Décision n° 535-C-A-2006
le 2 octobre 2006
RELATIVE à une plainte déposée par Felcy D'Mello, au nom de son fils Clayton D'Mello, contre Kuwait Airways Corporation relativement à la livraison tardive d'un bagage enregistré, aux dommages causés au bagage et à la perte de certains articles qu'il contenait.
Référence no M4370/06-02215
PLAINTE
[1] Le 2 mai 2005, Felcy D'Mello, au nom de son fils Clayton D'Mello, a déposé auprès du Bureau des plaintes relatives au transport aérien la plainte énoncée dans l'intitulé.
[2] Le 6 avril 2006, Mme D'Mello a indiqué qu'elle souhaitait poursuivre formellement cette affaire devant l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office), compte tenu du fait que les parties n'avaient pu en arriver à une entente satisfaisante en dépit de l'intervention du personnel du Bureau des plaintes relatives au transport aérien.
[3] Dans une lettre du 8 mai 2006, le personnel de l'Office a demandé à Kuwait Airways Corporation (ci-après Kuwait Airways) d'examiner la plainte à la lumière des paragraphes 110(4) et 113.1 du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié (ci-après le RTA).
[4] Le 21 juin 2006, Kuwait Airways a déposé sa réponse et le 28 juin suivant, Mme D'Mello y a répliqué.
OBSERVATION PRÉLIMINAIRE
[5] Bien que Kuwait Airways ait déposé sa réponse à la plainte après l'échéance prescrite, l'Office, en vertu de l'article 5 des Règles générales de l'Office des transports du Canada, DORS/2005-35, l'accepte la jugeant pertinente et nécessaire à l'examen de la présente affaire.
[6] Aux termes du paragraphe 29(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10 (ci-après la LTC), l'Office est tenu de rendre sa décision au plus tard 120 jours après la date de réception de la demande, sauf s'il y a accord entre les parties pour une prolongation du délai. Dans le cas présent, les parties ont convenu de prolonger le délai jusqu'au 1er octobre 2006.
QUESTION
[7] L'Office doit déterminer si Kuwait Airways a appliqué, tel que l'exige le paragraphe 110(4) du RTA, les conditions du « International Passenger Rules and Fares Tariff No. IPG-1, NTA(A) No. 324 » (Règles et prix de transport international de passagers, ci-après le tarif de Kuwait Airways), lesquelles conditions portent sur les limites de responsabilité à l'égard des bagages enregistrés.
FAITS
[8] Le 20 décembre 2004, Clayton D'Mello a voyagé de Toronto, au Canada à Goa, en Inde. À son arrivée à destination le 22 décembre suivant, il a constaté qu'un de ses bagages manquait, suite à quoi il a rempli un formulaire d'irrégularité. Clayton D'Mello est retourné à Toronto le 9 janvier 2005. Son bagage lui a été livré le 18 janvier suivant à Toronto. Le bagage était endommagé et certains articles manquaient.
POSITIONS DES PARTIES
[9] Mme D'Mello fait valoir que le but premier de leur voyage, à elle et son fils, était d'assister à un mariage en Inde et puisque la plupart de leurs vêtements étaient dans la valise de Clayton D'Mello, ils ont dû s'acheter de nouveaux vêtements habillés et d'autres articles à usage quotidien. Mme D'Mello indique qu'entre le 22 décembre 2004 et le 9 janvier 2005 elle a téléphoné plusieurs fois au bureau de Kuwait Airways en Inde ainsi qu'au responsable des services de manutention à l'aéroport Sahar. Elle ajoute qu'elle s'est rendue plusieurs fois à l'aéroport Sahar afin de régler cette affaire, mais en vain.
[10] Mme D'Mello a déposé une liste des articles qui manquaient de la valise de Clayton D'Mello et déclare que leur valeur, y compris celle du bagage endommagé, se chiffre à 537,24 $CAN. Elle a fourni des reçus pour certains articles. Mme D'Mello ajoute que pendant qu'elle était en Inde elle a dû engager des dépenses de 75 $CAN en taxis et en appels téléphoniques pour vérifier ce qui en était du bagage manquant. Le total de sa réclamation se chiffre à 612,24 $CAN.
