Décision n° 34-R-2017

Un erratum a été émis le 3 mars 2017
le 17 février 2017
DEMANDE de Jonathan Sher en vue d’obtenir une copie de l’accord de service ferroviaire conclue en 2012 entre VIA Rail Canada Inc. (VIA) et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) au sujet de l’utilisation par VIA des chemins de fer, des terres, des installations, des équipements ou des services de CN (accord).
Numéro de cas : 
16-02966

RÉSUMÉ

[1] Le cas présent porte sur la question de savoir si l’obligation, selon laquelle une compagnie de chemin de fer et une société de transport publique doivent fournir, sur demande, une copie de tout accord, comprend la transmission des modalités financières contenues dans ces accords et, le cas échéant, si l’Office des transports du Canada (Office) doit ordonner la divulgation complète de l’accord à Jonathan Sher, y compris les montants que VIA doit payer à CN.

[2] Pour les raisons énoncées ci-après, l’Office conclut que le paragraphe 152.4(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée (LTC) exige généralement la divulgation des accords dans leur intégralité. Dans le cas présent, toutefois, la divulgation peut exclure les montants à payer afin d’éviter un préjudice irréparable à CN et à VIA.

CONTEXTE

[3] Le 13 mai 2016, M. Sher a communiqué avec l’Office pour lui demander de l’aide afin d’obtenir une copie de l’accord. M. Sher a demandé une copie de l’accord à CN, mais celle-ci a refusé sa demande.

[4] Le 15 juin 2016, l’Office a émis la décision no LET-R-25-2016 (décision de demande de justification), dans laquelle l’Office a donné à CN et à VIA l’occasion de justifier pourquoi l’Office ne devrait pas leur ordonner de fournir une copie non épurée de l’accord à M. Sher.

[5] Le 16 juin 2016, en réponse à la décision de demande de justification, M. Sher a demandé l’autorisation de déposer des renseignements supplémentaires. L’Office a donné à M. Sher jusqu’au 4 juillet 2016 pour déposer des renseignements supplémentaires.

[6] Le 30 juin 2016, en réponse à la décision no LET-R-27-2016, M. Sher a demandé une prolongation du délai pour déposer une présentation. L’Office a accepté de prolonger le délai, et a donné à M. Sher jusqu’au 11 juillet 2016 pour déposer une présentation.

[7] M. Sher n’a pas déposé de présentation au plus tard le 11 juillet 2016.

[8] Le 18 juillet 2016, CN et VIA ont déposé leur réponse respective à la décision de demande de justification.

[9] Le 21 juillet 2016, M. Sher a demandé l’autorisation de répondre aux renseignements qu’ont déposés CN et VIA dans leur réponse respective. L’Office a refusé la demande de M. Sher.

QUESTIONS

[10] Les questions sur lesquelles l’Office doit se prononcer sont les suivantes :

  1. L’obligation de fournir, sur demande, une copie de tout accord conclu entre une compagnie de chemin de fer et une société de transport publique comprend-elle la transmission des modalités financières contenues dans ces accords?
  2. Le cas échéant, l’Office devrait-il ordonner la divulgation complète de l’accord à M. Sher, y compris les montants que VIA doit payer à CN?

LA LOI

[11] L’article 152.4 de la LTC prévoit ce qui suit :

(1) La compagnie de chemin de fer ou la société de transport publique est tenue de fournir à quiconque lui en fait la demande :

  1. une copie de tout accord conclu depuis la date d’entrée en vigueur du présent article et concernant l’utilisation des chemins de fer, terres, installations, équipements ou services en cause;
  2. sous réserve du paragraphe (2), une copie de tout accord conclu avant la date d’entrée en vigueur du présent article et concernant l’utilisation des chemins de fer, terres, installations, équipements ou services en cause.

(2) Sur demande de la compagnie ou de la société, l’Office peut soustraire tout ou partie de l’accord à l’application de l’alinéa (1)b) au motif que sa divulgation causerait vraisemblablement un préjudice au demandeur.

POSITIONS DES PARTIES

[12] VIA et CN, en se fondant sur les trois arguments principaux qui suivent, font toutes deux valoir que l’accord ne devrait pas être divulgué.

Premier argument : Il serait déraisonnable que l’Office déroge de la décision no LET‑R‑81‑2010 (décision de 2010).

