Décision n° 51-R-2017
SOMMAIRE
[1] Desmond McComish a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Metrolinx concernant le bruit provenant des services ferroviaires de l’Union Pearson Express (UP Express) à la gare Bloor. Plus particulièrement, M. McComish allègue que le bruit produit par la sonnerie des cloches des trains est excessif et lui cause des préjudices physiques, financiers, mentaux et émotionnels, et porte atteinte à la vie en collectivité.
[2] Pour les raisons énoncées ci-après, l’Office conclut que M. McComish ne s’est pas acquitté de son fardeau de fournir suffisamment de preuves pour démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a une perturbation importante au confort ordinaire ou aux commodités de l’existence, selon des normes qui s’appliquent à une personne moyenne. Comme de telles preuves sont requises pour satisfaire aux critères de la première étape de l’analyse des demandes relatives au bruit et aux vibrations, l’Office rejette la demande.
MISE EN SITUATION
[3] Metrolinx est une agence du gouvernement de l’Ontario qui, en 2009, assumait la responsabilité de GO Transit, le réseau de transport en commun régional de la région du Grand Toronto et de Hamilton, en Ontario.
[4] UP Express est un service de transport en commun offert par Metrolinx. Il s’agit d’une navette ferroviaire expresse qui fournit des services entre la gare Union, au centre-ville de Toronto, et l’aéroport international Pearson de Toronto. La gare Bloor est située à proximité de l’intersection des rues Bloor et Dundas, à Toronto.
QUESTIONS
- Le bruit produit par la sonnerie des cloches des trains UP Express de Metrolinx à la gare Bloor constitue-t-il une perturbation importante?
- Le cas échéant, Metrolinx respecte-t-elle son obligation en vertu de l’article 95.1 de la LTC de limiter les vibrations et le bruit produits à un niveau raisonnable, compte tenu de ses obligations relatives au niveau de services, de ses besoins en matière d’exploitation et du lieu d’exploitation?
CONTEXTE
[5] Dans son examen d’une demande relative au bruit et aux vibrations, l’Office applique un critère à deux volets.
[6] Le premier volet du critère a trait à la «perturbation importante» au confort ordinaire ou aux commodités de l’existence, selon des normes qui s’appliquent à une personne moyenne. Cela exige que l’Office détermine si la demanderesse a démontré qu’elle subit une perturbation importante causée par les vibrations et le bruit produits par l’exploitation ou la construction d’un chemin de fer. Il incombe à la demanderesse de convaincre l’Office qu’elle subit une perturbation importante.
[7] Si une demanderesse n’est pas en mesure de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle subit une perturbation importante, l’Office rejettera la demande sans poursuivre l’analyse. Si la demanderesse démontre qu’elle subit une perturbation importante, l’Office passera au deuxième volet du critère.
[8] Le deuxième volet du critère concerne le «caractère raisonnable». Le caractère raisonnable d’un élément doit être déterminé de façon ponctuelle, afin de déterminer ce qui est juste et convenable dans un cas particulier. Ce qui est raisonnable dans certaines circonstances peut ne pas l’être dans d’autres. Le défi réside dans l’atteinte d’un équilibre entre les préoccupations des collectivités et le besoin d’une compagnie de chemin de fer de maintenir une exploitation ferroviaire efficiente et économiquement viable, conformément à son obligation statutaire de limiter les vibrations et le bruit produits à un niveau raisonnable, compte tenu de la construction du chemin de fer ou de son exploitation.
[9] Si l’Office détermine que les vibrations et le bruit produits par l’exploitation ferroviaire sont raisonnables, il rejettera la demande. Par contre, si l’Office détermine que les vibrations et le bruit ne sont pas raisonnables, il peut ordonner à une compagnie de chemin de fer d’apporter à son exploitation ferroviaire les modifications qu’il juge nécessaires pour veiller au respect de l’article 95.1 de la LTC.
QUESTION 1 : LE BRUIT PRODUIT PAR LA SONNERIE DES CLOCHES DES TRAINS UP EXPRESS DE METROLINX À LA GARE BLOOR CONSTITUE-T-IL UNE PERTURBATION IMPORTANTE?
Positions des parties
M. McComish
[10] M. McComish affirme que depuis l’entrée en vigueur du service UP Express en juin 2015, la sonnerie des cloches des trains, au départ et à l’arrivée à la gare Bloor, constitue un bruit excessif. À l’appui de son argument, M. McComish a déposé une pétition signée par plus de 70 résidents touchés de Toronto dans laquelle il demandait l’arrêt de la sonnerie des cloches et la prise de mesures d’atténuation du bruit. La pétition a été envoyée au ministre des Transports de l’Ontario à l’été 2016.
