Décision n° 79-R-2023

le 23 mai 2023

Demande de Leisa-Anne Tyler contre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) en vue d’obtenir l’autorisation de construire et d’entretenir des passages

Numéro de cas : 
23, 2023

Résumé

[1] Leisa-Anne Tyler a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) au titre de l’article 102 de la Loi sur les transports au Canada (LTC) pour le rétablissement de passages convenables sur deux lignes de chemin de fer approximativement situées au point milliaire 145,47 de la subdivision Bala de CN et au point milliaire 19,4 de la subdivision Parry Sound de CP dans la province de l’Ontario.

[2] Les deux lignes de chemin de fer divisent trois parcelles de la terre appartenant à Mme Tyler. Elle est l’unique propriétaire de deux parcelles et copropriétaire de l’autre parcelle avec M. Connor Bryce Tyler, qu’elle représente dans la présente instance. Ainsi, tous les droits de propriété pertinents dans le cadre de la présente instance sont représentés. Mme Tyler affirme que les lignes de chemin de fer l’empêchent d’accéder à deux de ses parcelles et que le rétablissement des passages est nécessaire pour qu’elle puisse utiliser et jouir de ces propriétés.

[3] L’Office se penchera sur la question suivante :

L’Office doit-il ordonner la construction de passages convenables sur les lignes de chemin de fer de CN et de CP au titre de l’article 102 de la LTC?

[4] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office ordonne à CN et à CP de construire et d’entretenir à leurs frais des passages convenables sur leurs lignes de chemin de fer qui divisent la terre de Mme Tyler, conformément à l’article 102 de la LTC.

Contexte

[5] La terre située de part et d’autre des deux lignes de chemin de fer constituait à l’origine une seule parcelle désignée sous le nom de lot 138, CONCESSION A, canton de Foley [lot 138]. Cette terre a été léguée à un ancêtre de Mme Tyler en 1874. Le canton de Foley est par la suite devenu le canton de Seguin.

[6] George Smith était le propriétaire du lot 138 à l’époque où des parties de celui-ci ont été vendues à des compagnies de chemin de fer. En 1905, M. Smith a vendu une partie du lot 138 à un prédécesseur de CN pour la construction d’une ligne de chemin de fer et, en 1906, il a vendu une seconde partie de ce lot à CP dans le même but. À la suite de ces transactions, le reste du lot 138 a été divisé en trois parcelles, appelées parties A, B et C dans le registre foncier original du lot 138, et ci‑après appelées les parcelles « avant », « centrale » et « arrière ». Ces parcelles sont demeurées la propriété de George Smith. L’emprise de CN est située entre les parcelles avant et centrale, tandis que celle de CP est située entre les parcelles centrale et arrière.

[7] Entre 1906 et 1988, la propriété des trois parcelles du lot 138 est passée d’un membre de la famille à un autre. En 1988, un autre George Smith – George N. Smith – a subdivisé la parcelle avant. Il est demeuré propriétaire de la majeure partie de cette parcelle, y compris la parcelle adjacente à la ligne de chemin de fer de CN.

[8] Après le décès de George N. Smith, les parcelles avant, centrale et arrière ont changé de mains à plusieurs reprises. Mme Tyler est devenue copropriétaire des trois parcelles en 2014 et l’unique propriétaire de ces parcelles en 2015. En 2020, Mme Tyler a fait de M. Tyler un copropriétaire de la parcelle avant.

[9] Conformément au Protocole d’entente entre l’Office et Transports Canada (TC), qui permet une coordination entre l’Office et TC des efforts relatifs aux franchissements routiers, par desserte ou aux passages à niveau privés de compétence fédérale, une copie de la demande a été envoyée à TC à des fins de commentaires sur les enjeux de sécurité. TC a déposé ses commentaires le 8 avril 2022.

