Décision n° 67-AT-A-2015

le 9 mars 2015

DEMANDE présentée par Linda Ross contre Air Canada exerçant également son activité sous le nom d’Air Canada rouge et WestJet.

Numéro de cas : 
14-50277
14-50065

INTRODUCTION

[1] Linda Ross a déposé des demandes auprès de l’Office des transports du Canada (Office) en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée (LTC) contre Air Canada exerçant également son activité sous le nom d’Air Canada rouge (Air Canada) et WestJet concernant leurs politiques sur le transport d’une batterie étanche à électrolyte gélifié supplémentaire pour son scooter.

OBSERVATION PRÉLIMINAIRE

Regroupement des demandes

[2] Comme les questions soulevées dans les deux demandes renferment des éléments communs, l’Office, en vertu du paragraphe 5(2) et de l’article 39 des Règles de l’Office des transports du Canada (Instances de règlement des différends et certaines règles applicables à toutes les instances), DORS/2014-104, a décidé de regrouper les demandes et de les examiner dans une seule instance de règlement des différends.

QUESTIONS

  1. Mme Ross est-elle une personne ayant une déficience aux termes de la partie V de la LTC?
  2. Le cas échéant, les politiques et procédures d’Air Canada et de WestJet concernant le transport de batteries supplémentaires pour les aides à la mobilité, notamment les scooters, constituent-elles un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de Mme Ross et d’autres personnes ayant une déficience qui ont besoin de telles aides à la mobilité et de batteries supplémentaires pour voyager par avion dans le réseau de transport fédéral?

LA LOI

[3] Lorsqu’il doit statuer sur une demande en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, l’Office applique une procédure particulière en trois temps pour déterminer s’il y a eu obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne ayant une déficience. L’Office doit déterminer :

  1. si la personne qui est l’auteur de la demande a une déficience aux fins de la LTC;
  2. si la personne a rencontré un obstacle du fait qu’on ne lui a pas fourni un accommodement approprié pour répondre aux besoins liés à sa déficience. Un obstacle est une règle, une politique, une pratique, un obstacle physique, etc. qui a pour effet de priver la personne de l’égalité d’accès aux services offerts aux autres voyageurs par le fournisseur de services de transport;
  3. si l’obstacle est « abusif ». Un obstacle est abusif à moins que le fournisseur de services de transport ne puisse prouver qu’il y a des contraintes qui rendraient l’élimination de l’obstacle déraisonnable, peu pratique ou impossible, de sorte qu’il ne peut pas fournir l’accommodement sans se voir imposer une contrainte excessive. Si l’obstacle est jugé abusif, l’Office ordonnera la prise de mesures correctives pour éliminer l’obstacle abusif.

QUESTION 1 : MME ROSS EST-ELLE UNE PERSONNE AYANT UNE DÉFICIENCE AUX TERMES DE LA PARTIE V DE LA LTC?

[4] Pour déterminer s’il y a obstacle aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l’Office doit d’abord déterminer si la demande a été déposée par une personne ayant une déficience ou en son nom.

[5] Mme Ross a la sclérose en plaques, ce qui a pour effet de l’empêcher de marcher, et elle a besoin d’un scooter pour se déplacer. Ni Air Canada ni WestJet ne remettent en question le fait que Mme Ross est une personne ayant une déficience.

[6] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que Mme Ross est une personne ayant une déficience au sens des dispositions sur l’accessibilité de la LTC.

QUESTION 2 : LES POLITIQUES ET PROCÉDURES D’AIR CANADA ET DE WESTJET CONCERNANT LE TRANSPORT DE BATTERIES SUPPLÉMENTAIRES POUR LES AIDES À LA MOBILITÉ, NOTAMMENT LES SCOOTERS, CONSTITUENT-ELLES UN OBSTACLE ABUSIF AUX POSSIBILITÉS DE DÉPLACEMENT DE MME ROSS ET D’AUTRES PERSONNES AYANT UNE DÉFICIENCE QUI ONT BESOIN DE TELLES AIDES À LA MOBILITÉ ET DE BATTERIES SUPPLÉMENTAIRES POUR VOYAGER PAR AVION DANS LE RÉSEAU DE TRANSPORT FÉDÉRAL?

