Décision n° 80-R-2022

le 14 juin 2022

DEMANDE présentée par Russell Lyon et Carole Mackenzie (demandeurs) contre Island Corridor Foundation (ICF) et Cowichan Valley Regional District (CVRD) [défenderesses], au titre de l’article 102 ou de l’article 103 de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (LTC), concernant un passage privé. 

Numéro de cas : 
20-09981

RÉSUMÉ

[1] Le 3 novembre 2020, les demandeurs ont déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) pour un passage privé au point milliaire 27.59 de la subdivision Victoria d’ICF située sur l’île de Vancouver (Colombie-Britannique).

[2] Les défenderesses affirment que le passage n’est pas convenable et que, par conséquent, il ne devrait pas être autorisé.

[3] L’Office se penchera sur les questions suivantes :

  1. L’Office devrait-il ordonner la construction d’un passage convenable au titre de l’article 102 ou de l’article 103 de la LTC?
  2. L’Office devrait-il adjuger des frais aux défenderesses?

[4] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office, en vertu de l’article 103 de la LTC, ordonne aux défenderesses de construire un passage convenable. Les demandeurs devront supporter les coûts pour la construction et l’entretien du passage. L’Office rejette la demande d’adjudication de frais des défenderesses.

CONTEXTE

[5] ICF est un organisme de bienfaisance enregistré qui est formé de cinq districts régionaux, dont le CVRD, et 11 Premières Nations, le long du corridor ferroviaire situé sur l’île de Vancouver. Le mandat d’ICF comprend la préservation et le développement du corridor de l’île, y compris l’infrastructure et les autres actifs qui constituent le Chemin de fer Esquimalt et Nanaimo. La ligne de chemin de fer d’ICF est exploitée par Southern Railway of Vancouver Island, qui est une compagnie de chemin de fer relevant de la compétence législative de la province de la Colombie-Britannique (Province).

[6] En septembre 2018, ICF a conclu une entente avec CVRD pour la construction d’un sentier à usages multiples le long de ligne de chemin de fer à Shawnigan Lake, Colombie-Britannique, et dans les environs, connu sous le nom de Shawnigan Village Rail Trail (sentier). Le sentier, qui sera construit en plusieurs étapes, sera aménagé sur l’emprise d’ICF et permettra de circuler à pied ou à vélo le long du corridor ferroviaire. ICF a déclaré que, pour des raisons de sécurité, elle compte installer une clôture le long de la ligne de chemin de fer pour séparer le sentier de la ligne de chemin de fer, si nécessaire, au fur et à mesure qu’elle prévoit rétablir le service de transport ferroviaire pour les marchandises et les voyageurs. La ligne de chemin de fer traverse la propriété des demandeurs.

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

[7] Le 15 septembre 2021, de même que le 29 avril et les 2 et 3 mai 2022, les parties ont déposé une correspondance non sollicitée auprès de l’Office. Dans sa directive du 14 avril 2021, l’Office a indiqué qu’il n’acceptera pas d’autres documents ou observations aux archives, à moins qu’une requête en ce sens ne démontre des circonstances exceptionnelles. La correspondance en question a été déposée sans avoir fait l’objet de requêtes appropriées au titre des Règles de l’Office des transports du Canada (Instances de règlement des différends et certaines règles applicables à toutes les instances), DORS/2014-104. Par conséquent, elle ne sera pas versée aux archives.

[8] Les demandeurs veulent que l’Office : 1) déclare que le chemin de fer a été abandonné ou aliéné; 2) prenne toute mesure contre ICF pour défaut de disposer d’un certificat d’aptitude; 3) accorde une injonction interdisant aux défenderesses de construire le sentier; ou 4) procède à une évaluation environnementale du projet de sentier. Plus précisément, ces demandes concernent la partie III, section V, de la Loi sur les transports au Canada (LTC), les articles 90 à 93 de la LTC, de même que l’article 26 et l’article 98 de la LTC.

