qu’il a commandés de la compagnie de chemin de fer.

[32] Dans le cas présent, EMI a déposé des lettres de deux de ses clients qui se plaignent de retards de livraison. EMI a également fourni des copies de ses contrats de ventes à terme avec des producteurs.

[33] De plus, la preuve au dossier indique qu’au niveau systémique, la récolte a été exceptionnelle en 2013 et que le nombre de wagons fournis ne suffisait pas pour la quantité de grain à transporter. Cette situation cadre avec la nécessité de CN de rationner les wagons, car la demande de wagons excédait le nombre de wagons qu’elle pouvait fournir.

[34] L’Office est d’avis que cela prouve que les stocks de grain existaient et qu’il y avait une demande pour que le grain d’EMI soit livré. Par conséquent, la demande de services de transport du grain d’EMI était légitime.

[35] CN n’a fourni aucune preuve qui réfute la preuve de CN. CN a allégué qu’EMI avait passé des commandes tactiques. Toutefois, CN n’a pas fourni de preuve pour démontrer qu’EMI avait commandé plus de wagons que ce dont elle avait réellement besoin pour transporter l’avoine à sa disposition et la vendre à ses clients.  

[36] L’Office note que durant plus d’une semaine au cours de la période visée par la plainte, EMI a commandé plus de wagons que la capacité de sa voie d’évitement ne le permet. CN laisse entendre que cela indique qu’EMI a commandé plus de wagons que ce dont elle avait besoin. L’Office est d’avis que le fait qu’EMI a commandé plus de wagons au cours d’une semaine que ce qui peut être livré pour un seul placement, cela ne fait que prouver qu’EMI a passé des commandes nécessitant que CN desserve EMI plus d’une fois au cours de la même semaine agricole. Cela ne prouve pas qu’EMI a commandé plus de wagons que nécessaire compte tenu des conditions de l’offre et de la demande du marché.

[37] CN fait valoir que la capacité de la partie de la voie d’évitement prévue dans l’accord de licence est de [SUPPRESSION] wagons. Elle n’explique pas pourquoi EMI devrait se limiter à un seul placement par semaine. En fait, les données sur les wagons déposées par CN montrent que CN a placé plus de [SUPPRESSION] wagons pendant une semaine agricole au cours des dernières années. De l’avis de l’Office, cela indique que le facteur de limitation n’est pas lié à la limite de capacité de l’expéditeur sur la voie d’évitement, mais plutôt au plan de service de la compagnie de chemin de fer.

[38] L’Office estime que, dans le contexte de la campagne agricole exceptionnelle de 2013-2014, il est raisonnable de conclure, en se fondant sur la disponibilité du grain au niveau systémique, que la demande de services d’EMI était légitime, à savoir qu’EMI aurait eu du grain à expédier si elle avait reçu les wagons qu’elle avait commandés. À cette étape de l’analyse, c’est tout ce qui est nécessaire.

[39] L’Office conclut donc, selon la prépondérance des probabilités, que les wagons commandés par EMI au cours de la période visée par la plainte constituent une demande de services raisonnable.

ÉTAPE 2 : CN A-T-ELLE RÉPONDU À CETTE DEMANDE?

[40] Dans la décision AÉ, l’Office a indiqué ce qui suit :

De façon générale, une compagnie de chemin de fer a une obligation statutaire en matière de niveau de services en vertu de laquelle elle doit fournir des installations convenables pour recevoir, charger, transporter, livrer et décharger les wagons, dans la mesure où le service demandé est raisonnable dans les circonstances, tel qu’il est expliqué à l’étape 1.

Lorsque l’Office estime que la demande de services est raisonnable, il doit ensuite déterminer si la compagnie de chemin de fer a répondu à cette demande.

Afin de déterminer si la compagnie de chemin de fer a répondu à la demande de services, dans le contexte du cas présent, il est nécessaire, tout d’abord, d’établir les paramètres dans lesquels l’évaluation aura lieu.

