Décision n° 484-C-A-2007
le 28 septembre 2007
RELATIVE à une plainte déposée par M. E. au sujet du refus de la part d'Air Canada de le transporter en raison d'un incident qui serait survenu à Victoria (Colombie-Britannique) le 5 janvier 2007 à bord du vol no 8079 de Jazz Air S.E.C., représentée par son commandité, Commandité Gestion Jazz Air inc. exerçant son activité sous le nom d'Air Canada Jazz.
Référence no M4120/07-50292
PLAINTE
[1] Le 11 avril 2007, M. E. a déposé auprès de la Division des enquêtes sur les plaintes la demande décrite dans l'intitulé. En raison de la nature réglementaire de la plainte, elle a été renvoyée à l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) aux fins d'examen.
[2] Le 16 avril 2007, M. E. a été avisé de la compétence de l'Office dans cette affaire et on lui a demandé de confirmer s'il souhaitait poursuivre le dossier de façon formelle devant l'Office. Le 20 avril 2007, M. E. a indiqué qu'il souhaitait poursuivre formellement cette affaire devant l'Office.
[3] Le 22 mai 2007, l'Office a demandé à Air Canada de donner suite à la plainte eu égard aux articles 67 et 67.1 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée (ci-après la LTC). Air Canada a déposé sa réponse le 22 juin 2007.
[4] Le 25 juin 2007, M. E. a déposé sa réplique et le 11 juillet suivant Air Canada a fait part de ses commentaires y afférents. Le 15 juillet 2007, M. E. a demandé une prolongation de trente (30) jours pour déposer ses commentaires.
[5] Dans une lettre du 31 juillet 2007, Air Canada a été avisée que son mémoire du 11 juillet 2007 était pertinent et nécessaire à l'examen de cette affaire et que, par conséquent, il était admis. Par voie de cette même lettre, M. E. s'est vu accorder une prolongation de trente (30) jours pour déposer sa réponse.
[6] Le 13 août 2007, M. E. a déposé sa réponse.
[7] Aux termes du paragraphe 29(1) de la LTC, l'Office est tenu de rendre sa décision au plus tard 120 jours après la date de réception de la demande, sauf s'il y a accord entre les parties pour une prolongation du délai. Dans le cas présent, les parties ont convenu de prolonger le délai jusqu'au 28 septembre 2007.
QUESTION
[8] L'Office doit déterminer si Air Canada a appliqué de façon adéquate les conditions de transport relatives au refus de transporter, comme il est précisé dans son Tarif intérieur comportant les règles générales canadiennes, CDGR-1 (ci-après le tarif), comme l'exige le paragraphe 67(3) de la LTC.
POSITIONS DES PARTIES
[9] Le 5 janvier 2007, M. E. a voyagé à bord du vol no 8079 de Jazz Air S.E.C., représentée par son commandité, Commandité Gestion Jazz Air inc. exerçant son activité sous le nom d'Air Canada Jazz (ci-après Air Canada Jazz). Il indique qu'à la suite de ce voyage, Air Canada l'a accusé à tort de constituer une menace potentielle à la sécurité de ses passagers et l'a avisé qu'il ne pourrait plus voyager avec Air Canada ou Air Canada Jazz jusqu'à ce qu'il puisse démontrer à la satisfaction du transporteur qu'il n'est plus une menace.
[10] M. E. fait valoir qu'avant le départ du vol no 8079 d'Air Canada Jazz, il a indiqué à l'agente de bord que sa compagne de voyage devait absolument utiliser les toilettes, mais l'agente lui a répondu que cela n'était pas possible du fait que l'aéronef était sur le point de décoller et qu'on s'attendait à une forte turbulence pendant le vol. M. E. ajoute qu'après le décollage, sa compagne s'est rendue aux toilettes faisant fi des directives de l'agente de bord.
[11] Air Canada soutient que l'agente de bord a demandé au commandant de bord, au nom de la compagne de voyage de M. E., si cette dernière pouvait utiliser les toilettes. Air Canada fait valoir que le commandant de bord a indiqué qu'il ne pouvait acquiescer à cette demande et qu'il n'y aurait aucune occasion d'utiliser les toilettes durant le vol de 23 minutes. Air Canada indique que l'agente de bord a transmis ces directives par le biais d'une annonce générale aux passagers.
