Décision n° 381-R-2014

le 16 octobre 2014

DEMANDE présentée par l’Administration portuaire de Sept-Îles pour une détermination en vertu du paragraphe 140(2) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée.

No de référence : 
14-01863

DEMANDE

[1] Le 2 avril 2014, l’Administration portuaire de Sept-Îles (demanderesse) a déposé une demande en vertu du paragraphe 140(2) de la Loi sur les transports au Canada (LTC) auprès de l’Office des transports du Canada (Office) dans laquelle elle demande une détermination concernant la nature de certaines voies ferrées. Il est indiqué dans la demande que les intimées sont Chemin de fer Arnaud, Wabush Iron Co Limited et Wabush Resources Inc. Des interventions ont été déposées par New Millennium Iron Corp., Labrador Iron Mines Holdings Limited, Développement Économique Sept-Îles, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador et Tata Steel Minerals Canada Limitée.

[2] Dans le cadre de son examen des actes de procédure du cas présent, l’Office a relevé deux questions qui devaient être réglées avant de se pencher sur la demande. Dans la décision no LET‑R-49-2014 du 30 juillet 2014, l’Office a ordonné à la demanderesse et aux intimées de déposer une présentation sur les questions juridiques suivantes :

  1. Une détermination de faits en vertu du paragraphe 140(2) de la LTC peut-elle servir à une autre fin que celles établies à la section V?
  2. La demanderesse a-t-elle la qualité requise pour déposer une demande en vertu du paragraphe 140(2) de la LTC?

QUESTION 1: UNE DÉTERMINATION DE FAITS EN VERTU DU PARAGRAPHE 140(2) DE LA LTC PEUT-ELLE SERVIR À UNE AUTRE FIN QUE CELLES ÉTABLIES À LA SECTION V?

Positions des parties

Demanderesse

[3] La demanderesse demande à l’Office de déterminer si la voie en question est assujettie au processus de transferts et de cessation. La détermination de faits portera sur la nature de la voie ferrée existante.

[4] La demanderesse fait valoir qu’il n’est pas nécessaire de se pencher en ce moment sur la question de savoir si une détermination de faits pourrait servir à une autre fin. La demanderesse soutient que si cette question doit être débattue, ce [traduction] « devrait être dans le contexte d’une demande déposée auprès de l’Office par une partie concernée ».

[5] La demanderesse indique qu’une fois que l’Office aura fait une détermination concernant les lignes de chemin de fer, elle sera en mesure de planifier son propre réseau ferroviaire. À cet égard, la demanderesse affirme qu’il est particulièrement important pour sa croissance future de savoir si les lignes pourraient disparaître sans que le processus de transferts et de cessation d’exploitation soit appliqué.

[6] Selon la demanderesse, la question de savoir si une détermination de faits pourrait servir à une autre fin que celles établies à la section V est sans objet en ce moment, puisque l’issue recherchée par la demanderesse est une détermination que l'Office doit faire et pour laquelle il a la compétence.

[7] La demanderesse considère que l’article 140 de la LTC ne précise pas qu’une demande de transfert ou de cessation est exigée pour que l’Office fasse une détermination en vertu de cet article. 

Intimées

[8] Les intimées affirment que le pouvoir de l’Office de faire une détermination de faits en vertu du paragraphe 140(2) de la LTC porte sur les exclusions que renferme la définition d’une « ligne », au paragraphe 140(1).

[9] Les intimées font particulièrement valoir les points suivants :

  • une détermination de faits en vertu du paragraphe 140(2) de la LTC ne peut pas servir à une autre fin que celles établies à la section V de la partie III de la LTC;
  • la demande n’a pas de fondement dans la LTC;
  • les questions soulevées par la demanderesse ne sont pas correctement réglées en vertu du paragraphe 140(2) de la LTC;
  • la demande est sans objet.

Les intimées soutiennent que l'article 140 de la LTC prévoit que l'Office peut « décider, comme question de fait », si une voie relève de la définition d'une ligne de chemin de fer aux fins de la Division V. Toutefois, les intimées affirment que l'article 140 n'accorde pas à l'Office la compétence pour émettre une détermination indépendante.

Analyse et constatations

[10] L’article 140 de la LTC prévoit ce qui suit :

  1. Dans la présente section, « ligne » vise la ligne de chemin de fer entière ou un tronçon seulement, mais non une voie de cour de triage, une voie d’évitement ou un épi, ni une autre voie auxiliaire d’une ligne de chemin de fer.
  2. L’Office peut décider, comme question de fait, ce qui constitue une voie de cour de triage, une voie d’évitement ou un épi, ou une autre voie auxiliaire d’une ligne de chemin de fer.

[11] Le paragraphe 140(2) est énoncé dans la partie III, section V de la LTC, qui renferme les dispositions générales concernant les transferts et la cessation de l’exploitation de lignes de chemin de fer.

[12] La demanderesse affirme que l’Office a la compétence pour faire la détermination demandée, peu importe la présence d’une question réelle ou potentielle en vertu de la section V.

[13] L'idée principale des arguments des intimées est que le paragraphe 140(2) de la LTC ne doit pas servir de disposition indépendante qui s’applique sans lien avec le processus de cessation d’exploitation.

