Décision n° 337-C-A-2009

le 5 août 2009

le 5 août 2009

PLAINTE déposée par David Pinchefsky contre Air Canada.

Référence no M4120-3/09-01188


Plainte

[1] David Pinchefsky a déposé une plainte auprès de l'Office des transports du Canada (Office) en ce qui a trait aux difficultés éprouvées avec Air Canada à l'aéroport international Pierre-Elliot-Trudeau de Montréal (aéroport de Montréal) le 25 décembre 2004 relativement au vol AC403 de Montréal (Québec), Canada à Toronto (Ontario), Canada avec une correspondance à bord du vol AC968 à Hewanorra, Sainte-Lucie.

[2] M. Pinchefsky demande un dédommagement alléguant qu'Air Canada n'a pas respecté l'accord qu'il avait conclu avec le transporteur relativement à deux surclassements en classe affaires, au temps perdu et aux inconvénients qui lui ont été occasionnés lorsqu'il a fait affaire avec Air Canada, de même que pour les dépenses de 400 $ qu'il a engagées en frais de stationnement et frais judiciaires, en rapport avec une poursuite intentée contre Air Canada à la Division des petites créances de la chambre civile de la Cour du Québec à Montréal relativement à cette affaire.

Requête d'Air Canada

[3] Le 8 avril 2009, Air Canada a présenté une requête, dans laquelle elle demandait la suspension des procédures en attendant que l'Office se prononce sur certaines questions préliminaires, notamment sa compétence. Premièrement, Air Canada fait valoir que le dédommagement demandé par M. Pinchefsky ne relève pas de la compétence de l'Office parce qu'il n'est pas admissible en vertu de l'article 113.1 du Règlement sur les transports aériens, DORA/88-58, modifié. Deuxièmement, Air Canada prétend que les dispositions de la Convention de Montréal s'appliquent au voyage de M. Pinchefsky et que la plainte qu'il a déposée auprès de l'Office contre Air Canada le 19 septembre 2008 est proscrite en vertu de l'article 35 de la Convention de Montréal qui prévoit que les actions en dommages sont assujetties à un délai de prescription de deux ans à compter de la date de l'incident. Enfin, Air Canada prétend qu'il s'agit d'une question de res judicata et que l'Office n'a pas la compétence pour réviser une décision rendue par la Cour du Québec.

[4] Dans sa décision no LET-C-A-57-2009 du 27 avril 2009, l'Office a demandé aux parties de fournir leurs commentaires sur la compétence de l'Office pour examiner la requête d'Air Canada, le délai de prescription de deux ans prévu par la Convention de Montréal et la question de res judicata. Dans sa réponse du 11 mai 2009, Air Canada a renvoyé l'Office au contenu de sa lettre datée du 8 avril 2009 et a réitéré qu'il y avait préclusion en ce qui a trait à l'ensemble des éléments de la plainte de M. Pinchefsky, puisqu'ils étaient traités dans une décision finale prise par un tribunal compétent. Dans sa réponse datée du 22 mai 2009, M. Pinchefsky a soumis d'autres commentaires sur l'incident du 25 décembre 2004, mais il n'a pas abordé les trois questions mentionnées par l'Office dans la décision no LET-C-A-57-2009.

Observation préliminaire

[5] Avant de procéder à l'examen de la plainte, l'Office doit déterminer si M. Pinchefsky peut saisir l'Office de la question sur le principe de res judicata, ce qui signifie que l'affaire a déjà été traitée et jugée par un tribunal compétent.

[6] Comme l'indiquent les raisons suivantes, l'Office conclut que le principe de res judicata s'applique dans le cas présent et que M. Pinchefsky ne peut pas remettre la question en litige auprès de l'Office. L'Office rejette donc la plainte.

Faits

Demande de M. Pinchefsky devant la Cour du Québec

[7] Le 1er août 2006, M. Pinchefsky a intenté une poursuite contre Air Canada devant la Division des petites créances de la chambre civile de la Cour du Québec concernant les difficultés qu'il a éprouvées au comptoir d'enregistrement d'Air Canada à l'aéroport de Montréal le 25 décembre 2004, invoquant les motifs suivants :

  • Air Canada n'a pas honoré les conditions de l'accord conclu en janvier 2005 quant aux vols vers Sainte-Lucie, ce qui a entraîné une perte de temps et des coûts;
  • D'autres problèmes survenus en raison de la facturation, de problèmes informatiques et autres n'ont pas été pris en compte ni résolus convenablement par Air Canada, ce qui a causé d'autres pertes de temps et aggravé la situation;
  • Les employés d'Air Canada n'ont pas répondu aux divers appels téléphoniques ni à la correspondance et/ou n'ont pas fourni des renseignements exacts.