[9] En vertu de l’article 9 de la Railway Safety Act, SBC 2004, c 8 (RSA), le ministre peut, par règlement, adopter des dispositions d’autres lois désignées, y compris la LTC et, une fois adoptées, ces dispositions s’appliquent aux compagnies de chemin de fer. La Province a donc adopté, par l’intermédiaire du Railway Safety Adopted Provisions Regulation, BC Reg 210/2004, les articles 99 à 103 de la LTC, à l’exception du paragraphe 101(4). Puis, conformément à l’article 157.1 de la LTC, la Province a conclu une entente administrative datée du 11 septembre 2006, en vertu de laquelle la Province a délégué l’administration de ces dispositions à l’Office. Par conséquent, les différends relatifs aux franchissements de chemins de fer pour lesquels la Province a compétence sont tranchés par l’Office.

[10] Le pouvoir de l’Office de trancher les différends relatifs aux passages à niveau et d’ordonner des mesures de réparation est prévu aux articles 99 à 103 de la LTC. Les autres questions soulevées par les demandeurs qui se rapportent à d’autres articles de la LTC ne sont donc pas correctement portées devant l’Office.

[11] Les défenderesses affirment que les demandeurs ont fait des allégations fallacieuses de non-conformité à la loi dans leur demande et demandent à l’Office d’ordonner aux demandeurs de déposer une nouvelle demande expurgée de ces allégations. Les demandeurs réclament à l’Office de supprimer certaines des allégations d’ICF figurant dans la réponse en ce qui concerne la profession de M. Lyon.

[12] Les allégations des défenderesses et des demandeurs ne sont pas pertinentes pour l’examen par l’Office des questions à trancher, et aucune des parties n’a démontré comment elle subirait un préjudice si les allégations contestées devaient demeurer aux archives. L’Office rejette donc les demandes des deux parties.

LA LOI

[13] L’article 102 de la LTC prévoit ce qui suit :

La compagnie de chemin de fer qui fait passer une ligne à travers la terre d’un propriétaire doit, sur demande de celui-ci, construire un passage convenable qui lui assure la jouissance de sa terre.

[14] L’article 103 de la LTC prévoit ce qui suit :

(1) Si la compagnie de chemin de fer et le propriétaire d’une terre contiguë au chemin de fer ne s’entendent pas sur la construction d’un passage croisant celui-ci, l’Office peut, sur demande du propriétaire, ordonner à la compagnie de construire un passage convenable s’il juge celui-ci nécessaire à la jouissance, par le propriétaire, de sa terre.

(2) L’Office peut assortir l’arrêté de conditions concernant la construction et l’entretien du passage.

(3) Les coûts de la construction et de l’entretien du passage sont à la charge du propriétaire de la terre.

QUESTION 1: L’OFFICE DEVRAIT-IL ORDONNER LA CONSTRUCTION D’UN PASSAGE CONVENABLE AU TITRE DE L’ARTICLE 102 OU 103 DE LA LTC?

Positions des parties

LES DEMANDEURS

[15] Les demandeurs traversent un passage à niveau non autorisé pour accéder à leur propriété située de l’autre côté de la ligne de chemin de fer. Ils ne savent pas à quelle date ce passage à niveau a été installé pour la première fois. Ils soutiennent qu’il est en place depuis l’existence de la propriété en 1890 et que le titre de propriété de la terre indique que celle-ci est depuis cette date considérée comme étant une seule et unique parcelle.

[16] Les demandeurs affirment que le projet des défenderesses d’installer une clôture le long de la ligne de chemin de fer les empêchera de façon permanente d’accéder à la rive du lac située sur la partie ouest de leur propriété sur laquelle passe la ligne de chemin de fer. En l’absence d’un passage, ils déclarent qu’ils n’auront pas accès à la parcelle ouest de leur terre. Au titre de l’article 102 ou de l’article 103 de la LTC, ils demandent un passage pour la jouissance de leur propriété.

[17] Les demandeurs mettent en doute la nécessité d’installer la future clôture étant donné qu’aucun train n’a été exploité sur la ligne de chemin de fer depuis mars 2011. Ils soutiennent que, puisque l’exploitation du chemin de fer a été abandonnée, les défenderesses n’auraient aucune obligation en matière de sécurité ferroviaire.