Démarche de l’Office pour conclure à l’existence d’un obstacle

[7] L’Office définit un obstacle dans le réseau de transport fédéral comme étant une règle, une politique, une pratique, un obstacle physique, etc. qui est :

  • soit direct, c’est-à-dire qu’il s’applique à une personne ayant une déficience;
  • soit indirect, c’est-à-dire que, bien qu’il soit le même pour tous, il a pour effet de priver une personne ayant une déficience d’un avantage;
  • et qui prive une personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services accessibles aux autres voyageurs de sorte que le fournisseur de services doit fournir un accommodement.

[8] Pour qu’un obstacle existe, le problème doit être rattaché à la déficience de la personne. Par exemple, un problème de service à la clientèle ne devient pas un obstacle du simple fait qu’il est éprouvé par une personne ayant une déficience.

[9] Un service ou une mesure dont le but est de répondre aux besoins liés à la déficience d’une personne est défini comme étant un « accommodement approprié ». S’il est déterminé que la personne a bénéficié d’un accommodement approprié, il est alors impossible de prétendre qu’elle a rencontré un obstacle.

[10] Les fournisseurs de services ont l’obligation de fournir un accommodement aux personnes ayant une déficience. Une personne ayant une déficience rencontre un obstacle à ses possibilités de déplacement si elle démontre qu’elle a besoin d’un accommodement qu’on ne lui a pas fourni, ce qui revient à la priver de l’égalité d’accès aux services accessibles aux autres passagers dans le réseau de transport fédéral.

Fardeau de la preuve

[11] Il incombe au demandeur de fournir des éléments de preuve suffisamment convaincants pour établir son besoin d’accommodement et pour prouver que ce besoin n’a pas été satisfait. La norme de preuve qui s’applique au fardeau de la preuve est la prépondérance des probabilités.

LE CAS PRÉSENT

Faits, éléments de preuve et présentations

Mme Ross

[12] Le scooter de Mme Ross est équipé d’une batterie au plomb-acide scellée, qui se qualifie comme étant une batterie « étanche » (aussi appelée batterie sèche à électrolyte gélifié).

[13] Mme Ross fait valoir que pour son vol de retour entre Vancouver (Colombie-Britannique) et Winnipeg (Manitoba), le 21 avril 2014, le personnel d’Air Canada l’a informée qu’Air Canada ne pouvait pas transporter la batterie supplémentaire de son scooter à bord de son vol, mais qu’elle la transporterait plutôt le lendemain, à bord d’un vol de marchandises.

[14] De même, Mme Ross affirme qu’après être embarquée à bord de son vol exploité par WestJet le 24 janvier 2014 entre Honolulu, à Hawaii et Vancouver, un agent de bord l’a informée que l’une des batteries de son scooter ne serait pas admise à bord de l’aéronef. Mme Ross ajoute qu’on lui a donné le choix de laisser la batterie à Honolulu ou de débarquer, et qu’elle a décidé de rester à bord de l’aéronef.

[15] Selon Mme Ross, il est inacceptable d’envoyer la batterie supplémentaire de son scooter séparément, à bord d’un vol différent, compte tenu des risques de perdre la batterie. Elle soutient que le coût d’envoi d’une batterie de rechange en tant que marchandise constitue un fardeau supplémentaire pour un passager ayant une déficience, et se traduit par un traitement inégal de la personne.

[16] Mme Ross indique qu’elle a besoin des deux batteries afin que son scooter soit à sa disposition en tout temps et qu’elle conserve son indépendance. Elle ajoute que la disponibilité d’une deuxième batterie pendant un voyage à l’extérieur de la région est essentielle pour la sécurité et le bien-être d’une personne ayant cette déficience. Elle indique que son seul moyen de déplacement est un scooter équipé d’une batterie qui peut fonctionner en moyenne pendant sept heures dans des conditions d’utilisation normale, mais que des facteurs comme les conditions météorologiques et les conditions de conduite peuvent réduire la durée de vie de la batterie.