VIA

[13] VIA fait valoir que l’Office a constamment traité les données sur les taux – notamment les facteurs et les intrants que les parties estiment pertinents lors de l’établissement des taux négociés ou fixés par l’Office en vertu de l’article 152.1 de la LTC – comme étant confidentielles.

[14] VIA allègue qu’aucun motif ne justifie de déroger de la décision de 2010, à laquelle la décision de demande de justification fait référence.

[15] VIA soutient que le refus de l’Office d’ordonner la divulgation des taux imposés à VIA en vertu de l’accord conclu entre VIA et la Hudson Bay Railway Company dans la décision de 2010 est un motif justifiant le refus de divulgation dans le cas présent.

CN

[16] CN affirme que dans la décision de 2010, l’Office a examiné une question similaire, voire identique, et a conclu que, si le législateur avait eu l’intention d’exiger qu’une société de transport publique ou une compagnie de chemin de fer fournisse une copie d’un accord en ce qui concerne les montants à payer à quiconque en fait la demande, il aurait indiqué explicitement cette exigence à l’article 152.4 de la LTC, comme il l’a fait à l’article 152.1.

[17] Selon CN, même si les tribunaux quasi judiciaires ne sont pas liés par leurs décisions antérieures, ils doivent quand même assurer une certaine cohérence dans leur prise de décisions et, en tout temps, prendre des décisions qui sont conformes aux dispositions législatives adoptées par le législateur. CN fait valoir que les tribunaux administratifs ne doivent pas déroger de leurs décisions antérieures de façon déraisonnable et sans raisons valables.

Deuxième argument : L’intention du législateur n’était pas de divulguer une copie non épurée de l’accord.

VIA

[18] VIA affirme que le maintien de la confidentialité sert l’intérêt public en optimisant le recours aux forces du marché et en atteignant le meilleur niveau de service possible au plus bas prix. 

[19] Selon VIA, le paragraphe 152.4(1) de la LTC s’applique seulement aux accords conclus à la suite du règlement d’un différend par l’Office aux termes de l’article 152.1, et non aux accords qui sont négociés en privé.

[20] VIA fait valoir que l’alinéa 152.4(1)a) de la LTC exige seulement la divulgation des accords en ce qui concerne l’utilisation d’une infrastructure ou d’un service d’une compagnie de chemin de fer, et que la divulgation des accords en ce qui concerne les montants à payer ou les conditions d’utilisation de l’infrastructure ou des services ne sont pas assujettis à cet alinéa. VIA fait également valoir que si le législateur avait l’intention d’exiger la divulgation d’un accord en ce qui concerne les montants à payer, il aurait clairement indiqué cette exigence à l’article 152.4, comme il l’a fait à l’article 152.1.

CN

[21] CN soutient que l’article 152.4 de la LTC ne prévoit pas d’exigence de fournir les taux des montants à payer pour l’utilisation des chemins de fer, des terres, des installations, des équipements ou des services de la compagnie de chemin de fer. Par conséquent, CN est d’avis qu’elle n’est pas tenue par la loi de fournir une copie non épurée de l’accord.

[22] CN allègue que lorsqu’une disposition législative est claire, comme dans le cas présent, il n’est pas nécessaire de l’interpréter. CN ajoute que, dans la décision de 2010, l’Office a appliqué ce principe d’interprétation en déterminant que l’article 152.4 de la LTC ne contenait pas d’exigence de fournir une copie d’un accord en ce qui concerne les taux à payer pour l’utilisation d’un chemin de fer. Selon CN, l’obligation consiste plutôt à fournir une copie d’un accord en ce qui concerne l’utilisation des chemins de fer, des terres, des équipements, des installations ou des services de la compagnie de chemin de fer.

[23] Enfin, CN indique que l’Office agirait sans compétence en imposant une obligation qui n’est pas visée par sa loi constitutive.

Troisième argument : La divulgation d’une copie non épurée de l’accord causerait un préjudice irréparable à VIA et à CN.

VIA

[24] VIA affirme que l’accord est le document contractuel le plus important en ce qui concerne la relation commerciale entre CN et VIA. Les montants que doit payer VIA sont étroitement liés aux conditions selon lesquelles CN est tenue de fournir à VIA l’accès à son infrastructure ferroviaire. VIA soutient que l’accord a été négocié dans l’espoir qu’il resterait confidentiel.

