Décision n° 23-W-2021

le 12 avril 2021

DEMANDE présentée par Baffinland Iron Mines LP (Baffinland), en vertu de la Loi sur le cabotage, LC 1992, c 31 (Loi), en vue d’obtenir une licence.

Numéro de cas : 
20-10059

RÉSUMÉ

[1] En vertu de la Loi, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile délivre une licence de cabotage autorisant l’utilisation d’un navire étranger ou d’un navire non dédouané afin d’être affecté à des activités commerciales en eaux canadiennes pour une période maximale de 12 mois si l’Office des transports du Canada (Office) a déterminé qu’il n’existe aucun navire canadien ou aucun navire non dédouané qui soit à la fois adapté et disponible pour être affecté aux activités visées dans la demande.

[2] Baffinland a demandé à l’Office et au ministre une licence pour utiliser le « BOTNICA », un brise-glace et navire de soutien polyvalent immatriculé en Estonie, pour escorter des navires dans des conditions de glace afin de soutenir l’exploitation de la mine de Mary River de Baffinland à l’inlet Milne (Nunavut). Les activités proposées devraient commencer le 1er juillet 2021 et prendre fin le 15 novembre 2021.

[3] Amarok Enterprises Ltd. (Amarok) a déposé un avis d’opposition à la demande et a proposé les navires « POLAR PRINCE », « ARCTIC WOLF » et « THORBJORN », des navires dédouanés et immatriculés au Canada, pour être affectés aux activités visées dans la demande. Amarok a ensuite retiré son avis d’opposition.

[4] Canship Innu Marine LP (Canship Innu) a déposé un avis d’opposition et a proposé le « NORTHERN RANGER », un navire dédouané et immatriculé au Canada, pour être affecté aux activités visées dans la demande.

[5] L’Office conclut, en vertu du paragraphe 8(1) de la Loi, qu’aucun navire canadien adapté ou navire non dédouané n’est disponible pour être affecté aux activités visées dans la demande.

CONTEXTE

[6] Le 4 novembre 2020, Baffinland a présenté, par l'entremise de son représentant canadien, une demande d’admission temporaire aux fins de cabotage au Canada pour le « BOTNICA ». Le navire étranger proposé doit être utilisé pour escorter des navires dans des conditions de glace afin de soutenir les opérations de la mine Mary River de Baffinland à l’inlet Milne. Les activités devraient commencer le 1er juillet 2021 et prendre fin le 15 novembre 2021.

[7] Le 4 novembre 2020, le personnel de l’Office a donné avis de la demande à l’industrie du transport maritime du Canada. Le 17 novembre 2020, Amarok et Canship Innu ont tous les deux déposé un avis d’opposition à la demande et proposé respectivement le « POLAR PRINCE » et le « NORTHERN RANGER », deux navires dédouanés et immatriculés au Canada, pour être affectés aux activités visées dans la demande.

[8] Le 23 novembre 2020, à la demande de Baffinland, l’Office a accordé à cette dernière jusqu’au 1er décembre 2020 pour déposer ses réponses aux avis d’opposition. Amarok et Canship Innu devaient déposer leurs répliques définitives respectives avant le 3 décembre 2020. Baffinland a déposé ses réponses aux deux offres le 1er décembre 2020. Amarok a déposé sa réplique le 2 décembre 2020, dans laquelle elle a proposé le navire « ARCTIC WOLF ».

[9] Le 2 décembre 2020, Canship Innu a déposé une demande de prolongation du délai de dépôt de sa réplique. L’Office, dans une directive émise le 3 décembre 2020, a accordé à Canship Innu jusqu’au 10 décembre 2020 pour déposer sa réplique.

[10] Le 4 décembre 2020, Amarok a déposé une présentation tardive, que l’Office a accepté de verser au dossier conformément à sa directive émise le 11 janvier 2021. Le 10 décembre 2020, Canship Innu a déposé sa réplique.

[11] Le 13 janvier 2021, Amarok a retiré son opposition.

[12] Le 3 février 2021, Canship Innu a déposé une présentation supplémentaire, que l’Office a acceptée. L’Office a ensuite donné à Baffinland la possibilité de déposer une réponse à la présentation supplémentaire de Canship Innu. Baffinland a déposé sa réponse le 10 février 2021.

QUESTION

[13] Y a-t-il un navire canadien à la fois adapté et disponible pour être affecté aux activités visées dans la demande?

CONTEXTE LÉGISLATIF

[14] Lorsqu’une demande de licence de cabotage est présentée pour autoriser un navire étranger ou un navire non dédouané à exercer une activité commerciale dans les eaux canadiennes, l’Office est chargé, en vertu de la Loi, de déterminer s’il existe un navire canadien à la fois adapté et disponible pour fournir le service ou être affecté aux activités visées dans la demande. La Loi tient compte des intérêts des exploitants de navires canadiens en autorisant l’utilisation de navires étrangers dans les eaux canadiennes uniquement lorsqu’aucun navire canadien adapté ou navire non dédouané n’est disponible pour fournir le service ou être affecté aux activités proposées.

