Décision n° 52-R-1991

le 4 février 1991

le 4 février 1991

RELATIVE au réexamen, conformément à l'article 171 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. (1985), ch. 28 (3e suppl.), des demandes déposées par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada en vue d'obtenir l'autorisation d'abandonner l'exploitation de la subdivision Kincardine entre Listowel (point milliaire 1,41) et Wingham (point milliaire 30,34), de la subdivision Newton entre Stratford (point milliaire 1,17) et Palmerston (point milliaire 36,62) y compris un tronçon de 1,41 mille dans la subdivision Kincardine, et de la subdivision Owen Sound entre Palmerston (point milliaire 0,00) et Owen Sound (point milliaire 71,43) (ci-après les embranchements), soit une distance totale de 137,22 milles, toutes situées dans la province d'Ontario.

Références nos 6115/492
6115/565
6115/583


INTRODUCTION

Le 3 septembre 1980, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci-après la demanderesse) a déposé une demande auprès du Comité des transports par chemin de fer de la Commission canadienne des transports (ci-après le CTCF) en vue d'obtenir l'autorisation d'abandonner l'exploitation de la subdivision Kincardine entre Listowel (point milliaire 1,41) et Kincardine (point milliaire 57,82). L'ordonnance no R-35400 du CTCF, en date du 25 juillet 1983, autorisait l'abandon de l'exploitation de la subdivision Kincardine entre Wingham (point milliaire 32,95) et Kincardine (point milliaire 57,82) et ordonnait le maintien de l'exploitation entre Listowel (point milliaire 1,41) et Wingham (point milliaire 32,95) (devenu point milliaire 30,34 en vertu de l'ordonnance no R-36558 du CTCF, en date du 24 avril 1984). Après un réexamen survenu en 1988, en vertu des dispositions de la Loi de 1987 sur les transports nationaux (ci-après la LTN 1987), l'arrêté no 1989-R-24 du 13 février 1989 ordonnait le maintien de l'exploitation de la subdivision Kincardine entre Listowel (point milliaire 1,41) et Wingham (point milliaire 30,34).

Le 15 septembre 1986, la demanderesse a demandé l'autorisation d'abandonner l'exploitation de la subdivision Newton entre Stratford (point milliaire 1,17) et Palmerston (point milliaire 36,62), de la subdivision Owen Sound sur toute sa longueur entre Palmerston (point milliaire 0,00) et Owen Sound (point milliaire 71,43), et de la subdivision Kincardine entre le point milliaire 0,00, point de jonction avec le point milliaire 27,85 de la subdivision Newton à Listowel, et le point milliaire 1,41. La demanderesse a maintenu en exploitation la subdivision Newton entre les points milliaires 0,09 et 1,17 afin de répondre aux besoins des clients de Stratford.

L'ordonnance no R-40466 du CTCF, en date du 26 mars 1987, ordonnait le maintien de l'exploitation des subdivisions Newton et Owen Sound.

Lorsque la LTN 1987 est entrée en vigueur, les demandes portant sur les subdivisions Newton et Owen Sound ont été réputées avoir été déposées conformément aux dispositions de l'article 171 de la LTN 1987. Comme le maintien de l'exploitation de ces embranchements avait été ordonné en vertu du paragraphe 254(5) de la Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1970), ch. R-2, l'Office national des transports (ci-après l'Office) a dû procéder au réexamen des demandes correspondantes en vertu du paragraphe 171(4) et appliquer en conséquence les articles 161 à 171, 173 et 174.

EMPLACEMENT DES EMBRANCHEMENTS

Les trois embranchements sont situés dans la région connue sous le nom de Grey-Bruce, dans le centre-ouest de l'Ontario, bordant le lac Huron à l'ouest et la baie Georgienne au nord-est.

La subdivision Kincardine prend naissance au point milliaire 27,9 de la subdivision Newton de la demanderesse, à la gare de Listowel (point milliaire 0,00), et de là se poursuit dans l'axe nord-ouest jusqu'à Wingham (point milliaire 30,34).

La subdivision Newton relie les subdivisions Kincardine et Owen Sound à la ligne principale (subdivision Guelph).

La subdivision Owen Sound de la demanderesse prend naissance à Palmerston et monte vers le nord jusqu'à Owen Sound, point milliaire 71,43.

Une carte de la région est jointe en appendice A.

TRAFIC DE WAGONS COMPLETS

La majeure partie du trafic des embranchements est constituée de bois de construction, de blé et de farine. Voici le nombre de wagons complets qui ont été transportés au cours des exercices réglementaires de 1987, 1988 et 1989 :

Subdivision 1987 1988 1989
Kincardine 135 111 134
Newton 39 28 52
Owen Sound 498 340 44

PERTES RÉELLES

Le 31 juillet 1990, l'Office a publié un avis de réexamen relatif à l'exploitation des embranchements. Un nombre important de mémoires à l'encontre du projet d'abandon ont été reçus suite à cet avis.