Analyse et constatations

[41] CN a présenté des données hebdomadaires sur les commandes de wagons d’EMI et les wagons acheminés avec feuille de route de la semaine 1 de la campagne agricole 2013-2014 à la semaine 21 de la campagne agricole 2014-2015. EMI a présenté des feuilles de calcul où figure le suivi des droits de stationnement de la semaine 1 de la campagne agricole 2013-2014 à la semaine [SUPPRESSION] de la campagne agricole 2014-2015.

[42] Une comparaison des données présentées par EMI et CN montre qu’au fil des semaines, il y a des différences. Toutefois, des 70 semaines pour lesquelles EMI et CN ont fourni des données, l’écart cumulé entre les deux présentations concernant le nombre de wagons commandés est de [SUPPRESSION] wagons. Plus particulièrement, EMI fait valoir qu’elle a commandé [SUPPRESSION] wagons de plus que ce qu’indique CN au cours de cette période. En ce qui a trait aux wagons acheminés avec feuille de route, la différence est de [SUPPRESSION] wagons, où EMI fait valoir qu’elle a reçu [SUPPRESSION] wagons de plus que ce qu’indique CN.

[43] Étant donné que CN a présenté des données pour toute la période visée par la plainte et que la différence globale entre les deux présentations est mineure, l’Office se servira des données de CN pour effectuer son analyse.

[44] Un examen plus poussé des données de CN montre que des 66 semaines au cours desquelles EMI a passé des commandes :

  • CN a fourni au cours de 11 semaines le nombre exact de wagons commandés par EMI;
  • CN a fourni au cours de six semaines un nombre de wagons supérieur à ce qu’EMI avait commandé;
  • CN n’a fourni aucun wagon à EMI au cours de sept semaines (soit au cours des semaines [SUPPRESSION]);
  • CN a fourni au cours de 29 semaines moins de 75 pour cent des wagons commandés par EMI;
    • de ces semaines, CN a fourni au cours de 17 semaines moins de 50 pour cent des wagons commandés;
    • de ces semaines, CN a fourni au cours de quatre semaines moins de 25 pour cent des wagons commandés.

[45] Outre le niveau de services de CN envers EMI comme il est décrit ci-dessus, lorsqu’il analysera le niveau de services global de CN envers EMI, l’Office tiendra également compte du niveau de services de CN envers EMI tout au long de la période visée par la plainte. Au cours de la période visée par la plainte, la proportion entre le nombre de wagons acheminés avec feuille de route et le nombre de wagons commandés a baissé au fil du temps à un point tel que, de la semaine [SUPPRESSION] à la semaine [SUPPRESSION], EMI n’avait reçu que 49 pour cent du total cumulé de wagons qu’elle avait commandés. De plus, à la fin de la période visée par la plainte, EMI n’a reçu que 60 pour cent du nombre total de wagons qu’elle a commandés.

[46] En fonction de ce qui précède, l’Office conclut que CN n’a pas répondu à la demande de service d’EMI au cours de la période visée par la plainte, et l’Office doit donc se pencher sur l’étape 3 de l’AÉ.

ÉTAPE 3 : DANS LA NÉGATIVE, QUELLES SONT LES RAISONS QUI POURRAIENT JUSTIFIER LE MANQUEMENT À UNE OBLIGATION DE SERVICES?

[47] Dans la décision AÉ, l’Office a indiqué ce qui suit :

En vertu de la LTC, une compagnie de chemin de fer fédérale doit recevoir, transporter et livrer toutes les marchandises offertes pour le transport « dans le cadre de ses attributions ». Cependant, cette obligation n’est pas absolue aux termes de toutes les conditions. Une compagnie de chemin de fer n’est pas tenue de réaliser ce qui est déraisonnable ou impossible. Ainsi, lorsque l’Office estime qu’une compagnie de chemin de fer n’a pas répondu à une demande raisonnable de la part d’un expéditeur, il examinera les justifications présentées par la compagnie de chemin de fer à l’égard de ce manquement à une obligation de service.

Position de CN

[48] CN fait valoir qu’une compagnie de chemin de fer doit être sensée et pratique, et non parfaite, dans ses offres de service, et que la norme imposée aux compagnies de chemin de fer est raisonnable. CN maintient qu’il n’est pas question de manquement si la compagnie de chemin de fer ne fournit pas immédiatement chaque wagon commandé, à moins que ce soit impossible de le faire; il est absurde de confondre « caractère raisonnable » et « possibilité ».