[15] L’Office doit déterminer, selon la prépondérance des probabilités, s’il existe un navire canadien ou un navire non dédouané qui soit à la fois adapté et disponible pour être affecté aux activités.

[16] Le processus de l’Office est établi dans ses Lignes directrices relatives au traitement des demandes de licence de cabotage (Lignes directrices).

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

[17] Le 11 décembre 2020, Baffinland a déposé une réponse à la réplique de Canship Innu datée du 10 décembre 2020. L’Office détermine que la présentation de Baffinland ne sera pas versée au dossier, puisqu’elle ne soulève aucune nouvelle information pertinente et, par conséquent, ne sera pas prise en considération.

[18] Le 13 janvier 2021, Amarok a retiré ses offres pour les navires « POLAR PRINCE », « ARCTIC WOLF » et « THORBJORN », le dernier ayant été offert uniquement à Baffinland et n’ayant pas été déposé auprès de l’Office par Amarok. Par conséquent, ces navires et tous les actes de procédure relatifs à l’offre d’Amarok ne seront pas examinés dans la présente décision.

POSITIONS DES PARTIES

Baffinland

[19] Baffinland cherche à obtenir l’autorisation d’utiliser le « BOTNICA », un brise-glace et navire de soutien polyvalent. Ce navire est à la fois un brise-glace, un remorqueur et un navire de ravitaillement. Sa cote glace est «  brise-glace ICE-10/PC 5 », et il est conçu pour briser de la glace ayant jusqu’à un mètre (m) d’épaisseur, sans limitation relative à l’éperonnage.

[20] Baffinland indique que le « BOTNICA » fournira des services de déglaçage et d’escorte aux vraquiers et aux navires de réapprovisionnement qui desservent la mine Mary River de Baffinland. Cette mine exporte chaque année jusqu’à six millions de tonnes de minerai de fer depuis l’inlet Milne vers des ports européens.

[21] Baffinland fait valoir que les conditions de glace sont devenues plus variables au cours de la dernière décennie, ce qui perturbe les dates d’ouverture et de fermeture de la période de navigation de la mine Mary River. Elle indique que les services d’un brise-glace permettent aux vraquiers et aux navires de réapprovisionnement qui desservent la mine Mary River d’effectuer leurs voyages avec plus de sécurité, d’efficacité et de régularité qu’ils ne pourraient le faire sans assistance.

[22] Baffinland déclare qu’au début de la saison, il est particulièrement important pour le bien-être économique du projet que les navires d’exportation puissent accéder à la mine Mary River le plus tôt possible, compte tenu des restrictions réglementaires et des conditions de glace difficiles. Elle fait en outre valoir que l’exigence concernant le navire qui doit fournir le service d’escorte est très précise en ce sens que le navire doit être un brise-glace plutôt qu’un simple navire à coque renforcée. En tant que navire conçu pour escorter d’autres navires dans des conditions de glace et pas seulement en tant que navire faisant son propre chemin, un brise-glace est nécessairement un navire spécialisé. Baffinland indique dans sa demande qu’au début et à la fin de la saison de navigation, seuls des vraquiers ayant au moins la cote glace 1A peuvent accéder à la mine Mary River. Baffinland ajoute que, pour que le navire faisant office de brise-glace puisse fournir un service d’escorte efficace, il doit posséder une cote glace supérieure à la cote glace 1A. Baffinland précise également que le navire doit disposer d’une large surface de pont et d’un équipage expérimenté.

[23] Quant aux moteurs des deux navires, Baffinland attire l’attention sur le fait que les moteurs du « BOTNICA » sont plus puissants que ceux du « NORTHERN RANGER ». La demande de Baffinland indique que le « BOTNICA » est équipé d’un appareil de propulsion diesel-électrique « moteur-générateur-moteur » qui inclut six ensembles de deux unités Caterpillar 3512B, soit une puissance totale pour les 12 moteurs de 12 mégawatts, qui fournissent plusieurs niveaux de redondance de propulsion. De plus, Baffinland affirme que les propulseurs peuvent être utilisés pour créer au moyen de l’hélice une vague qui éloigne la glace brisée de la coque et crée un canal plus large pour le convoi de navires escortés qui suit.