[17] Mme Ross fait valoir que, même si une politique interdisant le transport de batteries supplémentaires ne constitue pas un obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’un passager ayant une déficience pendant qu’il est à bord de l’aéronef, elle met le passager à risque à partir du moment où il débarque de l’aéronef. Elle soutient que si sa batterie cessait de fonctionner, elle se retrouverait coincée sans moyen de se déplacer, ce qui pourrait mettre sa vie en danger, et entraîner un risque de blessures et de lésions corporelles.

[18] Mme Ross affirme que s’il est sécuritaire de transporter une batterie lorsqu’elle est fixée au scooter, alors il revient à l’organisme de réglementation et au transporteur de trouver une façon de transporter une batterie de rechange identique à bord du même vol que le passager.

[19] Mme Ross reconnaît qu’elle pourrait utiliser un fauteuil roulant fourni par le transporteur dans le cas d’un événement imprévu, mais cette pratique lui ferait perdre son indépendance, car elle aurait besoin de quelqu’un pour pousser son fauteuil roulant.

Air Canada

[20] Air Canada soutient que même si elle a transporté la batterie supplémentaire de Mme Ross à bord du vol en partance le 15 mars 2014, elle l’a fait par erreur. Air Canada indique qu’elle a depuis mis à jour ses politiques concernant le transport des batteries de rechange afin de clarifier qu’elles ne sont pas acceptées pour le transport et ainsi éviter toute éventuelle confusion sur le sujet.

[21] Air Canada maintient que ses politiques ne constituent pas un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de Mme Ross, car elles assurent la conformité avec la réglementation applicable sur les marchandises dangereuses.

[22] Air Canada affirme que la réglementation sur les marchandises dangereuses ne renferme aucune disposition autorisant un passager à transporter comme bagage de cabine ou bagage enregistré des batteries supplémentaires étanches et non étanches pour des aides à la mobilité.

[23] Air Canada fait valoir que, jusqu’à ce que cette question soit réglée par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), la seule solution serait de bien emballer la batterie supplémentaire de Mme Ross et de l’envoyer comme marchandise, comme le prévoit la disposition spéciale A67 de l’OACI.

[24] Air Canada est d’accord avec les présentations de WestJet, et est d’avis que les deux transporteurs semblent appliquer de la même façon les règles et les normes concernant le transport de batteries supplémentaires étanches et non étanches pour les aides à la mobilité. Air Canada fait valoir que cette situation met l’accent sur la nature de la question en cause, à savoir un demandeur qui n’est pas satisfait du régime réglementaire applicable à l’industrie canadienne du transport aérien.

WestJet

[25] WestJet indique qu’elle suit les lignes directrices de l’OACI concernant le transport de batteries supplémentaires, et souligne que Transports Canada a indiqué que, selon les lignes directrices actuelles de l’OACI, les batteries supplémentaires, telles que celle utilisée par Mme Ross, ne peuvent pas être transportées en vertu des exigences actuelles. WestJet affirme qu’il s’agit d’une obligation réglementaire des transporteurs aériens et que, par conséquent, les politiques et procédures de WestJet ne représentent pas une contrainte excessive.

[26] WestJet est d’accord avec les présentations d’Air Canada, et elle indique que l’uniformité entre les réponses distinctes des deux transporteurs prouve d’autant plus que la question en cause, notamment les limites réglementaires sur le transport de batteries supplémentaires pour les aides à la mobilité, y compris les scooters, ne peut être réglée par les transporteurs.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

[27] Comme il a été indiqué ci-dessus, pour qu’un obstacle existe au sens de la LTC, il doit être lié au réseau de transport fédéral. Il revient au demandeur de fournir suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer l’existence d’un obstacle, c.‑à‑d. qu’une politique, une pratique, un obstacle physique, etc. prive une personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services accessibles aux autres voyageurs de sorte que le fournisseur de services doit fournir un accommodement.

[28] Il revient à Mme Ross de démontrer qu’elle a besoin d’une batterie supplémentaire pour son scooter, non seulement lorsqu’elle arrive à destination, mais également pour avoir une égalité d’accès au réseau de transport fédéral.

