Décision n° 383-C-A-2008
le 23 juillet 2008
RELATIVE à une plainte déposée par K contre Air Canada.
Référence no M4120-3/07-07098
INTRODUCTION ET QUESTION
[1] Le 27 juin 2007, Air Canada a informé K qu'il ne pourrait plus voyager à bord de ses vols à l'avenir, y compris le vol no AC002 en partance de Tokyo, Japon et à destination de Toronto (Ontario), Canada, le 30 juin 2007. Le transporteur prétend que K a affiché un comportement inapproprié à bord du vol no AC001 parti de Toronto le 9 juin 2007. K avait acheté un billet à destination de Bangkok, Thaïlande, avec une correspondance à Tokyo. Il a par la suite acheté un billet de la compagnie Cathay Pacific Airways Limited comme solution de rechange pour son retour à Toronto. Il demande le remboursement du prix de ce billet et la levée de l'interdiction à vie de voyager avec Air Canada.
[2] Air Canada a-t-elle appliqué correctement les conditions de transport relatives au refus de transporter précisées dans son tarif international énonçant les règles applicables aux passagers et au prix, CTA(A) no 458 (le tarif)? Si le transporteur a refusé à tort de transporter le passager, la question du remboursement des dépenses engagées par K, notamment pour une autre option de transport, devient un enjeu.
[3] Comme l'indiquent les motifs exposés ci-dessous, l'Office conclut dans cette affaire qu'Air Canada a appliqué correctement les conditions de transport énoncées dans son tarif, et, par le fait même, rejette la plainte.
FAITS
[4] Le 9 juin 2007, K a pris le vol no AC001 en partance de Toronto et à destination de Tokyo, d'où il devait prendre un vol de correspondance à destination de Bangkok avec Thai Airways International Public Company Limited (Thai Airways). Lors du débarquement à Tokyo, K a eu une altercation avec deux agents de bord. La police a été appelée sur les lieux et l'a interrogé. Aucune accusation n'a été portée contre K. L'agent de porte d'Air Canada a signalé l'incident au commandant de bord du vol de correspondance de K, et celui-ci l'a autorisé à poursuivre son voyage jusqu'à Bangkok.
[5] Le ou vers le 14 juin 2007, Air Canada a informé K qu'il ne serait pas autorisé à voyager à son bord, de Bangkok à Toronto, le 30 juin 2007. Le 27 juin 2007, Air Canada a informé K par courriel de sa décision de refuser de le transporter à l'avenir, jusqu'à ce qu'il puisse lui démontrer qu'il ne représente plus une menace à la sécurité et au confort des passagers et de l'équipage, et à l'exploitation sécuritaire de l'aéronef.
[6] K a acheté un billet de la compagnie Cathay Pacific Airways Limited pour son voyage de retour à Toronto le 30 juin 2007, ce qui représente une dépense supplémentaire de 83 825 baht thaïlandais. K demande le remboursement de 75 000 milles Aéroplan et du prix du billet de remplacement de 83 825 baht thaïlandais, un montant de 25 000 $ pour dommages exemplaires et la levée de l'interdiction de transport à vie imposée par Air Canada.
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
[7] Dans sa plainte, K a soulevé des questions relatives au service à la clientèle, comme la qualité de la nourriture servie à bord et la manière dont les membres d'équipage ont traité ses demandes de service à bord du vol no AC001. K demande aussi des dommages exemplaires.
[8] L'Office ne peut pas statuer sur ces aspects de la plainte de K. Il n'a pas la compétence pour se prononcer sur la qualité des services offerts par un transporteur aérien, ni l'autorité pour imposer des dommages exemplaires.
PREUVES ET MÉMOIRES
[9] L'Office a reçu des mémoires de K et d'Air Canada.