[11] M. McComish indique que la densité du secteur Junction dans le vieux Toronto augmente, particulièrement à proximité du corridor ferroviaire. Il souligne qu’en mettant de l’avant son plan régional d’extension du réseau ferroviaire, la Province de l’Ontario élargira son service, ce qui entraînera l’ajout de trains GO dans des corridors urbains à forte densité de population, notamment les lignes Kitchener et Milton qui comportent des arrêts à la gare Bloor.
[12] M. McComish affirme qu’à la gare Bloor, il y a des arrivées et des départs de trains UP Express en moyenne à toutes les 7,5 minutes, 20 heures par jour, pour un total de 160 trains par jour (c.‑à-d. 8 trains/heure x 20 heures). Il fait valoir que bien que la sonnerie des cloches n’est pas continue, elle est assez fréquente pour constituer une nuisance pour les personnes touchées. M. McComish affirme également que la cloche du train est activée pendant une période allant jusqu’à 60 secondes à son arrivée, et encore une fois à son départ. M. McComish a déposé une vidéo qui aurait été prise le 31 octobre 2016, montrant un train UP Express arrivant à la gare Bloor et dont la cloche sonne pendant 58 secondes. M. McComish affirme qu’il y a beaucoup d’incohérences en pratique, et que les résidents ont observé que les sonneries duraient beaucoup plus longtemps que les 20 à 22 secondes alléguées par Metrolinx.
[13] M. McComish a déposé des données concernant les niveaux sonores sous forme de courriel, à son nom, provenant d’une personne dont le titre et les qualifications ne sont pas précisés. Cette personne soutient que, debout sur la plateforme de la gare Bloor, tout à côté du train, elle a obtenu une lecture de 93 dB, mais que la plupart des lectures se situaient entre 76 et 86 dB. La même personne indique qu’à l’avenue Ernest, toutes les lectures étaient de 81 dB ou moins. Il n’y a aucune indication quant au type d’équipement utilisé ni aux conditions dans lesquelles ces mesures ont été prises.
[14] En réponse à l’étude maison déposée par Metrolinx concernant le niveau sonore, M. McComish fait valoir que la fréquence et la tonalité du bruit ne sont pas prises en compte, bien qu’il indique que les gens sont en général moins sensibles aux sons de basse fréquence.
[15] M. McComish fait valoir que des résidents locaux ont communiqué avec Metrolinx pour lui demander d’arrêter d’activer les cloches des trains UP Express, ou de réduire le son des cloches, mais que chaque fois, Metrolinx a répondu que l’activation des cloches est une exigence de la Loi sur la sécurité ferroviaire, L.R.C. (1985), ch. 32 (4e suppl.). M. McComish fait également valoir que différents députés et le conseiller municipal de Toronto ont pris part à cette affaire et ont communiqué avec Metrolinx et le directeur municipal de Toronto à ce sujet. M. McComish affirme que, même si le conseiller municipal de Toronto a demandé officiellement, en juillet 2016, que le directeur municipal de Toronto discute avec Metrolinx et Transports Canada afin de [traduction] «trouver des pratiques exemplaires et des solutions possibles pour éviter l’utilisation des cloches et des sifflets à l’arrivée et au départ des trains aux gares ferroviaires de passagers», il semble qu’aucune discussion officielle sur cette affaire n’ait encore eu lieu.
[16] M. McComish prétend que le bruit produit par les cloches est excessif, mais il indique qu’il serait moins préoccupé si d’autres mesures d’atténuation étaient prises pour limiter le bruit dans les limites du corridor ferroviaire. Il propose les mesures d’atténuation possibles suivantes :
- Créer une «zone sans bruit», avec l’arrêt complet des cloches, ou encore réduire la durée et le volume des cloches.
- Chercher une solution de rechange au système d’alarme/alerte, p. ex. un carillon plaisant, audible seulement à partir de la plateforme pour informer les passagers de l’arrivée et du départ d’un train.
- Installer des «barrières de précision», semblables à celles de la gare Union, alignées aux portes des trains UP Express.
- Réaliser des études acoustiques.
- Envisager d’installer des cloches dont le son voyagerait vers l’avant (son directionnel), plutôt que celles installées en ce moment, dont le son se propage dans toutes les directions (son omnidirectionnel).
- Réduire la durée de la sonnerie des cloches; plus précisément, activer la cloche seulement à partir du moment où le train a dépassé la petite section surélevée de la plateforme UP Express faisant partie de la plateforme plus longue des trains GO.
[17] M. McComish indique qu’une barrière continue de cinq mètres de haut a été installée à la gare Bloor, dont le tiers inférieur est en béton, et le reste en plexiglas; M. McComish affirme toutefois que la barrière n’atténue pas le bruit.
