Décision n° 24-A-2006

le 13 janvier 2006

le 13 janvier 2006

RELATIVE à une plainte déposée par Air Canada selon laquelle Northwest Airlines, Inc. offre pour la vente des services de transport aérien entre des points au Canada.

Références nos M4211/N79-3
M4820-U5


PLAINTE

[1] Le 10 août 2005, Air Canada a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) une plainte contre Northwest Airlines, Inc. (ci-après Northwest) selon laquelle cette dernière offre au public des vols entre des points intérieurs au Canada au moyen de ses propres services et via les aéroports pivots qu'elle dessert aux États-Unis d'Amérique.

[2] Par voie de la décision no LET-A-228-2005 du 15 août 2005, l'Office a signifié une copie de la plainte à Northwest lui demandant d'y répondre au plus tard le 24 août 2005. Le 22 août 2005, Northwest a demandé que le délai à cette fin soit prolongé jusqu'au 16 septembre 2005 en raison d'une grève qu'elle vivait à ce moment-là. À la lumière des motifs à l'appui de la demande de Northwest, l'Office a rendu la décision no LET-A-240-2005 le 25 août 2005 acquiesçant à la demande de prolongation du transporteur.

[3] Par voie de lettres datées respectivement des 15 et 19 septembre 2005, Northwest a demandé une autre prolongation jusqu'au 16 octobre 2005 afin de déposer sa réponse à la plainte d'Air Canada, invoquant son récent dépôt de bilan aux États-Unis d'Amérique. Par lettres des 16 et 19 septembre 2005, Air Canada a soutenu que Northwest ne devrait avoir que jusqu'au 26 septembre 2005 pour déposer sa réponse. Dans la décision no LET-A-260-2005 du 23 septembre 2005, l'Office a estimé qu'il était raisonnable d'accorder une prolongation additionnelle jusqu'au 30 septembre 2005, soulignant toutefois qu'il s'agissait là de la dernière prolongation qui serait accordée à Northwest. Air Canada avait jusqu'au 7 octobre 2005 pour déposer sa réplique auprès de l'Office.

[4] Le 30 septembre 2005, Northwest a déposé sa réponse à la plainte et Air Canada y a répliqué le 7 octobre 2005. Dans une lettre du 21 octobre 2005, Northwest a déposé une demande d'autorisation de déposer un mémoire supplémentaire ainsi qu'une réponse additionnelle à la réplique d'Air Canada du 7 octobre 2005. Le 24 octobre 2005, Air Canada a déposé des commentaires concernant la demande d'autorisation de Northwest.

[5] Dans la décision no LET-A-294-2005 du 9 novembre 2005, l'Office a indiqué qu'il ne se prononcerait pas à ce moment-là sur la demande d'autorisation de Northwest et qu'il ne statuerait à cet égard qu'en fonction du bien-fondé de la plainte d'Air Canada. Cependant, afin de clore les plaidoiries, Air Canada avait jusqu'au 18 novembre 2005 pour déposer un mémoire additionnel et final relativement à la réponse supplémentaire de Northwest. Pour sa part, ayant demandé l'autorisation de déposer une réponse supplémentaire, Northwest avait jusqu'à la même date pour transmettre sa réponse finale à l'Office relativement à sa demande d'autorisation. Les deux transporteurs ont soumis leurs commentaires finaux par voie de lettres en date du 18 novembre 2005.

[6] Aux termes du paragraphe 29(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, l'Office est tenu de rendre sa décision au plus tard 120 jours après la date de réception de la demande, sauf s'il y a accord entre les parties pour une prolongation du délai. Dans le cas présent, les parties ont convenu de prolonger le délai jusqu'au 13 janvier 2006.

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

[7] Le 21 octobre 2005, Northwest a déposé une demande d'autorisation de déposer un mémoire supplémentaire soutenant que la réplique d'Air Canada du 7 octobre 2005 constituait plus qu'une réponse, car elle soulevait plusieurs nouveaux points juridiques et des questions de fait qui n'avaient pas autrement été soulevés dans sa plainte initiale.

[8] Le 24 octobre 2005, Air Canada a déposé sa réponse à la demande de Northwest, et cette dernière a déposé sa réplique le 18 novembre 2005.

[9] L'Office a examiné la réplique d'Air Canada du 7 octobre 2005 et estime qu'elle soulève des questions et des faits juridiques pertinents auxquels Northwest avait le droit de répliquer pour des raisons d'équité. Par conséquent, en vertu de l'article 4 des Règles générales de l'Office des transports du Canada, DORS/2005-35, l'Office estime qu'il convient d'approuver la demande de Northwest visant le dépôt d'une réponse supplémentaire. Ladite autorisation est par les présentes accordée à Northwest.