[25] VIA fait valoir que la divulgation de l’accord donnerait aux concurrents l’accès à des renseignements sur sa structure de coûts, ce qui leur donnerait une longueur d’avance pour concevoir des produits concurrentiels ou un avantage concurrentiel dans les transactions futures.

[26] VIA affirme que la divulgation de l’accord permettrait aux concurrents d’utiliser les renseignements afin de négocier de meilleurs taux.

[27] VIA soutient enfin que la divulgation nuirait à sa position de négociation avec des tierces parties, surtout si les conditions et les taux qui révèlent où VIA a fait des compromis dans le passé étaient divulgués en l’absence du contexte dans lequel ces compromis ont été consentis.

CN

[28] CN fait valoir que la divulgation de l’accord causerait un préjudice irréparable à elle-même et à ses relations avec les autres sociétés de transport publiques. Selon CN, les conditions de chaque accord ont une grande importance pour les relations commerciales, et leur confidentialité est cruciale pour permettre aux compagnies de chemin de fer d’établir des relations commerciales significatives qui sont en définitive avantageuses pour les clients des sociétés de transport publiques et les actionnaires des compagnies de chemin de fer.

[29] CN affirme que la divulgation de l’accord nuirait au processus de négociation en établissant un montant de base, et permettrait à d’autres sociétés de transport publiques d’améliorer leur position de négociation aux frais ou au détriment de CN.  

[30] CN ajoute que la divulgation de l’accord ferait abstraction du choix du législateur de ne pas inclure les taux et les conditions dans la disposition relative à la divulgation de la LTC.

[31] CN allègue que, finalement, dans le cadre du régime fédéral d’accès à l’information, ces renseignements ne seraient jamais divulgués, étant donné leur nature et le préjudice qu’ils pourraient causer à CN s’ils étaient rendus publics. CN souligne qu’elle traite constamment ces renseignements à titre confidentiel à l’interne, et que peu d’employés ont accès à ces renseignements délicats et exclusifs.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

Question 1 : L’obligation de fournir, sur demande, une copie de tout accord conclu entre une compagnie de chemin de fer et une société de transport publique comprend-elle la transmission des modalités financières contenues dans ces accords?

[32] Le 5 mai 2010, l’Office a émis la décision de 2010, dans laquelle il a interprété l’article 152.4 de la LTC comme exigeant que la société de transport publique et la compagnie de chemin de fer fournissent une copie d’un accord concernant l’utilisation des chemins de fer, des terres, des installations, des équipements ou des services de la compagnie de chemin de fer, mais pas d’un document confidentiel dans lequel figure des taux établis par l’Office ou d’un accord concernant les montants à payer pour l’utilisation des chemins de fer, des terres, des installations, des équipements ou des services de la compagnie de chemin de fer.

[33] Une seule décision ne constitue pas un consensus liant une formation de membres de l’Office à long terme. Même s’il y a un consensus, lorsque plusieurs interprétations raisonnables sont possibles, un tribunal n’est pas tenu de prendre une décision conformément à ce consensus ou à la politique antérieure (voir Altus Group Limited c. Calgary (City), 2015 ABCA 86).

[34] Pour les raisons énoncées ci-après, l’Office dérogera de la décision de 2010.

[35] Conformément à l’alinéa 152.4(1)a) de la LTC, une compagnie de chemin de fer ou une société de transport publique est tenue de fournir à quiconque lui en fait la demande une copie de tout accord concernant l’utilisation des chemins de fer, des terres, des installations, des équipements ou des services de la compagnie de chemin de fer.  

[36] L’article 152.4 de la LTC ne peut pas être interprété comme s’appliquant seulement aux situations où le montant à payer a été fixé dans le cadre d’une décision de l’Office pour les deux raisons principales qui suivent.

