Décision n° 388-R-2013
Renversée par la décision 2015 CAF 283 du 7 décembre 2015
RELATIVE à la décision no 202-R-2013 en réponse à la demande présentée par Canexus Chemicals Canada, LP; Olin Canada ULC, faisant affaires sous la raison sociale d’Olin Chlor Alkali Products; ERCO Worldwide, une division de Superior Plus LP; et Chemtrade Logistics Inc. et Chemtrade West Limited Partnership.
INTRODUCTION
[1] Dans la décision no 202-R-2013 (décision), l’Office des transports du Canada (Office) a formulé des conclusions et a exprimé des opinions préliminaires sur certaines questions ayant trait à la demande présentée par Canexus Chemicals Canada, LP; Olin Canada ULC, faisant affaires sous la raison sociale d’Olin Chlor Alkali Products; ERCO Worldwide, une division de Superior Plus LP; et Chemtrade Logistics Inc. et Chemtrade West Limited Partnership (demanderesses) contre la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP).
[2] La demande concernait le tarif 8 (tarif) qui a été publié par CP le 1er décembre 2011. Le tarif s’applique au transport de marchandises dangereuses et décrit ces dernières comme étant des biens dangereux, des matières dangereuses et des marchandises toxiques par inhalation.
[3] Le paragraphe 54 du tarif de CP (paragraphe 54) s’applique aux expéditeurs de marchandises dangereuses. Il renferme des obligations en matière d’indemnisation et un régime de responsabilité concernant le transport de marchandises, lesquels transfèrent à l’expéditeur la responsabilité se rapportant aux dommages ou aux frais qui découlent du transport de marchandises dangereuses, y compris la responsabilité envers les tiers. Les conditions qui se trouvent dans le paragraphe 54 sont énoncées dans l’annexe.
[4] Dans la décision, l’Office a soulevé trois questions :
- L’interdiction de la limitation de la responsabilité qui est énoncée à l’article 137 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée (LTC) s’applique-t-elle uniquement aux dommages causés aux marchandises transportées par la compagnie de chemin de fer pour l’expéditeur et à la perte de ces marchandises?
- Les conditions liées à l’indemnisation et à la responsabilité qui sont énoncées au paragraphe 54 du tarif 8 de CP vont-elles à l’encontre de l’article 137 de la LTC?
- L’article 120.1 de la LTC s’applique-t-il au paragraphe 54 du tarif 8 de CP?
Question 1 : L’interdiction de la limitation de la responsabilité qui est énoncée à l’article 137 de la LTC s’applique-t-elle uniquement aux dommages causés aux marchandises transportées par la compagnie de chemin de fer pour l’expéditeur et à la perte de ces marchandises?
[5] L’Office a conclu que l’interdiction de la limitation de la responsabilité ne touche pas uniquement les dommages causés aux marchandises que la compagnie de chemin de fer transporte pour l’expéditeur ou la perte de ces marchandises.
Question 2 : Les conditions liées à l’indemnisation et à la responsabilité qui sont énoncées au paragraphe 54 du tarif 8 de CP vont-elles à l’encontre de l’article 137 de la LTC?
[6] L’Office a conclu que deux aspects du paragraphe tarifaire constituent une limitation de la responsabilité envers l’expéditeur au sens du paragraphe 137(1) de la LTC.
[7] En ce qui concerne l’expression « ne peut être tenue responsable envers l’expéditeur », l’Office a conclu que la disposition d’un tarif qui soustrait une compagnie de chemin de fer à la responsabilité envers l’expéditeur à l’égard du transport des marchandises, y compris la clause d’exclusion énoncée au paragraphe 54, va à l’encontre du paragraphe 137(1) de la LTC.
[8] En ce qui concerne l’expression « de garantir, de défendre et de protéger CP », en particulier en ce qui a trait à la section sur la responsabilité conjointe du paragraphe 54, l’Office a conclu que puisque ce paragraphe écarte le principe de la répartition de la responsabilité découlant des règles de droit qui régissent la responsabilité conjointe entre CP et l’expéditeur en réduisant ou en annulant la part de responsabilité de CP, il constitue une limitation de la responsabilité envers l’expéditeur, et cette limitation de responsabilité est donc interdite en vertu du paragraphe 137(1) de la LTC.
[9] De plus, l’Office a conclu qu’en imposant à l’expéditeur l’obligation de garantir, de défendre et de protéger CP, cette dernière a intégré dans le tarif un mécanisme par lequel elle s’assure que l’expéditeur la dédommagera entièrement des responsabilités envers les tiers. Cette obligation va au-delà d’une limitation de la responsabilité et par conséquent ne constitue peut-être pas une clause de limitation de la responsabilité envers l’expéditeur.
[10] Étant donné que la question de savoir si l’obligation de garantir et de protéger équivaut à une limitation de la responsabilité envers l’expéditeur pour le transport de marchandises n’a pas été plaidée dans les actes de procédure, l’Office a soumis la question suivante aux demanderesses et à CP : « L’obligation de garantir, de défendre et de protéger CP, comme elle est énoncée au paragraphe 54, équivaut-elle à une clause de limitation de la responsabilité de CP envers les demanderesses? »
Question 3 : L’article 120.1 de la LTC s’applique-t-il au paragraphe 54 du tarif 8 de CP?
[11] L’Office a donné aux demanderesses et à CP l’occasion de présenter des commentaires sur la question de savoir si l’Office peut se prononcer sur le paragraphe 54 conformément à l’article 120.1 de la LTC, et a ordonné aux parties de limiter leurs commentaires à l’interprétation de cet article.
DÉCISION FINALE
[12] Compte tenu des présentations déposées en réponse à la décision, l’Office a cerné trois questions principales à examiner avant de rendre sa décision finale en l’espèce :
- Les conditions liées à l’indemnisation et à la responsabilité qui sont énoncées au paragraphe 54 du tarif de CP sont-elles interdites en vertu de l’article 137 de la LTC, plus précisément, l’obligation des expéditeurs de garantir, de défendre et de protéger CP, comme elle est énoncée au paragraphe 54, équivaut-elle à une limitation de la responsabilité de CP envers les demanderesses?
- L’Office peut-il se prononcer sur le paragraphe 54 en vertu de l’article 120.1 de la LTC?
- Le cas échéant, le paragraphe 54 est-il déraisonnable en vertu de l’article 120.1 de la LTC?
La loi
[13] Le paragraphe 137(1) de la LTC prévoit ce qui suit :
La compagnie de chemin de fer ne peut limiter sa responsabilité envers un expéditeur pour le transport des marchandises de celui-ci, sauf par accord écrit signé soit par l’expéditeur, soit par une association ou un groupe représentant les expéditeurs.
[14] Le paragraphe 120.1(1) de la LTC prévoit ce qui suit :
Sur dépôt d’une plainte de tout expéditeur assujetti à un tarif applicable à plus d’un expéditeur – autre qu’un tarif visé au paragraphe 165(3) – prévoyant des frais relatifs au transport ou aux services connexes ou des conditions afférentes, l’Office peut, s’il les estime déraisonnables, fixer de nouveaux frais ou de nouvelles conditions par ordonnance.
[15] Le paragraphe 120.1(7) de la LTC prévoit que « Il est entendu que le présent article ne s’applique pas aux prix relatifs au transport. »
Question 1 : Les conditions liées à l’indemnisation et à la responsabilité qui sont énoncées au paragraphe 54 du tarif de CP sont-elles interdites en vertu de l’article 137 de la LTC, plus précisément, l’obligation des expéditeurs de garantir, de défendre et de protéger CP, comme elle est énoncée au paragraphe 54, équivaut-elle à une limitation de la responsabilité de CP envers les demanderesses?
Positions des parties
Les demanderesses
[16] Les demanderesses affirment que, conformément à la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, l’article 137 de la LTC devrait s’interpréter « de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ». Les demanderesses soulignent que, de plus, l’Office a indiqué dans la décision que « l’objet visé [...] de l’article 137 de la LTC [est de] protéger les expéditeurs contre les transferts de responsabilité non autorisés ».
[17] Les demanderesses font valoir que, compte tenu du fait que l’expression « protéger » signifie : [traduction] « accepter la responsabilité inhérente à une situation et exonérer l’autre partie de toute responsabilité », la disposition relative à la protection limite la responsabilité de CP envers un expéditeur. Les demanderesses affirment que l’obligation de garantir et de protéger est à la fois une responsabilité imposée aux expéditeurs et une limitation des obligations de CP envers les expéditeurs. Les demanderesses maintiennent que [traduction] « la limitation concernant la capacité d’un expéditeur à présenter une réclamation contre CP dans le cas où la responsabilité reviendrait autrement à CP en vertu de la loi et non à l’expéditeur est implicite dans toute obligation de garantir et de protéger ». Elles ajoutent que les dispositions du paragraphe 54 relatives à la garantie et à la protection réduit la responsabilité de CP au détriment de l’expéditeur, ce qui limite la responsabilité de CP envers un expéditeur et va à l’encontre de l’article 137 de la LTC. Elles font valoir que cela est vrai indépendamment du mécanisme utilisé.