[49] CN fait valoir que les commandes de wagons d’EMI pendant la campagne agricole 2013-2014 avaient doublé par rapport à celles de la campagne agricole 2012-2013 et fait valoir qu’il est déraisonnable qu’EMI s’attende à ce qu’une telle augmentation de la demande soit instantanément satisfaite, particulièrement pendant qu’une mesure de rationnement est en vigueur.

[50] CN soutient que la campagne agricole 2013-2014 a connu un sommet historique au Canada, soit une probabilité de moins de un pour cent. CN fait valoir qu’il serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’on puisse prévoir une telle situation, étant donné que la planification commence six mois avant la récolte estivale et que l’ajout de wagons, de locomotives et d’équipes prend un certain temps et exige une planification de sept à 12 mois. Plus particulièrement, en septembre 2013, on savait que la récolte serait plus importante que prévu; CN a ajouté 500 wagons-trémies en décembre, 500 autres entre avril et juin, puis 800 wagons temporaires.

[51] De plus, CN affirme que l’hiver (décembre 2013 à mars 2014) a été extrêmement froid, entraînant des restrictions d’exploitation. Elle soutient que ces événements ne peuvent pas être évités avec une meilleure planification ou l’ajout de ressources. Selon CN, il existe des restrictions lorsque les températures chutent en dessous de -25 oC et, au cours de la période visée par la plainte, quatre corridors ou plus ont été soumis à des restrictions pendant la majorité des semaines de l’hiver. CN explique que lorsque cela se produit, de graves répercussions sont ressenties partout sur son réseau qui perd ainsi en fluidité.

[52] CN a déposé un document qu’elle a rédigé en novembre 2014 à l’intention du comité d’examen de l’OTC, intitulé The Unique Impact of Winter on Railroad Operations. Ce document décrit, entre autres choses, comment les températures hivernales nuisent à l’exploitation ferroviaire : trains ralentis; rails brisés; wagons défectueux; aiguillages, signaux et locomotives en panne; et les restrictions relatives à la longueur des trains. CN explique qu’en moyenne, les températures hivernales entraînent une réduction de la vitesse des trains de 15 pour cent; comme les trains sont moins rapides, il en faut plus sur un territoire donné. Il y a donc plus de rencontres de trains et davantage de changements d’équipes. Des voies d’évitement sont alors hors service, ce qui ralentit les trains, car les voies d’évitement servent à faciliter le passage.

[53] CN maintient que son rendement est plus élevé que la moyenne de l’industrie, et que malgré la température, CN a transporté 13 pour cent plus de marchandises que le record historique précédent.

Position d’EMI

[54] Selon EMI, le fait que CN ait expédié plus de marchandises qu’au cours des années précédentes ne justifie pas son manquement à ses obligations en matière de niveau de services. De plus, EMI fait valoir que, comme les températures hivernales ont commencé au cours de la semaine 20 de la campagne agricole 2013-2014 et ont pris fin durant la semaine 30, elles n’ont pas eu d’incidence sur le service avant ou après cette période. EMI affirme que CN aurait dû être prête pour l’hiver, même s’il a été rigoureux.

[55] EMI allègue que CN doit établir par des preuves précises liées au cas présent qu’elle a fait des efforts pour répondre aux demandes de services d’EMI et qu’elle n’a pas pu le faire en raison de facteurs hors de son contrôle. EMI maintient que les arguments de CN liés à l’ajout de wagons-trémies et aux températures hivernales ne constituent pas des preuves propres à la demande; CN n’a pas démontré en quoi ces facteurs ont été liés à un manquement à ses obligations en matière de niveau de services envers EMI.

Analyse et constatations

[56] Dans la décision AÉ, l’Office a précisé les éléments qu’il considère pour déterminer s’il existe une justification, après avoir conclu qu’il y a eu un manquement aux obligations en matière de niveau de services :

L’Office est d’avis que lorsqu’une compagnie de chemin de fer ne fournit pas un service, elle doit démontrer qu’il n’était pas raisonnablement possible de fournir des installations convenables malgré ses efforts déployés en ce sens et en raison de facteurs qui échappent à son contrôle.