La loi

[10] Au titre de l’article 102 de la LTC, le propriétaire d’une terre peut demander la construction d’un passage convenable aux frais de la compagnie de chemin de fer lorsque la construction du chemin de fer divise la terre du propriétaire de telle sorte que celui‑ci se retrouve avec des parcelles situées de part et d’autre de la ligne de chemin de fer. Ce droit prévu par la loi existe pour permettre au propriétaire de jouir de sa terre des deux côtés de la ligne de chemin de fer. L’Office et ses prédécesseurs ont maintes fois établi que des éléments de preuve concernant l’historique de la propriété de la terre divisée par le chemin de fer sont requis pour déterminer si ce droit prévu par la loi continue de s’appliquer au propriétaire actuel.

[11] Le droit de passage prévu par la loi a initialement été établi dans la Loi sur les chemins de fer de1888, et la classification des passages a évolué au fil du temps. La Loi sur les chemins de fer utilisait le terme « passage de ferme ». La LTC, qui a remplacé cette loi, utilise le terme « passage » aux articles 102 et 103. Ce terme n’est pas formellement défini dans la LTC, mais le droit de passage prévu à l’article 102 de la LTC est semblable au droit à un « passage de ferme » prévu par la Loi sur les chemins de fer.

[12] Dans l’affaire Crozier c CP Railway (1923), 28 CRC 157, la Commission des chemins de fer (prédécesseur de l’Office) a déclaré que le droit à un passage de ferme prévu par la loi n’est pas un droit relié au moment de la construction ou à la personne propriétaire de la terre lorsque le chemin de fer a été construit, mais plutôt un droit qui est rattaché à la terre et qui n’est pas limité dans le temps. Donc, aussi longtemps que la propriété commune de la terre située de part et d’autre de la ligne de chemin de fer est maintenue, le droit au passage est lui aussi maintenu.

[13] À l’inverse, si les parcelles de terre situées de part et d’autre du chemin de fer sont transférées à des propriétaires distincts à tout moment à partir du moment de la construction de la ligne de chemin de fer, la propriété commune de la terre située de part et d’autre de la ligne de chemin de fer prend fin (Hillhouse c CPR, 20 DLR 907). Le droit à un passage privé prévu par l’article 102 de la LTC est perdu à moins que le propriétaire de la terre située de part et d’autre de la ligne de chemin de fer réserve un droit de passage ou accorde un droit de passage sur au moins une parcelle lorsqu’il transfère la propriété de l’une des parcelles à un autre propriétaire (T.H & Ry c Simpson, 17 OLR 632). Une fois ce droit de passage perdu, il ne peut pas être rétabli, et ce, même si un propriétaire unique acquiert par la suite les parcelles situées de part et d’autre de la ligne de chemin de fer (O’Brien c CPR, 21 CRC 197). Voir également Benninger c CP au paragraphe 33.

[14] L’Office peut autoriser la construction et l’entretien d’un passage s’il le juge convenable. Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans Fafard c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, un passage convenable doit être adéquat et approprié pour les fins auxquelles il est destiné et mis en place, et répondre aux besoins des usagers du passage et du passage des trains. La notion de passage convenable comporte un élément de sécurité.

L’Office doit-il ordonner la construction de passages convenables au titre de l’article 102 de la LTC?

Positions des parties

Position de Mme Tyler

[15] Mme Tyler réclame la mise en place, sur les lignes de chemin de fer de CN et de CP, de passages conçus pour la circulation piétonnière et l’utilisation occasionnelle de petits véhicules récréatifs tels que des VTT ou des motoneiges. Elle déclare que la terre située de part et d’autre de chaque ligne de chemin de fer a été la propriété des membres de sa lignée familiale de façon continue depuis que le lot 138 lui a été légué en 1874 et que la propriété commune de la terre située de part et d’autre de chaque ligne de chemin de fer n’a jamais pris fin. Elle déclare qu’elle est propriétaire des parcelles centrale et arrière et qu’elle est copropriétaire de la parcelle avant avec M. Tyler.

[16] Mme Tyler affirme que de nombreuses tentatives ont été faites pour contacter CN et CP afin de discuter du rétablissement des passages sur chaque ligne de chemin de fer du lot 138. Étant donné que la construction des deux lignes de chemin de fer a eu lieu après l’établissement, en 1888, du droit de passage prévu par la loi pour les propriétaires fonciers, Mme Tyler soutient que chaque compagnie de chemin de fer est responsable d’installer et d’entretenir un passage sur sa ligne de chemin de fer pour lui permettre d’accéder aux parcelles centrale et arrière de sa propriété.