[18] Les demanderesses font valoir que les dispositions du paragraphe 54 servent à modifier la portée des principes en matière de réglementation, de common law et d’équité qui autrement régiraient la responsabilité de CP; par conséquent, les dispositions doivent, par définition, limiter la responsabilité de CP envers un expéditeur, ce qui va à l’encontre de l’article 137 de la LTC. Les demanderesses ajoutent que le paragraphe 54, dans son ensemble, transfère à l’expéditeur l’obligation réglementaire de CP de souscrire l’assurance responsabilité civile, ce qui est indiqué dans le Règlement sur l’assurance responsabilité civile relative aux chemins de fer, DORS/96‑337.
Agrium
[19] Agrium affirme que l’obligation de garantir et de protéger CP, comme elle est énoncée au paragraphe 54, équivaut à une limitation de la responsabilité.
[20] Agrium soutient qu’une interprétation de l’article 137 de la LTC qui interdirait une limitation de la responsabilité envers un expéditeur, mais qui permettrait une obligation de l’expéditeur de garantir et de protéger CP irait à l’encontre de l’objet de la LTC. Agrium renvoie à la décision, dans laquelle l’Office a conclu, en ce qui a trait à l’obligation de l’expéditeur de garantir et de protéger CP, que le paragraphe 54 :
a pour effet non seulement de soustraire CP à sa responsabilité envers l’expéditeur, mais également d’imposer des obligations supplémentaires à l’expéditeur en ce qui a trait aux responsabilités pouvant naître du transport des marchandises de ce même expéditeur.
[21] Agrium fait valoir que, tout comme l’exclusion de responsabilité de CP envers l’expéditeur empêche celui-ci d’obtenir réparation pour ses pertes auprès de CP, l’obligation de garantir, de défendre et de protéger exige que l’expéditeur assume des responsabilités, y compris les responsabilités civiles, qui autrement incomberaient à CP. Selon Agrium, étant donné que cette situation modifie le principe général de répartition de la responsabilité, elle s’inscrit dans la portée de la décision de l’Office et va à l’encontre de l’article 137 de la LTC.
[22] Agrium soutient que, parce que l’expéditeur est tenu en vertu du paragraphe 54 de garantir, de défendre et de protéger CP contre toute réclamation, CP pourrait faire valoir que cette obligation inclut les réclamations présentées par l’expéditeur contre CP, ce qui va à l’encontre de l’article 137 de la LTC. Agrium maintient que si l’indemnité entraîne « le moindre effet limitatif », elle est interdite en vertu de l’article 137 parce que cet article interdit à une compagnie de chemin de fer de limiter sa responsabilité envers un expéditeur.
[23] Agrium affirme que la disposition relative à la responsabilité conjointe qui se trouve au paragraphe 54 est assujettie à l’obligation de l’expéditeur de défendre et de garantir CP. Par conséquent, dans le cas où CP et l’expéditeur seraient tous deux responsables envers un tiers, l’expéditeur serait tout d’abord tenu d’indemniser CP, et il pourrait ensuite tenter de prouver la faute ou la négligence conjointe de CP. Agrium soutient que cette disposition empêche l’expéditeur de recouvrer auprès de CP les frais engendrés par autre chose que la négligence ou la faute de CP, et que cette situation limite réellement la responsabilité de CP envers l’expéditeur.
Association canadienne de transport industriel (ACTI)
[24] L’ACTI fait valoir que l’obligation de garantir et de protéger CP, comme elle est énoncée au paragraphe 54, équivaut à une limitation de la responsabilité de CP envers les demanderesses. Elle indique que l’exigence mentionnée au paragraphe 54 de garantir et de protéger CP [traduction] « est une obligation visant à protéger CP contre la responsabilité de répartir la responsabilité en vertu de la loi régissant la responsabilité conjointe entre CP et l’expéditeur », et cette obligation réduit ou annule la part de responsabilité de CP, ce qui, par ricochet, constitue une limitation de la responsabilité envers un expéditeur.
Institut canadien des engrais (ICE)
[25] L’ICE soutient que l’article 137 de la LTC s’applique à l’ensemble de la responsabilité de la compagnie de chemin de fer, et non seulement à la partie que pourrait avoir cette dernière envers un expéditeur. L’ICE soutient en outre que le transfert unilatéral de responsabilités civiles non réparties à l’expéditeur est injuste envers celui-ci.
[26] Selon l’ICE, l’Office devrait appliquer la politique nationale des transports, énoncée à l’article 5 de la LTC, conjointement avec l’article 137 de la LTC, tout en tenant compte des besoins des usagers du système de transport de manière à bâtir un système de transport national concurrentiel et rentable. L’ICE soutient que l’Office devrait appliquer ces éléments lorsqu’il se penche sur des prix et des conditions qui constituent un obstacle abusif au transport des marchandises au Canada ou aux exportations en provenance ou à destination du Canada. L’ICE ajoute que les dispositions réparatrices de la LTC devraient être interprétées de façon générale pour favoriser les négociations semblables à celles qui existent dans le marché.
[27] L’ICE fait valoir que l’exigence du paragraphe 54 selon laquelle les expéditeurs doivent garantir CP contre les responsabilités liées au transport de marchandises toxiques par inhalation constitue [traduction] « une limitationvéritablede la responsabilité » au sens de l’article 137 parce qu’elle transfère la responsabilité à un expéditeur, ce qui limite la responsabilité qui reviendrait autrement à la compagnie de chemin de fer.
[28] L’ICE reconnaît que l’article 137 renferme l’expression « responsabilité envers un expéditeur »; toutefois, elle soutient qu’une interprétation générale et téléologique qui est compatible avec l’objectif de la LTC, comme le montre la politique nationale des transports, mène à la conclusion que la formulation est utilisée pour définir simplement [traduction] « les personnes à l’égard desquelles la responsabilité ne doit pas être limitée ». Dans cette optique, l’ICE affirme que la disposition pourrait être interprétée comme suit : [traduction] « Entre une compagnie de chemin de fer et un expéditeur, une compagnie de chemin de fer ne doit pas limiter sa responsabilité pour le transport des marchandises, sauf [...] »
CP
[29] CP affirme que l’article 137 de la LTC ne fixe aucune interdiction absolue relativement à une limitation de la responsabilité. CP soutient qu’au sens propre et conformément aux interprétations judiciaires, l’expression [traduction] « garantir, défendre et protéger entièrement » ne constitue pas une limitation de la responsabilité d’une compagnie de chemin de fer envers un expéditeur pour le transport de marchandises, ce qui est l’objet du paragraphe 137(1) de la LTC.
[30] CP affirme que les termes utilisés à l’article 137 de la LTC sont précis et, par conséquent, le sens ordinaire de ces termes devrait jouer un rôle prépondérant dans le processus d’interprétation. Elle fait valoir que l’article 137 établit clairement qu’une compagnie de chemin de fer ne peut pas limiter sa responsabilité envers un expéditeur, et que l’article ne fait aucune mention de restrictions lorsque la réclamation ou l’instance est entamée par un tiers contre la compagnie de chemin de fer.
[31] Selon CP, l’article 137 de la LTC contient trois éléments clés :
- La compagnie de chemin de fer ne peut limiter sa responsabilité « envers un expéditeur »;
- « pour le transport des marchandises »;
- « sauf par accord écrit signé […] ».
[32] CP affirme que la lacune la plus frappante dans l’analyse des expéditeurs de l’interprétation appropriée de l’article 137 de la LTC est leur omission de bien considérer les répercussions de l’expression « envers l’expéditeur ». CP soutient que les responsabilités attribuées à l’expéditeur dans le paragraphe 54 ne sont pas des responsabilités envers un expéditeur, mais plutôt des responsabilités envers les tiers.
[33] CP a fourni l’interprétation judiciaire suivante du terme « indemnity » (indemnisation) en se référant à la définition du terme « indemnify » (garantir) tirée du Black’s Law Dictionary :
[traduction]
Garantir : Corriger les pertes causées à la victime, en tout ou en partie, au moyen du paiement, de la réparation ou du remplacement. Mettre à couvert; protéger contre les pertes ou les dommages; donner une garantie pour assurer le remboursement des pertes qui pourraient être causées à une personne. Remédier; verser une indemnité; rembourser une somme d’argent à une personne au titre d’une perte qu’elle a subie.
[34] CP soutient que les termes « indemnity » (indemnisation) et « save harmless » (protéger) ne sont aucunement liés à une limitation de la responsabilité d’une compagnie de chemin de fer envers un expéditeur.
