Décision n° 587-R-2004

le 29 octobre 2004

le 29 octobre 2004

DEMANDE présentée par Dorien Berteletti et Mary Harvey en vertu de l'article 102 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, en vue d'obtenir un passage privé au point milliaire 100.4 de la subdivision Bala de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, près de la ville d'Orillia, dans la province d'Ontario.

Référence no R 8050/326-100.40


DEMANDE

[1] Le 15 janvier 2004, Dorien Berteletti et Mary Harvey (ci-après les demanderesses) ont déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la demande énoncée dans l'intitulé.

[2] Le 27 février 2004, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci-après CN) a demandé à l'Office de lui accorder une prorogation jusqu'au 23 mars 2004 pour déposer sa réponse à la demande. Le 1er mars 2004, les demanderesses ont accepté la demande de CN. Dans sa décision no LET-R-65-2004 du 1er mars 2004, l'Office a approuvé la demande de CN et a accordé aux demanderesses dix jours après la date de réception de la réponse pour déposer leurs commentaires.

[3] Le 23 mars 2004, CN a déposé sa réponse et le 31 mars 2004, les demanderesses ont déposé leurs commentaires.

[4] Conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés en vertu du paragraphe 18(1) des Règles générales de l'Office national des transports, DORS/88-23 (ci-après les Règles générales), l'Office a demandé aux parties dans sa décision no LET-R-110-2004 du 19 avril 2004 de lui fournir des renseignements additionnels jugés nécessaires pour lui permettre de rendre une décision dans cette affaire.

[5] Dans sa lettre du 26 avril 2004, CN a demandé une prorogation jusqu'au 7 mai 2004 pour déposer les renseignements additionnels requis par l'Office. Les demanderesses ont consenti à la demande de prorogation de CN et dans sa décision no LET-R-121-2004 du 28 avril 2004, l'Office a accordé à CN la prorogation demandée. Les renseignements additionnels ont été reçus le 7 mai 2004.

[6] Aux termes du paragraphe 29(1) de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC), l'Office est tenu de rendre sa décision au plus tard 120 jours après la date de réception de la demande, sauf s'il y a accord entre les parties pour une prolongation du délai. Dans le cas présent, les parties ont convenu de prolonger le délai jusqu'au 30 octobre 2004.

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

[7] Le 26 mars 2004, CN a déposé des renseignements additionnels concernant l'historique de ces terres. CN a demandé que l'Office accepte ces renseignements comme partie intégrante du dossier. Bien qu'ils aient été reçus après le délai prescrit, l'Office, en vertu de l'article 6 des Règles générales, accepte ces documents les jugeant pertinents et nécessaires à son examen de cette affaire.

QUESTION

[8] L'Office doit déterminer si les demanderesses ont droit à un passage convenable à l'endroit visé conformément à l'article 102 de la LTC.

POSITIONS DES PARTIES

[9] La propriété des demanderesses se compose du Lot 11 dans la 11e concession du canton de Simcoe (autrefois le canton de Matchedash) près d'Orillia dans la province d'Ontario et mesure environ 49 acres. La subdivision Bala de CN divise la propriété et les demanderesses désirent construire une route croisant la voie ferrée afin d'accéder à un chalet.

[10] Les demanderesses font valoir plusieurs raisons à l'appui de leur demande de passage privé dont : le besoin d'accéder à la rivière et à leur chalet et l'usage général et la jouissance du reste de leur terre. De plus, un accès croisant la voie ferrée éviterait toute accusation de violation du droit de propriété sur la propriété du chemin de fer.

[11] Les demanderesses déclarent qu'il y a environ dix ans, une proposition a été soumise à CN concernant la construction d'une route de campagne sous le pont-rail qui traverse la rivière Severn au point milliaire 100.4 de la subdivision Bala. CN aurait apparemment semblé réceptif à l'idée d'une route sous le pont-rail puisqu'il avait présumé qu'il ne serait responsable d'aucun coût associé à cette proposition. Les demanderesses avancent que CN n'a pas invoqué l'article 102 de la LTC à cette époque. Cependant, le projet n'a pas été terminé à cause de contraintes financières des demanderesses à ce moment.