En cas d'opposition à une demande en vertu de l'article 161 de la LTN 1987, l'Office est tenu de déterminer, le cas échéant, le montant des pertes réelles de la compagnie de chemin de fer attribuables à l'exploitation des embranchements pour chaque exercice réglementaire et de donner avis public de la détermination effectuée ainsi que des critères principaux utilisés pour y arriver aux termes de l'article 163 de la LTN 1987. Dans un avis daté du 26 novembre 1990, l'Office a publié une détermination provisoire des montants des pertes réelles subies par la demanderesse dans le cadre de l'exploitation des embranchements au cours des exercices 1987, 1988 et 1989, à partir des renseignements présentés par la demanderesse. Les frais calculés par la demanderesse se fondaient sur la méthode de calcul qu'a utilisée l'Office dans l'examen des demandes d'abandon des subdivisions Chapais et Chester du CN. L'avis de l'Office invitait toute personne pouvant fournir à l'Office une preuve établissant qu'il y a des motifs de croire que les embranchements puissent devenir rentables dans un avenir prévisible ou que l'exploitation des embranchements est nécessaire dans l'intérêt public de faire parvenir cette preuve à l'Office dans les quinze (15) jours suivant la date de l'avis. En réponse à l'avis, d'autres mémoires ont été déposés auprès de l'Office.

Aux termes de l'article 164 de la LTN 1987, l'Office doit déterminer si un embranchement est rentable ou non et, s'il n'est pas rentable, s'il y a des motifs de croire qu'il puisse le devenir dans un avenir prévisible. Suivant le paragraphe 165(1) de la LTN 1987, lorsque l'Office juge qu'un embranchement n'est pas rentable et qu'il n'y a aucun motif de croire qu'il puisse le devenir dans un avenir prévisible, il doit ordonner l'abandon de son exploitation. Si l'Office établit que l'exploitation d'un embranchement est rentable ou que, même si un embranchement n'est pas rentable, il y a des motifs de croire qu'il puisse le devenir dans un avenir prévisible, il doit ordonner l'abandon de son exploitation, à moins qu'il ne détermine que l'intérêt public exige le maintien de l'exploitation, aux termes des articles 166 et 167 de la LTN 1987.

N'ayant reçu aucune preuve susceptible de modifier la détermination provisoire, l'Office a déclaré que la détermination provisoire des pertes réelles était finale, conformément aux dispositions du Règlement sur le calcul des frais ferroviaires, DORS/80-310 et de l'article 157 de la LTN 1987.

Kincardine 1987 $ 1988 $ 1989 $
Total des frais 476 808 492 201 515 397
Recettes 456 023 362 533 407 963
"Pertes réelles" 20 785 129 668 107 434
Newton 1987 $ 1988 $ 1989 $
Total des frais 177 531 140 937 200 272
Recettes 149 265 119 541 190 381
"Pertes réelles" 28 266 21 396 9 891
Owen Sound 1987 $ 1988 $ 1989 $
Total des frais 2 058 960 1 650 521 645 819
Recettes 1 560 731 1 182 437 195 776
"Pertes réelles" 498 229 468 084 450 043

DÉTERMINATION DE LA RENTABILITÉ

Après avoir déterminé que la demanderesse a subi des pertes réelles dans l'exploitation des embranchements au cours des exercices réglementaires, l'Office doit déterminer si ces embranchements sont rentables et, s'ils ne le sont pas, déterminer s'il y a des motifs de croire qu'ils puissent le devenir dans un avenir prévisible.

Sauf dans la subdivision Owen Sound, le trafic de wagons complets acheminé dans les embranchements a augmenté de 1988 à 1989. Cependant, les frais d'exploitation des embranchements ont aussi augmenté. Dans le cas de la subdivision Owen Sound, le trafic de wagons complets a diminué de façon considérable, de même que les frais d'exploitation correspondants. Le service ferroviaire dans les embranchements est assuré "selon les besoins", de façon à réduire le plus possible les frais d'exploitation. Malgré ce niveau de service réduit, l'exploitation des embranchements a continué d'accuser des pertes réelles pendant chacun des exercices prescrits. Par conséquent, l'Office doit conclure que ces embranchements ne sont pas rentables.

Étant donné que l'Office a déterminé que ces embranchements ne sont pas rentables, il doit établir s'il existe des motifs de croire qu'ils puissent le devenir dans un avenir prévisible.