QUESTION

[10] L'Office doit déterminer si Northwest a respecté les conditions de sa licence actuelle no 975102, délivrée par l'Office afin de lui permettre d'assurer un service international régulier, en offrant pour la vente dans le marché japonais des services aériens entre des points intérieurs au Canada via un point aux États-Unis d'Amérique.

POSITIONS DES PARTIES

[11] Air Canada soutient que Northwest a offert pour la vente dans le marché japonais des services aériens entre des points intérieurs au Canada via un point aux États-Unis d'Amérique, ce qui est contraire à sa licence no 975102, service international régulier, et à l'Accord relatif au transport aérien entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d'Amérique (ci-après l'Accord) signé le 24 février 1995. Air Canada fait valoir que cette pratique permet à Northwest d'exploiter pleinement son réseau de correspondances via les aéroports pivots qu'elle dessert aux États-Unis d'Amérique, soulignant qu'elle ne jouit pas de telles options réciproques. Afin d'étayer sa plainte, Air Canada a fourni à l'Office des copies de brochures touristiques en circulation dans le marché japonais ainsi que des écrans d'itinéraires qu'elle a obtenus sur le site Internet japonais de Northwest. Air Canada demande à l'Office d'ordonner à Northwest de cesser et de s'abstenir de s'adonner à ces activités de commercialisation et de vente dans ce marché.

[12] Dans sa réponse du 30 septembre 2005, Northwest déclare qu'elle n'offre pas des services de cabotage au Canada. Elle soutient que les transporteurs aériens désignés du Canada et des États-Unis d'Amérique sont autorisés à acheminer du trafic à partir de points antérieurs via leurs pays d'origine, puis au-delà vers des points soit aux États-Unis d'Amérique, soit au Canada. De plus, Northwest déclare que chaque transporteur désigné est autorisé en vertu de l'annexe I, article 5c), de l'Accord à transporter son propre trafic d'escale sur la route internationale d'un passager, et ce à bord de n'importe quel vol ou de tous les vols. Northwest fait valoir qu'il n'est pas illégal d'inclure plusieurs points canadiens dans les itinéraires des passagers, pourvu que le prix global exigé d'un passager de Northwest s'applique à un voyage international plutôt qu'au transport aérien seulement entre deux points au Canada.

[13] En ce qui a trait à l'allégation d'Air Canada que Northwest offre pour la vente, sur son site Internet au Japon, des vols entre deux points au Canada via un point aux États-Unis d'Amérique, Northwest déclare que le site Internet en question a été conçu afin de permettre aux agents de voyages japonais d'offrir des itinéraires de voyages internationaux plus vastes au moyen de billets uniques, et non pas de vendre des voyages intérieurs au Canada. Northwest fait valoir que selon ses dossiers de billetterie, elle n'a jamais vendu de billet pour un voyage effectué uniquement à l'intérieur du Canada. Northwest ajoute que pour des raisons de clarté, elle a affiché un avertissement sur son site Internet pour indiquer qu'un vol entre deux points au Canada ne peut être acheté que s'il fait partie d'un service international direct comprenant des correspondances ou des escales.

[14] Dans sa réponse du 7 octobre 2005, Air Canada rejette l'interprétation que fait Northwest de l'Accord. Air Canada soutient que les droits d'escale prévus à l'annexe I, article 5c), de l'Accord sont assujettis à la condition « [...] que le service commence ou se termine dans le territoire de la partie ayant désigné le transporteur aérien ». Air Canada souligne que le point d'origine et de destination du service de Northwest n'est pas aux États-Unis d'Amérique, mais plutôt dans un pays tiers, soit le Japon, et qu'en conséquence son exploitation n'est pas permise en vertu de l'Accord.

[15] Air Canada soutient également que le terme « service » utilisé à l'article 5c) de l'annexe I de l'Accord ne peut être interprété qu'au singulier et suggère que le terme « service » a le même sens que celui de « vol ». Air Canada renvoie ensuite l'Office à la définition suivante du terme « escale » tirée du glossaire des termes de l'IATA, bulletin 10 (1949) :

ESCALE s'entend d'une interruption voulue du mouvement par un passager [...] à un point entre le point d'origine et le point de destination. (soulignement ajouté par Air Canada) [traduction libre]