Analyse et constatations
[35] L’article 137 de la LTC prévoit ce qui suit :
(1) La compagnie de chemin de fer ne peut limiter sa responsabilité envers un expéditeur pour le transport des marchandises de celui-ci, sauf par accord écrit signé soit par l’expéditeur, soit par une association ou un groupe représentant les expéditeurs.
(2) En l’absence d’un tel accord, la mesure dans laquelle la responsabilité de la compagnie de chemin de fer peut être limitée en ce qui concerne un transport de marchandises est prévue par les conditions de cette limitation soit fixées par l’Office pour le transport, sur demande de la compagnie, soit, si aucune condition n’est fixée, établies par règlement de l’Office.
[36] En vertu du paragraphe 137(2) de la LTC, une compagnie de chemin de fer ne peut limiter sa responsabilité envers un expéditeur que dans les limites établies dans le Règlement sur la responsabilité à l’égard du transport ferroviaire des marchandises, DORS/91-488 ou dans une ordonnance de l’Office. La compagnie de chemin de fer ne peut limiter davantage sa responsabilité envers un expéditeur, sauf par accord écrit signé par ce dernier.
[37] L’article 137 de la LTC précise les responsabilités visées par l’interdiction : la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers un expéditeur. Cela sous-entend que la compagnie de chemin de fer a ou pourrait avoir une dette envers l’expéditeur (par exemple, fournir une indemnisation pour les dommages que CP a causés à l’expéditeur à la suite du transport des marchandises). Cela signifie que si la réclamation contre la compagnie de chemin de fer est présentée par une personne autre que l’expéditeur, ladite réclamation n’est pas visée par l’interdiction ayant trait à la limitation de la responsabilité énoncée à l’article 137.
[38] L’Office a déjà déterminé dans la décision que le terme « responsabilité » mentionné au paragraphe 137(1) de la LTC doit être pris au sens large et ne doit pas se limiter aux dommages causés aux marchandises transportées par la compagnie de chemin de fer pour l’expéditeur et à la perte de ces marchandises. Les responsabilités prévues en vertu du paragraphe 137(1) incluent les dommages subis par un expéditeur en raison d’une faute ou d’une négligence commise par la compagnie de chemin de fer ou les réclamations déposées contre la compagnie de chemin de fer par l’expéditeur à la suite du transport par la compagnie de chemin de fer des marchandises de l’expéditeur.
[39] Le paragraphe 137(1) de la LTC ne porte pas sur tous les aspects de la responsabilité pouvant être liés au transport de marchandises. Il ne porte que sur la limitation de la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers un expéditeur. Autrement dit, le paragraphe 137(1) ne fait qu’empêcher la compagnie de chemin de fer de limiter le montant qu’elle peut devoir à un expéditeur à la suite d’un événement survenu en lien avec le transport de marchandises de l’expéditeur au cours duquel des dommages ont été causés à l’expéditeur. Les cas où la compagnie de chemin de fer impose des obligations à l’expéditeur relativement à une réclamation présentée contre elle par un tiers ne sont pas visés par l’article 137; et rien dans le paragraphe 137(1) n’empêche la compagnie de chemin de fer d’imposer à l’expéditeur d’imposer à l’expéditeur des conditions visant à limiter ou à atténuer les répercussions financières que ces responsabilités envers les tiers auront sur la compagnie de chemin de fer.
[40] Les demanderesses affirment que l’Office devrait interpréter le paragraphe 137(1) de la LTC au sens large pour veiller à ce que cette disposition atteigne son objectif, c’est-à-dire protéger les expéditeurs contre les transferts de responsabilités non autorisés. Elles soutiennent que le tarif permet à CP d’imposer unilatéralement aux expéditeurs un régime de responsabilité intéressé et injuste aux termes duquel l’expéditeur est responsable de défendre la compagnie de chemin de fer et de payer ses factures, peu importe la faute commise, et que l’Office devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour interpréter le libellé de façon large afin d’en arriver à des négociations semblables à celles qui existent dans le marché.
[41] L’imposition unilatérale d’une obligation à l’expéditeur de garantir, de défendre et de protéger une compagnie de chemin de fer en ce qui a trait aux responsabilités envers les tiers pourrait très bien être quelque chose que le législateur jugerait approprié d’interdire, de la même façon que la limitation de la responsabilité envers un expéditeur est interdite en vertu de l’article 137 de la LTC, à moins qu’un expéditeur l’accepte par écrit. En effet, les deux types de conditions sont liés au prix pour le transport de marchandises, sont applicables à plus d’un expéditeur et pourraient être mieux négociées entre les parties ou autrement réglementées, plutôt que d’être unilatéralement imposées par une compagnie de chemin de fer. Toutefois, rien n’indique dans la LTC ou dans les extraits du dossier législatif présenté par les parties que le Parlement a envisagés des conditions traitant de la responsabilité envers les tiers lorsque l’article 137 a été adopté.
[42] L’Office convient qu’une approche téléologique de l’interprétation des lois doit être utilisée dans les cas ambigus; par contre, une telle approche doit être maintenue, sans aller jusqu’à la modification du sens ordinaire des termes utilisés dans une disposition, à moins qu’il n’y ait pas d’autre option raisonnable. Dans le cas présent, le législateur a imposé une restriction sur ce qu’une compagnie de chemin de fer peut imposer à un expéditeur en tant que condition pour le transport de marchandises. La restriction n’est pas une vaste interdiction empêchant les compagnies de chemin de fer d’incorporer des dispositions dans leurs tarifs portant sur toutes les formes de responsabilités pouvant survenir en lien avec le transport ferroviaire de marchandises.
[43] Le paragraphe 137(1) de la LTC précise seulement une condition qui est interdite, en l’absence du consentement des expéditeurs : la limitation de responsabilité envers un expéditeur. Si le législateur avait eu l’intention d’empêcher une compagnie de chemin de fer d’imposer toute forme de conditions traitant de la responsabilité, il aurait utilisé un libellé différent dans le paragraphe 137(1). L’Office note le contraste entre le libellé de l’article 92 de la LTC, qui traite de la « responsabilité », et celui du paragraphe 137(1), qui traite de la « responsabilité envers un expéditeur ».
[44] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que le paragraphe 54 ira à l’encontre du paragraphe 137(1) de la LTC uniquement dans la mesure où il contient des conditions qui constituent une « limitation de la responsabilité envers un expéditeur » qui excéderait les montants établis dans le Règlement sur la responsabilité à l’égard du transport ferroviaire des marchandises. Autrement dit, les conditions qui se trouvent dans le paragraphe 54 seront contraires au paragraphe 137(1) seulement si elles ont pour effet de limiter, de restreindre ou de réduire de quelque façon que ce soit le montant d’une réclamation qu’un expéditeur a déposé ou pourrait déposer contre CP en lien avec le transport des marchandises de l’expéditeur.
[45] Dans la décision, l’Office a déterminé que deux éléments du paragraphe 54 constituaient ou renfermaient une limitation interdite de la responsabilité envers un expéditeur. L’Office doit maintenant déterminer si les autres conditions du paragraphe 54, c.-à-d. l’obligation de l’expéditeur de garantir, de défendre et de protéger CP en ce qui a trait aux responsabilités envers les tiers contre CP, constituent une limitation de la responsabilité au sens du paragraphe 137(1) de la LTC.
Obligation de garantir
[46] Dans la décision, l’Office a fait référence à la définition du Black’s Law Dictionary du terme« to indemnify » (garantir) :
[traduction]
- Corriger les pertes causées à la victime, en tout ou en partie, au moyen du paiement, de la réparation ou du remplacement;
- Mettre à couvert; protéger contre les pertes ou les dommages; donner une garantie pour assurer le remboursement des pertes qui pourraient être causées à une personne;
- Remédier; verser une indemnité; rembourser une somme d’argent à une personne au titre d’une perte qu’elle a subie.
[47] L’obligation de l’expéditeur de garantir CP, comme elle est énoncée au paragraphe 54, exige que l’expéditeur paie CP, ou au nom de CP, les réclamations déposées par des tiers contre CP, sous réserve du droit de l’expéditeur de réclamer une partie des montants payés en vertu des dispositions de responsabilité conjointe établies au paragraphe 54 (la partie des montants que l’expéditeur a le droit de réclamer est limitée au montant de telles responsabilités attribuées à CP proportionnellement au pourcentage de responsabilité de CP).
[48] L’obligation de garantir est une obligation de l’expéditeur de payer, et cette obligation est due à CP. Pour ce qui est de cette obligation de garantir, le seul droit de CP est d’exiger que l’expéditeur lui paie un montant d’argent qui est équivalent à ce que CP pourrait devoir aux tiers. Cette obligation d’indemnisation n’a pas pour effet d’exonérer CP de sa propre obligation de payer les tiers et, par conséquent, CP demeurerait responsable envers les tiers même si l’expéditeur devait refuser de payer ou négligeait d’exécuter son obligation de garantir CP.