[12] Air Canada affirme qu'au débarquement M. E. a saisi l'agente de bord avec force en lui disant « Tout ce que tu mérites pour tes efforts c'est un siège plein d'urine, merci de ta compassion (juron) » [traduction]. Il l'a ensuite poussée par l'épaule.
[13] M. E. fait valoir qu'il n'a à aucun moment été agressif ou abusif, ou utilisé un langage blasphématoire. M. E. a déposé une déclaration prêtée sous serment par sa compagne de voyage selon laquelle elle était aux côtés de M. E. lors du débarquement et qu'il a touché légèrement l'épaule de l'agente de bord pour attirer son attention. Il lui a ensuite dit : « Tout ce que tu mérites pour ton indifférence c'est un siège plein d'urine » [traduction]. La compagne de voyage de M. E. témoigne également du fait que M. E. n'a en aucun temps utilisé un langage blasphématoire et qu'elle ne l'a vu ni bousculer l'agente de bord ni être abusif à son égard.
[14] Air Canada fait valoir qu'il est peu probable qu'un léger toucher sur l'épaule ait précédé les propos sévères tenus par M. E. Air Canada maintient qu'il est plus raisonnable de croire que de telles paroles auraient été accompagnées d'une poussée.
[15] Air Canada indique que M. E. a été averti qu'il ne pourrait plus voyager avec Air Canada ou Air Canada Jazz jusqu'à ce qu'il puisse démontrer qu'il ne constitue plus une menace à la sécurité et au confort des passagers et de l'équipage. Air Canada souligne que bien que M. E. ait répondu à l'avis de sanction, il n'a pas allégé les préoccupations d'Air Canada. Air Canada croit également que la déclaration sous serment fournie par la compagne de voyage de M. E. devrait être rejetée, car il ne s'agit pas d'un témoignage impartial.
[16] Afin d'étayer sa position, Air Canada a déposé une déclaration sous serment d'un autre passager qui était à bord du vol no 8079 d'Air Canada Jazz attestant que l'agente de bord « était très polie, courtoise et professionnelle tout au long du vol » [traduction]. Tout en reconnaissant que ce passager n'a pas été témoin de l'altercation entre M. E. et l'agente de bord, Air Canada soutient que sa déclaration témoigne de la crédibilité de l'agente de bord.
[17] M. E. est d'avis que les accusations portées contre lui sont sans fondement et demande que les sanctions qui lui sont imposées par Air Canada et Air Canada Jazz relativement à ses déplacements futurs soient levées et que le transporteur lui présente des excuses.
ANALYSE ET CONSTATATIONS
[18] Pour en arriver à ses constatations, l'Office a examiné attentivement tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries. L'Office a aussi examiné les conditions de transport d'Air Canada relatives au refus de transporter des passagers énoncées dans son tarif en vigueur au moment du voyage de M. E.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES APPLICABLES
[19] Le paragraphe 67(3) et l'article 67.1 de la LTC prévoient que :
67(3) Le titulaire d'une licence intérieure ne peut appliquer à l'égard d'un service intérieur que le prix, le taux, les frais ou les conditions de transport applicables figurant dans le tarif en vigueur publié ou affiché conformément au paragraphe (1).
67.1 S'il conclut, sur dépôt d'une plainte ou de sa propre initiative, que le titulaire d'une licence intérieure a, contrairement au paragraphe 67(3), appliqué à l'un de ses services intérieurs un prix, un taux, des frais ou d'autres conditions de transport ne figurant pas au tarif, l'Office peut, par ordonnance, lui enjoindre :
(a) d'appliquer un prix, un taux, des frais ou d'autres conditions de transport figurant au tarif;
(b) d'indemniser toute personne lésée des dépenses qu'elle a supportées consécutivement à la non-application du prix, du taux, des frais ou des autres conditions qui figuraient au tarif;
(c) de prendre toute autre mesure corrective indiquée.
[20] Les conditions de transport énoncées au règle 35AC, du tarif prévoit, en partie, ce qui suit:
Règle 35AC Refus de transporter - Limites du transporteur
[...]
II Comportement du passager - Refus de transporter, Comportement interdit et sanctions
Comportement interdit
Sans limiter le caractère général de ce qui précède, les énoncés suivants représentent des comportements interdits où il peut être nécessaire pour le transporteur, en faisant preuve de jugement raisonnable, de prendre des mesures afin d'assurer le confort ou la sécurité physique de la personne, des autres passagers (dans l'avenir et à l'heure actuelle) ou des employés du transporteur; la sécurité de l'aéronef; l'exercice sans entraves des fonctions des membres d'équipage à bord de l'aéronef ou des opérations aériennes sécuritaires et adéquates.