[18] En réponse à l’affirmation de Metrolinx selon laquelle elle a modifié les cloches sur ses trains en décembre 2016, M. McComish soutient que cette mesure n’a pas été communiquée aux résidents locaux touchés.
Metrolinx
[19] Metrolinx fait valoir qu’aucune donnée ne vient soutenir les allégations de M. McComish concernant le préjudice allégué découlant du bruit produit par la sonnerie des cloches à la gare Bloor. Metrolinx fait remarquer que même si M. McComish soutient que certaines résidences adjacentes à la gare Bloor ne sont qu’à 25 mètres de la source du bruit, il n’a fourni aucun renseignement laissant croire que le bruit [traduction] «perturbe réellement les gens qui y habitent». Metrolinx fait également remarquer que M. McComish ne reconnaît pas que l’impact du bruit a été réduit grâce aux murs antibruit en place.
[20] Metrolinx soutient que des trains UP Express partent de chaque terminus toutes les 15 minutes, de 5 h 30 à 1 h. Metrolinx fait valoir qu’il y a 140 trains par jour. Metrolinx réfute l’affirmation de M. McComish selon laquelle la sonnerie des cloches dure jusqu’à 60 secondes, indiquant que toutes les équipes de train exploitant le service UP Express ont reçu l’instruction d’activer la cloche à l’approche d’une gare seulement quand le train est rendu à l’extrémité avant de la plateforme, et de la désactiver une fois rendu à l’autre extrémité de la plateforme. Metrolinx affirme que ses récents tests sur le terrain indiquent que le bruit produit par les cloches dure entre 20 et 22 secondes à l’arrivée, et il en est de même au départ.
[21] Metrolinx indique qu’au début de décembre 2016, elle a terminé le déplacement des cloches des trains au centre de toutes les voitures de son parc UP Express. Le nouveau concept de cloche comprend une enceinte partielle construite avec un matériau insonorisant. Metrolinx affirme qu’elle a fait des tests sur le terrain en ce qui a trait au bruit produit par les cloches à partir de plusieurs emplacements sur la plateforme de la gare et que, pour tous les tests sauf un, les niveaux globaux de pression acoustique étaient de 73 dB(A) ou moins, la majorité des résultats des tests étant en dessous de 70 dB(A). Metrolinx fait valoir que comme ces lectures ont été prises sur la plateforme de la gare, le mur antibruit n’a pas pu atténuer le bruit produit par les cloches. Metrolinx souligne également que M. McComish a déposé sa demande auprès de l’Office avant la modification des cloches sur les voitures du parc UP Express.
[22] Metrolinx fait également valoir que M. McComish n’a déposé que peu de preuves sur la durée précise du bruit, les niveaux sonores et l’impact du bruit. Metrolinx indique que la seule preuve des niveaux sonores déposée par M. McComish est un courriel lui étant destiné, qui n’indique pas l’emplacement du récepteur, le type de bruit entendu, la durée du bruit, ni la méthodologie utilisée. Metrolinx souligne que le courriel date de juillet 2016, ce qui signifie que les lectures ont été prises avant les modifications qu’elle a apportées aux cloches.
[23] Metrolinx a déposé un rapport sur les mesures des niveaux sonores à la gare Bloor concernant les cloches des trains UP Express (Sound Level Measurements at Bloor Station re : UP Express Bells), préparé le 21 décembre 2016 par son bureau de gestion de la construction. Selon ce bureau, le rapport servait à comparer les niveaux sonores des cloches de trains UP Express à la gare Bloor aux exigences de l’article 11.3 du Règlement relatif à l’inspection et à la sécurité des locomotives de chemin de fer (Règlement sur la sécurité) de Transports Canada. Le Règlement sur la sécurité prévoit que la cloche doit produire un niveau sonore minimal de 60 dB(A) en tout point d’un arc de 15 mètres de rayon sous-tendu devant la locomotive par des angles de 45 degrés à gauche et à droite de l’axe de la voie dans le sens de déplacement. Il est indiqué dans le rapport que des lectures des bruits de fond ont été recueillies à l’arrivée sur les lieux, lorsqu’il n’y avait aucun train ni voyageur dans les environs, et que la prise de relevés a commencé avant l’approche du train. Il est conclu dans le rapport que pour toutes les lectures indiquées, sans exception, les niveaux des bruits de fond se situaient entre 50 et 56 dB(A), et que le bruit produit par les cloches se situait entre 66 et 73 dB(A), ce qui correspond à l’exigence minimale établie à 60 dB(A) dans le Règlement sur la sécurité.