[49] Dans les scénarios couverts par l’obligation de garantir, la dette de CP est envers les tiers. L’indemnisation par l’expéditeur aura seulement pour effet de réduire ou de retirer la perte que CP pourrait subir en raison des obligations qu’elle a ou pourrait avoir envers les tiers en ce qui a trait au transport des marchandises de l’expéditeur. Toutefois, CP ne doit rien à l’expéditeur en ce qui a trait aux réclamations des tiers contre CP. Pour cette raison, l’obligation d’indemnisation ne peut fonctionner d’une manière qui limite ou réduit l’obligation de CP envers l’expéditeur. Par conséquent, l’Office n’est pas d’accord avec la déclaration des demanderesses selon laquelle l’obligation de garantir comprend implicitement une limitation de la capacité de l’expéditeur de déposer une réclamation contre CP.
[50] Pour cette raison, l’Office conclut que l’obligation de l’expéditeur de garantir CP en ce qui a trait aux responsabilités envers les tiers n’est pas une limitation de la responsabilité envers un expéditeur au sens du paragraphe 137(1) de la LTC.
Obligation de défendre
[51] L’obligation de l’expéditeur de défendre CP en ce qui a trait aux responsabilités envers les tiers en vertu du paragraphe 54 obligerait l’expéditeur à prendre en charge la défense de CP contre les tiers.
[52] L’Office conclut qu’une obligation de cette nature n’a pas pour effet de limiter ou de restreindre la responsabilité de CP envers l’expéditeur.
[53] Pour cette raison, l’Office conclut que l’obligation des expéditeurs de défendre CP en ce qui a trait aux responsabilités envers les tiers n’est pas une limitation de la responsabilité envers un expéditeur au sens du paragraphe 137(1) de la LTC.
Obligation de protéger contre toute responsabilité
[54] Le Black’s Law Dictionary définit « hold harmless agreement » (convention de dédommagement) comme suit :
[traduction]
- Entente contractuelle dans laquelle une partie accepte la responsabilité inhérente à une situation;
- Contrat ou entente dans lequel une partie consent à exonérer l’autre de toute responsabilité à l’égard des dommages ou autres obligations découlant de l’opération en cause.
[55] Cette définition laisse entendre que l’obligation de l’expéditeur de protéger CP pourrait dépasser la responsabilité de CP envers les tiers. Elle pourrait aussi être interprétée comme une exonération par l’expéditeur relativement à toute réclamation que l’expéditeur a déposée ou pourrait déposer contre CP en ce qui a trait aux responsabilités envers les tiers. En ce sens, l’obligation de l’expéditeur de protéger CP limiterait ou restreindrait le montant de la réclamation d’un expéditeur contre CP en ce qui a trait au transport des marchandises de l’expéditeur.
[56] L’Office est d’avis que, dans sa formulation actuelle, l’obligation de l’expéditeur de protéger CP contient une limitation de la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers un expéditeur. Étant donné que cette obligation n’est pas comprise dans une entente écrite entre CP et les demanderesses et n’est pas établie par règlement, l’Office conclut que cette limitation de la responsabilité est interdite en vertu du paragraphe 137(1) de la LTC.
[57] L’Office a déterminé que certains aspects du paragraphe 54 sont vont à l’encontre de l’article 137 de la LTC. Toutefois, puisque la présente demande a aussi été déposée conformément à l’article 120.1 de la LTC, l’Office examinera maintenant s’il peut se prononcer sur le caractère raisonnable du paragraphe 54 en vertu de cet article.
Question 2 : L’Office peut-il se prononcer sur le paragraphe 54 en vertu de l’article 120.1 de la LTC?
Positions des parties
Les demanderesses
[58] Les demanderesses reconnaissent que le paragraphe 120.1(1) de la LTC exige que les conditions d’un tarif soient associées à des frais pour que l’Office puisse avoir compétence. Elles font valoir que l’article 120.1 a été ajouté à la LTC en réponse aux préoccupations des expéditeurs à propos des frais accessoires qui ont été imposés par des compagnies de chemin de fer en plus des prix de transport ferroviaire.
[59] Les demanderesses affirment que le paragraphe 54 comprend des frais et des conditions afférentes, et qu’il relève donc de la compétence de l’Office en vertu de l’article 120.1 de la LTC. Les demanderesses ont fourni plusieurs définitions du terme « charge » (frais). Elles soutiennent que ce terme est « de large portée » et qu’il est utilisé de façon variable dans d’autres dispositions de la LTC, plus précisément comme :
- les montants payables par le ministre aux tiers, comme il est indiqué dans le paragraphe 180.7(2);
- les montants que l’Office des transports du Canada est obligé de payer aux autres, comme il est énoncé à l’article 188;
- les frais de dépréciation, comme il est indiqué dans le paragraphe 156(4), lequel n’envisage aucun effort financier réel.
[60] Les demanderesses font valoir que l’obligation de garantir, qui exige que l’expéditeur rembourse et indemnise CP et lui effectue un paiement, constitue des frais.
[61] Les demanderesses affirment qu’il y a, en fait, plusieurs frais auxquels les conditions sont associées. Elles font référence au paragraphe 53 du tarif 8, qui exige que l’expéditeur obtienne, à ses frais, une assurance responsabilité qui couvre l’expéditeur et CP. Elles font valoir que, parce que l’expéditeur doit obtenir une couverture pour CP, cela est équivalent à l’obtention d’une couverture par CP elle-même. À cet égard, selon les demanderesses, [traduction] « si CP obtenait sa propre couverture d’assurance à ce sujet et prévoyait dans son tarif le remboursement des coûts afférents par l’expéditeur, ces coûts feraient clairement l’objet de contestations à savoir s’il s’agit de “frais” en vertu du paragraphe 120.1(1) ». Les demanderesses soutiennent qu’il serait absurde que CP interprète le paragraphe 120.1(1) de façon à ce qu’elle puisse rendre ces frais imperméables à toute contestation en exigeant à la place que l’expéditeur paie ces montants à l’assureur directement.
Agrium
[62] Agrium fait valoir que l’Office peut se prononcer sur le paragraphe 54 en vertu de l’article 120.1 de la LTC puisque les conditions du paragraphe 54 sont associées aux frais indiqués dans le tarif 8. Agrium soutient aussi que la compétence de l’Office en vertu de l’article 120.1 s’étend à toutes les conditions associées au transport de marchandises.
[63] Agrium maintient que l’obligation de garantir en ce qui a trait aux responsabilités énumérées au paragraphe 54 constitue des frais au sens de l’article 120.1 puisque l’expéditeur doit payer ou rembourser CP pour le paiement de montants que CP est obligée de payer à des tiers, par exemple des coûts d’intervention d’urgence. À cet égard, Agrium soutient que CP, en transférant la responsabilité à l’expéditeur, impose des frais à ce dernier.
[64] Agrium souligne que, selon CP, le tarif est en place pour souligner les coûts uniquement applicables aux marchandises dangereuses qui sont transportées par CP. Agrium soutient que le paragraphe 53, qui exige qu’un expéditeur, à ses propres frais, souscrive une assurance et nomme CP comme assurée supplémentaire, crée des frais qui sont associés aux conditions contenues dans le paragraphe 54. De plus, Agrium souligne que les paragraphes 3 à 11 imposent des frais supplémentaires applicables aux marchandises dangereuses.
[65] Agrium soutient qu’une interprétation appropriée de l’article 120.1 de la LTC est que la compétence de l’Office n’est pas limitée aux conditions qui sont associées à des frais. Agrium ajoute que cet article permet à l’Office de remettre en question le caractère raisonnable de toutes les conditions associées au transport de marchandises. Agrium maintient qu’une interprétation limitée de l’article 120.1 irait à l’encontre du principe établi dans la Loi d’interprétation selon lequel les textes de droit sont correctifs et doivent être interprétés de manière à mieux assurer le respect de leurs objectifs. Agrium fait valoir que l’article 120.1 permet à un expéditeur de déposer une plainte auprès de l’Office à l’égard de tout paragraphe d’un tarif, exception faite des paragraphes ayant trait aux prix.
[66] Selon Agrium, son interprétation de l’article 120.1 de la LTC est appuyée par l’article 161 de la LTC. Agrium souligne que l’article 161 permet à un expéditeur insatisfait des prix ou de toute condition liée au transport de marchandises de soumettre la question à l’Office pour arbitrage. Agrium est d’avis que la seule différence entre les articles 120.1 et 161 est que l’expéditeur ne peut pas déposer une plainte au sujet des prix en vertu de l’article 120.1. Agrium fait valoir que les deux dispositions de la LTC offrent un mécanisme aux expéditeurs pour traiter des conditions associées au transport de marchandises, et que rien dans la LTC ne laisse entendre qu’il était prévu que l’article 120.1 ait une portée plus restreinte que celle de l’article 161.