Pour déterminer si une compagnie de chemin de fer s’est acquittée de ses obligations en matière de niveau de services d’une façon raisonnable, dans ses décisions antérieures, l’Office a tenu compte de facteurs tels que les solutions de rechange offertes et les conséquences de l’exécution de la demande du plaignant sur les opérations et la viabilité de la compagnie de chemin de fer. Lorsque cela est pertinent, il a aussi tenu compte de facteurs atténuants qui échappent au contrôle de la compagnie de chemin de fer.

Dans l’affaire Patchett, la Cour suprême du Canada a déterminé qu’une compagnie de chemin de fer ne manque pas à ses obligations en matière de niveau de services s’il ne lui est pas possible de fournir le service pour des raisons sur lesquelles elle n’exerce aucun contrôle. Dans cette même affaire, la compagnie de chemin de fer était incapable de fournir le service en raison de piquets de grève illégaux sur la propriété du client. Dans le cadre de son évaluation du caractère raisonnable, la Cour suprême du Canada a tenu compte de qui était responsable de l’impossibilité de fournir le service. La Cour a déterminé que puisque seul le client avait le pouvoir de rectifier la situation, la compagnie de chemin de fer n’avait pas manqué à ses obligations en matière de niveau de services.

Pour établir s’il existe une justification au fait de ne pas répondre aux besoins d’un expéditeur, l’Office déterminera si la compagnie de chemin de fer a dû faire face à une situation qui échappait à son contrôle. D’autres exemples que ceux mentionnés dans l’affaire Patchett comprennent les conditions météorologiques, les déchargements dans les terminaux, la congestion dans les terminaux portuaires, les restrictions opérationnelles ainsi que les déraillements.

[57] L’Office doit déterminer si CN avait des justifications raisonnables pour le niveau de services qu’elle a fourni à EMI au cours de la période visée par la plainte, comme il est décrit à l’étape 2 de l’AÉ ci-dessus, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles les wagons ont été commandés par EMI et lui ont été livrés. Selon les preuves au dossier du cas présent, l’Office doit prendre en compte les facteurs qui suivent pour déterminer si CN avait une justification raisonnable pour ne pas répondre entièrement à la demande de services d’EMI.

Taille de la récolte 2013-2014

[58] Dans sa réponse, CN indique que la récolte 2013-2014 était d’environ 20 MTM supérieure à la tendance de production historique. L’ampleur de la récolte est également corroborée par un communiqué du ministre des Transports et du ministre de l’Agriculture publié le 7 mars 2014 annonçant des mesures pour transporter davantage de grain. Il était indiqué dans l’annonce que : « [c]ette année, la récolte dans l’Ouest canadien, qui se chiffrait à 76 millions de tonnes, est 50 % supérieure à la moyenne ». L’Office note que cette affirmation cadre avec la modification de la demande d’EMI, qui a doublé par rapport à la campagne agricole précédente. L’Office conclut que la taille de la récolte 2013-2014 était beaucoup plus importante qu’au cours des dernières années.

Efforts de CN pour acquérir des wagons supplémentaires afin de composer avec la demande accrue au niveau systémique

[59] À compter de décembre, CN a loué et mis en service 500 wagons supplémentaires, puis entre avril et juin, elle en a loué 500 autres. CN a également augmenté temporairement sa capacité par l’ajout de 800 wagons. Ces ajouts à la capacité du système ont fait augmenter le nombre de wagons disponibles aux fins d’attribution aux clients de CN, afin de répondre à l’augmentation de la demande globale au niveau systémique (qui comprend la demande d’EMI).

Changement dans les habitudes d’expédition d’EMI

[60] La preuve montre qu’au cours de la campagne agricole 2013-2014, EMI a commandé 445 wagons, soit 106 pour cent plus de wagons qu’au cours de la campagne agricole de 2012-2013. Au cours de cette dernière, EMI a commandé 216 wagons, soit 121 pour cent de plus qu’au cours de la campagne agricole 2011-2012, alors qu’EMI a commandé 201 wagons.

