Décision n° 295-C-A-2011

le 4 août 2011

le 4 août 2011

PLAINTE déposée par Leonard O'Reilly contre Air Canada.

Référence no M4120-3/11-50095


Introduction et question

[1] Leonard O'Reilly a déposé une plainte auprès de l'Office des transports du Canada (Office) relativement au refus d'Air Canada de le transporter à bord du vol AC0998, partant de Toronto (Ontario) Canada à destination de San José, Costa Rica, le 26 janvier 2011, au motif qu'il aurait eu un comportement turbulent.

[2] M. O'Reilly exige qu'Air Canada lui présente des excuses et lui verse une indemnité pour les coûts additionnels qu'il a engagés et pour « l'atteinte grave » que le traitement qu'il a reçu a porté à sa réputation.

[3] La question dont est saisi l'Office relativement à cette plainte est la suivante :

  • Air Canada a-t-elle correctement appliqué les conditions énoncées dans son Tarif international énonçant les règles applicables aux passagers et aux prix, CTA (A) no 458 (Tarif) relatives au refus de transport, conformément au paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens DORS/88-58, modifié (RTA)?

[4] Comme il est indiqué dans les motifs qui suivent, l'Office conclut que, selon la prépondérance des probabilités, Air Canada a correctement appliqué les conditions énoncées dans son Tarif relatives au refus de transport. Par conséquent, l'Office rejette la plainte.

Observation préliminaire

Remboursement de la portion inutilisée du billet

[5] Le Tarif d'Air Canada prévoit qu'en cas de refus de transporter un passager, le transporteur a l'obligation de rembourser la valeur de la portion inutilisée du billet du passager.

[6] Dans sa présentation, Air Canada indique qu'elle a remboursé la somme de 941,91 $ à M. O'Reilly pour la portion inutilisée de son billet, soit le transport de Toronto à San José, de San José à Toronto, et de Toronto à Edmonton (Alberta), ainsi que les frais de 20 $ imposés pour sa seconde pièce de bagage. M. O'Reilly fait valoir qu'il a seulement reçu un chèque de 20 $, qu'il n'a pas encaissé.

[7] Le 17 juin 2011, le personnel de l'Office a demandé qu'Air Canada soumette une preuve que M. O'Reilly a reçu la valeur de remboursement de la portion inutilisée de son billet.

[8] Le 23 juin 2011, Air Canada a indiqué que le remboursement de la portion inutilisée du billet avait été envoyé à l'agent de voyage qui a fait les réservations pour M. O'Reilly, et qu'un autre chèque serait transmis directement à M. O'Reilly.

[9] Le 27 juin 2011, Air Canada a soumis au personnel de l'Office une copie de la lettre envoyée à M. O'Reilly, ainsi qu'une copie du chèque de 941,91 $. M. O'Reilly a accusé réception du chèque.

[10] Par conséquent, l'Office n'envisage aucune autre mesure relativement à cette observation préliminaire.

Excuses et dommage consécutif

[11] L'Office ne traitera pas de la demande de M. O'Reilly relative à la présentation d'excuses et à l'indemnisation pour ce qu'il appelle « l'atteinte grave » à sa réputation, car l'Office n'a pas compétence pour ordonner à un transporteur de s'excuser ou d'accorder une indemnité pour des questions de cette nature.

Positions des parties

[12] M. O'Reilly soutient que le 26 janvier 2011, il devait voyager à bord du vol AC0998 d'Air Canada, de Toronto à San José. Il poursuivait un itinéraire commencé le jour précédent, à Edmonton. Il indique que lorsqu'il est arrivé au comptoir d'enregistrement d'Air Canada à l'aéroport de Toronto, l'agente, Kitty Luk, ne souriait pas, était peu communicative et plutôt brusque. M. O'Reilly soutient que pendant le traitement de son billet, Mme Luk a quitté le comptoir pour cinq à dix minutes, et l'a par la suite informé qu'il devait payer des frais d'excédent de 20 $ pour sa seconde pièce de bagage. M. O'Reilly soutient qu'il a dit à Mme Luk [traduction] « Vous n'êtes pas sérieuse, les deux bagages ensemble n'ont pas la dimension d'un bagage régulier ». Selon M. O'Reilly, Mme Luk a répondu que c'était la politique d'Air Canada, avant d'ajouter, en référence à son enregistrement [traduction] « Je n'ai pas à faire cela pour vous de toute façon, puisque vous auriez dû être ici une heure avant le départ ». Il soutient qu'il était arrivé à l'enregistrement à 8 h, mais que le transporteur était responsable du retard et que l'échange a eu lieu à 8 h 35, pour un départ prévu à 9 h 30.