[24] Baffinland fait également valoir que les navires que le « BOTNICA » a l’habitude d’escorter vont des navires non renforcés au milieu de la saison aux navires à la coque renforcée ayant une cote glace 1A, 1B ou 1C au début et à la fin de la saison. Elle précise aussi que tous les navires ayant une coque renforcée, à l’exception de la cote la plus élevée, sont conçus pour être escortés par un brise-glace dans des conditions de glace difficiles, comme celles que l’on rencontre au début et à la fin de la saison de navigation.

[25] Baffinland a soumis des questions techniques à Canship Innu et, par l'entremise de son agent, fait valoir que les circonstances exigent un brise-glace, car même si la glace de rive n’est pas brisée au moment des activités, il y aurait encore un nombre important de grands champs de glace à la dérive dans la région, dans lesquels le brise-glace devra passer. Baffinland indique que [traduction] « les glaces à la dérive entraînent également une augmentation de la pression de la glace, et les canaux se ferment rapidement, de sorte qu’il est nécessaire de briser la glace ».

[26] Baffinland affirme que le barrot du « NORTHERN RANGER » représente un tiers de celui du « BOTNICA » et qu’avec son unique hélice, la voie qu’il pourra tracer ne pourra être plus large que son barrot. En revanche, elle fait valoir que le « BOTNICA », avec ses deux unités de propulsion ABB Azipod et son barrot beaucoup plus large, est bien mieux adapté et plus efficace pour escorter des vraquiers à large barrot qui ont une faible cote glace dans de la glace mobile ou fixe et pour maintenir les canaux dans la glace fixe.

[27] En ce qui concerne la largeur plus étroite du « NORTHERN RANGER » par rapport à celle du « BOTNICA », Baffinland indique que cela obligera le « NORTHERN RANGER » à faire plusieurs passages pour dégager la glace. Baffinland fait valoir que les passages multiples ne fonctionneront pas en présence d’une pression exercée par les glaces et que la glace dans l’inlet Milne peut être dynamique en raison de la présence de grandes plaques de glace.

[28] Baffinland met l’accent sur la nécessité que le navire soit désigné comme brise-glace en précisant que les navires escortés auront besoin d’un brise-glace afin de faire appel à leur propre cote glace. Baffinland ajoute que le « NORTHERN RANGER » n’est techniquement pas adapté pour effectuer cette tâche.

[29] À l’appui de son argument selon lequel le navire proposé n’est pas adapté aux activités visées dans la demande, Baffinland a fait des présentations où elle fournit les avis des capitaines Raymond Jourdain et Anthony Potts sur la capacité du « NORTHERN RANGER » à être affecté aux activités.

[30] Baffinland soutient que le M. Jourdain possède une expertise en pilotage dans les glaces du golfe du Saint-Laurent et des régions arctiques qui remonte à 1984. Au cours d’une année typique, il passe en moyenne 110 jours sur des vraquiers, des navires de croisière et des pétroliers de toutes tailles, et il fait entrer les navires dans le Saint-Laurent ou l’Arctique et les aide à en sortir. En été, M. Jourdain agit comme pilote de glace et conseiller à bord de navires d’expédition et de croisière ainsi que de yachts privés dans les régions de l’Arctique et du Groenland, où il fournit des conseils pour permettre un transit en toute sécurité dans les eaux envahies par les glaces. En ce qui concerne M. Potts, Baffinland soutient qu’il détient de nombreux certificats professionnels, notamment un brevet de capitaine au long cours (illimité) et un brevet de Transports Canada pour la formation avancée au service à bord des bâtiments exploités dans les eaux polaires; un certificat d’officier de navigation dans les glaces de niveau 2 du Nautical Institute de Londres, Royaume-Uni, et un diplôme en sciences nautiques avec distinction dans les matières académiques et la navigation du Collège de la Garde côtière canadienne. Baffinland indique également dans ses présentations que son expertise en matière de déglaçage remonte à 1994.

[31] La présentation M. Jourdain mettait l’accent sur la puissance des moteurs du « NORTHERN RANGER » et sur l’incapacité du navire à briser la glace de plus de 70 cm d’épaisseur sous pression. La présentation soulignait que le « NORTHERN RANGER » a un faible tirant d’eau, que sa largeur et sa puissance le rendent inadapté pour servir de brise-glace pour les navires de taille Panamax qui desserviraient la mine Mary River.

[32] Dans sa présentation, M. Jourdain souligne également l’importance du poids et de la vitesse d’un brise-glace en tant qu’éléments permettant de briser un chemin suffisamment large pour que les navires escortés puissent éviter les dommages à leurs jottereaux.

[33] Dans sa présentation, M. Potts accorde de l’importance au fait que le « BOTNICA » convient aux opérations de déglaçage et indique qu’il possède une plus grande capacité de remorquage d’urgence que le « NORTHERN RANGER », ainsi qu’une capacité de travailler dans une plus grande couche de glace.