[11] Kuwait Airways fait valoir qu'elle a déployé tous les efforts possibles pour livrer le bagage retardé à l'aéroport le plus près du lieu de résidence des passagers. Le transporteur ajoute que la réclamation des passagers relative aux articles manquants, aux dommages subis et aux dépenses additionnelles n'est pas convaincante.
[12] Mme D'Mello maintient qu'en dépit de plusieurs appels téléphoniques et de plusieurs visites à l'aéroport, elle n'a pas réussi à obtenir une réponse professionnelle, satisfaisante ou raisonnable de Kuwait Airways. On lui a seulement dit que le bagage ne pouvait être retracé. Elle ajoute que le fait que le bagage a été retardé pendant 28 jours, qu'il a été livré endommagé et qu'il y manquait certains articles est tout à fait inacceptable, d'autant plus que le transporteur ne lui a offert aucune explication ou excuse.
ANALYSE ET CONSTATATIONS
[13] Pour en arriver à ses constatations, l'Office a examiné attentivement tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries. L'Office a également revu le tarif de Kuwait Airways ainsi que la Convention de Montréal qui a force de loi au Canada en vertu de la Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C-26.
Dispositions législatives et réglementaires applicables
[14] Les paragraphes 110(4) et 111(1), l'alinéa 113a) et l'article 113.1 du RTA confèrent à l'Office le pouvoir de traiter cette affaire. Ces dispositions prévoient que :
110.(4) Lorsqu'un tarif déposé porte une date de publication et une date d'entrée en vigueur et qu'il est conforme au présent règlement et aux arrêtés de l'Office, les taxes et les conditions de transport qu'il contient, sous réserve de leur rejet, de leur refus ou de leur suspension par l'Office, ou de leur remplacement par un nouveau tarif, prennent effet à la date indiquée dans le tarif, et le transporteur aérien doit les appliquer à compter de cette date.
111.(1) Les taxes et les conditions de transport établies par le transporteur aérien, y compris le transport à titre gratuit ou à taux réduit, doivent être justes et raisonnables et doivent, dans des circonstances et des conditions sensiblement analogues, être imposées uniformément pour tout le trafic du même genre.
113. L'Office peut :
a) suspendre tout ou partie d'un tarif qui paraît ne pas être conforme aux paragraphes 110(3) à (5) ou aux articles 111 ou 112, ou refuser tout tarif qui n'est pas conforme à l'une de ces dispositions;
113.1 Si un licencié n'applique pas les prix, taux, frais ou conditions de transport applicables au service international et figurant à son tarif, l'Office peut :
a) lui enjoindre de prendre les mesures correctives qu'il estime indiquées;
b) lui enjoindre d'indemniser les personnes lésées par la non-application de ces prix, taux, frais ou conditions de transport.
Disposition tarifaire applicable
[15] Selon la règle 55(E)(2) du tarif de Kuwait Airways :
[traduction libre]
Le transporteur n'assume aucune responsabilité pour tout dommage résultant directement ou uniquement du fait qu'il se soit conformé aux lois ou aux règlements, ordonnances ou exigences d'un gouvernement, du manquement de la part du passager de s'y être conformé, ou pour toute raison hors du contrôle du transporteur. Toute responsabilité du transporteur se limite à 20 $ (250 francs-or français, soit 65,5 milligrammes d'or ayant un titre de 900 millièmes) par kilogramme pour un bagage enregistré et à 400 $ (5 000 francs-or français) par passager lorsqu'il s'agit de bagages non enregistrés ou d'autres effets personnels, sauf si un montant supérieur est déclaré au préalable et des frais additionnels ont été payés conformément aux règles du transporteur. Dans ce dernier cas, la responsabilité du transporteur se limite au montant supérieur déclaré. La responsabilité du transporteur n'excède en aucun cas la perte réelle subie par le passager. Toutes les réclamations doivent être appuyées de la preuve du montant de la perte. Les limites susmentionnées ne s'appliquent pas lorsque le passager peut établir que le transporteur ne s'est pas conformé aux dispositions d'avis prévues à l'article 221.176 de la partie 221 du Civil Aeronautics Board's Economic Regulations.