Conditions hivernales durant la campagne agricole 2013-2014

[61] CN indique que durant la campagne agricole 2013-2014, les Prairies ont fait face à un hiver exceptionnellement rigoureux avec près de 30 jours de températures sous les -30 oC à Winnipeg et à Saskatoon. À l’appui de cette déclaration, CN a déposé un article d’Environnement Canada indiquant que Winnipeg avait connu l’hiver le plus froid de décembre à mars inclusivement depuis 1898.

[62] Même si les températures rigoureuses décrites par CN ont pris fin au cours de la semaine 30 de la campagne agricole 2013-2014, il est compréhensible que CN ait eu besoin de temps pour récupérer.

[63] L’Office reconnaît que durant des périodes de froid extrême, les compagnies de chemin de fer font face à des contraintes opérationnelles, notamment à des restrictions dans les corridors, à des limites de vitesse et au raccourcissement des trains, ce qui prolonge le cycle de rotation des wagons et empêche les compagnies de chemin de fer de poursuivre leurs activités comme à l’habitude. De plus, l’Office accepte les allégations de CN selon lesquelles lors de périodes de froid extrême prolongées, l’infrastructure fait manifestement défaut plus souvent : bris de rails, défaillance d’aiguillages et wagons défectueux. Dans les circonstances particulières de la campagne agricole 2013-2014, les conditions rigoureuses ont persisté pendant une longue période, et ces contraintes opérationnelles étaient également beaucoup plus grandes et ont duré beaucoup plus longtemps qu’à l’habitude.

Planification

[64] L’Office conclut que, dans le cas présent, il faut également tenir compte du fait que CN a manqué de temps pour planifier l’utilisation de ses biens et pour soit ajouter de nouvelles ressources, soit réattribuer ses ressources existantes. Si EMI n’avait pas pu aviser CN longtemps d’avance de sa demande accrue, comme l’Office l’a conclu à l’étape 1 de l’AÉ ci-dessus, il n’en demeure pas moins que, même si CN avait été au courant d’une augmentation généralisée des stocks de grain, elle n’aurait pas pu planifier précisément l’augmentation considérable de la demande au cours de la période visée par la plainte. Ni AAC ni l’industrie du grain n’avaient bien anticipé cette récolte.

[65] Même si la demande de services de transport de grain d’un expéditeur donné, qui s’avère inattendue ou différente de ses habitudes historiques, peut justifier un certain retard dans la livraison des wagons commandés, les wagons doivent néanmoins être livrés et transportés par la compagnie de chemin de fer. L’expression « sans délai » de l’alinéa 113(1)c) de la LTC doit être interprétée dans le contexte des circonstances particulières de chaque cas. Devant une demande de services inattendue, surtout si la compagnie de chemin de fer n’a pas eu suffisamment de temps pour réagir, l’alinéa 113(1)c) de la LTC sera interprété comme s’il fallait fournir à une compagnie de chemin de fer un délai raisonnable pour répondre à la demande de services en question.

[66] Toutefois, cela ne signifie pas qu’une compagnie de chemin de fer peut invoquer indéfiniment et dans tous les cas le manque de temps de réaction. En vertu de la LTC, les compagnies de chemin de fer doivent veiller à attribuer suffisamment de ressources de façon continue, afin de fournir des installations convenables pour le transport, le déchargement et la livraison des marchandises à transporter par chemin de fer. Le manque de temps pour planifier n’annule aucunement les obligations d’une compagnie de chemin de fer de recevoir, d’acheminer et de livrer, sans délai, les marchandises à transporter.

[67] Au cours de la période visée par la présente plainte, EMI a commandé 106 pour cent plus de wagons qu’au cours de la campagne agricole précédente. CN n’a pas été informée longtemps à l’avance de ce changement dans les habitudes de commande d’EMI. L’Office conclut que CN avait besoin de temps, à partir du moment où la commande de wagons a été passée, pour ajuster ses ressources et ainsi répondre à la demande.