[34] M. Potts indique également dans sa présentation que la cote glace 1AS du « NORTHERN RANGER » est destinée à la navigation dans les glaces de première année seulement, avec une puissance suffisante pour sa propre mobilité et ses manœuvres. Il y fait également état d’inquiétudes quant au manque d’informations concernant l’équipage du « NORTHERN RANGER ».

[35] Pour réfuter une coupure de presse fournie par Canship Innu qui affirme que le « NORTHERN RANGER » effectuait des opérations de déglaçage pour un traversier de la Société des traversiers du Québec entre Matane–Baie-Comeau–Godbout, Baffinland décrit le « NORTHERN RANGER » comme étant simplement un traversier de passagers à coque renforcée et fournit un reportage de la CBC daté du 20 juin 2016, selon lequel le « NORTHERN RANGER » n’avait pas commencé ses services de traversier au Labrador en raison des conditions de glace de mer et du fait qu’un brise-glace était nécessaire.

[36] Baffinland souligne également la différence de puissance du moteur entre les 15 000 chevaux du « BOTNICA » et les 1 500 chevaux du « NORTHERN RANGER ».

Canship Innu

[37] Canship Innu déclare, dans sa proposition datée du 12 novembre 2020, qu’elle représente un partenariat entre Canship Ugland Ltd. (Canship Ugland), une société d’armateurs et de gestion de navires basée à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador) et Innu Development Limited Partnership, qui est l’organisme de développement économique des Innus du Labrador.

[38] Canship Ugland a été créé en 1996 à l’occasion du démarrage de la production pétrolière dans les Grands Bancs (Terre-Neuve-et-Labrador) et possède 23 années d’expérience dans la gestion technique et la gestion d’équipages. Canship Innu soutient que Canship Ugland a une connaissance et une compréhension approfondies de l’industrie, y compris les nombreux entrepreneurs associés et les défis de travailler dans l’un des environnements les plus difficiles au monde. Canship Innu soutient en outre que Canship Ugland est bien connue et respectée dans l’industrie et est également reconnue comme un chef de file de l’industrie au Canada en ce qui concerne la sécurité et le rendement opérationnel.

[39] Canship Innu propose le « NORTHERN RANGER », un navire dédouané et immatriculé au Canada, pour être affecté aux activités visées dans la demande. Canship Innu soutient que le « NORTHERN RANGER » est un navire ayant une cote glace 1AS, qu’il n’est que légèrement plus vieux que le « BOTNICA » et qu’il a une largeur de coque suffisante pour être affecté aux activités. De plus, pour souligner son expérience de l’industrie, Canship Innu déclare que Canship Ugland exploite également une flotte diversifiée de 11 navires qui comprend une navette de pétrole brut, un vraquier brise-glace, des remorqueurs-tracteurs, des rampes de bateaux-pilotes ainsi que des pétroliers et des navires-citernes pour produits chimiques. Canship Innu indique également que Canship Ugland a fourni des équipages au « BOTNICA » dans le passé et qu’elle dispose d’équipages ayant de l’expérience dans le domaine du déglaçage et des services d’escorte de navires.

[40] Canship Innu déclare que Baffinland se concentre sur une comparaison des navires plutôt que sur les activités visées dans la demande. Elle fait valoir que Baffinland surestime les besoins en matière de déglaçage pour le navire offrant le service d’escorte. Canship Innu indique également que le même navire est utilisé depuis 2018, alors qu’il était initialement décrit comme un navire de gestion et de soutien des glaces, et qu’il est maintenant décrit comme un brise-glace et navire de soutien polyvalent. Canship Innu est d’avis que Baffinland cherche à justifier l’utilisation continue du « BOTNICA », qui, selon elle, fait l’objet d’un contrat pluriannuel, plutôt qu’à présenter un changement dans la portée des travaux.

[41] Canship Innu soutient par ailleurs que les exigences que Baffinland a énoncées pour l’exploitation à la mine Mary River sont supérieures à celles requises pour l’exploitation. De plus, elle soutient que les exigences ont été rédigées de manière à porter préjudice à l’utilisation du « NORTHERN RANGER » en faveur de leur navire battant pavillon étranger.

[42] Canship Innu conteste la nécessité d’un brise-glace spécialisé, car il est interdit de briser la glace de rive dans la zone située près de l’inlet Milne. Canship Innu ajoute que les navires ne peuvent accéder au port qu’après que la glace de rive se soit détachée d’elle-même, ce qui limite donc le travail nécessaire pour escorter des navires à travers la glace déjà brisée. Canship Innu déclare également que son navire a une largeur suffisante pour maintenir un canal sûr permettant aux vraquiers d’entrer dans le port.

