Décision n° 222-AT-A-2008
le 28 avril 2008
DEMANDE présentée par Diane Barbeau concernant le refus de Sunwing Airlines Inc. de transporter dix boîtes de solution de dialyse dans la cabine passagers de son aéronef.
Référence no U3570/07-42
INTRODUCTION
[1] Le 31 octobre 2007, Diane Barbeau a déposé une demande auprès de l'Office des transports du Canada (l'Office) concernant le refus de Sunwing Airlines Inc. (Sunwing) de transporter dix boîtes de solution de dialyse thermosensible comme bagages à main.
[2] Au moment de faire ses réservations auprès de Sunwing pour des vacances de deux semaines à Cuba, Mme Barbeau a demandé à Sunwing de transporter dix boîtes de solution de dialyse dont elle aurait besoin pour maintenir son état de santé pendant son séjour. Après avoir pris connaissance des dimensions et du poids des boîtes, Sunwing a informé Mme Barbeau qu'elle ne pourrait pas transporter toutes les boîtes dans la cabine passagers de l'aéronef, mais que les boîtes restantes pourraient être placées dans la soute non chauffée de l'aéronef. Sunwing a également informé Mme Barbeau qu'elle devait se procurer un emballage protecteur pour ses boîtes. Ayant jugé la proposition de services de Sunwing inadéquate, Mme Barbeau a annulé ses réservations et a reçu un remboursement. Elle est d'avis que Sunwing n'a pas pris les mesures nécessaires pour répondre à ses besoins et que cette façon de faire a créé un obstacle à ses possibilités de déplacement.
COMPÉTENCE DE L'OFFICE
[3] Le mandat de l'Office consiste à éliminer les obstacles abusifs des installations et du réseau de transport de compétence fédérale pour que les personnes ayant une déficience puissent profiter d'un accès équivalent au réseau de transport fédéral. Aux termes de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch.10, modifiée (la LTC), l'Office est autorisé à examiner les demandes déposées par une personne ayant une déficience ou par une autre personne, en son nom.
[4] Dans sa demande, Mme Barbeau fait valoir qu'elle a besoin de traitements quotidiens de dialyse péritonéale pour rester en vie en attendant une transplantation de rein. Mme Barbeau a fourni à l'Office une note de son médecin, un spécialiste des maladies rénales, qui confirme son état de santé.
[5] Selon les renseignements personnels de Mme Barbeau, qui ne sont pas contestés, l'Office reconnaît que Mme Barbeau est une personne ayant une déficience aux fins de l'application des dispositions d'accessibilité de la LTC. Comme la demande de Mme Barbeau soulève une question d'accessibilité qui relève de la compétence de l'Office, elle sera examinée en vertu de l'article 172 de la LTC.
QUESTION
[6] Le refus de Sunwing de transporter dix boîtes de solution de dialyse pour Mme Barbeau dans la cabine passagers de l'aéronef a-t-il constitué obstacle abusif à ses possibilités de déplacement? Dans l'affirmative, quelles mesures correctives seraient appropriées, le cas échéant?
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
[7] Dans sa demande, Mme Barbeau soulève deux préoccupations concernant l'équité procédurale. Elle fait valoir que la lettre de l'Office, dans laquelle il demande aux parties de fournir des renseignements supplémentaires, a fourni à Sunwing une deuxième chance de présenter sa preuve. En outre, Mme Barbeau indique que l'Office devrait procéder à ses propres enquêtes de manière à répondre lui-même aux questions renvoyées aux parties. Elle croit que cette demande de renseignements supplémentaires semble être un moyen détourné pour aider Sunwing.
[8] L'Office prend note des préoccupations de Mme Barbeau. Il importe cependant de bien comprendre le rôle de l'Office au moment de statuer sur une demande. Dans le cadre de son mandat, l'Office doit veiller à ce que les personnes ayant une déficience puissent se prévaloir des services du réseau de transport fédéral sans se heurter à des obstacles abusifs lors de déplacements.
[9] Au moment d'établir si une personne fait face à un obstacle abusif, l'Office peut identifier et imposer les mesures correctives appropriées pour y mettre fin. Les mesures correctives peuvent aller au-delà de l'obstacle auquel se heurte la personne et même toucher des problèmes systémiques sous-jacents.