[10] K prétend qu'il a été agressé et battu par deux agents de bord lors du débarquement du vol no AC001 à Tokyo, le 10 juin 2007. Il soutient qu'au moment où il quittait l'aéronef, il s'est adressé à un agent de bord qui se tenait dans l'office en face de la porte et lui a dit que ce vol avait été le pire vol de longue distance qu'il ait jamais connu. Il affirme que l'agent de bord lui a alors saisi la main de manière agressive et lui a tordu le bras dans le dos pour le pousser en direction du poste de pilotage en lui disant qu'il devait faire cet affirmation devant le commandant de bord.
[11] Selon K, l'agent de bord a commencé à le pousser. Il s'est tortillé vers la droite, en se penchant vers l'arrière, tout en tenant un gros bagage de cabine de sa main gauche. L'agent de bord a perdu pied, est tombé sur le plancher de l'aéronef, en tenant toujours la main de K, et a entraîné ce dernier avec lui. K ajoute qu'il a encaissé les coups des agents de bord, alors qu'il était sur le plancher. Il prétend qu'un des agents de bord l'a maintenu au plancher, alors qu'un autre lui attachait les mains avec une attache à tête d'équerre. Lorsque le commandant de bord est arrivé, K a demandé qu'on le relâche, ce à quoi le commandant de bord aurait répondu qu'il était trop tard. K fait remarquer que la police a été appelée sur les lieux, qu'elle l'a interrogé, lui a enlevé l'attache à tête d'équerre et lui a permis de poursuivre son voyage en direction de Bangkok sans déposer d'accusation. Il mentionne que l'agent de porte d'Air Canada a signalé l'incident au commandant de bord du vol de correspondance avec Thai Airways. Il signale toutefois qu'après avoir été interrogé par ce transporteur, il a été jugé apte à voyager vers Bangkok.
[12] En plus de plusieurs sujets de plainte sur la prétendue mauvaise qualité du service par le personnel de cabine, K prétend qu'approximativement au milieu du vol de 13 heures, un des agents de bord a délibérément renversé un bol de soupe aux nouilles sur ses genoux et que le bon de 15 $ qui lui a été remis par la suite était insuffisant pour couvrir le coût du nettoyage à sec de ses vêtements.
[13] K fait valoir qu'au cours du vol no AC001, il a reçu neuf petites bouteilles de spiritueux, dont trois sont toujours en sa possession et deux ont été consommées après le vol vers Tokyo. Il nie catégoriquement avoir été en état d'ébriété pendant le vol. Il conteste les affirmations des agents de bord voulant qu'il ait eu de la difficulté à articuler, et que s'il a bafouillé, il ne l'a fait qu'à une seule occasion. Il nie avoir eu un comportement violent, agressif et intimidant pendant le débarquement. Il prétend que ses gestes étaient en tout temps purement défensifs. Il prétend que l'agent de bord s'est emporté au cours du débarquement parce qu'il n'était pas d'accord avec les plaintes qu'il avait formulées concernant la qualité du service pendant le vol. Il ajoute qu'en aucun temps pendant l'embarquement ou le débarquement ou pendant le vol, il n'a été informé que son comportement pourrait compromettre sa capacité de voyager avec Air Canada à l'avenir.
[14] Air Canada a déposé plusieurs déclarations signées des membres d'équipage décrivant le présumé comportement inapproprié affiché par K à bord du vol no AC001. Bien que K en ait fait la demande, Air Canada n'a pas fourni de copie du rapport d'incident en vol, invoquant le secret professionnel.
[15] Un agent de bord d'Air Canada fait valoir que K aurait effleuré par inadvertance le bras de l'agent de bord et que la soupe n'a pas été renversée délibérément sur les genoux du passager. L'agent de bord s'est immédiatement excusé et le directeur de bord (DB) a par la suite remis à K un bon de nettoyage à sec. Le transporteur affirme que K a beaucoup bu pendant le vol, qu'il a été impoli envers les membres d'équipage, qu'il a demandé un scotch pendant que l'on servait de l'eau et qu'il a actionné à plusieurs reprises le bouton d'appel des agents de bord pour demander de l'alcool. Le transporteur affirme que son personnel le jugeait en état d'ébriété et qu'il a alors cessé de lui servir de l'alcool. Air Canada estime que K a commandé environ 15 consommations auprès de différents membres d'équipage pendant le vol.