[24] Metrolinx fait valoir que le bruit en l’espèce n’atteint pas le seuil de perturbation importante au confort ordinaire ou aux commodités de l’existence, selon des normes qui s’appliquent à une personne moyenne.
Analyse et constatations
[25] Comme il a été indiqué ci-dessus, la première étape de l’analyse des demandes relatives au bruit et aux vibrations consiste à établir l’existence du bruit ou des vibrations et à déterminer s’ils constituent une perturbation importante au confort ordinaire ou aux commodités de l’existence, selon des normes qui s’appliquent à une personne moyenne. S’il n’y a pas de perturbation importante, il n’est pas nécessaire de poursuivre l’analyse.
[26] Pour faire une détermination relative à l’existence de bruit ou de vibrations qui pourraient constituer une perturbation importante, l’Office tiendra compte des éléments énoncés dans ses Lignes directrices sur la résolution des plaintes relatives au bruit et aux vibrations ferroviaires. Ces éléments comprennent ce qui suit :
- les activités ferroviaires dans le lieu touché, y compris tout changement pertinent;
- les caractéristiques et l’importance du bruit ou des vibrations (comme le niveau et les types de bruit [ponctuel ou continu], l’heure, la durée et la fréquence);
- les mesures ou études pertinentes sur le bruit et les vibrations;
- la présence de bruits environnants autres que ceux émanant de l’exploitation ferroviaire, tels que le bruit d’une autoroute;
- les répercussions, sur les personnes touchées, des perturbations causées par le bruit ou les vibrations;
- les normes pertinentes pour évaluer l’importance des effets du niveau de bruit et de vibrations;
- les méthodes et technologies de mitigation faisables d’un point de vue opérationnel et économique;
- les efforts d’atténuation déployés par les parties;
- toutes autres questions liées à la demande.
[27] Dans le cas présent, il incombe à M. McComish de prouver, à la satisfaction de l’Office, qu’il subit une perturbation importante en conséquence du bruit produit par la sonnerie des cloches des trains UP Express à la gare Bloor. M. McComish décrit l’exploitation ferroviaire à la gare Bloor, et affirme que 160 trains par jour activent leur cloche pendant une période allant jusqu’à 60 secondes à l’arrivée à la gare, et encore une fois au départ. Cela représente un nombre important de sonneries de cloche durant une journée, mais M. McComish n’a pas indiqué l’impact de la perturbation causée par le bruit. Il n’a fait qu’affirmer de façon générale que le bruit est excessif et lui cause des préjudices physiques, financiers, mentaux et émotionnels. M. McComish n’a pas déposé de journaux d’incidents, de relevés de lecture, d’études, de preuves d’expert ni d’enregistrements pour prouver que le bruit qui peut réellement être entendu depuis sa résidence constitue une perturbation importante au confort ordinaire ou aux commodités de l’existence auxquels il a droit.
[28] Les seules données déposées par M. McComish concernant les niveaux sonores portent sur les bruits ambiants à la gare Bloor et à l’avenue Ernest. Toutefois, ces niveaux sonores semblent inclure toutes les sources de bruit (p. ex. circulation, moteurs des trains, bruits du voisinage, mouvements des trains et la cloche elle‑même, sans atténuation), et semblent ne pas avoir été filtrés (c.‑à-d. qu’ils incluent des sons de basse fréquence). Il est impossible de déterminer quelle partie du bruit est attribuable aux cloches qui sonnent. De plus, ces lectures ont été prises en juillet 2016, avant la fin des modifications apportées aux cloches des trains UP Express, de sorte qu’elles ne reflètent pas exactement la situation réelle. Il convient également de souligner que M. McComish n’a fourni aucune information concernant la méthode ayant servi à mesurer le bruit, de sorte que les données qu’il a soumises ne peuvent pas être utilisées en toute confiance.
[29] L’exploitation ferroviaire, de par sa nature, produit du bruit et des vibrations. Le niveau de bruit et de vibrations observé variera en fonction d’un certain nombre de facteurs, l’un des plus importants étant la proximité physique des résidences au chemin de fer. L’Office reconnaît que la résidence de M. McComish est située à proximité de la gare Bloor. Toutefois, ce fait à lui seul ne suffit pas pour que l’Office puisse conclure que le bruit constitue une perturbation importante.
[30] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que M. McComish ne s’est pas acquitté de son fardeau de fournir suffisamment de preuves pour démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une perturbation importante au confort ordinaire ou aux commodités de l’existence, selon des normes qui s’appliquent à une personne moyenne. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de déterminer si le bruit est raisonnable aux termes de l’article 95.1 de la LTC.
CONCLUSION
[31] Par conséquent, l’Office rejette la demande.
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