[10] Dans le cadre de cette procédure, l'Office peut juger nécessaire d'obtenir des renseignements supplémentaires des parties ou de sources externes de manière 1) à l'aider à prendre une décision quant à l'accommodement le plus approprié, 2) à avoir une meilleure compréhension du contexte de manière à pouvoir examiner la question intégralement et équitablement, ou 3) à identifier et à imposer une solution.
[11] À titre de tribunal administratif, l'Office est lié par l'équité procédurale au moment de statuer sur une demande, ce qui signifie qu'il informe les parties des preuves déposées et leur donne l'occasion de faire des observations pertinentes. Dans le cas présent, l'Office a déterminé qu'il avait besoin de plus de renseignements des deux parties; il les a demandés et a offert aux deux parties l'occasion de commenter les observations de l'autre partie.
FAITS, PREUVES ET MÉMOIRES
[12] Mme Barbeau est mécontente du refus de Sunwing de transporter toutes ses boîtes dans la cabine passagers de l'aéronef et elle juge que Sunwing n'a pas fourni les mesures raisonnables d'accommodement sans se voir imposer une contrainte excessive. Sunwing fait valoir que l'aide offerte à Mme Barbeau n'a pas constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement puisqu'elle n'a pas refusé de transporter ses boîtes.
[13] Les faits touchant les positions des parties sont incontestés. Mme Barbeau indique que tout ce qu'elle demandait était le transport de sa solution de dialyse à l'allée seulement, puisqu'elle allait utiliser la solution pendant son séjour à Cuba et n'en rapporterait pas à son retour au Canada. Elle avait besoin d'un approvisionnement de deux semaines pendant son séjour à Cuba, c'est-à-dire 60 sacs de 2 litres de solution de dialyse. Les sacs sont emballés dans des boîtes carrées (6 sacs par boîte) mesurant 12 pouces x 11 pouces x 11 pouces et pesant environ 13 kg chacune.
[14] L'Office a demandé à Mme Barbeau de préciser si elle avait besoin de traitements de dialyse pendant qu'elle était en transit, en tenant compte des possibilités de délais. Mme Barbeau a répondu qu'à titre préventif, elle transporte toujours quelques sacs à l'aéroport et qu'elle s'en débarrasse avant l'embarquement si l'aéronef est à temps. Mme Barbeau indique qu'en général, elle n'a pas besoin de traitement en cours de vol. Toutefois, elle précise avoir déjà dû se faire un traitement dans la salle des toilettes de l'aéroport et dans l'aéronef au cours d'un vol de retour d'Europe d'une durée de six heures. Mme Barbeau ajoute que, bien que ce ne soit pas recommandé, elle peut se passer de traitement pour une journée entière.
[15] Selon Sunwing, la forte densité de la configuration des sièges de l'aéronef B737 limite l'espace attribué aux bagages à main, par personne, dans la cabine passagers. D'autres transporteurs qui exploitent le même type d'aéronef utilisent une configuration de sièges moins dense, ce qui leur permet d'accepter plus de bagages à main, par personne, dans la cabine passagers. La politique à l'égard des franchises de bagages de Sunwing permet aux passagers de transporter avec eux un bagage d'au plus 5 kg et d'enregistrer deux pièces dont le poids combiné est d'au plus 20 kg. Dans le cas de Mme Barbeau, Sunwing a accepté de transporter toute la solution liquide dont le poids s'élevait à 130 kg sans imposer de frais additionnels.
[16] L'Office a demandé à Sunwing de préciser le nombre de boîtes qu'elle aurait permis à Mme Barbeau de transporter à bord de l'aéronef, ce à quoi Sunwing a répondu qu'elle aurait permis à Mme Barbeau de transporter deux boîtes dans la cabine passagers et le reste dans la soute.
ANALYSE ET CONSTATATIONS
[17] Pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si les possibilités de déplacement de la personne ont été restreintes ou limitées par un obstacle. Le cas échéant, l'Office doit alors décider si l'obstacle était abusif.
Démarche de l'Office pour conclure en la présence ou non d'un obstacle
[18] Le mot « obstacle » n'est pas défini dans la LTC, mais il se prête à une interprétation libérale, car il s'entend généralement de ce qui s'oppose au passage ou à l'obtention d'un résultat. Par exemple, les difficultés ou les obstacles aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience peuvent survenir dans les installations des fournisseurs de services de transport; ou découler du matériel ou de l'application de politiques, de procédures ou de pratiques; ou résulter du fait que les fournisseurs de services de transport ne se conforment pas à ces dernières, ou encore qu'ils n'ont pas su prendre des mesures positives afin d'assurer le respect des politiques, procédures et pratiques.