[13] M. O'Reilly soutient qu'il a trouvé que Mme Luk était impolie et qu'il a jeté un billet de 20 $ dans sa direction, lui a dit qu'il aurait été enregistré dans les délais prescrits s'il n'avait pas eu à attendre aussi longtemps, et a demandé à parler à son superviseur. Mme Luk l'a conduit à sa superviseure, Melissa Lorbetskie, gestionnaire du service à la clientèle dans l'aire d'embarquement pour les vols internationaux cette journée-là. Selon M. O'Reilly, Mme Lorbetskie n'a non seulement refusé de s'excuser, mais elle a ignoré l'objet de sa plainte et a appuyé Mme Luk. M. O'Reilly fait valoir qu'il a dit qu'il [traduction] « se fichait des 20 $, mais que ce qu'il déplorait était l'attitude de l'agente et sa remarque ». M. O'Reilly admet qu'il a par la suite [traduction] « injurié la superviseure (j'ai utilisé un juron), puis j'ai tourné le dos. » Il reconnaît que d'avoir juré était « stupide et impulsif », et que s'il avait été confronté au personnel d'Air Canada ou de la sécurité, avant de monter à bord de l'aéronef, il se serait très probablement excusé.

[14] M. O'Reilly indique qu'environ 50 minutes plus tard, après qu'il ait passé le contrôle de sécurité, qu'il soit monté à bord de l'aéronef et qu'il ait pis place dans son siège, un agent d'Air Canada et un agent de sécurité sont montés à bord et lui ont ordonné de ramasser ses effets et de quitter. Il se demande pourquoi, s'il constituait une menace à la sécurité, on l'a autorisé à monter à bord en premier lieu, ou si la superviseure avait rapporté l'incident au pilote pour une raison « purement vindicative », sachant qu'il n'était pas en mesure de juger de la gravité réelle de la question.

[15] M. O'Reilly indique qu'à la suite du refus d'Air Canada de le transporter, il a dû acheter un billet de remplacement auprès d'un autre transporteur aérien et a dû engager des frais pour une chambre d'hôtel, un taxi et des appels téléphoniques pour éviter de perdre sa réservation.

[16] Air Canada renvoie à la règle 25 de son Tarif qui permet au transporteur, en faisant preuve de jugement raisonnable, de refuser de transporter un passager qui adopte un comportement interdit. Air Canada renvoie aussi à des décisions antérieures de l'Office dans lesquelles, selon Air Canada, il a été déterminé que le refus de transporter des passagers ayant fait preuve d'un comportement interdit similaire était justifié.

[17] En outre, Air Canada renvoie à l'article 602.46 du Règlement de l'aviation canadien DORS/2009-90, qui interdit à un transporteur aérien de transporter une personne dont les actes ou les déclarations, au moment de l'enregistrement ou de l'embarquement, indiquent qu'elle peut présenter un risque pour la sécurité de l'aéronef, des personnes ou des biens.

[18] À l'appui de sa présentation, Air Canada a fourni des déclarations écrites de, respectivement, Mme Luk, Mme Lorbetskie et Mme Marlene Haldy, gestionnaire du service à la clientèle à la porte d'embarquement pour les vols internationaux, qui ont interagi avec M. O'Reilly à bord de l'aéronef. Selon Air Canada, ces déclarations démontrent que la décision de refuser de transporter M. O'Reilly était justifiée, puisqu'il a montré un comportement agressif et utilisé un langage abusif à l'endroit des employés d'Air Canada.