[67] Agrium soutient que le terme « afférentes » se trouvant à l’article 120.1 de la LTC est ambigu et n’est pas défini dans la LTC, et qu’il ne peut être interprété que comme exigeant que les conditions soient associées au transport de marchandises.
[68] Agrium indique que, nonobstant ce qui précède, si l’Office n’a pas compétence en vertu de l’article 120.1 de la LTC pour conclure que le paragraphe 54 est déraisonnable, l’Office a compétence pour se prononcer sur ce paragraphe en vertu de l’article 26 de la LTC.
ACTI
[69] L’ACTI soutient que l’Office peut se prononcer sur le paragraphe 54 en vertu de l’article 120.1 de la LTC. Selon l’ACTI, il y a de nombreux frais auxquels les conditions sont associées. L’ACTI fait valoir que la liste des responsabilités, c.-à-d. [traduction] « toutes les réclamations […] et les coûts et dépenses associés » contenues dans le paragraphe 54 constituent des frais puisqu’elles représentent des montants que l’expéditeur aurait à payer. L’ACTI fait référence au paragraphe 53, selon lequel l’expéditeur doit obtenir une assurance, et elle affirme que cela constitue également des frais.
[70] L’ACTI soutient que la Loi d’interprétation prévoit que « [t]out texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. » L’ACTI maintient qu’à la lumière de ce qui précède et du fait que l’article 120.1 de la LTC a pour objet de dispenser les expéditeurs de certaines obligations, la dispense de l’obligation de garantir et de protéger relève de la compétence de l’Office en vertu de l’article 120.1.
ICE
[71] L’ICE soutient que le transfert de responsabilité de CP à l’expéditeur au moyen d’une garantie constitue des frais au sens de l’article 120.1 de la LTC. De plus, l’ICE maintient que l’Office pourrait se prononcer sur le paragraphe 54 en vertu de l’article 120.1 parce que le tarif contient des frais ayant trait au transport de marchandises.
[72] Selon l’ICE, le terme « responsabilité » comprend l’obligation d’une compagnie de chemin de fer de recevoir, de transporter et de livrer les marchandises avec le soin et la diligence voulus. L’ICE ajoute que l’obligation de garantir transfère les conséquences financières de CP à l’expéditeur, et ces conséquences constituent des frais imposés par CP.
[73] L’ICE indique que le Black’s Law Dictionary définit le terme « frais » comme [traduction] « un grèvement, un privilège ou une réclamation; un fardeau ou une charge; une obligation ou une tâche; une responsabilité […] » et non simplement comme le prix ou le tarif de quelque chose.
[74] L’ICE affirme que l’article 120.1 de la LTC permet une interprétation plus large qui peut comprendre les plaintes d’un expéditeur assujetti à n’importe quel frais pour le transport de marchandises ou pour la prestation de services connexes, ou d’un expéditeur assujetti à des conditions connexes pour le transport de marchandises ou pour la prestation de services connexes. L’ICE fait valoir qu’il s’agit d’un lien suffisant que des frais et des conditions apparaissent dans un tarif portant sur le même sujet.
CP
[75] CP soutient que l’article 120.1 de la LTC devrait être interprété comme étant limité aux conditions associées à des frais, et que puisque les conditions du paragraphe 54 ne sont pas associées à des frais, l’Office ne peut pas se prononcer sur la présente demande en vertu de l’article 120.1. CP fait valoir que le libellé de cet article, le régime de la LTC et les antécédents législatifs appuient cette interprétation. CP soutient en outre que les obligations de garantir contenues dans le paragraphe 54 ne constituent pas des frais et ne sont pas associées à des frais.
[76] CP indique que le libellé de l’article 120.1 de la LTC est clair et non ambigu, et qu’il peut donc être lu en utilisant la signification ordinaire de chacun des termes en question. CP ajoute que The Concise Oxford Dictionary of Current English, 9th ed. Clarendon Press, 1995 définit le terme « charge » (frais) comme étant [traduction] « un prix demandé pour des biens ou des services » et le terme « price » (prix) comme étant [traduction] « le montant d’argent ou de marchandises pour lequel une chose est achetée ou vendue ». CP conclut que puisque le paragraphe 54 n’exige pas un échange d’argent pour acheter ou vendre quelque chose, il ne s’agit pas d’une condition associée à des frais.
[77] CP fait valoir que puisque l’article 120.1 de la LTC est inclus dans la section IV, la partie de la LTC qui traite des prix, cet article doit être lié aux affaires monétaires. À l’appui de cet argument, CP souligne que l’article 120.1 suit l’article 119, qui traite des prix du transport de marchandises, et précède l’article 121, qui traite des prix communs, et il y a plusieurs autres articles qui suivent qui gouvernent les prix et les questions monétaires, par exemple les prix d’interconnexion.
[78] CP soutient qu’un examen des antécédents législatifs de l’article 120.1 de la LTC résout toute ambiguïté qui pourrait se trouver dans cet article. CP fait précisément référence au résumé législatif du projet de loi C-8 (l’article 3 du projet de loi C-8 est l’article 120.1), qui prévoit ce qui suit :
Les représentants du ministère mentionnent que les chemins de fer tirent surtout leurs revenus des tarifs demandés pour le transport des marchandises de leurs clients, mais ils font aussi payer des frais pour des activités qui sont connexes au transport des marchandises ou qui ne s’y rapportent pas directement. C’est ce qu’on appelle les frais connexes ou accessoires, par exemple les frais de stationnement (frais supplémentaires imputés à l’expéditeur qui prend plus de temps que le délai fixé pour charger ou décharger un wagon), de nettoyage ou de stockage des wagons et de pesée du produit.
[79] CP fait également référence à une déclaration de l’honorable Brian Jean, député, secrétaire parlementaire du ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, relativement à l’article 3 du projet de loi C-8 :
[traduction]
Le projet de loi contient également une nouvelle disposition qui autoriserait les expéditeurs à déposer une plainte auprès de l’Office s’ils ne sont pas satisfaits des droits ferroviaires ou des conditions liées à de tels droits, autres que les tarifs marchandises. Le principal recours dans le cas des tarifs marchandises continuera d’être l’arbitrage de l’offre finale. Les droits dont je parle englobent ce que l’on appelle souvent les frais accessoires, comme les frais perçus pour le nettoyage ou l’entreposage des wagons.
La nouvelle disposition viserait également de tels droits ainsi que d’autres droits liés au transport de marchandises comme les droits de surestarie.
Analyse et constatations
[80] L’article 120.1 de la LTC prévoit, en partie, ce qui suit :
(1) Sur dépôt d’une plainte de tout expéditeur assujetti à un tarif applicable à plus d’un expéditeur – autre qu’un tarif visé au paragraphe 165(3) – prévoyant des frais relatifs au transport ou aux services connexes ou des conditions afférentes, l’Office peut, s’il les estime déraisonnables, fixer de nouveaux frais ou de nouvelles conditions par ordonnance.
[…]
(5) La compagnie de chemin de fer modifie le tarif en conséquence dès le prononcé de l’ordonnance par l’Office.
[…]
(7) Il est entendu que le présent article ne s’applique pas aux prix relatifs au transport.
[81] Il ressort clairement du paragraphe 120.1(7) de la LTC que l’Office n’a pas compétence pour examiner les prix en vertu du paragraphe 120.1(1) de la LTC. Les pouvoirs de l’Office en vertu du paragraphe 120.1(1) d’effectuer un examen du caractère raisonnable sont strictement limités aux « frais ou aux conditions afférentes » pour le transport de marchandises ou les services connexes.
[82] Cela ne signifie pas que tout ce qui apparaît dans un tarif, autre qu’un prix, peut nécessairement être caractérisé comme des « frais » ou des « conditions afférentes ».
[83] Le terme « frais » n’est pas défini dans la LTC. CP fait référence à la définition de l’Oxford Dictionary du terme « charge » (frais) comme étant [traduction] « un prix demandé pour des biens ou des services ». Le terme « price » (prix) est défini dans l’Oxford Dictionary comme étant [traduction] « le montant d’argent ou de marchandises pour lequel une chose est achetée ou vendue ». En outre, les demanderesses font référence à plusieurs définitions du terme « charge » (frais), y compris la définition de l’Oxford Dictionary, qui est [traduction] « (a) un prix demandé pour des biens ou des services; (b) une responsabilité ou un engagement en matière de finances » et la définition du Black’s Law dictionary, qui est [traduction] « un grèvement, un privilège ou une réclamation; un fardeau ou une charge; une obligation ou une tâche; une responsabilité; une accusation ».
[84] Il semble que le terme « frais » dans son sens ordinaire peut avoir une signification très large, ce qui pourrait littéralement inclure presque toutes les obligations, que ce soit le paiement d’une somme d’argent ou l’exécution d’une obligation de faire quelque chose.