[43] Canship Innu conteste également les affirmations selon lesquelles le « NORTHERN RANGER » a une cote glace inadéquate et affirme que le « NORTHERN RANGER » est tout à fait capable d’effectuer ce service dans les conditions de glace fournies par la demanderesse et qu’il se trouve bien dans la cote glace 1AS de la Lloyd’s. Canship Innu soutient que la cote glace 1AS permet à son navire de naviguer dans des conditions de glace de première année équivalentes à de la glace uniforme non brisée d’une épaisseur d’un mètre. Elle affirme que la cote glace 1AS est équivalente à la classe polaire 6 pour la navigation en été et à l’automne dans une glace moyenne, qui constituent les conditions de glace mentionnées dans la demande.

[44] Canship Innu déclare que le remorquage n’est pas compris dans l’énoncé des travaux et que l’inclusion du remorquage comme exigence est une tentative de justifier l’utilisation du « BOTNICA », puisqu’il est déjà engagé de façon contractuelle pour être affecté aux activités visées dans la demande. Canship Innu ajoute que les dispositifs de remorquage du « BOTNICA » sont incompatibles avec les navires résistant aux glaces qui feraient appel à Baffinland, car ces navires n’utilisent pas d’ancres encastrées. Qui plus est, Canship Innu soutient que, si les conditions de glace sont extrêmes, tous les navires commerciaux participant à l’extraction des ressources naturelles sont assujettis aux frais des services de déglaçage de la Garde côtière canadienne (GCC), et qu’il est dans le mandat de celle-ci de maintenir les routes de navigation et de soutenir les opérations portuaires, notamment en libérant les navires pris dans les glaces et en escortant les navires dans les eaux couvertes de glace.

[45] Canship Innu affirme que les experts-conseils retenus par Baffinland ne sont pas nécessairement impartiaux, malgré leur expertise.

[46] De plus, tout en ne contestant pas les connaissances des consultants de Baffinland, Canship Innu soutient que [traduction] « leur évaluation de la capacité du Northern Ranger à briser la glace de rive démontre que l’étendue complète de l’activité n’a pas été signifiée aux évaluateurs et que leur évaluation n’est donc pas pertinente en ce qui concerne l’étendue réelle du travail ».

[47] En outre, Canship Innu conteste les évaluations fournies par les consultants de Baffinland et fait remarquer que la glace sous pression se refermera rapidement sur n’importe quel navire, quelle que soit sa capacité à briser la glace. Elle fait également valoir que le navire offrant un service d’escorte doit créer un canal suffisamment large pour permettre aux navires escortés de transiter. Canship Innu conteste aussi les évaluations des consultants de Baffinland qui font référence à la largeur du canal dans la glace de rive alors qu’en fait, selon les accords locaux, le déglaçage dans la glace de rive n’est pas autorisé.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

[48] Il incombe à la demanderesse de remplir la demande de licence de cabotage en entier et de fournir suffisamment de détails pour permettre à l’industrie canadienne d’évaluer la demande et d’y répondre. La partie qui offre ses navires a la responsabilité de s’assurer que ses navires sont à la fois adaptés et disponibles pour être affectés aux activités. Le fardeau de la preuve incombe à la demanderesse, selon la prépondérance des probabilités, de prouver que les navires proposés ne sont pas adaptés ou disponibles. Si la demanderesse ne fournit pas de preuves suffisantes à l’appui de sa position, l’Office déterminera qu’un navire canadien adapté est disponible. Toutefois, si elle fournit des preuves suffisantes à l’appui de sa position, le fardeau de la preuve passera à la partie qui offre le navire, qui devra prouver qu’il est plus probable qu’improbable que le navire canadien soit à la fois disponible et adapté pour être affecté aux activités.

Disponibilité

[49] Baffinland n’a fait aucune présentation concernant la disponibilité du « NORTHERN RANGER ». L’Office conclut donc que la disponibilité d’un navire canadien pour la période requise n’est pas contestée et n’est donc pas un problème.

Adaptabilité

[50] Même si la partie qui offre ses navires a la responsabilité d’établir que son navire est adapté pour être affecté aux activités, le fardeau de la preuve ultime revient, selon la prépondérance des probabilités, à la demanderesse qui doit démontrer que le navire canadien offert n’est pas adapté.

[51] La Loi ne définit pas le terme « adapté » et n’exige pas non plus qu’un navire immatriculé au Canada qui est offert soit identique au navire étranger proposé dans une demande. L’Office évalue plutôt l’adaptabilité du navire immatriculé au Canada en fonction des exigences des activités visées dans la demande et de la capacité du navire immatriculé au Canada à les mener à bien.

[52] L’Office tient compte des facteurs sur le plan de l’adaptabilité suivants, s’ils ont été soulevés et justifiés au cours des actes de procédures : les facteurs techniques et opérationnels, qui font référence aux caractéristiques techniques du navire et de l’équipement, et les incidences commerciales et économiques de l’utilisation du navire étranger par rapport au navire canadien.