[17] Mme Tyler a fourni une copie d’un contrat de vente de terre datant de 1905 en vertu duquel George Smith, propriétaire du lot 138, a vendu une partie de sa terre à un prédécesseur de CN afin de permettre la construction d’une ligne de chemin de fer. Elle a également fourni un contrat de vente de terre datant de 1906, en vertu duquel George Smith a vendu une seconde partie du lot 138 à CP dans le même but. À la suite de ces transactions, le lot 138 a été divisé en trois parcelles, qui ont toutes continué d’appartenir à George Smith.

[18] Mme Tyler a déposé les dossiers du registre foncier de l’Ontario pour le lot 138. Ces dossiers n’indiquent aucun transfert de titre pour une partie quelconque du lot 138 entre 1906 et 1972. En 1972, la propriété des trois parcelles a été transférée de la succession de John Conrad Smith à Gladys Smith. En 1987, la propriété des trois parcelles a été transférée de la succession de Gladys Smith à George N. Smith.

[19] Les dossiers du registre foncier de l’Ontario indiquent qu’en 1988, George N. Smith a subdivisé la parcelle avant du lot 138 en quatre parcelles. Il a transféré la propriété de trois de ces parcelles et a conservé la propriété du reste de la parcelle avant, y compris la parcelle adjacente à la ligne de chemin de fer de CN, selon les cartes fournies par Mme Tyler.

[20] La propriété des parcelles avant, centrale et arrière a été transférée de la succession de George N. Smith à Connie Smith. En 2014, cette dernière a fait de Mme Tyler la copropriétaire des trois parcelles. En 2015, Mme Tyler est devenue l’unique propriétaire des trois parcelles. En 2020, Mme Tyler a fait de M. Tyler un copropriétaire de la parcelle avant. Pendant deux jours en 2020, ils ont été copropriétaires de cette parcelle avec une tierce personne, qui leur a ensuite cédé son droit de propriété.

[21] Mme Tyler a également soumis une lettre datée du 25 mars 1980 (lettre de 1980) envoyée par le bureau du surintendant de CP à George N. Smith concernant la ligne de chemin de fer de CP qui divise les parcelles centrale et arrière du lot 138. La lettre de 1980 démontre que CP reconnaissait l’existence d’un passage de ferme valide sur la propriété du lot 138, que le chef de la voie de CP avait reçu l’ordre d’installer un passage pour le 1er mai 1980 et que CP s’était engagée à enlever le passage en hiver pour faciliter le déneigement des voies ferrées.

Position de CN

[22] CN reconnaît que l’article 102 de la LTC établit une règle simple : si une personne est propriétaire d’une terre et qu’un chemin de fer la divise, elle doit être en mesure de traverser le chemin de fer, à défaut de quoi sa jouissance de la terre serait compromise.

[23] CN soutient que l’Office a établi trois conditions préalables dans des cas antérieurs interprétant l’article 102 de la LTC :

  1. Une compagnie de chemin de fer doit avoir construit, après 1888, une ligne de chemin de fer qui a divisé une terre.
  2. La personne qui réclame le passage doit être, au moment de la demande, soit a) le propriétaire de la terre située de part et d’autre de la ligne de chemin de fer, soit b) le propriétaire de la parcelle située d’un côté de la ligne de chemin de fer et le détenteur d’un droit d’occupation de la parcelle située de l’autre côté.
  3. La personne doit également être en mesure de démontrer, au moyen de la chaîne de propriété, qu’elle est l’« ayant droit », c’est-à-dire qu’elle possède les mêmes droits de passage que la personne qui était propriétaire de la terre au moment où la ligne de chemin de fer l’a divisée.

[24] CN convient que la première condition est remplie puisque sa ligne de chemin de fer, qui divise les parcelles en question, a été construite après 1888.