[85] Même si les références aux définitions qui se trouvent dans les dictionnaires peuvent être utiles, le processus interprétatif imposé par la loi ne prend pas fin avec la signification ordinaire des termes. Il existe un principe bien établi d’interprétation des lois selon lequel le terme utilisé dans une disposition doit être interprété dans son contexte global en vertu du régime établi par le cadre législatif. Ce principe a récemment été exprimé clairement par la Cour d’appel fédérale dans Tele-Mobile Company Partnership c. Canada, 2013 CAF 149 :
[traduction]
En vertu de l’approche contextuelle moderne de l’interprétation des lois, il ne faut pas accorder de l’importance qu’à la signification ordinaire et naturelle des mots, mais également au contexte dans lequel les mots sont utilisés et l’objectif de la disposition examinée dans son ensemble au sein du cadre législatif dans lequel elle se trouve : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, au par. 27. L’élément le plus important de cette analyse est la détermination de l’intention du législateur : R. c. Monney, 1999 CanLII 678 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 652, au par. 26.
[86] Bien que l’Office note que le terme « frais » est utilisé de différentes façons dans la LTC, c’est la notion de frais, tels qu’ils sont imposés à un expéditeur dans le tarif d’une compagnie de chemin de fer, que l’Office doit examiner pour trancher la présente affaire. De toute évidence, aucune des références au terme « frais » dans les exemples énumérés par les demanderesses ne met en cause des frais imposés à un expéditeur par une compagnie de chemin de fer. Par conséquent, d’autres renvois au terme « frais » dans la LTC sont peu utiles pour interpréter le terme « frais » comme il est utilisé dans l’article 120.1 de la LTC.
[87] L’Office est d’avis que le contexte dans lequel l’article 120.1 de la LTC doit être interprété est celui des dispositions énoncées dans la partie III de la LTC. En particulier, l’Office note que l’article 87 de la LTC définit le terme « tarif » comme étant un « barème des prix, frais et autres conditions applicables au transport et aux services connexes ». Un principe clé de l’interprétation législative est la « présomption d’uniformité des expressions ». Lorsque le législateur utilise différents termes dans une loi relativement à une question, il doit être présumé que l’intention est de donner à chaque terme une signification différente. L’application de cette règle d’interprétation législative exige que les termes « prix », « frais » et « conditions » applicables au transport de marchandises et aux services connexes aient chacun une signification distincte.
[88] De plus, l’article 120.1 de la LTC précise que la compétence de l’Office est relative aux frais et aux conditions afférentes déraisonnables pour le transport de marchandises ou la prestation de services connexes. Ce libellé marque un contraste avec celui qui est utilisé dans l’article 161 de la LTC, qui crée un recours pour un expéditeur insatisfait des « prix […] pour le transport de marchandises ou des conditions imposées à cet égard ». Le fait que ce même recours n’est pas mis à la disposition des expéditeurs selon que le prix ou des frais sont contestés en vertu de ces dispositions appuie l’interprétation selon laquelle les termes utilisés dans la définition de « tarif » ont des significations différentes et ne sont pas interchangeables.
[89] Si l’Office devait conclure que toute obligation imposée dans un tarif peut constituer des « frais », il s’ensuivrait que l’article 120.1 de la LTC conférerait à l’Office la compétence pour examiner n’importe quel élément d’un tarif qui n’est pas un prix. Si l’intention du législateur avait été de donner à l’Office un mandat aussi vaste en vertu de l’article 120.1, un libellé moins restrictif aurait été utilisé à cet égard. Le paragraphe 120.1(1) aurait pu permettre expressément à l’Office de rejeter, d’examiner ou de remplacer n’importe quel élément d’un tarif, comme c’est le cas en vertu du paragraphe 114(4) de la LTC, qui autorise expressément l’Office à « rejeter tout prix ou tarif » dans certaines circonstances.
[90] L’Office conclut donc que le terme « frais » doit représenter quelque chose d’autre que les « prix » ou les « conditions » pour le transport de marchandises de l’expéditeur ou pour la prestation de services connexes.
[91] Les termes « prix » et « conditions » ne sont pas définis dans la LTC. Toutefois, le paragraphe 113(2) de la LTC établit les obligations d’une compagnie de chemin de fer associées au paiement du prix par un expéditeur comme suit : « [l]es marchandises sont reçues, transportées et livrées aux points visés à l’alinéa (1)a) [au point d’origine de son chemin de fer et au point de raccordement avec d’autres, et à tous les points d’arrêt établis à cette fin] sur paiement du prix licitement exigible pour ces services. » Le terme « prix », au sens de la partie III de la LTC, est donc un montant payé par l’expéditeur en échange du transport de ses marchandises par la compagnie de chemin de fer. L’obligation de payer le prix est donc associée non pas à un service connexe ou accessoire, mais au prix pour le transport complet.
[92] En ce qui a trait aux « conditions » relatives au transport de marchandises, l’Office conclut que ce terme s’entend des obligations qui doivent être respectées par l’expéditeur pour que la compagnie de chemin de fer exécute ses obligations en vertu du paragraphe 113(2) de la LTC de transporter les marchandises de l’expéditeur.
[93] Par exemple, dans le tarif de CP, l’expéditeur a l’obligation d’étiqueter et de marquer adéquatement ses expéditions. Cette obligation constituerait une obligation qui doit être remplie par l’expéditeur pour la compagnie de chemin de fer afin de transporter les marchandises de l’expéditeur au prix applicable. Par conséquent, il s’agit d’une condition pour le transport de marchandises.
[94] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que le terme « frais » doit s’entendre d’obligations autres que l’obligation de l’expéditeur de payer le prix ou les obligations devant être remplies par l’expéditeur comme condition pour le transport de marchandises par une compagnie de chemin de fer.
[95] CP fait valoir que les frais et les conditions connexes sont des « obligations de paiement monétaire ayant trait à une activité de service précise ». Essentiellement, l’Office est d’accord avec la position de CP selon laquelle des « frais », comme le terme est utilisé dans l’article 120.1 de la LTC, constituent une obligation d’un expéditeur en retour d’un service précis devant être effectué, ou de marchandises précises devant être fournies, par la compagnie de chemin de fer. Cela diffère de la principale obligation de la compagnie de chemin de fer de prendre, de transporter et de livrer les marchandises de l’expéditeur, ce qui est compensé par le paiement du prix et l’exécution des conditions applicables par l’expéditeur.
[96] Des frais en vertu de l’article 120.1 de la LTC pourraient inclure un paiement pour des services optionnels demandés par l’expéditeur ou nécessaires en raison d’un événement qui relève du contrôle de l’expéditeur, y compris le défaut de l’expéditeur d’exécuter ses propres obligations en vertu du tarif.
[97] Un autre principe clé de l’interprétation législative est la « présomption de cohérence ». On doit présumer que les lois constituent un ensemble logique et cohérent. Dans Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed., 2002, Sullivan décrit cette présomption de la façon suivante :
[traduction]
Il est présumé que les dispositions d’une loi fonctionnent ensemble, tant logiquement que téléologiquement, comme les diverses parties d’un tout. Il est présumé que les parties s’imbriquent logiquement pour former un cadre rationnel et cohérent à l’interne; et parce que le cadre a un objectif, il est aussi présumé que les parties travaillent ensemble de façon dynamique, chacune contribuant quelque chose pour accomplir le but prévu. Cette présomption est la base de l’analyse des régimes législatifs, ce qui est souvent la forme la plus persuasive de l’analyse. La présomption de cohérence est aussi exprimée comme une présomption contre les conflits internes. Il est présumé que l’ensemble des lois adoptées par l’assemblée législative ne comporte pas de contradictions ou d’incohérences, et que chaque disposition peut s’appliquer sans entrer en conflit avec une autre.
[98] L’Office conclut que son interprétation de à la signification du terme « frais » est conforme au cadre réglementaire établi dans la LTC en ce qui a trait aux prix ferroviaires. En effet, mis à part l’article 120.1 de la LTC, les frais sont prévus aux termes du paragraphe 116(4) de la LTC, qui se lit comme suit :
L’Office, ayant décidé qu’une compagnie ne s’acquitte pas de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114, peut :
a) ordonner la prise de l’une ou l’autre des mesures suivantes :
(i) la construction ou l’exécution d’ouvrages spécifiques,
(ii) l’acquisition de biens,
(iii) l’attribution, la distribution, l’usage ou le déplacement de wagons, de moteurs ou d’autre matériel selon ses instructions,
(iv) la prise de mesures ou l’application de systèmes ou de méthodes par la compagnie;
b) préciser le prix maximal que la compagnie peut exiger pour mettre en œuvre les mesures qu’il impose;
[…]
[99] L’alinéa 116(4)b) de la LTC fait référence au prix maximal que l’Office peut préciser dans un arrêté, qui est payable par l’expéditeur à la compagnie de chemin de fer en ce qui a trait à n’importe quelle « mesure », notamment la gestion de l’équipement, la prise de mesures ou l’application de systèmes ou de méthodes par la compagnie de chemin de fer. Les mesures pour lesquelles l’Office peut fixer un prix maximal, c.-à-d. les services ou les marchandises, sont distinctes et doivent être effectuées ou offertes en sus des obligations de la compagnie de chemin de fer énoncées au paragraphe 113(2) de la LTC de prendre, transporter et livrer les marchandises de l’expéditeur sur paiement du prix.