[53] Étant donné que les parties n’ont pas présenté d’arguments concernant les facteurs commerciaux et économiques, ces facteurs ne seront pas pris en compte dans la présente décision.

FACTEURS TECHNIQUES ET OPÉRATIONELS

[54] Les parties ne sont pas en désaccord quant à la nature des navires qui seront accompagnés à destination et en provenance de l’inlet Milne ni quant au fait que le déglaçage de la glace de rive est interdit au titre d’un accord avec la communauté locale. Le désaccord porte plutôt sur les facteurs techniques du « NORTHERN RANGER » pour être affecté aux activités visées dans la demande, qui, selon le Baffinland, exige un navire qui soit un brise-glace. Baffinland soutient que le « BOTNICA » est un brise-glace approprié, par opposition à un simple navire à coque renforcée, ce qui est, selon elle, le cas du « NORTHERN RANGER ».

[55] Dans sa demande, Baffinland indique que le navire utilisé doit être capable d’escorter les navires qui se rendent à la mine Mary River de Baffinland et en reviennent, dans les conditions de glace que l’on peut prévoir dans la région, afin de soutenir les opérations de la mine Mary River. La demande de Baffinland indique explicitement que le navire requis pour être affecté aux activités doit être un brise-glace, plutôt qu’un simple navire à coque renforcée. Un brise-glace est un navire conçu pour escorter d’autres navires dans les glaces, et non pour se frayer un chemin tout seul. Baffinland soutient également qu’un brise-glace permet aux vraquiers et aux navires de réapprovisionnement qui desservent la mine Mary River d’effectuer leurs voyages de façon plus sécuritaire, plus efficace et avec plus de régularité qu’ils ne pourraient le faire sans assistance. Plus particulièrement, Baffinland soutient qu’au début et à la fin de la saison de navigation, la mine Mary River est accessible qu’avec des vraquiers ayant au moins la cote glace 1A. Pour que le brise-glace puisse fournir un service d’escorte efficace, il doit posséder une cote glace supérieure à celle des navires escortés.

[56] Le « NORTHERN RANGER » offert par Canship Innu est un navire à coque renforcée ayant une cote glace 1AS. Baffinland fait valoir que les navires escortés ont besoin d’un brise-glace pour pouvoir utiliser leur propre cote glace et, pour cette raison, affirme que le « NORTHERN RANGER » est techniquement inadapté. Baffinland réfute l’avis de Canship Innu que le « NORTHERN RANGER » est adapté pour être affecté aux activités, en faisant remarquer que la glace à l’inlet Milne peut consister en une épaisse glace de première année avec des inclusions de glace pluriannuelle et provenant de glaciers, ce qui constitue une préoccupation supplémentaire et distincte de la glace de rive.

[57] Dans sa demande, Baffinland soutient que les navires que le « BOTNICA » escorte vont des navires non renforcés au milieu de la saison aux navires à coque renforcée ayant une cote glace 1A, 1B ou 1C au début et à la fin de la saison. Elle affirme qu’à l’exception des navires ayant la cote glace la plus élevée, les navires à coque renforcée sont conçus pour être escortés par un brise-glace dans des conditions de glace difficiles, comme celles que l’on connaît au début et à la fin de la saison de navigation.

[58] Comme l’indiquent les Lignes directrices, l’Office doit évaluer l’adaptabilité du navire immatriculé au Canada à effectuer le travail en fonction des exigences des activités visées dans la demande. L’Office estime que les preuves fournies par Baffinland semblent indiquer qu’un brise-glace est nécessaire pour effectuer les activités proposées et note que Canship Innu n’a pas répondu spécifiquement par l’affirmative lorsque Baffinland lui a demandé si le « NORTHERN RANGER » avait une désignation de classe comme un brise-glace. Au contraire, Canship Innu a seulement répondu que le navire qu’elle propose peut maintenir une vitesse de cinq nœuds à travers la glace d’une épaisseur allant jusqu’à un mètre. L’Office remarque toutefois qu’il ressort clairement des actes de procédure que le « NORTHERN RANGER » n’est pas un brise-glace.

[59] L’Office prend note de l’argument de Baffinland selon lequel le « BOTNICA » peut assurer un passage libre pour la circulation des navires de façon plus efficace. Avec sa largeur de 24,3 m, son tirant d’eau de 7,8 m et son port en lourd de 2 850 tonnes, Baffinland soutient que le « BOTNICA » est plus efficace pour affronter les glaces que le « NORTHERN RANGER », dont la largeur est de 15,6 m, le tirant d’eau de 4,25 m et le port en lourd de 662 tonnes. Elle indique en outre que le « NORTHERN RANGER » ne dispose que d’un quart de la puissance disponible du « BOTNICA ». Tout cela, selon Baffinland, démontre que le « BOTNICA » peut dégager suffisamment de glace pour permettre le passage de navires de taille Panamax qui pourraient transporter du minerai en un seul passage, alors que le barrot moins large du « NORTHERN RANGER » nécessite plusieurs passages pour dégager le canal nécessaire au passage des navires escortés.