Conclusion

[68] L’Office conclut que les facteurs ont entraîné quelques retards dans la livraison de wagons à EMI au cours de la période visée par la plainte; toutefois, CN n’a pas justifié le piètre niveau de services global fournit à EMI au cours de la période visée par la plainte. Plus particulièrement, comme le décrit l’étape 2 de l’AÉ ci-dessus, EMI a été exposée à une situation où elle a reçu  de mauvais services, de telle sorte que les services de CN envers EMI se sont détériorés du début de la période visée par la plainte jusqu’au point où, pendant quatre semaines, soit à compter de la semaine [SUPPRESSION], EMI n’a reçu que 49 pour cent de l’ensemble des wagons commandés jusqu’à ce moment-là. À la fin de la période visée par la plainte, CN n’avait pas livré 40 pour cent du nombre total de wagons demandés par EMI au cours de la période visée par la plainte.

[69] Lorsque l’on considère le nombre de wagons demandés par EMI au cours des 73 semaines visées par la plainte, CN n’a pas livré [SUPPRESSION] wagons de la commande passée par EMI.

[70] L’Office conclut donc que CN a manqué à ses obligations en matière de niveau de services envers EMI au cours de la période visée par la plainte.

QUESTION 2 : LA POLITIQUE DE CN SUR LE SEUIL DU NOMBRE MAXIMUM DE WAGONS PAR COMMANDE REPRÉSENTE-T-ELLE UN MANQUEMENT, PAR CN, À SES OBLIGATIONS EN MATIÈRE DE NIVEAU DE SERVICES ENVERS EMI?

[71] Dans sa demande, EMI fait également valoir que la politique de CN sur le seuil du nombre maximum de wagons par commande (seuil maximum) ne cadre pas avec les dispositions de la LTC en matière de niveau de services. Toutefois, EMI n’a pas déposé de preuve démontrant que le seuil maximum constitue un manquement par CN à ses obligations en matière de niveau de services envers EMI au cours de la période visée par la plainte.

[72] Dans une 2015-03-12">décision confidentielle du 12 mars 2015, l’Office s’est penché sur une demande déposée par Louis Dreyfus Commodities Canada Ltd. (LDC) visant à ordonner à CN de ne pas appliquer sa nouvelle méthodologie d’attribution indiquée dans la lettre du 29 août 2014 qu’elle a envoyée à LDC. D’entrée de jeu, l’Office a déclaré que « les faits doivent prouver le manquement allégué ». Il a ensuite conclu que :

LDC n’a pas fourni de faits importants pour appuyer ses allégations. Plutôt, comme il est expliqué ci-dessous, la demande n’est appuyée par aucun fait et s’avère hypothétique.

[73] L’Office a continué son explication au paragraphe 79 :

Le bien-fondé d’une demande en matière de niveau de services déposée en vertu de l’article 116 de la LTC peut être évalué seulement dans le contexte du niveau de services réellement fourni par une compagnie de chemin de fer et des représentations juridiques faites à l’égard de ces faits par rapport aux critères appliqués par l’Office pour déterminer les manquements en matière de niveau de services. En examinant une demande, l’Office évalue les faits particuliers présentés par une demanderesse au sujet du niveau de services fourni par une compagnie de chemin de fer. C’est seulement si l’Office conclut qu’une compagnie de chemin de fer ne s’est pas acquittée de ses obligations envers un expéditeur qu’il envisagera la mesure de redressement à ordonner, en tenant compte de la nature du manquement déterminé.

[74] Dans le cas présent, l’Office est d’avis qu’EMI n’a également pas appuyé ses allégations par des faits liés aux services qu’elle a reçus au cours de la période visée par la plainte, lorsque la politique était en vigueur.

[75] L’Office rejette donc la demande d’EMI en ce qui concerne le seuil maximum.

CONCLUSION

[76] À la suite de son examen visant à déterminer, au moyen de son approche d’évaluation en trois étapes, si CN a manqué à ses obligations en matière de niveau de services envers EMI, l’Office conclut que :

Étape 1 : La demande de services d’EMI au cours de la période visée par la plainte constitue une demande de service raisonnable.