[...]
(b) le comportement ou l'état du passager est ou a la réputation d'être perturbateur, injurieux, menaçant, intimidant, violent ou indiscipliné et qu'il y a risque, de l'avis d'un employé raisonnable du transporteur, que ce passager nuirait au confort et à la sécurité des autres passagers ou des employés du transporteur, nuira à un membre de l'équipage dans l'exercice de ses fonctions à bord de l'aéronef ou encore à la sécurité et aux opérations en vol.
[...]
Sanctions :
Lorsqu'en faisant preuve de jugement raisonnable, le transporteur décide que le passager se livre à un comportement interdit décrit ci-dessus, le transporteur peut imposer toute combinaison des sanctions suivantes :
[...]
(iii) refuser de transporter le passager, ces refus de transporter peuvent aller d'une interdiction unique à une interdiction indéterminée ou à vie. Le transporteur devra faire preuve de jugement raisonnable en déterminant la durée de la période de refus, qui devra correspondre à la nature du comportement interdit et se terminera lorsque le transporteur sera assuré que le passager ne représente plus une menace pour la sécurité des autres passagers, de l'équipage de l'aéronef ou le confort des autres passagers ou de l'équipage, l'exercice sans entraves des fonctions des membres d'équipage à bord de l'aéronef ou des opérations aériennes sécuritaires et adéquates.
Refus de transporter
[21] En vertu du paragraphe 67(3) de la LTC, un transporteur aérien ne doit appliquer à l'égard d'un service intérieur que les conditions de transport applicables à son service intérieur figurant dans le tarif. L'Office note que la règle 35AC du tarif prévoit qu'Air Canada a le droit de refuser de transporter un passager lorsque le passager affiche un comportement faisant partie de la liste de « comportements interdits » qui figure dans son tarif. L'un des comportements interdits signalés par la règle 35AC II (b) est « perturbateur, injurieux, menaçant, intimidant, violent ou indiscipliné ».
[22] Lorsqu'une plainte est déposée auprès de l'Office, le plaignant a le fardeau de fournir des preuves à l'Office démontrant que le transporteur aérien n'a pas appliqué les conditions de transport de son tarif ou qu'il a appliqué ces dernières de façon inconstante.
[23] Lorsque l'Office est saisi d'une demande convaincante, comme la présente, d'un voyageur qui conteste la décision d'un transporteur qui refuse d'assurer ses déplacements en raison de son comportement, le transporteur se voit accorder l'occasion de fournir une preuve à l'appui de sa position. À cet égard, Air Canada a failli à cette tâche. Une déclaration d'un transporteur, sans documents à l'appui, qu'un passager avait un comportement perturbateur ne sera généralement pas admise comme preuve suffisante pouvant justifier le refus de le transporter. En outre, l'Office n'a pas tenu compte de la déclaration déposée par Air Canada, car elle ne se rapporte pas à l'incident présumé.
[24] Dans le cas présent, l'Office est d'avis, selon la preuve au dossier, surtout la déclaration faite sous serment par la compagne de voyage de M. E., que le comportement de ce dernier ne figure pas dans la liste des comportements interdits par le transporteur. L'Office conclut qu'Air Canada n'a pas su réfuter indéniablement cette preuve et démontrer, selon la prépondérance de la preuve, qu'elle a agi conformément au tarif en refusant de transporter M. E. à l'avenir.
[25] À la lumière de ce qui précède, l'Office conclut qu'en refusant de transporter M. E. Air Canada n'a pas respecté le tarif et que, par conséquent, elle a contrevenu au paragraphe 67(3) de la LTC. Pour ce qui est d'ordonner au transporteur de présenter des excuses à M. E., l'Office n'est pas habilité à le faire.
CONCLUSION
[26] Compte tenu de ce qui précède, l'Office, en vertu de l'article 67.1 de la LTC, enjoint à Air Canada et à Air Canada Jazz d'accepter de transporter M. E. lors de tout voyage futur, et de supprimer immédiatement de leurs dossiers toute mention relative à ce refus de transporter M. E.
Membres
- Beaton Tulk
- Gilles Dufault
- Raymon J. Kaduck
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