[12] Selon les demanderesses, la construction de la ligne de chemin de fer, qui divise la propriété, a commencé vers 1906. Au tournant du siècle dernier, la ville d'Orillia (ci-après la Ville) a commencé la construction d'un barrage sur la rivière Severn afin de produire de l'énergie hydroélectrique. Le barrage a été construit sur les terres en question, cet endroit ayant ensuite été nommé Hydro Glen. Une gare de train a aussi été construite près du point milliaire 99 de la subdivision Bala afin de desservir la petite communauté qui travaillait au barrage. Plus tard, un autre barrage a été construit près de la ville de Swift et le barrage d'Hydro Glen a été détruit.

[13] Les demanderesses font valoir que les terres de chaque côté de la ligne de chemin de fer sont en copropriété depuis la fin des années 1800. À l'appui de leur demande, les demanderesses présentent les privilèges nos 563 et 559 en date du 31 mai 1900 et du 30 juillet 1900 respectivement, qui ont été enregistrés contre la Ville, propriétaires du Lot 11, Concession 11. Les privilèges ont été déposés par un ingénieur à qui la Ville devait de l'argent pour des travaux exécutés au barrage hydroélectrique. Les demanderesses font valoir que ces privilèges confirment que la propriété de chaque côté de la ligne de chemin de fer est intacte, qu'elle appartient à la Ville, et qu'ainsi elle est la partie principale au chemin de fer. Les demanderesses ont également fourni un extrait d'un livre intitulé « Severn River, An Illustrated History », qui fait référence à une loi spéciale de la province d'Ontario datant de 1899 qui permettait à la Ville de construire le barrage initial à Ragged Rapids. Selon les demanderesses, la Ville n'aurait pas construit un barrage sur un terrain dont elle n'était pas propriétaire.

[14] CN soutient qu'il n'y a rien dans le dossier déposé par les demanderesses qui établisse un droit législatif à un passage privé en vertu de l'article 102 de la LTC. Même si des documents ont été fournis indiquant que des privilèges sur les terres existaient en 1900, il n'y a aucune preuve que la Ville était propriétaire de ces terres au moment de la construction de la ligne de chemin de fer.

[15] CN fait valoir qu'un de ses prédécesseurs, James Bay Railway Company, a été autorisée à construire la ligne de chemin de fer en question en juin 1897, avant les dates des privilèges. De plus, CN fait valoir qu'un privilège ne constitue pas un titre; un titre légal est établi par lettre patente. La première lettre patente au dossier est un résumé des titres de propriété qui indique clairement que l'emprise sur le chemin de fer a été autorisée par lettre patente à Canadian Northern Ontario Railway Company le 3 février 1916. Les terres de chaque coté du chemin de fer ont ensuite été cédées par lettre patente à la Ville le 19 mars 1917, à l'exclusion expresse de l'emprise sur le chemin de fer. Lorsque la Ville a ensuite vendu les terres à Thomas J. Kelly en 1923 tel qu'il est indiqué à l'instrument no 1386, la propriété en question, Lot no 11, a été vendue en tant que terre divisée. L'instrument fait état de : «... certaines parcelles ... étant composée de ces parties du lot morcelé numéro onze ». Le document démontre également que l'emprise sur le chemin de fer existait déjà et était exempte de la vente : « À L'EXCEPTION de l'emprise sur le chemin de fer de Canadian Northern Ontario Railway ». [Traduction libre]

[16] CN a également fourni une copie du Transfer/Deed of Land du 16 avril 1999 qui transfère la propriété aux demanderesses. À l'annexe de l'acte formaliste de transfert, il est mentionné : « À L'EXCEPTION de l'emprise autorisée par lettre patente le 3 février 1916 à Canadian Northern Ontario Railway ». [Traduction libre]

[17] CN déclare que puisque les titres de 1916 et 1917 excluent expressément une emprise sur le chemin de fer, la demande ne satisfait pas aux critères exigés pour un passage privé en vertu de l'article 102 de la LTC puisque la propriété vendue aux demanderesses se trouvait de chaque côté de l'emprise du chemin de fer.

[18] De plus, à l'appui de sa position, CN se réfère à la décision no 642-R-2000 du 16 octobre 2000, qui énonce :

[...] puisque la parcelle 1/4 S.-E. du lot 3542 achetée par M. Anderson excluait l'emprise de la Grand Trunk Pacific Railway faisant partie du lot deux mille soixante-seize (2076), le chemin de fer existait avant que M. Anderson devienne propriétaire de cette terre. En conséquence, l'Office en arrive à la conclusion que M. Westlund n'a pas droit à un passage selon l'article 102.