[16] Air Canada indique que K a demandé de l'alcool à plusieurs reprises malgré qu'il ait été averti par les membres d'équipage qu'on ne lui en servirait plus, qu'il a pris des notes, qu'il a noté le nom du DB et qu'il a pris sa photo. Air Canada soutient que lors du débarquement des passagers à Tokyo, K a empoigné avec force et agressivité la main du DB, et alors que le membre d'équipage tentait de se libérer, K l'aurait poussé dans l'office de l'aéronef, serait tombé sur lui et se serait débattu avec lui sur le plancher. Air Canada mentionne qu'un autre membre d'équipage a appelé la police pendant qu'on maintenait K contre la paroi de l'aéronef et qu'on lui attachait les mains avec une attache à tête d'équerre. Un agent de bord indique que pendant tout ce temps, K n'a pas opposé de résistance et qu'il s'est conformé aux directives, bien qu'il semblait, selon eux, très contrarié et un peu effrayé.
[17] Air Canada fait valoir que la police est arrivée 5 à 10 minutes plus tard et a demandé au DB s'il souhaitait porter des accusations contre K, ce à quoi il aurait répondu non. Air Canada signale que son représentant à Tokyo a informé le DB que K ne serait pas autorisé à voyager avec Air Canada pour son retour à Toronto le 30 juin 2007. Air Canada a déposé auprès de l'Office une copie de sa lettre du 8 février 2008, adressée à K, dans laquelle elle l'informe qu'elle a crédité 37 500 milles à son compte Aéroplan pour la portion inutilisée de son billet, et qu'elle lui rembourse 71 $ pour les taxes applicables.
[18] Air Canada indique que sa décision de refuser de transporter K à bord du vol no AC002 de Tokyo à Toronto le 30 juin 2007, et de tous ses vols à l'avenir, est justifiée en raison du comportement de K le 9 juin 2007, et parce qu'il n'a pas démontré, à la satisfaction du transporteur, qu'il ne représente plus une menace pour la sécurité des passagers, de l'équipage ou de l'aéronef, ou qu'il ne porterait plus atteinte au confort des autres passagers ou de l'équipage.
ANALYSE ET CONSTATATIONS
[19] L'Office a examiné les éléments de preuve versés au dossier et note les versions contradictoires des parties quant aux événements qui se sont déroulés et aux comportements de l'équipage et de K. Air Canada prétend que K a poussé un DB, l'a renversé sur le plancher de l'aéronef et qu'il est tombé sur lui, alors que K prétend qu'il n'a fait que se défendre après qu'un agent de bord l'a poussé et lui a tordu le bras, et que le DB est tombé en l'entraînant avec lui au plancher.
[20] La prétendue mauvaise qualité du service et le renversement d'une soupe sur les genoux du passager ont entraîné une altercation entre un agent de bord et K plusieurs heures plus tard. Toutefois, les détails exacts n'ont pas été clairement établis.
[21] Dans les plaintes portées à l'attention de l'Office, un principe de longue date veut qu'il incombe au demandeur d'établir selon la prépondérance des probabilités que le transporteur aérien n'a pas appliqué les conditions de transport de son tarif ou que les conditions de transport sont déraisonnables. Dans le cas présent, la preuve est contradictoire sur pratiquement tous les aspects. L'Office doit, selon la prépondérance des probabilités, déterminer ce qui est le plus probable. Qui plus est, K, en plus d'énoncer les faits, doit convaincre l'Office que sa version est plus probable que celle d'Air Canada.