[60] L’Office note également que si Canship Innu ne conteste pas l’affirmation selon laquelle son navire, dont le barrot est plus étroit, devrait effectuer plusieurs passages, il ne considère pas cela comme un inconvénient majeur. Dans sa réponse, Baffinland fait valoir que [traduction] « les passages multiples ne fonctionneront pas en présence de la pression des glaces et que la glace dans l’inlet Milne peut être dynamique en raison de la présence de grands floes [...] ». Le consultant de Baffinland, M. Jourdain, déclare qu’en ce qui concerne le service d’escorte de navires de taille Panamax [traduction] « pour éviter les dommages aux jottereaux, il est nécessaire que le brise-glace ait un poids et une vitesse suffisants pour dégager un large passage ».

[61] Les parties ne s’accordent pas sur la nature des conditions de glace dans lesquelles le navire serait exploité. Au cours des actes de procédure, Baffinland a fourni à Canship Innu les cartes de glace historiques de deux jours consécutifs pour les 20 et 21 octobre 2018, décrivant la couverture de glace pour les approches de Resolute (Nunavut) dans la région de l’inlet Milne. Baffinland a demandé des renseignements à Canship Innu pour savoir si le « NORTHERN RANGER » serait en mesure d’escorter une caravane d’au moins trois navires à partir du détroit d’Éclipse, au Nunavut, si les conditions de glace sont semblables à celles qui figurent sur les cartes des glaces. Canship Innu a répondu que, compte tenu de l’épaisseur de la glace primaire de 30 cm dans la zone et du fait que le « NORTHERN RANGER » est classé dans la cote glace 1AS, elle était convaincue que son navire pouvait mener cette activité. Canship Innu s’appuie sur le fait qu’il n’est pas permis de briser la glace de rive et que la cote glace 1AS du « NORTHERN RANGER » est supérieure à celle des navires qui fréquentent la mine Mary River.

[62] Canship Innu déclare également que si les conditions de glace sont plus sévères que celles indiquées dans les cartes des glaces fournies par Baffinland, ce qu’elle croit être le pire des scénarios, les ressources de déglaçage de la GCC pourraient être mises à contribution. Baffinland fait référence à de telles circonstances où le « NORTHERN RANGER » a eu besoin de l’aide de la GCC dans l’article de la CBC du 20 juin 2016 qu’elle a cité.

[63] L’Office a examiné les présentations faites par les parties en ce qui concerne l’état des glaces. Compte tenu de l’argument de Baffinland selon lequel les navires que le « BOTNICA » escorte vont de navires non renforcés au milieu de la saison à des navires à coque renforcée et que l’état des glaces peut changer rapidement, comme le montrent les cartes des glaces fournies, l’Office conclut qu’il existe un risque réel que le « NORTHERN RANGER » ne soit pas en mesure, à lui seul, de fournir un service d’escorte sans compter sur la GCC. Le fait de s’appuyer sur les ressources de la GCC semble miner l’argument de l’adaptabilité du « NORTHERN RANGER ». L’Office note que le défi posé par les conditions de glace changeantes en ce qui a trait à un service d’escorte sécuritaire des navires à destination et en provenance de la mine Mary River est une considération importante qui ne peut être négligée.

[64] Au cours des discussions entre les parties pendant les actes de procédure, l’agent de Baffinland a demandé à Canship Innu des renseignements sur les moyens dont dispose le « NORTHERN RANGER » pour se libérer de l’emprise des glaces et sur la possibilité d’augmenter par quelque moyen que ce soit la largeur du canal brisé à l’arrière. Canship Innu a répondu que le « NORTHERN RANGER » est équipé de propulseurs d’étrave et de poupe, mais elle a refusé de faire d’autres commentaires et affirme plutôt que les préoccupations concernant la capacité d’augmenter la largeur du canal brisé sont une question commerciale et ne sont pas pertinentes pour la demande, puisque le « NORTHERN RANGER » peut faire plusieurs passages si nécessaire. À la lumière de l’importance accordée par Baffinland dans les actes de procédures à la question de la pression de la glace, l’Office note que Canship Innu n’a pas fourni de renseignements substantiels pour répondre à cette préoccupation et n’a pas non plus suffisamment répondu aux préoccupations concernant les conditions de glace énoncées à l’inlet Milne, que Canship Innu n’a pas contestées.