[25] CN fait valoir que Mme Tyler est propriétaire d’une parcelle située d’un côté de la ligne de chemin de fer de CN (parcelle centrale), mais qu’elle n’est pas l’unique propriétaire de la parcelle située de l’autre côté (parcelle avant) puisqu’elle en est copropriétaire avec son fils. Par conséquent, CN soutient que la deuxième condition n’est pas remplie.

[26] Enfin, CN fait valoir que Mme Tyler n’a fourni aucune information ressemblant à une chaîne de titres établissant la propriété continue de la terre située de part et d’autre de la ligne de chemin de fer de CN depuis la division de cette terre. CN estime que la troisième condition n’est pas remplie.

[27] CN soutient que la demande de Mme Tyler devrait être rejetée.

Position de CP

[28] CP énonce le critère permettant de déterminer si un propriétaire foncier a un droit de passage au titre de l’article 102 d’une façon qui diffère légèrement de celle de CN. CP indique que l’Office doit déterminer si la terre d’un propriétaire a été divisée en raison de la construction d’une ligne de chemin de fer après 1888. Si la terre a été divisée après 1888, l’Office doit déterminer si le demandeur peut prouver la propriété continue de la terre divisée et démontrer que la terre n’a pas été séparée. CP soutient que si la terre a été séparée, le demandeur doit démontrer que les propriétaires se sont réservé un droit de passage.

[29] CP soutient que Mme Tyler n’a pas réussi à fournir suffisamment d’éléments de preuve de propriété continue pour démontrer qu’elle a un droit de passage au titre de l’article 102 de la LTC. CP soutient qu’en raison de la présentation fragmentaire de la documentation de la demanderesse et d’éléments de preuve documentaires prêtant à confusion, elle n’a pas été en mesure de confirmer la propriété continue des parcelles centrale et arrière situées de part et d’autre de l’emprise de CP.

[30] CP soutient que la terre a été séparée en trois parcelles en 1905 et en 1906. Elle souligne qu’il existe trois parcelles distinctes, chacune ayant sa propre cote foncière dans le système d’enregistrement foncier de l’Ontario. CP soutient que le droit de passage au titre de l’article 102 de la LTC a été perdu au moment de cette séparation, car il n’existe aucun élément de preuve démontrant que le propriétaire a pris des dispositions expresses pour assurer un droit de passage sur les trois parcelles.

[31] CP soutient que la lettre de 1980 n’établit pas un droit de passage au titre de l’article 102 de la LTC. CP ajoute que, même si elle reconnaissait l’existence d’un passage de ferme, le terme « passage de ferme » n’équivaut pas au passage de l’article 102 de la LTC. Il pourrait plutôt s’agir d’un passage aux termes de l’article 102 ou 103 de la LTC. De plus, CP s’appuie sur la décision 71-R-2004 pour faire valoir son argument selon lequel l’existence d’un passage dans le passé ne suffit pas pour établir un droit de passage prévu par la loi.

[32] CP soutient qu’il ne serait pas approprié pour l’Office d’ordonner la mise en place d’un passage sur sa ligne de chemin de fer parce qu’il n’y a pas de passage sur la ligne de CN et qu’il serait donc impossible d’atteindre les parcelles centrale et arrière.

[33] CP déclare qu’un passage sur sa ligne de chemin de fer devrait répondre aux exigences du Règlement sur les passages à niveau (RPN) et des Normes sur les passages à niveau (NPN). CP décrit plusieurs défis techniques liés à la conception d’un passage convenable en raison de l’emplacement des lignes de chemin de fer de CN et de CP par rapport aux parcelles centrale et arrière. En raison de l’emplacement des lignes et du fait qu’aucun passage de CN n’a été installé, CP soutient qu’elle ne serait pas en mesure de se conformer au RPN et aux NPN. CP affirme également que Mme Tyler n’a pas fourni de renseignements, tels que les détails de la conception routière ou le type de véhicules qui emprunteraient le passage proposé, dont CP a besoin pour évaluer la conformité avec le RPN et les NPN. Par conséquent, CP soutient que l’installation d’un passage sur sa ligne de chemin de fer sans qu’un passage ait déjà été installé sur la ligne de CN créerait un passage à niveau inadéquat.