[16] Air Canada soutient que puisque les passagers qui utilisent le service de Northwest partent généralement du Japon et prennent un vol de correspondance de Northwest aux États-Unis d'Amérique, lequel vol est destiné au Canada, soit le « point de destination », le point d'escale devrait être aux États-Unis d'Amérique. De plus, Air Canada fait valoir que selon la définition au singulier de « un point », une seule escale est permise par voyage. Par conséquent, Air Canada soutient qu'après l'arrivée au premier point au Canada, les vols subséquents doivent être considérés comme étant des services distincts. Ainsi, les tronçons de vol entre deux points au Canada via un point aux États-Unis d'Amérique doivent être considérés comme un seul vol, soit un vol indirect ou de cabotage dans le « pays d'origine ». Somme toute, Air Canada déclare qu'en l'espèce Northwest, tout en exploitant des vols de sixième liberté depuis le Japon à destination du Canada via les États-Unis d'Amérique, exploite du même coup des « vols modifiés de sixième liberté », c'est-à-dire pour transporter du trafic entre des points au Canada en passant par les États-Unis d'Amérique et que ce type de trafic aérien n'est pas offert réciproquement aux transporteurs canadiens.

[17] Dans les commentaires additionnels qu'elle a déposés le 21 octobre 2005, Northwest soutient qu'Air Canada soulève de nouvelles questions en semblant affirmer que l'Accord n'autorise pas les transporteurs désignés comme Northwest à desservir des passagers à bord de vols de sixième liberté à partir de marchés antérieurs comme le Japon, via un ou plusieurs points aux États-Unis d'Amérique à destination d'un ou de plusieurs points au Canada, pour ensuite revenir au point d'origine. Northwest ajoute qu'elle a obtenu la confirmation du U.S. Department of Transportation que ses activités sont conformes à l'Accord et que les transporteurs désignés par le Canada ont le droit de s'adonner eux aussi à des activités similaires. Northwest fait valoir que pour en arriver à sa conclusion, Air Canada a commis plusieurs erreurs d'interprétation et d'application du libellé de l'Accord.

[18] Northwest soutient que l'analyse d'Air Canada de l'annexe I, article 5c), de l'Accord ne tient aucunement compte de la condition qui suit la phrase qualificative :

[...] à condition que le service commence ou se termine dans le territoire de la partie ayant désigné le transporteur aérien. En d'autres mots, le numéro de vol assigné à des services assurés entre les États-Unis d'Amérique et le Canada devra différer de celui assigné à des vols en-deça du territoire de la partie ayant désigné le transporteur aérien pour l'exploitation du service.

[19] Northwest fait valoir que cette autre phrase reconnaît expressément le droit des transporteurs désignés d'acheminer du trafic de sixième liberté en provenance de points antérieurs à leurs pays d'origine respectifs, tout en précisant que la condition que cite Air Canada a trait aux limites relatives à la procédure d'assignation des numéros de vols plutôt qu'au service international proprement dit.

[20] Quant à l'interprétation d'Air Canada du terme « escale », Northwest soutient que le fait de définir un terme au singulier n'exclut pas l'existence de plus d'une des choses désignées. Northwest ajoute qu'Air Canada a omis d'indiquer que le mot « escale » utilisé à l'article 5c) de l'Accord n'est pas l'objet de la proposition; il est plutôt utilisé adjectivement pour qualifier « trafic ». Northwest soutient que l'article 5c) de l'annexe I de l'Accord autorise les transporteurs à exploiter leurs vols avec escales, sans en limiter le nombre qu'un passager peut effectuer lors d'un voyage.

[21] Finalement, Northwest conteste l'affirmation d'Air Canada, fondée sur la définition du terme « escale », que les pays constituent en soi des points de départ et de destination. Northwest soutient que l'interprétation d'Air Canada est déraisonnable, car elle suppose qu'une escale ne pourrait être effectuée à un point intermédiaire d'un itinéraire uniquement à l'intérieur d'un seul pays. Northwest fait valoir que l'Accord autorise les transporteurs à exploiter leur propre « trafic d'escale [...] sans restriction géographique ou de direction » et elle conclut donc que tout transporteur désigné par les États-Unis d'Amérique peut transporter des passagers entre le Japon et le Canada en passant par les États-Unis d'Amérique et en faisant escale à n'importe quel point sur la route, y compris une ou plusieurs escales au Canada.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

[22] Pour en arriver à ses constatations, l'Office a attentivement examiné les mémoires d'Air Canada et de Northwest et a analysé les dispositions applicables de l'Accord.

[23] Aux termes de la licence no 975102, Northwest est autorisée à exploiter un service international régulier entre des points situés aux États-Unis d'Amérique et des points situés au Canada conformément à l'Accord.

[24] Les conditions nos 2 et 3 de la licence no 975102 se lisent comme suit :

Il est interdit à la licenciée d'acheminer du trafic local entre des points situés au Canada.

Le service international régulier autorisé par les présentes devra être exploité sous réserve des dispositions de l'Accord et de toutes ententes applicables que pourraient conclure le Canada et les États-Unis d'Amérique.