POSSIBILITÉS DE RENTABILITÉ

La Premdor Inc. (ci-après Premdor) est établie le long de la subdivision Kincardine, à Wingham. Dans son mémoire, Premdor indiquait qu'en octobre 1989, elle avait fait l'acquisition de la Century Wood Door Limited. Premdor disait :

Normalement, suite à cette acquisition, la production de l'usine de Wingham aurait augmenté d'au moins 40 p.100, ce qui équivaut à une augmentation de 40 à 45 wagons complets, si la conjoncture était normale. Nous ne connaîtrons pas de telles augmentations en 1990, étant donné le recul récent de l'économie en général et de l'industrie du bâtiment en particulier. En fait, le volume des ventes de Premdor en 1990 sera inférieur à celui de 1989. Quoi qu'il en soit, Premdor estime que l'évolution à court terme du cycle économique ne devrait pas influer sur la décision de l'Office. (traduction libre)

L'Office reconnaît que le pays est officiellement en récession économique, mais estime qu'on ne peut se servir de ce seul argument pour affirmer que l'embranchement serait nécessairement rentable en période de prospérité. Si l'on procédait de la sorte, il se présenterait des situations où, même si le trafic dans un embranchement montre une tendance à la baisse, des intervenants invoqueraient les difficultés de l'économie plutôt que les difficultés relevant de leur propre situation financière ou d'affaires pour s'opposer à l'abandon. Dans le cas qui nous intéresse, nous constatons que le trafic de Premdor a été relativement constant au cours des années et que la diminution actuelle de son trafic ne devrait pas jouer en sa défaveur.

La subdivision Newton fait le raccordement avec les subdivisions Kincardine et Owen Sound. À proprement parler, l'exploitation de l'embranchement doit être maintenue si l'Office détermine qu'il faut assurer le service à la subdivision Kincardine ou Owen Sound. L'abandon de la subdivision Newton équivaudrait à un abandon de facto des subdivisions Kincardine et Owen Sound puisqu'il y aurait alors segmentation. Or, dans la preuve qu'elle a présentée, la demanderesse précise elle-même que la segmentation va à l'encontre de la décision relative à la distinction entre ligne principale et embranchement et de la décision Chapais.

Le trafic de wagons complets de la subdivision Owen Sound a connu une diminution de 1987 à 1989. La Bruce Energy Centre Limited (ci-après Bruce Energy Centre) et la Canadian Agra Holdings Incorporated ont présenté des preuves selon lesquelles un trafic considérable pourrait être établi en provenance et à destination du Bruce Energy Centre, situé près de Douglas Point. On affirmait qu'en 1992-1993, la demanderesse pourrait compter sur un trafic potentiel de quelque 17 500 wagons complets (1 500 wagons complets de cubes de luzerne, 7 200 de colza canola, 6 600 de tourteau/d'huile de colza canola, 2 200 d'alcool/de semoule de maïs/de produits connexes) auxquels pourraient s'ajouter 2 750 autres wagons complets en provenance ou à destination d'une usine chimique proposée. Le mémoire indiquait qu'une grande partie de la production du Bruce Energy Centre serait acheminée vers Vancouver, pour être réexpédiée vers les États du sud-est des États-Unis et le Japon, et vers Montréal et Halifax pour être exportée vers le Moyen-Orient et l'Europe. L'Office constate que les gares de Chesley et de Tara de la subdivision Owen Sound sont situées à une distance de 13 à 20 milles du Bruce Energy Centre. On doit tenir dûment compte d'un trafic de cette importance. L'Office reconnaît qu'il s'agit encore d'hypothèses, mais il reste qu'un tel trafic sur de grandes distances sera très rentable pour la demanderesse lorsqu'il se concrétisera en 1992.

Le principal expéditeur de l'embranchement est la Parrish & Heimbecker. La New Life Mills Limited (ci-après New Life), division de la Parrish & Heimbecker, exploite une meunerie établie à Hanover, dans l'embranchement. Dans son mémoire, New Life disait qu'elle expédie quelque 40 000 tonnes de farine par année vers les marchés intérieurs et vers les marchés d'exportation, via les ports de Montréal et de Halifax. De plus, la Parrish & Heimbecker possède et exploite la Great Lakes Elevator Company Limited, dont les installations sont établies en bordure des voies de la demanderesse à Owen Sound. Pendant la saison de navigation, le blé reçu vient de Thunder Bay à bord de laquiers et est transféré dans l'élévateur. New Life ajoutait que pendant une période de quatre mois où le transport par navire n'est pas possible, l'exploitation de ses installations serait plus efficace si le blé en provenance de Thunder Bay était livré par train directement à sa meunerie de Hanover. New Life ajoutait qu'il était impossible de procéder de la sorte, étant donné les tarifs élevés qu'exige la demanderesse pour l'acheminement du trafic. Comme la preuve le démontre, en 1990 New Life et la demanderesse ont eu recours à un processus d'arbitrage et New Life a obtenu un prix pour le transport en provenance de la meunerie de Hanover. Par conséquent, le trafic pourrait connaître une augmentation dans un avenir prévisible.