[16] En ce qui concerne la responsabilité de Kuwait Airways à l'égard des bagages, l'Office note qu'au moment de l'incident, les limites de responsabilité en cas de perte ou de livraison tardive des bagages, ou en cas de dommages causés à ceux-ci, lesquelles limites s'appliquent au transport aérien international, étaient régies par la Convention de Montréal. Les articles 17(2), 22(2) et 26 de la Convention de Montréal prévoient ce qui suit :
17(2) Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de destruction, perte ou avarie de bagages enregistrés, par cela seul que le fait qui a causé la destruction, la perte ou l'avarie s'est produit à bord de l'aéronef ou au cours de toute période durant laquelle le transporteur avait la garde des bagages enregistrés. Toutefois, le transporteur n'est pas responsable si et dans la mesure où le dommage résulte de la nature ou du vice propre des bagages. Dans le cas des bagages non enregistrés, notamment des effets personnels, le transporteur est responsable si le dommage résulte de sa faute ou de celle de ses préposés ou mandataires.
22(2) Dans le transport de bagages, la responsabilité du transporteur en cas de destruction, perte, avarie ou retard est limitée à la somme de 1 000 droits de tirage spéciaux par passager, sauf déclaration spéciale d'intérêt à la livraison faite par le passager au moment de la remise des bagages enregistrés au transporteur et moyennant le paiement éventuel d'une somme supplémentaire. Dans ce cas, le transporteur sera tenu de payer jusqu'à concurrence de la somme déclarée, à moins qu'il prouve qu'elle est supérieure à l'intérêt réel du passager à la livraison.
26 Toute clause tendant à exonérer le transporteur de sa responsabilité ou à établir une limite inférieure à celle qui est fixée dans la présente convention est nulle et de nul effet, mais la nullité de cette clause n'entraîne pas la nullité du contrat qui reste soumis aux dispositions de la présente convention.
Disposition du tarif de Kuwait Airways relative à la responsabilité et la Convention de Montréal
[17] Aux termes de l'article 17(2) de la Convention de Montréal, le transporteur est responsable des dommages causés à un bagage enregistré, de sa destruction ou de sa perte, si l'incident en cause est survenu « à bord de l'aéronef ou au cours de toute période durant laquelle le transporteur avait la garde des bagages enregistrés ». Contrairement aux autres dispositions de la législation sur les transports, le début et la fin de cette période de responsabilité ne sont pas délimités par l'acceptation et la livraison du bagage en question, mais plutôt par la période pendant laquelle « le transporteur avait la garde » du bagage.
[18] Le bagage de Clayton D'Mello a été entre les mains de Kuwait Airways jusqu'à ce qu'il lui soit livré le 18 janvier 2005, auquel moment il était endommagé et il y manquait des articles. Kuwait Airways n'a pas contesté le fait que le bagage de Clayton D'Mello a été livré en retard, mais elle a déclaré que la réclamation relative aux articles manquants et aux dommages subis n'était pas convaincante. Kuwait Airways n'a pas nié qu'il y a eu dommage et perte, mais a déclaré que la direction de l'aérogare a été incapable de régler cette affaire à la satisfaction de la partie. Kuwait Airways est donc responsable des dommages et de la perte des articles.
[19] Quant à la responsabilité, la règle 55(E)(2) du tarif de Kuwait Airways prévoit en partie que « [...] se limite à 20 $ [...] par kilogramme pour un bagage enregistré [...] ». Cette partie du tarif est contraire à la Convention de Montréal qui prévoit le versement d'une compensation par passager en cas de perte d'un bagage, de dommages causés à celui-ci ou de sa livraison tardive, et ce jusqu'à concurrence de 1 000 droits de tirage spéciaux (ci-après DTS). Aux termes de l'article 26 de la Convention de Montréal, toute disposition pouvant avoir pour effet de soustraire le transporteur de sa responsabilité ou d'établir une limite inférieure à ce qui est prévu dans la Convention est nulle et sans effet. Par conséquent, l'Office considère que cette partie de la règle 55(E)(2) du tarif de Kuwait Airways et nulle et sans effet, car elle est contraire à la Convention de Montréal.
[20] De plus, puisque cette partie du tarif de Kuwait Airways est nulle et sans effet du fait qu'elle est contraire à la Loi sur le transport aérien, l'Office conclut également qu'elle est injuste et déraisonnable au sens du paragraphe 111(1) du RTA.
[21] En vertu de l'article 26 de la Convention de Montréal, la nullité d'une disposition pouvant avoir pour effet de soustraire un transporteur d'une responsabilité ou d'établir une limite de responsabilité inférieure à celle qui est prévue dans la Convention ne s'applique pas au contrat intégral.