[19] Lorsqu'il se penche sur la question de savoir si une situation a constitué ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience, l'Office examine l'incident relaté dans la demande afin de déterminer si la personne qui l'a présentée a établi à première vue :
- qu'un obstacle aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience a été le résultat d'une distinction, d'une exclusion ou d'une préférence;
- que l'obstacle était lié à la déficience de cette personne;
- que l'obstacle est discriminatoire du fait qu'il a imposé un fardeau à la personne ou l'a privée d'un avantage.
[20] Si l'Office détermine que le fournisseur de services de transport a offert ou a proposé l'accommodement « le plus approprié » pour la situation donnée, l'Office pourra conclure que la personne ayant une déficience n'a pas rencontré d'obstacle à ses possibilités de déplacement.
[21] Les parties demanderesses cherchent généralement à obtenir l'accommodement qui est « idéal » à leurs yeux. Cet accommodement idéal répond à tous les besoins de la personne ayant une déficience pour lui permettre de voyager. Souvent, l'accommodement idéal recherché par une personne ayant une déficience est également ce que l'Office appelle l'accommodement « le plus approprié ». Cependant, l'accommodement idéal recherché peut parfois se situer au-delà de l'obligation d'accommodement du fournisseur de services de transport.
[22] Il relève de l'Office de déterminer ce qui constitue l'accommodement « le plus approprié ». Cette décision se distingue de la responsabilité de l'Office de préciser si l'accommodement causerait une contrainte excessive au fournisseur de services de transport. L'efficacité est la principale caractéristique servant à déterminer ce qui constitue l'accommodement le plus approprié et elle repose sur l'équilibre des intérêts des parties. Bien que l'attention soit d'abord tournée vers les préférences de la personne touchée, l'expertise spécialisée de l'Office en matière de transport l'autorise à exercer sa discrétion afin de déterminer ce qui est raisonnable et ce qui est, de l'avis de l'Office, au-delà de l'obligation d'accommodement du fournisseur de services de transport.
[23] Le fournisseur de services s'acquittera de son obligation d'accommodement, c'est-à-dire son obligation légale d'accommodement, et, par le fait même, assurera l'accommodement le plus approprié dans le réseau de transport fédéral, si cet accommodement se traduit par la possibilité pour la personne ayant une déficience de profiter du même niveau de services et de privilèges de transport dont se prévalent les autres passagers.
Le refus de Sunwing de transporter les dix boîtes de solution de dialyse de MmeBarbeau à l'intérieur de la cabine passagers de son aéronef a-t-il constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement?
[24] Selon Mme Barbeau, l'accommodement idéal aurait été que Sunwing accepte de transporter toutes ses boîtes de solution de dialyse dans la cabine de l'aéronef. Elle remet en question la décision de Sunwing de ne pas transporter toutes ses boîtes de solution de dialyse dans la cabine passagers puisque d'autres transporteurs l'ont déjà fait avec le même type d'aéronef. Selon elle, il était injuste de la part de Sunwing de lui demander de fournir un emballage pouvant garantir la température du contenu des boîtes dans la soute non chauffée.
[25] Lorsqu'il se penche sur la question de savoir si Mme Barbeau a fait face à un obstacle, l'Office doit déterminer si l'accommodement idéal selon Mme Barbeau est l'accommodement le plus approprié en fonction de la situation. L'accessibilité au réseau de transport fédéral signifie que chaque étape du cycle de transport, qui englobe plusieurs éléments essentiels, est accessible et permet à une personne ayant une déficience de voyager entre le point A et le point B sans se heurter à des obstacles abusifs et de profiter d'un accès équivalent à tous les services passagers qu'offre un transporteur.
[26] À l'aide des critères susmentionnés, l'Office a déterminé que l'accommodement le plus approprié dans le cas de Mme Barbeau est de s'assurer :
- que Mme Barbeau puisse transporter suffisamment de solution de dialyse pour répondre à ses besoins à partir du point d'embarquement, à l'aéroport international Jean-Lesage de Québec, jusqu'à son arrivée à l'aéroport de Cuba, au moment où elle atteint la zone publique;
- comme la solution de dialyse de Mme Barbeau est sensible aux variations de température, que la température soit adéquate pour préserver la quantité de solution de dialyse que Mme Barbeau doit avoir à portée de main dans le réseau de transport fédéral;
- que Mme Barbeau reçoive le même niveau de service des bagages que les autres passagers.