Analyse et déterminations

[34] Mme Tyler a établi que les lignes de chemin de fer de CN et de CP l’empêchent d’accéder à deux parcelles de terre qui lui appartiennent et ainsi d’utiliser et de jouir de ces propriétés. La question de savoir si elle a droit à des passages aux frais des compagnies de chemin de fer au titre de l’article 102 de la LTC dépend de l’historique de la propriété de la terre située de part et d’autre de chaque ligne de chemin de fer.

Propriété commune de la terre divisée par la construction des lignes de chemin de fer

[35] Chacune des lignes de chemin de fer en question dans le cas présent a été construite après que la Loi sur les chemins de fer a créé, en 1888, le droit de passage prévu par la loi. Il est donc clair qu’un droit de passage prévu par la loi sur les deux lignes de chemin de fer a été créé pour le propriétaire du lot 138 lorsque la terre a été divisée par la construction des lignes de chemin de fer.

[36] CP soutient que le lot 138 a été séparé en trois parcelles en 1905 et en 1906. Essentiellement, CP affirme que le droit prévu par la loi a été aboli dès que la terre a été vendue pour permettre la construction du chemin de fer. Cet argument donne peu ou pas de sens au droit prévu par l’article 102 de la LTC : une terre divisée par une ligne de chemin de fer est susceptible d’être enregistrée comme des parcelles distinctes dans le système de registre foncier. L’Office conclut que le fait de séparer la terre est une autre façon de dire que l’on divise la terre et ne décrit pas le critère permettant de déterminer si le droit de passage prévu par la loi continue d’exister.

[37] Le droit de passage prévu par la loi ne dépend pas du fait que la terre située de part et d’autre de la ligne de chemin de fer soit enregistrée en tant que parcelles distinctes. Il ressort clairement de la jurisprudence que ce droit dépend du maintien de la propriété commune (titre) de la terre située de part et d’autre du chemin de fer. George Smith est resté propriétaire de la terre située de part et d’autre de chaque ligne de chemin de fer, de sorte que la propriété commune de ces parcelles n’a pas pris fin lors de la division du lot 138. Il n’était pas nécessaire d’accorder un droit de passage sur l’une ou l’autre des trois parcelles, car le droit de passage prévu par la loi garantissait à George Smith l’accès aux trois parcelles pour son utilisation et sa jouissance.

[38] Mme Tyler n’a pas fourni d’éléments de preuve de la façon dont les trois parcelles sont passées de George Smith à John Conrad Smith. Aucun transfert de titre n’est enregistré au registre foncier pour le lot 138 entre 1906 et 1972, soit une période de 66 ans.

[39] Toutefois, l’Office accepte les déclarations de Mme Tyler selon lesquelles les parcelles avant, centrale et arrière du lot 138, à l’exception des trois parties de la parcelle avant vendues dans les années 1980, ont toujours appartenu à sa famille depuis le legs initial de la terre en 1874. L’Office conclut, selon la prépondérance des probabilités, que la propriété de la terre a été transférée de George Smith à John Conrad Smith au moyen d’un testament ou d’un autre type d’acte testamentaire étant donné qu’aucun transfert n’a été enregistré auprès du bureau du registre foncier. Cette conclusion est conforme aux éléments de preuve déposés par Mme Tyler.

[40] L’Office conclut que le droit de passage prévu par la loi que CP a décrit dans sa lettre de 1980 à George N. Smith est l’équivalent du droit prévu à l’article 102 de la LTC. CP a non seulement reconnu l’existence du droit prévu par la loi pour sa ligne de chemin de fer, mais elle a également assumé la responsabilité de l’installation et de l’enlèvement du passage. Bien que l’existence d’un passage dans le passé n’établisse pas que le droit prévu par la loi ait perduré, la chaîne de propriété que Mme Tyler a fournie pour les parcelles centrale et arrière démontre que le droit de passage prévu par la loi que CP a reconnu en 1980 existe toujours en ce qui concerne la ligne de chemin de fer de CP.