[22] Le tarif d'Air Canada prévoit que lorsque le transporteur a déterminé, en faisant preuve de jugement raisonnable, qu'une personne a eu un comportement qui pourrait avoir une incidence négative sur sa sécurité ou son confort ou sur ceux d'autres passagers, d'agents ou de l'équipage, ou encore sur l'exploitation sécuritaire de l'aéronef, Air Canada peut imposer certaines sanctions, y compris le retrait du passager d'un aéronef à n'importe quel point ou le refus de le transporter (interdiction ponctuelle de voyager, pour une période indéfinie ou à vie). Le tarif d'Air Canada prévoit aussi que la responsabilité du transporteur dans le cas où il refuse de transporter un passager pour un vol particulier ou lorsqu'il débarque un passager à un point en route, parce que le passager manifeste un comportement inapproprié, se limite au recouvrement de la valeur du remboursement de la portion non utilisée du billet du passager. L'Office note que, bien que l'initiative ait eu lieu au-delà de la date prévue dans sa lettre du 8 février 2008, Air Canada a éventuellement crédité 37 500 milles au compte Aéroplan de K pour la portion inutilisée de son billet, et qu'elle lui a remboursé 71 $ pour les taxes applicables, bien que la valeur des milles Aéroplan soit discutable, étant donné qu'Air Canada a imposé une interdiction à vie de voyager.
[23] Comme il est indiqué précédemment, le fardeau de la preuve incombe au demandeur. Dans le cas présent, la preuve soumise par Air Canada contrebalance celle soumise par K. Par conséquent, K ne s'est pas acquitté de son fardeau de preuve. L'Office conclut donc qu'Air Canada a appliqué correctement les conditions de son tarif.
[24] Puisque l'Office conclut qu'Air Canada a respecté les conditions de son tarif, K n'a pas droit à une indemnisation de la part d'Air Canada, qui a déjà remboursé la portion non utilisée de son billet comme le prévoit les conditions du tarif.
L'interdiction à vie
[25] Indépendamment de la conclusion énoncée au paragraphe 24, l'Office souhaite commenter la gravité de l'interdiction à vie imposée par Air Canada à K, la manière dont elle a fait cette détermination et les conditions qui y sont rattachées. K indique que le transporteur aérien n'a pas tenté de communiquer avec lui ou d'obtenir sa version des faits avant d'appliquer l'interdiction à vie. En fait, il semble, d'après les éléments de preuve recueillis, que la décision d'interdire le transport à K à vie a été prise par le personnel sans qu'une enquête impartiale sur cette question n'ait eu lieu.
[26] Pour lever l'interdiction à vie, Air Canada exige que K reconnaisse qu'il a eu un comportement inapproprié à bord du vol no AC001 le 9 juin 2007 et qu'il donne l'assurance qu'un tel comportement ne se reproduira plus. Le transporteur aérien affirme que depuis l'incident « K a toujours refusé d'accepter toute responsabilité et il continue de contester les faits » [traduction]. Le fait qu'un passager réfute l'interprétation des événements par Air Canada ne constitue pas, à lui seul, une raison d'interdire le transport à vie.
[27] Air Canada fait valoir que la sanction a été appliquée parce que K était en état d'ébriété, qu'il était agressif envers les employés du transporteur et qu'il manifestait un « comportement intimidant ». Pour ce qui est de la première allégation, il n'a pas été prouvé que K était réellement en état d'ébriété, étant donné la période pendant laquelle se sont déroulés les événements; toutefois, l'Office conclut que le personnel de cabine avait des motifs raisonnables de croire qu'il l'était. K prétend que l'agression venait en fait de l'agent de bord et qu'il était la victime.
[28] Le prétendu comportement « intimidant » de K comprend le fait d'avoir activé le bouton d'appel et pris en note le temps que prenait l'équipage pour répondre, demandé de l'alcool pendant la distribution d'eau, noté les gestes des membres d'équipage, demandé les noms des agents de bord et pris la photo d'un DB. L'Office conclut qu'un tel comportement, en lui-même, ne représente pas un comportement inapproprié aux termes de son tarif.
CONCLUSION
[29] À la lumière de ce qui précède, l'Office rejette la plainte.
Membres
- J. Mark MacKeigan
- Raymon J. Kaduck
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