[65] L’Office note également que dans sa demande, Baffinland fait valoir qu’un brise-glace est un navire spécialisé, et que les officiers et l’équipage ont également la spécialisation requise pour effectuer le travail. À cet égard, la demande de Baffinland énonce précisément comme exigence d’avoir un équipage bien expérimenté en déglaçage et, en particulier, dans les services d’escorte de navires de charge ayant une cote glace inférieure dans des zones de glace consolidée.

[66] Canship Innu fait valoir que Canship Ugland exploite des brise-glaces depuis 2006 et dispose d’un vaste bassin de marins canadiens qualifiés qui répondraient à toutes les exigences réglementaires et que Canship Ugland a fourni des équipages au « BOTNICA » dans le passé. Canship Innu ajoute que ces informations ne sont pas pertinentes à l’heure actuelle, car elles ne contribuent pas à l’évaluation de l’adaptabilité d’un navire en vertu de la Loi.

[67] En réponse à l’offre de Canship Innu, Baffinland fait valoir que la conduite d’un brise-glace à proximité d’autres navires est une compétence particulière acquise par une longue expérience et ajoute qu’au cours d’un hiver typique, le capitaine et les officiers du « BOTNICA » peuvent effectuer jusqu’à 100 opérations pour escorter des navires. Baffinland soutient également qu’il n’y a aucune preuve que l’un des officiers du « NORTHERN RANGER » avait une quelconque expérience de la conduite d’un brise-glace à proximité de gros navires de charge dans de la glace dense. Baffinland ajoute que l’équipage que Canship Ugland avait précédemment fourni pour le « BOTNICA » n’était pas composé d’officiers, mais de marins ainsi que du personnel pour la salle des machines et les cuisines. Baffinland répond aux arguments de Canship Innu en déclarant que l’un des attributs requis est celui d’un brise-glace moderne et que pour évaluer les capacités du « NORTHERN RANGER », elle doit savoir si ce dernier aura des officiers qui ont de l’expérience en ce qui a trait à la tâche à accomplir, et non des officiers qui répondent simplement aux exigences minimales de qualification.

[68] L’Office a examiné les présentations concernant l’expérience et note qu’en raison de l’expertise et de l’expérience requises pour escorter des navires et naviguer dans des eaux où les conditions de glace sont dynamiques, l’expérience de l’équipage est un facteur pertinent à prendre en considération. L’Office conclut que Canship Innu n’a pas fourni de renseignements pour étayer son affirmation selon laquelle elle peut fournir des membres d’équipage ayant l’expérience nécessaire, y compris des renseignements biographiques ou tout autre renseignement précis, et il note que Canship Innu considère que ces renseignements ne sont pas pertinents.

[69] Enfin, Canship Innu fait valoir que les demandes d’utilisation du « BOTNICA » depuis 2018 comprennent essentiellement le même langage pour décrire les activités sans décrire le navire requis comme un brise-glace. Canship Innu indique que, dans la demande actuelle, la description du navire requis a été modifiée pour devenir un brise-glace lorsqu’il est devenu évident que des navires canadiens seraient proposés. Baffinland n’aborde pas directement cet argument, sinon pour réaffirmer ses exigences énoncées, ainsi que les capacités du « BOTNICA » et du « NORTHERN RANGER ».

[70] L’Office estime que cette allégation n’est pas soutenue par la preuve qui lui est présentée. On attend de la partie qui offre ses navires qu’elle fournisse des preuves, au-delà de simples assertions, pour soutenir sa position. Canship Innu a déclaré que le « NORTHERN RANGER » est tout à fait capable d’assurer le service dans les conditions de glace établies dans les présentations de Baffinland et a fait valoir que les exigences établies par Baffinland sont artificiellement strictes. Cependant, aucune preuve d’un travail similaire dans des conditions de glace similaires avec des navires de taille Panamax qui aurait été effectué par le « NORTHERN RANGER » n’a été fournie, ni aucune évaluation faite par un tiers quant à l’adaptabilité, comme celles fournies par Baffinland.

[71] Par conséquent, l’Office conclut que Canship Innu n’a pas fourni de preuves suffisantes pour établir que le « NORTHERN RANGER » peut effectuer le travail proposé.

[72] À la lumière de ce qui précède, l’Office détermine que Baffinland s’est acquitté du fardeau juridique qui lui incombait d’établir qu’il n’y a pas de navire canadien à la fois adapté et disponible pour être affecté aux activités.

CONCLUSION

[73] Pour les motifs susmentionnés, l’Office conclut, conformément au paragraphe 8(1) de la Loi, qu’il n’existe pas de navire canadien à la fois adapté et disponible pour être affecté aux activités visées dans la demande.

L’Office communique cette décision au ministre.

Membre(s)

J. Mark MacKeigan
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