Étape 2 : CN n’a pas répondu à la demande de services d’EMI au cours de la période visée par la plainte.

Étape 3 : CN n’a pas justifié raisonnablement le niveau de services fournit à EMI au cours de la période visée par la plainte.

[77] L’Office conclut donc que CN a manqué à ses obligations en matière de niveau de services envers EMI au cours de la période visée par la plainte.

RECOURS

[78] Comme l’Office a conclu que CN avait manqué à ses obligations en matière de niveau de services envers EMI au cours de la période visée par la plainte, l’Office considérera ensuite quels recours, le cas échéant, il ordonnera.

[79] Le paragraphe 116(4) de la LTC prévoit que :

L’Office, ayant décidé qu’une compagnie ne s’acquitte pas de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114, peut :

a) ordonner la prise de l’une ou l’autre des mesures suivantes :

(i) la construction ou l’exécution d’ouvrages spécifiques,

(ii) l’acquisition de biens,

(iii) l’attribution, la distribution, l’usage ou le déplacement de wagons, de moteurs ou d’autre matériel selon ses instructions,

(iv) la prise de mesures ou l’application de systèmes ou de méthodes par la compagnie;

b) préciser le prix maximal que la compagnie peut exiger pour mettre en œuvre les mesures qu’il impose;

c) ordonner à la compagnie de remplir ses obligations selon les modalités de forme et de temps qu’il estime indiquées, eu égard aux intérêts légitimes, et préciser les détails de l’obligation à respecter;

[…]

[80] De plus, l’article 112 de la LTC prévoit que « [l]es prix et conditions visant les services fixés par l’Office au titre de la présente section doivent être commercialement équitables et raisonnables vis-à-vis des parties ».

[81] Dans la décision no 323-R-2002, l’Office a indiqué qu’il « doit en arriver à un équilibre entre les répercussions d’une réparation ou d’un correctif et la nature du manquement ». Même si l’Office a conclu que CN avait manqué à ses obligations en matière de niveau de services envers EMI au cours de la période visée par la plainte, l’Office reconnaît que les conditions présentes au cours de la période visée par la plainte décrites ci-dessus étaient exceptionnelles, et qu’une ordonnance exigeant que CN achète, loue ou acquière des wagons-trémies et des moteurs supplémentaires, et embauche plus d’équipes de train ne représente pas un juste équilibre par rapport à la nature du manquement et n’est pas nécessaire, en se fondant sur la prépondérance des probabilités, pour permettre à CN de s’acquitter de ses obligations particulières en matière de niveau de services envers EMI à l’avenir. L’Office rejette donc la requête d’EMI voulant que l’Office ordonne à CN d’acheter, de louer ou d’acquérir des wagons-trémies et des moteurs supplémentaires et d’embaucher plus d’équipes de train.  

[82] Comme il est indiqué aux paragraphes 21, 22, 65 et 66 ci-dessus, l’Office a conclu qu’une compagnie de chemin de fer est tenue de fournir des « installations convenables » pour toutes les marchandises à transporter par chemin de fer, mais que, selon les circonstances, l’alinéa 113(1)c) de la LTC sera interprété comme s’il fallait fournir à une compagnie de chemin de fer un délai raisonnable pour répondre à la demande de services en question. L’Office s’attend donc à ce que CN achemine toutes les marchandises qu’EMI lui a présentées pour le transport. Toutefois, il est reconnu qu’EMI pourrait avoir pris d’autres moyens pour expédier ses marchandises, sinon elle aurait risqué de perdre des ventes et que, par conséquent, EMI pouvait ne plus avoir besoin de tous les wagons qu’elle avait commandés au cours de la période visée par la plainte pour ses envois prévus à ce moment-là, mais qu’elle n’a pas reçus.

ORDONNANCE

[83] L’Office ordonne donc à CN de fournir immédiatement à EMI les wagons qu’elle a commandés au cours de la période visée par la plainte dont EMI a encore besoin pour répondre aux demandes en suspens depuis la période visée par la plainte.