[19] Dans sa déclaration, Mme Luk affirme qu'au comptoir d'enregistrement, M. O'Reilly est devenu très contrarié, s'est plaint de façon agressive, a juré et a jeté un billet de 20 $ sur le comptoir. Mme Lorbetskie indique, dans sa déclaration, que lorsque Mme Luk a conduit M. O'Reilly à elle, Mme Luk a expliqué qu'il avait juré et qu'il lui avait lancé un billet de 20 $. Mme Lorbetskie fait valoir que lorsqu'elle a tenté de fournir des explications à M. O'Reilly concernant les frais pour la seconde pièce de bagage, il s'est mis à l'injurier et lorsqu'elle lui a demandé s'il avait dit quelque chose à l'agente, de nouveau il l'a injuriée et a tourné le dos. Elle ajoute que lorsqu'elle a demandé à M. O'Reilly de revenir et, encore une fois, il l'a injuriée. Mme Lorbetskie soutient que M. O'Reilly était furieux, agressif et non coopératif, et qu'elle a cru qu'il y avait un haut risque que son comportement puisse compromettre l'exploitation sécuritaire du vol. Dans sa déclaration, Mme Haldy affirme que M. O'Reilly argumentait à bord de l'aéronef et ne voulait pas se lever de son siège. Elle ajoute qu'une fois descendu de l'aéronef, M. O'Reilly était de toute évidence contrarié et a commencé à invoquer ses droits en tant que client tout en agitant son doigt dans sa direction.

[20] M. O'Reilly nie avoir injurié Mme Luk et soutient qu'il a jeté l'argent sur le comptoir, devant elle, et non pas à elle. Il reconnaît qu'il a injurié Mme Lorbetskie, mais maintient qu'il avait été provoqué par son indifférence et son insistance à ne traiter que de la question des frais, plutôt que de l'attitude renfrognée de Mme Luk et de sa remarque « Je n'ai pas à faire cela pour vous de toute façon ». M. O'Reilly reconnaît également qu'il s'est disputé avec Mme Haldy, mais cela, seulement une fois descendu de l'aéronef. M. O'Reilly indique que pendant qu'il était à bord de l'aéronef, il était respectueux. Il conclut en disant que face au piètre service offert par Air Canada et à l'attitude indifférente de son personnel à l'égard de sa plainte, il a eu une réaction excessive en jurant, mais le transporteur a également réagi de manière excessive en refusant de le transporter.

Analyses et constatations

[21] Lorsqu'une plainte est déposée auprès de l'Office, il incombe au plaignant de prouver que, selon la prépondérance des probabilités, le transporteur n'a pas correctement appliqué les conditions de transport énoncées dans son tarif, comme l'exige le paragraphe 110(4) du RTA.

[22] L'Office note que le Tarif d'Air Canada prévoit que le transporteur aérien peut refuser de transporter un passager ou le contraindre à quitter l'aéronef lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire que celui-ci a eu un comportement inadmissible. Plus précisément, la règle 25II(A)(2) du Tarif d'Air Canada prévoit ce qui suit :

(A) Comportement interdit

Sans restreindre la portée générale de ce qui précède, ce qui suit constitue des exemples de conduite interdite lorsque, le cas échéant, le transporteur, agissant de façon raisonnable, doit prendre des mesures pour s'assurer du confort physique ou de la sécurité de la personne, des autres passagers (au moment présent ou ultérieurement) ou des employés du transporteur, de la sécurité de l'appareil, ou de l'exécution sans entraves des tâches qui incombent à l'équipage ou de l'exploitation sécuritaire et adéquate du vol :

(...)

2) la conduite de la personne, ou son état, est ou est connue par le passé comme abusive, offensante, menaçante, intimidante, violente ou autrement désordonnée, et de l'avis raisonnable d'un employé responsable du transporteur, il est possible que ce passager perturbe le confort physique ou la sécurité des autres passagers ou des employés du transporteur, ou y porte gravement atteinte, entrave l'exécution des tâches d'un membre d'équipage ou mette autrement en péril l'exploitation sécuritaire et adéquate du vol.

[23] L'Office note que M. O'Reilly nie plusieurs aspects des déclarations déposées par Air Canada. Principalement, il nie avoir injurié Mme Luk, avoir eu une attitude agressive envers Mme Lorbetskie, avoir argumenté lorsqu'il a interagi avec Mme Haldy à bord du vol AC0998 et avoir représenté une menace, à n'importe quel moment, au cours des événements qui sont survenus.