[25] Ainsi, l'Office doit déterminer si Northwest a transporté du trafic local entre des points au Canada et si ses services ont été exploités sous réserve des dispositions applicables de l'Accord.

[26] Quant à la question de savoir si Northwest a transporté du trafic local entre des points au Canada contrairement à la condition no 2 de sa licence, l'Office note que les programmes d'excursions de Northwest, lesquels sont décrits dans les brochures qu'Air Canada a fournies, prévoient le transport de passagers du Japon vers un ou des points aux États-Unis d'Amérique. Les passagers sont par la suite transportés au Canada, les vols faisant escale à divers points canadiens, pour ensuite être acheminés à un point aux États-Unis d'Amérique avant de rentrer au Japon.

[27] Par conséquent, l'Office note que les passagers ainsi transportés voyagent à destination et en provenance du Canada en passant par les États-Unis d'Amérique et que Northwest n'offre pas des services à des passagers qui partent du Canada pour se rendre à un autre point au Canada. Par conséquent, puisque les vols effectués aux termes de la licence no 975102 débutent et se terminent aux États-Unis d'Amérique, les personnes transportées ne sont pas considérées comme étant du trafic local. L'Office note également la clarification offerte par Northwest en ce qui a trait à l'allégation qu'elle offre pour la vente sur son site Internet des vols entre des points au Canada et qu'elle y a affiché un avertissement pour préciser que les vols entre des points au Canada ne peuvent être achetés que s'ils font partie d'un service international direct comprenant des correspondances ou des escales.

[28] Pour ce qui est de la question de savoir si les services de Northwest ont été exploités sous réserve des dispositions applicables de l'Accord, l'article 5c) de l'annexe I dudit Accord prévoit que :

Chaque transporteur aérien désigné peut, à son gré et pour quelque vol que ce soit : [...]

c) transporter son propre trafic d'escale; [...]

sans restriction géographique ou de direction et sans perte de droit prévu au présent Accord de transporter du trafic, à condition que le service commence ou se termine dans le territoire de la partie ayant désigné le transporteur aérien. En d'autres mots, le numéro de vol assigné à des services assurés entre les États-Unis d'Amérique et le Canada devra différer de celui assigné à des vols en-deça du territoire de la partie ayant désigné le transporteur aérien pour l'exploitation du service.

[29] L'Office note que le terme « escale » n'est pas défini dans l'Accord. Cependant, selon l'Office, le terme s'entend d'une interruption voulue d'un trajet, laquelle a été convenue au préalable. Bien qu'Air Canada soutienne qu'une seule escale est permise par itinéraire, l'Office conclut que l'annexe I de l'Accord n'impose aucune limite quant au nombre de points dans l'un ou l'autre territoire qui peuvent servir de point d'escale, pas plus qu'il y a de durée minimale ou maximale des escales.

[30] L'Office note également qu'il n'y a aucune limite géographique ou de direction relativement au transport de trafic d'escale par les transporteurs désignés. De plus, le pays ou le point d'origine du trafic n'ont aucune incidence sur les droits de trafic accordés en vertu de l'Accord. La seule restriction qu'impose l'Accord relativement à la capacité d'un transporteur désigné d'assurer l'acheminement de trafic de sixième liberté a trait au fait que le numéro de vol assigné au vol en provenance d'un point antérieur aux États-Unis d'Amérique doit différer de celui assigné aux vols entre les États-Unis d'Amérique et le Canada. Par conséquent, l'Accord n'interdit pas le transport comme propre trafic d'escale de passagers provenant d'un pays tiers, par exemple le Japon.

[31] L'Office note également que les services de Northwest respectent les restrictions de son programme VISIT USA, lesquelles sont établies dans la règle 835 « 2005-2006 NW VISIT USA-VUSA-FARES » de son tarif international NTA(A) No. 292 aux dossiers de l'Office.

CONCLUSION

[32] Compte tenu de ce qui précède, l'Office conclut que les lignes aériennes désignées du Canada et des États-Unis d'Amérique peuvent, en ce qui a trait aux services entre ces deux pays, transporter du trafic international entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, y compris leur propre trafic d'escale entre un ou plusieurs points dans les territoires des deux pays. Dans le cas en l'espèce, le trafic que transporte Northwest entre des points au Canada provient du Japon et transite par des points aux États-Unis d'Amérique, conformément à l'Accord. Ainsi, il ne s'agit pas de « trafic local » interdit aux termes de la condition no 2 de la licence no 975102 délivrée à Northwest par l'Office pour l'exploitation d'un service international régulier.

[33] Par conséquent, l'Office rejette par les présentes la plainte d'Air Canada.

Membres

  • Gilles Dufault
  • Baljinder Gill
  • Guy Delisle
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