  • Premièrement, quand le législateur a l’intention de limiter l’application d’un droit ou d’une obligation pour une question précise qui doit être tranchée par l’Office, cette intention est explicitement indiquée dans la disposition législative. Le législateur avait cette intention en établissant le paragraphe 152.1(2) de la LTC, lequel prévoit l’intervention de l’Office « [e]n cas de différend survenant entre une société de transport publique et une compagnie de chemin de fer sur toute question soulevée dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord et concernant une question que l’Office a réglée […] ». [soulignement ajouté] L’article 152.4 ne contient aucun libellé similaire ou équivalent.
  • Deuxièmement, l’article 152.1 de la LTC est simplement un mécanisme de règlement des différends. La décision prise par l’Office au titre des questions à trancher qui lui sont soumises lie les parties pendant cinq ans (voir l’article 152.3). Toutefois, contrairement au mécanisme d’arbitrage sur le niveau de service prévu au paragraphe 169.38(2) de la LTC, la décision n’est pas considérée comme un contrat entre la compagnie de chemin de fer et la société de transport publique. Par conséquent, l’obligation de fournir une copie de « tout accord » en vertu de l’article 152.4 doit nécessairement faire référence à tout accord, y compris les accords négociés en privé, peu importe qu’une ou plusieurs conditions découlent d’une décision de l’Office en vertu de l’article 152.1.

[37] De plus, l’article 152.1 de la LTC fait référence à « toute question […] d’un accord et touchant l’utilisation » ou « les conditions afférentes ou le prix à payer pour leur utilisation ».

[38] Même si l’article 152.4 renvoie à un « accord concernant l’utilisation », les conditions et le prix à payer pour l’utilisation sont des conditions qui se retrouvent généralement dans un accord touchant l’utilisation.

[39] Le législateur a utilisé ces énoncés particuliers au paragraphe 152.1(1) de la LTC pour veiller à ce que les sociétés de transport publiques n’aient pas facilement recours au mécanisme de règlement des différends pour ne pas avoir un effet dissuasif sur les négociations commerciales. En effet, une société de transport publique ne peut demander à l’Office d’intervenir que si elle et la compagnie de chemin de fer ne parviennent pas à s’entendre. Le législateur voulait veiller à ce que la société de transport publique puisse, par exemple, demander à l’Office de prendre une décision quant au montant à payer, même si d’autres aspects de l’utilisation du chemin de fer ont été convenus.

[40] Dans ce contexte, l’Office conclut que l’interprétation la plus raisonnable de l’article 152.4 de la LTC est la suivante : La divulgation de tout accord dans son intégralité, y compris les accords négociés en privé, est exigée, sur demande. 

Question 2 : L’Office devrait-il ordonner la divulgation complète de l’accord à M. Sher, y compris les montants que VIA doit payer à CN?

[41] VIA et CN affirment que la divulgation de l’accord leur causerait un préjudice irréparable.

[42] Même si le paragraphe 152.4(2) de la LTC permet à l’Office d’exclure, sur demande, tout ou partie de l’accord de la divulgation intégrale, cela ne s’applique qu’aux accords conclus avant l’entrée en vigueur de cette disposition le 22 juin 2007.

[43] Le paragraphe 152.4(2) de la LTC ne prévoit pas d’exemption pour la divulgation des accords conclus à compter du 22 juin 2007.

[44] Cela indique que le législateur a envisagé la possibilité que les renseignements commerciaux de nature délicate figurant dans les accords pourraient faire l’objet d’une diffusion publique par l’application de l’article 152.4 en ce qui concerne les accords conclus à compter du 22 juin 2007.

[45] Dans le cas présent, CN et VIA soutiennent que la divulgation des montants à payer prévus dans l’accord donnerait un avantage indu à leurs concurrents. L’Office reconnaît qu’à la suite de la décision de 2010, VIA et CN ont conclu l’accord de bonne foi en croyant que les données financières ne seraient pas divulguées. Pour cette raison, l’Office estime qu’il existe une possibilité raisonnable que VIA et CN subiraient un préjudice irréparable si ces données étaient divulguées. Par conséquent, en l’espèce, l’Office exercera son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la disposition qui concerne les montants à payer prévus dans l’accord.

[46] L’exercice du pouvoir discrétionnaire vise l’accord seulement. Il ne s’applique pas aux autres accords conclus entre VIA et CN, y compris les prorogations ou les renouvellements d’accords et les accords futurs.  

CONCLUSION

[47] En vertu du paragraphe 152.4(1) de la LTC, la divulgation des accords doit être effectuée dans leur intégralité. Cependant, dans le cas présent, l’obligation de divulgation de VIA et de CN peut exclure les montants à payer.

ORDONNANCE

[48] L’Office ordonne à VIA et à CN de divulguer l’accord, à l’exception des montants à payer (si elles souhaitent épurer ces données), à M. Sher au plus tard le 3 mars 2017.

Membre(s)

Scott Streiner
Sam Barone
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