INDEMNISATION

[84] Aux termes de l’alinéa 116(4)c.1) de la LTC, l’Office, ayant décidé qu’une compagnie de chemin de fer ne s’acquitte pas de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114, peut :

ordonner à la compagnie d’indemniser toute personne lésée des dépenses qu’elle a supportées en conséquence du non-respect des obligations de la compagnie ou, si celle-ci est partie à un contrat confidentiel avec un expéditeur qui prévoit qu’elle versera, en cas de manquement à ses obligations, une indemnité pour les dépenses que l’expéditeur a supportées en conséquence du non-respect des obligations de la compagnie, lui ordonner de verser à l’expéditeur cette indemnité;

Position d’EMI

[85] EMI fait valoir que les dépenses qu’elle a supportées en conséquence du non-respect des obligations de CN en matière de niveau de services s’élèvent à [SUPPRESSION] $.

[86] EMI allègue qu’en raison du piètre service reçu de CN, EMI a dû livrer ses produits par camion à l’un de ses clients, entraînant des coûts supplémentaires d’expédition de [SUPPRESSION] $. EMI fait valoir qu’elle doit maintenant rembourser ces coûts supplémentaires à ce client pour préserver leur relation.

[87] EMI fait valoir qu’en raison du manque de wagons, EMI a perdu des revenus de ventes qu’elle aurait faites au montant de [SUPPRESSION] $. [SUPPRESSION].

Position de CN

[88] CN fait valoir qu’il y a une distinction entre des dépenses et des dommages, et qu’une perte de revenu constitue un dommage que l’Office n’a pas la compétence d’accorder. CN fait valoir qu’une perte de revenu n’est pas assimilée à des frais remboursables. CN fait valoir que, nonobstant ce qui précède, pour calculer sa perte de revenu, EMI se fonde sur une quantité de tonnes métriques non vérifiée, multipliée par [traduction] « une marge de profit calculée sur du vent ».

[89] CN fait valoir que les dépenses de camionnage dont parle EMI sont vagues et sont sans fondement. De plus, aucune preuve ne démontre qu’EMI a réellement supporté ces dépenses. EMI n’a pas payé ce montant; le client l’a payé et a demandé à être remboursé.

Analyse et constatations

[90] Pendant la réunion du 7 avril 2014 du Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire visant à discuter du projet de loi C-30, Pierre Lemieux, député, renvoyant à ce recours, a déclaré que « si un expéditeur doit supporter des dépenses », l’Office peut invoquer cette disposition pour ordonner à la compagnie de chemin de fer de l’indemniser pour toutes dépenses qu’il a supportées et a cité les droits de stationnement comme exemple. L’Office est d’avis que les dépenses dont l’Office peut ordonner le remboursement sont celles qui ont été supportées, c’est à dire  une dépense qui découle du non-respect des obligations d’une compagnie de chemin de fer en matière de niveau de services. De par cette interprétation, l’Office conclut que la perte de revenu n’est pas une dépense. La perte de revenu est simplement la perte de revenu potentielle de clients qui auraient peut-être obtenu un service si la compagnie de chemin de fer avait rempli ses obligations en matière de niveau de services. La perte de revenu est, comme CN le fait valoir, un dommage et non une dépense.

[91] En ce qui concerne les dépenses de camionnage qu’indique EMI, l’Office note qu’EMI n’a fourni aucune preuve démontrant qu’elle a remboursé son client pour les dépenses de camionnage supportées. À la lumière de ce qui précède, l’Office rejette la demande d’indemnisation d’EMI pour ses dépenses.

ADJUDICATION DES FRAIS

[92] EMI et CN demandent l’adjudication des frais relativement à la présente instance.

[93] Devant de telles demandes, l’Office a comme pratique de n’adjuger des frais que dans des circonstances particulières ou exceptionnelles. L’Office conclut que les requêtes examinées dans la présente décision ne sont pas particulières ni exceptionnelles, et il rejette donc ces requêtes.

La présente décision est la version publique épurée d’une décision confidentielle émise le 10 juillet 2015 qui ne saurait être rendue publique.

Membre(s)

Raymon J. Kaduck
Stephen Campbell
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