[27] En ce qui concerne les deux premiers aspects de l'accommodement, les faits du cas présent indiquent que Mme Barbeau a besoin de traitements de dialyse quatre fois par jour. Mme Barbeau fait valoir qu'à l'exception d'un vol de retour d'Europe d'une durée de 6 heures, elle n'a jamais eu à entreprendre un traitement pendant la période de transit. Bien que Mme Barbeau n'ait pas précisé le nombre exact de sacs de solution qu'elle garde par mesure de sécurité pendant la période de transit du Canada à Cuba, elle indique qu'elle en nécessiterait quelques-uns. En tenant compte du fait qu'un vol du Canada à destination de Cuba dure environ 4 heures et que des délais peuvent survenir, la preuve au dossier appuie la conclusion voulant qu'une boîte, contenant six sacs de solution de dialyse, devrait suffire aux besoins de Mme Barbeau pendant ses déplacements dans le réseau de transport fédéral. L'Office conclut donc que Sunwing répondrait à son obligation d'accommodement envers Mme Barbeau si elle offrait de transporter une boîte de solution de dialyse dans la cabine passagers à température contrôlée de l'aéronef.
[28] L'Office conclut donc que l'argument de Sunwing, qui s'est dit prête à transporter dans la cabine passagers à température contrôlée de l'aéronef deux boîtes de solution de dialyse pour Mme Barbeau, excède l'accommodement le plus approprié que la présente situation imposait. Si Mme Barbeau avait eu besoin de transporter plus de deux boîtes de solution liquide pour assurer son bien-être au cours de ses déplacements, l'Office aurait peut-être statué que la proposition de Sunwing d'imposer une limite de deux boîtes dans la cabine passagers à température contrôlée avait constitué un obstacle aux possibilités de déplacement de Mme Barbeau et aurait alors étudié le caractère abusif de l'obstacle.
[29] En ce qui concerne le troisième aspect de l'accommodement, Sunwing a la responsabilité de s'assurer que Mme Barbeau profite des même services et des même installations que Sunwing offre aux autres passagers. Dans le cas présent, Sunwing a offert à Mme Barbeau de transporter les autres boîtes de solution de dialyse dans la soute de l'aéronef et a remis à Mme Barbeau la responsabilité de prévoir un emballage protecteur adéquat.
[30] L'Office reconnaît que Mme Barbeau fait face à des défis importants lorsqu'elle fait des réservations de voyage. Il reconnaît également qu'il peut être difficile pour Mme Barbeau de se procurer un emballage protecteur servant à contrôler la température de la solution de dialyse pendant le transport dans la soute. Toutefois, dans le cas présent, l'Office conclut qu'il est de la responsabilité de Mme Barbeau de préparer ses bagages de manière à répondre à ses besoins et de manière à ce qu'il soit possible pour Sunwing de les transporter. Cette dernière doit permettre aux passagers ayant une déficience de profiter des mêmes services et installations que les autres passagers. Dans le cas présent, l'Office conclut que le fait que Sunwing ait accepté de transporter dans la soute le reste de la solution de dialyse de Mme Barbeau, sans frais additionnels, représente un privilège qui va au-delà du service des bagages que Sunwing offre à tous ses passagers.
[31] L'Office reconnaît en outre que les services offerts aux passagers ayant une déficience peuvent varier d'un transporteur à l'autre, et il ajoute qu'il y a lieu de féliciter les fournisseurs de services de transport qui offrent l'accommodement idéal à leurs passagers, même si cet accommodement excède ce que l'Office juge être l'accommodement le plus approprié, comme il semble avoir été le cas avec les services offerts à Mme Barbeau par d'autres transporteurs que Sunwing.
CONCLUSION
[32] L'Office conclut que le refus de Sunwing de transporter dans la cabine passagers de son aéronef dix boîtes de solution de dialyse pour Mme Barbeau n'a pas constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement. Ayant déterminé qu'il n'y avait pas eu d'obstacle, l'Office n'a pas à se pencher sur la question du caractère abusif. Par conséquent, l'Office ne prendra aucune autre mesure dans cette affaire.
Membres
- J. Mark MacKeigan
- John Scott
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