[41] CN soutient que le propriétaire des parcelles situées de part et d’autre de sa ligne de chemin de fer n’est pas le même parce que Mme Tyler est propriétaire de la parcelle centrale et copropriétaire de la parcelle avant avec son fils. Cependant, CN elle‑même affirme que la jurisprudence de l’Office, telle que la décision 642-R-2000, a conclu que la personne qui demande le passage doit être, au moment de la demande, soit le propriétaire de la terre située de part et d’autre du chemin de fer, soit le propriétaire de la parcelle située d’un côté du chemin de fer et le détenteur d’un droit d’occupation de la parcelle située de l’autre côté du chemin de fer.

[42] Mme Tyler est propriétaire de la parcelle avant depuis qu’elle est devenue copropriétaire en 2014. Elle est devenue copropriétaire des parcelles centrale et arrière au même moment. L’Office conclut que son titre de propriété relativement à la parcelle avant n’a pas été perdu ou annulé lorsqu’elle a ajouté des copropriétaires à cette parcelle en 2020; elle a été propriétaire de cette terre sans interruption depuis 2014. En tant que copropriétaire, elle a le droit d’occuper cette parcelle et d’en jouir. Rien dans la jurisprudence n’indique qu’un propriétaire doive être l’unique propriétaire d’une parcelle située de part et d’autre de la ligne de chemin de fer pour bénéficier de ce droit prévu par la loi. L’Office conclut donc que la terre située de part et d’autre de la ligne de chemin de fer de CN est la propriété commune de Mme Tyler et qu’elle a le même droit de passage que le propriétaire de la terre avait au moment où celle-ci a été divisée par la ligne de chemin de fer.

[43] Pour ces raisons, l’Office conclut, selon la prépondérance des probabilités, que la propriété commune de la terre située de part et d’autre de chaque ligne de chemin de fer a perduré depuis la construction de ces lignes de chemin de fer et que le droit de passage prévu à l’article 102 de la LTC n’a pas été aboli pour Mme Tyler. L’Office conclut donc que Mme Tyler a droit à un passage convenable sur chaque ligne de chemin de fer aux frais de CN et de CP.

Passage convenable

[44] Mme Tyler réclame la mise en place, sur les deux lignes de chemin de fer, de passages conçus pour la circulation piétonnière et l’utilisation occasionnelle de petits véhicules récréatifs tels que des VTT ou des motoneiges. Ces passages doivent être construits et entretenus conformément à la Loi sur la sécurité ferroviaire, ainsi qu’aux règles, règlements et normes d’ingénierie applicables.

[45] L’Office reconnaît les problèmes de sécurité que CP a cernés concernant l’emplacement des passages en raison de l’endroit où sont situées les lignes de chemin de fer l’une par rapport à l’autre et de la forme de la parcelle centrale. L’Office convient qu’il serait dangereux de construire un passage sur une ligne de chemin de fer sans tenir compte de la conception et de l’emplacement de l’autre passage. Cependant, CP n’a pas démontré qu’il était impossible pour CN et CP de travailler en collaboration afin de concevoir des passages convenables qui répondent aux besoins de Mme Tyler et qui sont conformes aux exigences réglementaires.

Conclusion

[46] L’Office ordonne à CN et à CP de construire et d’entretenir à leurs frais, conformément à l’article 102 de la LTC, des passages convenables sur leurs chemins de fer qui divisent la terre de Mme Tyler, approximativement située au point milliaire 145,47 de la subdivision Bala de CN et au point milliaire 19,4 de la subdivision Parry Sound de CP.

[47] Cette ordonnance ne dégage pas Mme Tyler, CN ou CP de leurs obligations au titre de la Loi sur la sécurité ferroviaire.

Dispositions en référence Identifiant numérique (article, paragraphe, règle, etc.)
Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 102; 103
Loi sur les chemins de fer, 1888, SC 1888, c 29 191
Loi sur les chemins de fer, 1985, RSC 1985, c R‑3 215
Loi sur la sécurité ferroviaire, LRC 1985, c 32 (4e suppl.)  7.1

Membre(s)

Heather Smith
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