[19] D'après CN, ce précédent suggère que lorsque des terres de chaque côté d'une ligne de chemin de fer sont vendues et que l'emprise est expressément exclue, l'Office a déterminé qu'il n'existe pas de droit de passage en vertu de l'article 102 de la LTC.

[20] En réponse aux arguments de CN, les demanderesses déclarent que sans égard aux dates des deux lettres patentes soumises par CN, les privilèges de 1900 démontrent clairement que la Ville était propriétaire et utilisait les terres aux dates de ces privilèges avant la construction de la ligne de chemin de fer.

[21] Les demanderesses ajoutent que le lot n'a jamais été vendu en deux parcelles séparées. L'emprise sur le chemin de fer est mentionnée pour la première fois dans la description de la propriété qui date de 1916 et la construction du chemin de fer a ainsi divisé la propriété, créant dès lors le lot morcelé auquel CN fait référence.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

[22] Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.

[23] L'article 102 de la LTC prévoit que la compagnie de chemin de fer qui fait passer une ligne à travers la terre d'un propriétaire doit, sur demande de celui-ci, construire un passage convenable qui lui assure la jouissance de sa terre.

[24] Le fait que les terres de chaque côté de l'emprise sur la ligne de chemin de fer aient été une propriété commune depuis la construction de la ligne de chemin de fer n'est pas en cause. L'Office doit donc déterminer s'il existait un droit législatif de croiser la ligne de chemin de fer qui pourrait perdurer pour les propriétaires actuels.

[25] Les demanderesses ont fourni la preuve démontrant que la Ville avait le pouvoir d'agir en ce qui a trait aux terres avant 1906 : les privilèges déposés contre la Ville en 1900 et une loi spéciale de la province d'Ontario promulguée en 1899 permettaient à la Ville de construire le barrage initial à Ragged Rapids. Les demanderesses renchérissent que la Ville n'aurait pas construit un barrage sur des terres ne lui appartenant pas.

[26] Cependant, l'Office prend note que dans la lettre patente de 1917 à la Ville d'Orillia, une référence est faite au bail de la Couronne no 1863. Le bail daté du 2 décembre 1912 confirme que la terre « à Ragged Rapids... plus particulièrement... était composée du lot morcelé numéro onze dans la onzième concession du canton de Matchedash » était louée par la Couronne à la ville d'Orillia. Ce qui porte à croire que la Couronne était propriétaire de la terre à cette époque.

[27] Étant donné ces renseignements apparemment conflictuels, l'Office doit, dans ce cas, se fier aux preuves qui démontrent avec certitude la propriété et tout droit ayant été obtenu de franchir la ligne de chemin de fer. L'Office note le renvoi fait par les demanderesses à la loi spéciale de la province d'Ontario de 1899 et a déterminé que la loi en question est le Chapitre 64, Loi concernant la Ville d'Orillia. [traduction libre] Cette Loi dispose que le conseil de la Ville d'Orillia a « ... indiqué qu'il avait acquis le lot numéro onze dans la onzième concession du comté de Matchedash ... » (soulignement ajouté). Cependant, aucune preuve n'a été déposée démontrant si la Ville a réellement fait l'acquisition, par bail ou par achat, de la terre dont il est question dans cette Loi et sur laquelle traverse la ligne de chemin de fer construite en 1906. L'Office a demandé à la Ville, de confirmer s'il existait des archives qui confirmeraient que la transaction a vraiment été effectuée, et la Ville a avisé l'Office qu'il n'existait aucune archive à ce propos. Par conséquent, la plus récente preuve de propriété est présentée dans les lettres patentes de 1916 et 1917. L'emprise sur le chemin de fer a été accordée par lettre patente au prédécesseur de CN en 1916, et dans la lettre patente de 1917, la terre a été transférée à la Ville, excluant expressément l'emprise sur le chemin de fer. Étant donné le manque de preuve du contraire, l'Office estime que les lettres patentes démontrent que la Couronne était propriétaire des terres de chaque côté de l'emprise lorsque la ligne a été construite, et non la Ville comme le prétendaient les demanderesses.

[28] À la lumière de ce qui précède, l'Office a déterminé qu'il n'existe pas, dans ce cas, de droit de passage de la ligne en vertu de l'article 102 de la LTC.

CONCLUSION

[29] L'Office a déterminé que les demanderesses n'ont pas droit à un passage en vertu de l'article 102 de la LTC et, par les présentes, la demande est rejetée. Les demanderesses ont la possibilité de déposer une demande de passage privé en vertu de l'article 103 de la LTC.

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