[8] M. Pinchefsky a demandé un dédommagement s'élevant à 5 881 $. Le 15 janvier 2008, la Cour du Québec a tenu une audience dans le cadre de la plainte de M. Pinchefsky contre Air Canada. Le 28 janvier 2008, la Cour a rejeté la plainte de M. Pinchefsky.

Mémoire d'Air Canada

[9] Air Canada fait valoir que M. Pinchefsky réclame auprès de l'Office le même dédommagement qu'il a réclamé devant la Cour du Québec, mises à part les dépenses pour les frais judiciaires, le stationnement et autres, lesquelles ne relèvent pas de la compétence de l'Office. Air Canada indique que M. Pinchefsky a admis, par écrit, que sa plainte déposée auprès de l'Office est la même que celle devant la Cour du Québec. Air Canada a déposé une copie de son plaidoyer devant la Cour du Québec qui fait état des questions de la plainte de M. Pinchefsky que la Cour a étudiées. Air Canada soutient qu'il y a préclusion puisque la plainte que M. Pinchefsky a déposée auprès l'Office touche les mêmes questions que celles présentées dans sa première poursuite intentée devant la Cour du Québec. Selon Air Canada, sa défense de res judicata s'applique et empêche M. Pinchefsky d'intenter une deuxième action pour les mêmes faits.

Analyse et constatation

Le principe de res judicata

[10] Le principe de res judicata prévoit que si la question a déjà fait l'objet d'un litige et a déjà été jugée par un tribunal compétent, elle ne devrait pas être présentée de nouveau par les mêmes parties au cours d'une procédure légale ultérieure. Le principe de res judicata repose sur le fait qu'un jugement final rendu par un tribunal compétent sur le fond est concluant quant aux droits des parties. Les principes généraux sous-jacents sont les suivants : a) il est dans l'intérêt du public que ce litige prenne fin; b) il est injuste pour une personne d'être contrariée deux fois en raison d'un litige sur le même sujet.

[11] Les principaux cas canadiens dans ce domaine exposent trois facteurs qui déterminent si le principe de res judicata devrait s'appliquer ou non à une affaire : 1) la même question doit avoir déjà fait l'objet d'une décision; 2) la décision judiciaire qui devrait créer la préclusion doit être finale; 3) les parties concernées par la décision judiciaire doivent être les mêmes personnes concernées par le dossier pour lequel la question de préclusion est soulevée.

[12] De plus, la Cour suprême du Canada dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, 2001 SCC 44 (Danyluk) indique que même si les trois exigences sont satisfaites pour que la préclusion s'applique, la règle ne devrait pas s'appliquer mécaniquement. Les tribunaux (et les instances administratives) ont le pouvoir discrétionnaire d'accepter ou de refuser la défense de res judicata, si le fait d'appliquer la défense s'avérerait inéquitable ou injuste.

La question soulevée dans les deux affaires était-elle la même?

[13] La plainte de M. Pinchefsky déposée auprès de l'Office et sa demande devant la Cour du Québec traitaient des difficultés qu'il a éprouvées au comptoir d'enregistrement d'Air Canada à l'aéroport de Montréal le 25 décembre 2004. Mise à part sa demande de remboursement s'élevant à 400 $ pour les frais de stationnement et les frais judiciaires pour la Cour du Québec, il a demandé dans les deux cas le même dédommagement pour les mêmes motifs, soit le dédommagement pour bris de contrat, perte de temps et inconvénients lorsqu'il a fait affaire avec Air Canada.

[14] En ce qui a trait à la demande de remboursement des dépenses engagées pour le stationnement et les frais judiciaires relativement à sa cause devant la Division des petites créances de la chambre civile de la Cour du Québec, l'Office n'a pas la compétence pour accorder le dédommagement exigé. Par conséquent, l'Office ne tiendra pas compte de cette partie de la demande dans sa décision.

[15] L'Office conclut que les faits et les circonstances des deux affaires sont similaires et que M. Pinchefsky a posé la même question à la Cour du Québec et à l'Office.

Le jugement de la Cour du Québec était-il final?

[16] L'article 984, Titre II, Chapitre V, Jugement, du Code de procédure civile du Québec prévoit :

984. Le jugement est final et sans appel.

Les actions impliquant des petites créances ne sont pas assujetties au pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cours Suprême, sauf lorsqu'il y a défaut de compétence ou excès de pouvoir.

[17] L'Office conclut que le jugement relatif à la demande M. Pinchefsky rendu par la Cour du Québec le 28 janvier 2008 était final.

Les parties sont-elles les mêmes dans les deux affaires?

[18] Dans la demande de M. Pinchefsky déposée devant la Cour du Québec, M. Pinchefsky et Air Canada étaient les parties. Dans sa plainte déposée auprès de l'Office, M. Pinchefsky et Air Canada sont les parties.