[100] L’Office a interprété le terme « frais » dans son contexte législatif comme il existait au moment où les parties ont défendu leur cause en ce qui a trait à la signification du terme « frais » apparaissant dans l’article 120.1 de la LTC. Toutefois, la LTC a été modifiée après la clôture des actes de procédure, et des dispositions établissant un nouveau processus d’arbitrage pour les expéditeurs ont été incorporées dans la partie III de la LTC.
[101] Les frais sont prévus en vertu du nouveau régime d’arbitrage énoncé à l’article 169.31 de la LTC comme suit :
(1) Dans le cas où un expéditeur et une compagnie de chemin de fer ne parviennent pas à s’entendre pour conclure un contrat en application du paragraphe 126(1) concernant les moyens que celle-ci doit prendre pour s’acquitter de ses obligations en application de l’article 113, l’expéditeur peut soumettre par écrit à l’Office une ou plusieurs des questions ci-après pour arbitrage :
a) les conditions d’exploitation auxquelles la compagnie de chemin de fer est assujettie relativement à la réception, au chargement, au transport, au déchargement et à la livraison des marchandises en cause, y compris les normes de rendement et les protocoles de communication;
b) les conditions d’exploitation auxquelles la compagnie de chemin de fer est assujettie en cas de non-respect d’une condition d’exploitation visée à l’alinéa a);
c) les conditions d’exploitation auxquelles l’expéditeur est assujetti et qui sont liées aux conditions d’exploitation visées aux alinéas a) ou b);
d) les services fournis par la compagnie de chemin de fer qui sont normalement liés à l’exploitation d’un service de transport par une compagnie de chemin de fer;
e) la question de savoir si des frais peuvent être imposés par la compagnie de chemin de fer relativement aux conditions d’exploitation visées aux alinéas a) ou b) ou pour les services visés à l’alinéa d).
[…]
(4) Il est entendu que l’arbitrage ne peut porter sur les prix relatifs au transport, ni sur le montant des frais relatifs au transport ou aux services connexes.
[102] L’article 169.31 de la LTC fournit un recours à l’arbitrage aux expéditeurs qui sont incapables de s’entendre sur un contrat de niveau de service et de conclure un tel contrat avec une compagnie de chemin de fer. Les questions qui peuvent être soumises à l’arbitrage comprennent diverses « conditions d’exploitation » et divers services connexes auxquels la compagnie de chemin de fer doit se conformer. En vertu de l’alinéa 169.31(1)e), l’arbitre peut avoir à déterminer « si des frais peuvent être imposés par la compagnie de chemin de fer relativement aux conditions d’exploitation ». De toute évidence, l’article 169.31 associe le droit de la compagnie de chemin de fer d’imposer des frais relativement à une « condition d’exploitation » qui doit être effectuée par la compagnie de chemin de fer, laquelle condition constituerait quelque chose de précis qui a été séparé et qui n’a pas été inclus dans le prix. L’Office est d’avis que cette interprétation du terme « frais » continuera à être cohérente avec le régime législatif établi dans la partie III de la LTC.
[103] L’Office conclut également que l’interprétation est conforme aux antécédents législatifs. L’article 120.1 de la LTC a été établi pour fournir aux expéditeurs un recours pour les frais connexes et accessoires et les conditions connexes qu’un expéditeur juge déraisonnables. Le résumé législatif du projet de loi C-8 indique clairement que les types de frais qui étaient la principale préoccupation des expéditeurs étaient les frais de stationnement, de nettoyage et d’entreposage des wagons. Tous ces frais sont connexes, optionnels ou accessoires et ils sont tous liés à des activités ou à des transactions précises qui avaient été « séparées » et, par la suite, n’avaient pas été incluses dans le prix pour le transport de marchandises.
[104] Dans le cas présent, l’obligation de l’expéditeur de garantir, de défendre et de protéger qui se trouve dans le paragraphe 54 n’est pas liée à un service précis qui doit être effectué ou à des marchandises qui doivent être fournies par CP, et elle n’est pas séparée du prix. En vertu du paragraphe 54, l’expéditeur doit s’engager à garantir, à défendre et à protéger CP comme condition du transport des marchandises de cet expéditeur. En retour de cet engagement, l’expéditeur obtient seulement l’exécution de l’obligation principale de CP, qui est le transport des marchandises. Ce qui revient à dire que l’obligation de la compagnie de chemin de fer est incluse dans le prix.
[105] Pour ces raisons, l’Office conclut que l’obligation de l’expéditeur de garantir, de défendre et de protéger CP ne constitue pas des frais ni une condition liée à des frais comme le prévoit l’article 120.1 de la LTC. Par conséquent, l’Office n’a pas la compétence en vertu de l’article 120.1 pour accorder la réparation demandée par les demanderesses dans la présente affaire au motif que l’obligation est déraisonnable.
Question 3 : Le paragraphe 54 est-il déraisonnable en vertu de l’article 120.1 de la LTC?
[106] Puisque l’Office conclut que l’obligation des expéditeurs de garantir, de défendre et de protéger CP ne constitue pas des frais ni une condition afférente, et que l’Office n’a donc pas compétence en vertu de l’article 120.1 de la LTC, il n’a pas à déterminer si le paragraphe 54 est déraisonnable.
[107] L’Office note la suggestion d’Agrium selon laquelle si l’Office devait conclure qu’il n’a pas compétence en vertu de l’article 120.1 de la LTC, il devrait exercer ses pouvoirs en vertu de l’article 26 de la LTC afin d’accorder la réparation demandée par les demanderesses. Cependant, l’Office ne peut pas procéder ainsi.
[108] Même si le pouvoir de l’Office en vertu de l’article 26 de la LTC est très vaste, il n’est pas illimité. En vertu de cette disposition, l’Office peut seulement ordonner à quiconque d’accomplir un acte ou de s’en abstenir lorsque l’accomplissement ou l’abstention sont prévus par toute loi fédérale que l’Office est chargé d’appliquer. Par conséquent, dans le cas présent, l’Office pourrait seulement utiliser son pouvoir pour ordonner à CP de renoncer et de mettre fin à l’imposition du paragraphe 54 si l’Office concluait que cette imposition de conditions énoncée dans le paragraphe 54 était interdite en vertu de l’article 120.1 de la LTC. Bien qu’il y ait eu plusieurs arguments présentés quant au caractère raisonnable de l’imposition unilatérale du tarif contesté, l’exigence de ne pas être « déraisonnable », comme il est indiqué dans le paragraphe 120.1(1) de la LTC, s’applique seulement en ce qui a trait aux frais et aux conditions afférentes. Puisque l’Office a conclu que les obligations contenues dans le paragraphe 54 ne constituent pas des « frais » ni des « conditions afférentes », le contenu du paragraphe 54 du tarif ne peut pas aller à l’encontre de l’article 120.1 de la LTC. À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut qu’il ne peut pas exercer ses pouvoirs en vertu de l’article 26 de la LTC pour accorder la réparation demandée par les demanderesses en vertu de l’article 120.1 de la LTC.
RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS
Question 1
[109] L’obligation de l’expéditeur de garantir CP en ce qui touche les responsabilités envers les tiers n’est pas une limitation de la responsabilité envers un expéditeur au sens du paragraphe 137(1) de la LTC.
[110] L’obligation de l’expéditeur de défendre CP en ce qui touche les responsabilités envers les tiers n’est pas une limitation de la responsabilité envers un expéditeur au sens du paragraphe 137(1) de la LTC.
[111] L’obligation de l’expéditeur de protéger CP contient une limitation de la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers un expéditeur. Si l’on considère que cette obligation n’est pas incluse dans une entente écrite entre CP et les demanderesses et n’est pas établie par règlement, cette limitation de la responsabilité est interdite en vertu du paragraphe 137(1) de la LTC.
Question 2
[112] L’obligation de l’expéditeur de garantir, de défendre et de protéger CP ne constitue pas des frais ni une condition liée à des frais comme le prévoit l’article 120.1 de la LTC. Par conséquent, l’Office n’a pas la compétence en vertu de l’article 120.1 pour accorder la réparation demandée par les demanderesses dans la présente affaire au motif que l’obligation est déraisonnable.
Question 3
[113] L’Office n’a pas à se prononcer sur le caractère raisonnable du paragraphe 54 et ne peut exercer son pouvoir en vertu de l’article 26 de la LTC pour ordonner la réparation demandée par les demanderesses en vertu de l’article 120.1 de la LTC.