[24] Lorsque les parties présentent des versions contradictoires des événements, il incombe au plaignant d'établir que sa version est la plus probante. En examinant les éléments de preuve, l'Office doit déterminer laquelle des versions est la plus probante, selon la prépondérance des probabilités.

[25] Pour déterminer quelle version est la plus probante, l'Office s'appuie sur l'affaire Faryna c. Chorny, [1951] B.C.J. no 152 (B.C.C.A.) (QL); [1952] 2 D.L.R. 354, qui définit clairement le critère à appliquer quand une question de crédibilité est en litige. Tiré de Faryna c. Chorny, à la page 357, le passage ci-dessous présente le critère à appliquer :

[...] Le critère à appliquer consiste à faire un examen raisonnable de son récit afin de déterminer s'il est compatible avec les probabilités entourant les faits en l'espèce. Pour résumer, le véritable critère à appliquer pour confirmer la véracité des déclarations d'un témoin dans une affaire donnée consiste à examiner la compatibilité de ces déclarations avec la prépondérance des probabilités qu'une personne éclairée et sensée peut d'emblée reconnaître comme étant raisonnables dans telle situation et telles circonstances. [traduction] [...]

[26] Bien qu'il y ait des versions contradictoires de ce qui s'est passé au cours de l'interaction de M. O'Reilly avec Mme Luk et Mme Lorbetskie, M. O'Reilly reconnaît avoir proféré une obscénité à l'endroit de Mme Lorbetskie. Ce type de comportement, même s'il est reconnu comme étant impulsif et stupide (comme l'a décrit le demandeur), figure dans la catégorie des exemples de comportement « abusif, offensant, menaçant, intimidant, violent ou autrement désordonné ».

[27] La présumée attitude argumentative de M. O'Reilly en ce qui a trait à Mme Haldy est contestée et, quoi qu'il en soit, ne peut pas faire partie de la justification d'Air Canada de refuser de transporter le passager puisqu'il il est clair que cette décision avait déjà été prise.

[28] Le Tarif exige non seulement que le comportement figure sur la liste des comportements offensants énoncés, mais également que l'employé responsable du transporteur, en faisant preuve de jugement raisonnable, conclut que :

il est possible que ce passager perturbe le confort physique ou la sécurité des autres passagers ou des employés du transporteur, ou y porte gravement atteinte, entrave l'exécution des tâches d'un membre d'équipage ou mette autrement en péril l'exploitation sécuritaire et adéquate du vol.

[29] Le libellé du Tarif accorde une marge de manœuvre relativement grande pour faire une interprétation à des fins légitimes, puisqu'il est impossible de définir précisément, avant le fait, ce qui pourrait, dans des circonstances particulières, constituer une menace pour des personnes ou pour un aéronef. Toutefois, cette interprétation doit se faire dans les limites d'une discrétion raisonnable. Les gestes comme lancer un billet, jurer et tourner le dos à un employé au cours d'une dispute à l'égard d'un paiement n'appuient pas, sans exception, la conclusion qu'un acte violent ou perturbateur s'ensuivra probablement. Toutefois, il n'est pas manifestement déraisonnable que Mme Loretskie ait cru que M. O'Reilly puisse représenter une menace à la sécurité de l'aéronef.

[30] À la lumière de l'admission de M. O'Reilly qu'il a tenu des propos offensants, et des déclarations écrites déposées par Air Canada, l'Office conclut que le personnel du transporteur a exercé une discrétion raisonnable en déterminant que M. O'Reilly avait un comportement offensant.

[31] L'Office conclut donc, selon la prépondérance des probabilités, qu'Air Canada a correctement appliqué les conditions de transport énoncées dans son Tarif en refusant de transporter M. O'Reilly à bord du vol AC0998.

[32] Par conséquent, l'Office n'exigera pas qu'Air Canada rembourse à M. O'Reilly le montant des dépenses engagées, comme les frais de sa chambre d'hôtel et du billet de remplacement émis par un autre transporteur aérien. Air Canada l'a déjà remboursé pour la portion inutilisée de son billet d'avion.

Conclusion

[33] Compte tenu des constatations qui précèdent, l'Office rejette la plainte.

Membres

  • Raymon J. Kaduck
  • Jean-Denis Pelletier, ing.

Membre(s)

Raymon J. Kaduck
J. Mark MacKeigan
Jean-Denis Pelletier, ing.
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