Disposition du tarif de Kuwait Airways relative à la compensation
[22] Mis à part la partie du tarif de Kuwait Airways qui serait nulle et sans effet en vertu de l'article 26 de la Convention de Montréal, le reste de la règle 55(E)(2) du tarif ayant trait à la responsabilité du transporteur prévoit que « la responsabilité du transporteur n'excède en aucun cas la perte réelle subie par le passager ».
[23] Kuwait Airways n'a versé aucune compensation à Mme D'Mello pour la livraison tardive du bagage de Clayton D'Mello, pour les dommages causés au bagage ou pour la perte d'articles. Cependant, comme il a été indiqué précédemment, Kuwait Airways n'a pas nié qu'il y a eu dommages et perte, mais elle a déclaré que la direction de l'aérogare a été incapable de régler cette affaire à la satisfaction de la partie. Par conséquent, aux termes du tarif de Kuwait Airways, celle-ci est responsable des dommages causés au bagage de Clayton D'Mello et de la perte de certains articles qu'il contenait. La responsabilité du transporteur se limite à la perte réelle qu'a subie le passager.
[24] À la lumière de ce qui précède, l'Office conclut qu'en refusant de verser une compensation, dans le cas présent, pour la perte réelle subie, Kuwait Airways n'a pas appliqué les conditions de transport de son tarif de transport international, contrairement au paragraphe 110(4) du RTA.
[25] Compte tenu de ce manquement de la part de Kuwait Airways d'appliquer les conditions de transport, l'Office, en vertu de l'alinéa 113.1b) du RTA, peut enjoindre au licencié d'indemniser les personnes lésées par la non-application des conditions de transport établies dans son tarif.
Compensation à verser
[26] À la lumière des preuves que Mme D'Mello a déposées à l'appui de sa demande, l'Office est convaincu que la valeur des articles manquants dont la liste a été fournie constitue la perte subie.
[27] L'Office conclut que le montant de la compensation que Kuwait Airways doit verser à Mme D'Mello et à son fils pour la livraison tardive du bagage de Clayton D'Mello, les dommages causés au bagage et la perte de certains articles qu'il contenait est de 500,24 $CAN. En ce qui a trait à la réclamation de 37 $CAN, pour laquelle aucun reçu n'a été déposé, l'Office acceptera, au plus tard le 31 octobre 2006, une déclaration sous serment attestant de la perte. En vertu du RTA, l'Office n'est pas habilité, dans le cas présent, à ordonner le remboursement des 75 $CAN pour les dépenses en taxis et en appels téléphoniques qui ont été engagées afin de vérifier ce qui en était du bagage égaré de Clayton D'Mello.
CONCLUSION
[28] À la lumière de ce qui précède, l'Office conclut que :
- La partie de la règle 55(E)(2) du tarif de Kuwait Airways qui prévoit que : « Toute responsabilité du transporteur se limite à 20 $ (250 francs-or français, soit 65,5 milligrammes d'or ayant un titre de 900 millièmes) par kilogramme pour un bagage enregistré et à 400 $ (5 000 francs-or français) par passager lorsqu'il s'agit de bagages non enregistrés ou d'autres effets personnels [...] » est contraire à la Convention de Montréal enchâssée dans la Loi sur le transport aérien et qu'elle est donc injuste et déraisonnable au sens du paragraphe 111(1) du RTA.
- Kuwait Airways n'a pas appliqué les conditions de transport énoncées dans son tarif de transport international, contrairement au paragraphe 110(4) du RTA.
[29] L'Office enjoint par les présentes à Kuwait Airways de verser à Mme D'Mello et à son fils, dans les trente (30) jours suivant la date de la présente décision, le montant de 500,24 $CAN en guise de compensation.
[30] En vertu de l'alinéa 113(a) du RTA, l'Office rejette, par les présentes, la disposition précitée de la règle 55(E)(2) du tarif de Kuwait Airways. En outre, il enjoint à Kuwait Airways de déposer, dans les trente (30) jours suivant la date de la présente décision, une disposition tarifaire énonçant sa limite de responsabilité à l'égard des bagages, tel que l'exige le RTA et conformément à la Convention de Montréal.
Membres
- Guy Delisle
- Beaton Tulk
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