AUTRE QUESTION
[114] Dans la décision, l’Office a décrit les effets de la disposition énoncée au paragraphe 54 et la nature et la portée des obligations qu’elle impose à l’expéditeur. En particulier, l’Office a conclu ce qui suit :
[88] En raison de l’utilisation des mots « sont attribuables ou associés de quelque façon que ce soit au transport des marchandises », la clause d’indemnisation du paragraphe 54 s’applique de façon générale à la quasi totalité des responsabilités pouvant découler du transport de marchandises dangereuses par CP.En raison du texte large de ce paragraphe, il n’est pas nécessaire que les marchandises de l’expéditeur jouent quelque rôle que ce soit dans les événements donnant lieu à la responsabilité ou y contribuent pour que les obligations de l’expéditeur aux termes du paragraphe 54 s’appliquent. [soulignement ajouté]
[…]
[93] L’Office conclut donc que le paragraphe 54 a pour effet non seulement de soustraire CP à sa responsabilité envers l’expéditeur, mais également d’imposer des obligations supplémentaires à l’expéditeur en ce qui a trait aux responsabilités pouvant naître du transport des marchandises de ce même expéditeur. En d’autres termes,si un événement déclenchant l’application du paragraphe 54 survient, non seulement l’expéditeur n’aurait pas le droit de recevoir quoi que ce soit de CP au titre du dédommagement de la perte causée par cette dernière, mais il serait également tenu d’indemniser CP relativement à la responsabilité de CP envers les tiers et d’assumer les frais de la défense de CP à l’encontre des responsabilités envers les tiers. [soulignement ajouté]
[115] Il semble assez clair que le paragraphe 54 impose des obligations très onéreuses aux expéditeurs. Ces obligations sont telles qu’elles ont l’effet, à toutes fins pratiques, de transformer l’expéditeur en assureur des activités ferroviaires de CP. Comme il est indiqué ci-dessus, l’expéditeur n’a pas besoin d’être fautif pour que l’obligation de garantir, de défendre et de protéger soit déclenchée. Une telle obligation, si elle se réalise, serait clairement disproportionnée par rapport à l’obligation de CP en vertu du tarif, surtout si elle est réalisée dans le contexte d’un événement catastrophique. Toutefois, l’existence d’un déséquilibre ne confère pas automatiquement une compétence à l’Office lorsque la simple lecture des dispositions pertinentes de la LTC l’en exclut et que rien dans le dossier législatif ne laisse entendre que les législateurs ont envisagé de légiférer l’attribution d’une responsabilité envers les tiers ou auraient eu l’intention implicite que la LTC saisissent des conditions de cette nature par l’intermédiaire d’une vaste interprétation des dispositions de la LTC, créant ainsi des recours auprès de l’Office pour les expéditeurs insatisfaits.
[116] Dans le cas présent, l’Office ne pouvait pas intervenir pour régler le déséquilibre causé par l’imposition unilatérale de l’attribution de la responsabilité en vertu du paragraphe 54 parce que la LTC ne précise rien à propos de cet aspect des activités de la compagnie de chemin de fer. Toutefois, l’Office peut seulement conclure que puisqu’il y avait un besoin d’adopter une loi pour empêcher les compagnies de chemin de fer de limiter leurs responsabilités envers un expéditeur sans l’accord écrit de ce dernier, il existe aussi un besoin d’intervention réglementaire lorsqu’une compagnie de chemin de fer impose unilatéralement à un expéditeur des obligations de garantir, de défendre et de protéger comme condition pour le transport des marchandises de ce dernier. Ce besoin existe en raison de l’ampleur qu’une telle obligation peut prendre lorsque l’attribution unilatérale de la responsabilité envers les tiers à un expéditeur est laissée à la compagnie de chemin de fer, comme c’est le cas ici.
[117] L’Office est d’avis que l’attribution de responsabilité entre les parties en cause dans les activités ferroviaires, y compris le transport de marchandises dangereuses, devrait faire l’objet de restrictions semblables ou même plus rigoureuses que celles qui se trouvent à l’article 137 de la LTC parce que ce régime de responsabilité a des répercussions non seulement sur CP et les expéditeurs, mais également sur les tiers.
[118] L’Office reconnaît, comme le soutient CP, que [traduction] « le cas présent concerne vraiment la personne qui assume le risque non attribué ou résiduel inhérent dans le transport de marchandises toxiques par inhalation où ni l’expéditeur ni la compagnie de chemin de fer n’ont été négligents ou fautifs ». L’article 137 de la LTC prévoit qu’une compagnie de chemin de fer ne peut limiter sa responsabilité envers un expéditeur « sauf par accord écrit signé soit par l’expéditeur, soit par une association ou un groupe représentant les expéditeurs ». Cela indique clairement que la méthode privilégiée pour attribuer la responsabilité entre une compagnie de chemin de fer et un expéditeur devrait être déterminée au moyen d’une entente négociée et non pas unilatéralement imposée par une compagnie de chemin de fer.
ORDONNANCE
[119] Ayant conclu que tel qu’il est actuellement libellé, le paragraphe 54 renferme des conditions qui limitent la responsabilité de CP envers un expéditeur, lesquelles conditions sont interdites en vertu de l’article 137 de la LTC, l’Office, en vertu de l’article 26 de la LTC, ordonne à CP de ne pas appliquer le paragraphe 54 de son tarif 8 tant que ce dernier n’aura pas été modifié pour retirer expressément des obligations imposées par ce paragraphe tarifaire la limite interdite de la responsabilité de CP envers un expéditeur.
[120] La présente ordonnance s’applique au paragraphe 54 du tarif 8 tel qu’il était libellé au moment où la présente demande a été déposée, ainsi qu’à toute modification subséquente apportée à ce paragraphe tarifaire qui impose des obligations contenant des limitations de la responsabilité interdites envers un expéditeur.
ANNEXE
PARAGRAPHE 54 DU TARIF 8 PUBLIÉ LE 1ER DÉCEMBRE 2011
[traduction]
Indemnisation et responsabilité
Outre les dispositions énoncées ci-dessus, CP ne peut être tenue responsable envers le client, et celui-ci s’engage à garantir, à défendre et à protéger CP contre toutes réclamations, poursuites judiciaires, actions, requêtes, demandes, plaintes, pertes, décisions arbitrales et de tous préjudices, jugements, liens, coûts (y compris, sans s’y limiter, les frais d’avocats et autres frais raisonnables de contentieux, dont les frais de contentieux pour l’application de cette indemnité, les coûts d’intervention d’urgence et d’évacuation, les coûts de mesures correctives et les coûts de surveillance du gouvernement), dommages (y compris, sans s’y limiter, les dommages spéciaux et indirects), de toutes blessures, de tous décès ou de tous effets négatifs sur la faune ou l’environnement, et de toutes responsabilités, réclamations, actions, amendes, pénalités ou de tous coûts et frais associés (collectivement, les « responsabilités ») découlant ou étant attribuables ou associés de quelque façon que ce soit au transport de marchandises ou à toute chose faite ou non faite en vertu du présent tarif. L’indemnisation assumée par le client visera, sans s’y limiter, toute obligation de réparer attribuable :
- à toute défaillance, défectuosité ou libération du matériel fourni par le client pour le transport de marchandises;
- au chargement, au scellement ou à la fixation des marchandises dans ce matériel;
- à la libération, au déchargement, au transfert, à la livraison, au traitement, au vidage, à l’entreposage ou à l’élimination de marchandises;
- à toutes amendes, pénalités, actions ou poursuites judiciaires résultant d’une violation alléguée ou établie d’une loi, d’un acte, d’une ordonnance, d’un code ou d’un règlement fédéral, provincial ou local;
- à toute perte causée par la seule négligence ou faute du client.
Le client n’est toutefois en aucun cas tenu de garantir CP lorsqu’une responsabilité résulte de la seule négligence ou de l’inconduite délibérée de CP, de ses agents ou de ses employés.
Le client assume l’entière responsabilité à l’égard de toute obligation de réparer et s’engage à garantir, à défendre et à protéger CP de toute responsabilité attribuable à la présence de produits chimiques ou de contaminants dans les marchandises qui ne sont pas décrits de façon appropriée dans le document d’expédition des marchandises.
Les obligations du client liées à l’indemnisation en vertu du présent paragraphe ne comprennent pas les réclamations pour les dommages ou retards allégués relatifs aux marchandises ainsi que pour la perte de celles-ci.
Responsabilité conjointe
Sous réserve des obligations du client de défendre et de garantir CP comme il est énoncé ci‑dessus, si le client croit que les responsabilités sont attribuables en partie ou en totalité à la négligence ou à une faute conjointe, contributive ou concurrente de CP, la responsabilité sera établie selon le principe d’une faute comparable et le juge des faits déterminera la part de responsabilité de CP, du client et de toute autre partie. CP ne sera tenue responsable que de la responsabilité établie à son égard en proportion de sa part de responsabilité. Le client sera tenu responsable de toute autres responsabilités.
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