[14] Comme il est noté dans Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Markham, Ont.: Butterworths, 2002), aux pages 281 et 284 :

[traduction]

Chaque disposition ou partie d’une disposition doit être prise dans son contexte immédiat, mais aussi dans le contexte de la loi dans son ensemble. Lorsque les mots sont lus dans leur contexte immédiat, le lecteur se forge une impression de leur signification. Cette signification peut être vague ou précise, claire ou ambiguë. Des impressions fondées sur le contexte immédiat doivent être complétées en considérant le reste de la loi, y compris les autres dispositions de la Loi et ses divers éléments de structure.

. . .

Lorsqu’elle analyse l’essence d’une loi, la cour essaie de découvrir comment la disposition ou les parties de la loi fonctionnent ensemble pour donner effet à un plan plausible et cohérent. Elle considère ensuite comment la disposition à interpréter peut être comprise, aux termes de ce plan.

[15] Le processus de transferts et de cessation établi aux articles 141 à 146 de la LTC s’applique à toutes les lignes de chemin de fer relevant de l’autorité législative du Parlement. Aux termes de ce processus, une compagnie de chemin de fer de compétence fédérale doit prendre des mesures avant de transférer une ligne de chemin de fer ou d’en cesser l’exploitation :

  1. fournir un avis de son intention de cesser l’exploitation de la ligne qui figurera pendant au moins 12 mois dans son plan triennal;
  2. faire connaître au public le droit de propriété ou d’exploitation qu’elle détient sur la ligne;
  3. négocier avec les intéressés;
  4. offrir de céder tous ses droits sur la ligne de chemin de fer concurremment aux gouvernements fédéral et provinciaux ainsi qu’aux administrations municipales et aux administrations de transport de banlieue applicables;
  5. aviser l’Office de son intention de cesser l’exploitation de la ligne.

[16] Dans le cadre de la demande, l’Office peut fournir de l’aide pour :

  • déterminer si une voie en particulier est assujettie au processus de transferts et de cessation;
  • veiller à ce que le processus de transferts et de cessation soit respecté;
  • veiller à ce que la compagnie de chemin de fer et une partie intéressée négocient de bonne foi.

[17] Le paragraphe 140(1) de la LTC prévoit qu’une ligne de chemin de fer ne vise pas les voies de cour de triage, les voies d’évitement ou les épis, ni une autre voie auxiliaire d’une ligne de chemin de fer. Il n’est donc pas nécessaire de suivre le processus prescrit pour cesser l’exploitation de ces types de voies.

[18] Le Parlement a adopté la section V dans le cadre de son objectif global visant à fournir un processus simplifié de rationalisation des questions ferroviaires liées aux procédures d’abandon de ligne. Dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Office des transports du Canada, A-355-07, le juge Noël J.C.A. a écrit au paragraphe 48 :

En réalité, la section V est un code complet qui fonctionne suivant un échéancier défini. Son libellé est impératif et les étapes détaillées qui doivent être suivies ne laissent aucun doute quant à savoir à quel moment le processus commence et à quel moment il se termine. L’obligation de la compagnie de chemin de fer d’offrir aux organismes publics de leur vendre la ligne à la valeur nette de récupération si aucune entente n’est conclue dans le délai de six mois (paragraphe 145(2)) fait partie de ces étapes.

[19] L’Office est d’avis que le paragraphe 140(2) de la LTC n’est pas une disposition indépendante et qu’il doit plutôt être lu conjointement avec les articles 141 à 146 dans le contexte du processus de cessation prescrit. Cela ne veut pas dire qu’une détermination en vertu du paragraphe 140(2) de la LTC implique nécessairement qu’un processus de cessation doive avoir été engagé pour invoquer la compétence de l’Office. Toutefois, il est néanmoins indispensable qu’un demandeur établisse un lien suffisant avec le processus de cessation.

[20] Des déterminations antérieures de l’Office en vertu du paragraphe 140(2) de la LTC portaient soit sur une demande présentée par une compagnie de chemin de fer concernant la nature de voies en particulier lui appartenant, soit sur le défaut allégué d’une compagnie de chemin de fer de se conformer au processus de cessation.

[21] Dans la présente demande, toutefois, l’Office n’a pas trouvé de preuve dans les actes de procédure démontrant un lien avec le processus de cessation que vise la section V. Quoiqu'il en soit, il n'y a aucune preuve d'une quelconque intention de la part des intimées de transférer ou de cesser l’exploitation des voies en question.

[22] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que la demanderesse n’a pas réussi à établir un lien suffisant entre sa demande et le processus de cessation énoncé à la section V de la partie III de la LTC. Autrement dit, la détermination de faits en vertu du paragraphe 140(2) de la LTC ne peut pas servir à une autre fin que celles établies à la section V.

[23] Par conséquent, l’Office rejette la demande au motif de la question 1. Comme la demande est rejetée pour ce motif, il n’est pas nécessaire que l’Office se penche sur la question 2.

CONCLUSION

[24] Pour les motifs susmentionnés, l’Office rejette la demande.

Membre(s)

Sam Barone
P. Paul Fitzgerald
Date de modification :