[29] Même si Mme Ross affirme que la batterie supplémentaire est essentielle à sa sécurité et à son bien‑être lorsqu’elle est à l’extérieur de la région, elle ne fournit pas d’explication ni aucune preuve de la façon dont sa sécurité ou son bien‑être seraient affectés négativement si sa batterie principale cessait de fonctionner pendant qu’elle voyage dans le réseau de transport fédéral.

[30] Par ailleurs, Mme Ross affirme que si sa batterie principale cessait de fonctionner dans le cas de mauvaises conditions météorologiques, de noirceur ou d’un endroit dangereux, sa vie pourrait être en danger ou elle pourrait subir des blessures et des lésions corporelles, mais elle ne fournit pas d’explication ni aucune preuve pour démontrer que, si son scooter ne fonctionnait plus pendant qu’elle se déplace dans le réseau de transport fédéral, sa vie serait en danger ou il y aurait une possibilité de blessures ou de lésions corporelles. Si Mme Ross devait utiliser son scooter pendant qu’elle est dans le réseau de transport fédéral et qu’il cessait de fonctionner, Mme Ross aurait droit, conformément au Règlement sur les transports aériens, DORS/88‑58, modifié (RTA), à une assistance raisonnable de son transporteur dans le cas de vols intérieurs. De plus, l’Office s’attend à ce que Mme Ross reçoive la même assistance en ce qui a trait aux vols internationaux, compte tenu de l’opinion de longue date de l’Office selon laquelle les principes du RTA s’appliquent également dans le contexte international. Par conséquent, un transporteur aurait la responsabilité de faciliter les déplacements de Mme Ross dans le réseau de transport fédéral sans l’exposer à des situations menaçant sa vie ou à une possibilité de blessures ou de lésions corporelles.

[31] Mme Ross a indiqué que dans le cas d’un événement imprévu, elle pourrait utiliser un fauteuil roulant fourni par le transporteur au lieu de son scooter, à condition que quelqu’un puisse le pousser. Comme il a été noté ci-dessus, il revient au transporteur, comme il est indiqué dans le RTA et des décisions antérieures de l’Office, de fournir une telle assistance. Par conséquent, Mme Ross recevrait un accommodement du transporteur qui lui fournirait un fauteuil roulant dans des situations où elle n’a pas accès à son scooter. Le même accommodement (un fauteuil roulant fourni par le transporteur) serait également offert à Mme Ross si la batterie principale de son scooter cessait de fonctionner pendant ses déplacements dans le réseau de transport fédéral. Autrement dit, les transporteurs sont déjà équipés pour fournir des accommodements de rechange pour répondre aux besoins de Mme Ross liés à sa déficience.

[32] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que, même si Mme Ross a expliqué son besoin d’une batterie supplémentaire pour son scooter lorsqu’elle arrive à destination, elle n’a pas fourni suffisamment de preuves pour démontrer qu’elle a besoin de la batterie supplémentaire pendant qu’elle se déplace dans le réseau de transport fédéral. Par conséquent, Mme Ross ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait de prouver que le fait de ne pas pouvoir transporter une batterie supplémentaire à bord de son vol constitue un obstacle, c.‑à‑d. que la situation ferait en sorte qu’elle n’aurait pas un accès égal au réseau de transport fédéral.

CONCLUSION

[33] L’Office conclut que Mme Ross n’a pas fourni suffisamment de preuves pour démontrer que les politiques et procédures d’Air Canada et de WestJet concernant le transport de batteries supplémentaires pour les aides à la mobilité, notamment les scooters, constituent un obstacle à ses possibilités de déplacement et aux possibilités de déplacement d’autres personnes ayant une déficience qui ont besoin de telles aides à la mobilité pour voyager par avion dans le réseau de transport fédéral. Par conséquent, l’Office n’a pas à se pencher sur l’aspect du caractère abusif. L’Office rejette donc la demande.

Membre(s)

Sam Barone
P. Paul Fitzgerald
Date de modification :