[19] L'Office conclut que les parties sont les mêmes dans les deux affaires.

Pouvoir discrétionnaire de refuser d'accepter le principe de res judicata

[20] La Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Minott c. O'Shanter Development Company Ltd, [1999] 42 O.R. (3d) 321, O.J. No. 5, citée avec approbation dans la décision Danyluk, énumère les facteurs qui pourraient justifier qu'une cour (ou un tribunal) exerce son pouvoir discrétionnaire pour refuser d'appliquer la défense de res judicata à un ensemble particulier de faits. Le facteur le plus important est la question prépondérante de l'équité. Les tribunaux ont reconnu que des circonstances peuvent dicter la nécessité d'une audience afin d'éviter une injustice potentielle. Cela pourrait arriver lorsque la partie touchée n'a pas eu une juste possibilité de présenter sa cause.

[21] Dans sa demande devant la Cour du Québec et à l'audience, M. Pinchefsky a eu l'occasion de présenter sa cause contre Air Canada. Il a expliqué à la Cour comment le service à la clientèle de mauvaise qualité qui lui a été fourni par Air Canada l'a considérablement incommodé et lui a fait perdre du temps. Dans son plaidoyer devant la Cour du Québec, Air Canada a expliqué la nature de l'incident, les dispositions de son tarif et la législation pertinente, et a fourni un compte détaillé des étapes entreprises par le transporteur et le dédommagement de bonne foi qu'elle a proposé à M. Pinchefsky afin de clore le dossier à l'amiable. La Cour du Québec a déclaré que la demande de M. Pinchefsky n'était pas admissible, compte tenu des dispositions de la Convention de Montréal. En prenant sa décision, la Cour a conclu que M. Pinchefsky demandait un dédommagement pour les difficultés éprouvées et les inconvénients occasionnés en raison du service de mauvaise qualité fourni par Air Canada, ce qui constitue un dommage psychologique non recouvrable en vertu de la Convention de Montréal. La Cour a rejeté la demande de M. Pinchefsky.

[22] M. Pinchefsky soutient que la Cour n'a pas traité sa cause convenablement. Il prétend que, durant le procès, l'avocat-conseil représentant Air Canada n'a parlé qu'en français, langue que lui et sa femme ont du mal à comprendre, et qu'il a fourni de fausses informations à la Cour. Il fait valoir que l'avocat-conseil d'Air Canada a convaincu le juge que les décisions précédentes de l'Office ne devraient pas être admises et que le juge a accepté d'autres causes qu'Air Canada avait déposées devant la Cour et n'en a discuté qu'en français. En ce a trait au fait que M. Pinchefsky et sa femme ne comprennent pas le français, Air Canada a indiqué qu'à l'audience qui s'est tenue le 15 janvier 2008, le juge de la Cour du Québec leur a demandé s'ils comprenaient le français et ils ont répondu par l'affirmative. De plus, Air Canada a allégué qu'en aucun temps durant l'audience les Pinchefsky n'ont informé la Cour ou l'avocat-conseil d'Air Canada de leur difficulté à comprendre le français, ni n'ont demandé à la Cour de bénéficier d'une traduction en anglais de la plaidoirie d'Air Canada. L'Office souligne que M. Pinchefsky n'a pas réfuté ces allégations d'Air Canada.

[23] L'Office conclut que M. Pinchefsky a eu une possibilité équitable de présenter sa demande devant la Division des petites créances de la chambre civile de la Cour du Québec. Les exigences d'équité ont été satisfaites, puisque M. Pinchefsky était conscient du cas à présenter, il a eu une possibilité équitable de le présenter et d'exposer sa cause. M. Pinchefsky a pu prendre connaissance de la position et de la défense d'Air Canada et a eu l'occasion de réfuter les arguments d'Air Canada devant la Cour du Québec.

[24] Par conséquent, l'Office conclut qu'aucune circonstance spéciale n'existe qui justifierait que la défense de res judicata ne soit pas valide dans cette affaire. Dans ces circonstances, l'Office n'exercera pas son pouvoir discrétionnaire de refuser d'appliquer la défense de res judicata.

Conclusion

[25] Selon les constatations susmentionnées, l'Office conclut que le principe de res judicata s'applique dans le cas présent et que M. Pinchefsky ne peut pas remettre la question en litige de nouveau devant l'Office. La plainte est par conséquent rejetée.

[26] Comme la plainte de M. Pinchefsky est rejetée, il n'est pas nécessaire de traiter les autres questions soulevées par Air Canada.

Membres

  • Raymon J. Kaduck
  • John Scott

Membre(s)

Raymon J. Kaduck
John Scott
Date de modification :