La Speare Seeds, établie elle aussi le long de la subdivision Owen Sound, à Harriston, a fait savoir qu'elle faisait venir du nord de l'Alberta dix wagons-trémies de semences qui seront traitées et expédiées vers les marchés d'exportation. L'entreprise ajoutait qu'elle prévoyait que ce trafic deviendrait régulier et que dans cette perspective, elle avait installé deux bacs de stockage supplémentaires. La Speare Seeds précisait qu'il était impossible de transporter les semences par camion.

Des interventions ont également été reçues du ministère des Transports et du ministère de l'Industrie, du Commerce et de la Technologie de la province d'Ontario, ainsi que de diverses villes, municipalités et de particuliers.

Après examen de tous les mémoires reçus, l'Office détermine qu'il y a des motifs de croire que l'exploitation des embranchements puisse devenir rentable dans un avenir prévisible. L'Office doit tout de même ordonner l'abandon des embranchements, à moins qu'il ne détermine que leur exploitation est nécessaire dans l'intérêt public. Pour procéder à cette détermination, l'Office doit examiner toutes les questions qui, à son avis, sont liées à l'intérêt public, y compris les questions énumérées à l'article 167 de la LTN 1987.

Les pertes réelles enregistrées dans les subdivisions Kincardine et Newton pour le dernier exercice réglementaire, celui de 1989, ont été de 117 325 $ seulement. Comme nous l'avons dit précédemment, l'Office a déterminé que même si le trafic de ces deux embranchements est inférieur aux prévisions des expéditeurs, cette diminution est en partie attribuable à la conjoncture économique, et que le trafic se rétablira dans un avenir prévisible. Le trafic de la subdivision Kincardine a été constant au cours des ans, et on peut prévoir qu'il connaîtra une augmentation sensible dans un avenir prévisible. Par conséquent, l'Office détermine dans l'intérêt public que l'exploitation des subdivisions Kincardine et Newton doit se poursuivre.

Dans la subdivision Owen Sound, les pertes ont été de 450 043 $ en 1989. Bien que ce montant semble substantiel, l'Office détermine aussi qu'il y a lieu d'attendre pour voir si l'augmentation du trafic attendue dans un avenir prévisible se concrétisera. Le cas échéant, les avantages qu'en retireraient les collectivités de la région justifieraient à eux seuls le maintien du service ferroviaire.

ADJUDICATION DES FRAIS

Le 17 septembre 1990, New Life a déposé un avis de requête auprès de l'Office lui demandant d'ordonner à la demanderesse de dévoiler certains documents afin de lui permettre de s'opposer utilement aux réexamens des demandes et que les frais de l'avis de requête soient adjugés en faveur de New Life étant donné le refus injustifié de la demanderesse de lui fournir les renseignements.

En matière d'attribution des frais, l'Office peut agir à sa discrétion et évalue chaque cas au mérite.

Par lettre du 23 octobre 1990, l'Office a avisé New Life qu'il n'ordonnerait pas à la demanderesse de produire les documents car New Life n'avait pas démontré la façon dont elle se servirait des renseignements pour aider l'Office dans l'étude de ses cas.

Par conséquent, l'Office détermine que la demande d'adjudication des frais relativement à ces cas est rejetée.

CONCLUSIONS

En conséquence, après avoir examiné tous les éléments de preuve déposés devant lui, l'Office détermine par les présentes que ces embranchements ne sont pas rentables, qu'il y a des motifs de croire qu'ils puissent le devenir dans un avenir prévisible et que leur exploitation est nécessaire dans l'intérêt public.

L'Office a procédé à ces déterminations en vertu de l'article 166 de la LTN 1987 et, par conséquent, conclut que l'exploitation de la subdivision Kincardine entre Listowel (point milliaire 1,41) et Wingham (point milliaire 30,34), de la subdivision Newton entre Stratford (point milliaire 1,17) et Palmerston (point milliaire 36,62), y compris un tronçon de 1,41 mille dans la subdivision Kincardine, et de la subdivision Owen Sound entre Palmerston (point milliaire 0,00) et Owen Sound (point milliaire 71,43), soit une distance totale de 137,22 milles, toutes situées dans la province d'Ontario, ne doit pas être abandonnée.

L'exploitation des embranchements devra se poursuivre pendant une période d'au moins un an après la date de l'arrêté, après quoi l'Office réexaminera les demandes conformément à l'article 171 de la LTN 1987.

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