[18] Les demandeurs déclarent que la jouissance de leurs terres est liée à leur accès au bord de l’eau sur la parcelle ouest pendant les mois d’été. Ils affirment qu’ils traversent ce passage environ 16 fois par jour pendant ces mois.

[19] Les demandeurs rejettent la proposition des défenderesses en ce qui concerne un autre accès sur Thrush Road, car celui-ci n’est ni pratique ni sécuritaire en raison de l’absence de trottoirs. Selon eux, Thrush Road est très fréquenté par des camions qui reculent fréquemment pour charger des bateaux sur des remorques.

LES DÉFENDERESSES

[20] Les défenderesses demandent à l’Office de rejeter la demande de passage au titre de l’article 102 de la LTC étant donné que la terre a été divisée en deux avant la promulgation de la Loi sur les chemins de fer de 1888.

[21] En ce qui concerne la demande présentée au titre de l’article 103 de la LTC, les défenderesses considèrent que le passage proposé n’est pas convenable en raison des problèmes de sécurité qu’il engendrerait et du fait qu’un autre accès à la propriété des demandeurs est disponible.

[22] Les défenderesses soutiennent que Thrush Road est une solution de rechange au passage proposé et constitue un accès convenable. Thrush Road se trouve au point milliaire 27,75 de la subdivision Victoria et est situé à 350 mètres au nord de la propriété des demandeurs. Les défenderesses soutiennent que le passage à Thrush Road pourra être utilisé par les demandeurs pour accéder légalement à leur propriété une fois le sentier terminé. Ils peuvent atteindre la partie ouest de leur terrain en traversant le sentier à pied ou à vélo après avoir franchi la ligne de chemin de fer à Thrush Road. Dans l’intervalle, les défenderesses offrent aux demandeurs un accès temporaire à la partie ouest de leur propriété en passant par le côté ouest de l’emprise. Les défenderesses ont fourni un exemple d’ordonnance de passage, y compris les modalités qu’elles cherchent à faire imposer, dans l’annexe A de leur réponse.

[23] Autrement, si l’Office autorise le passage proposé au titre de l’article 103 de la LTC, les défenderesses demandent que le passage soit approuvé selon les conditions énoncées à l’annexe B de leur réponse, ce qui permettrait d’assurer la sécurité et de protéger l’emprise.

[24] Les défenderesses font référence à un rapport intitulé Lot 2664 (Plan 218) – 2664 Heald Road, Shawnigan Lake BC Southern Railway of Vancouver Island mile 27.59 (approx.) Victoria Subdivision, préparé par G.R.E. Consulting (rapport GRE), lequel établit que le passage proposé ne répond pas aux normes sur les passages à niveau établies par Transports Canada.

[25] Les défenderesses font valoir que, même s’il n’y a pas de service ferroviaire sur la ligne de chemin de fer, elles doivent tout de même se conformer à l’ensemble des lois et règlements applicables. Des travaux d’entretien sont effectués au moins deux fois par mois. Les opérations actuelles d’entretien du chemin de fer représentent un débit journalier moyen annuel (DJMA) de 4 à 18 par mois.

[26] Toute reprise des services ferroviaires à l’avenir dépendra du financement public.

[27] Pour étayer leur argument selon lequel le passage à niveau n’est pas sécuritaire, les défenderesses se fondent sur l’hypothèse d’une reprise des services ferroviaires. Elles affirment que le nombre de DJMA sera important au passage proposé une fois que les activités reprendront.

Analyse et détermination

ARTICLE 102 DE LA LTC

[28] Selon l’article 102 de la LTC, une compagnie de chemin de fer est responsable de la construction d’un passage à ses frais si une ligne de chemin de fer traverse la terre d’un propriétaire. Lorsque l’Office examine une demande déposée au titre de l’article 102 de la LTC, il se penche sur la question de savoir si le titre de propriété détenu attestant d’une parcelle de terre unique était en vigueur au moment de la construction du chemin de fer.

[29] Dans le cas présent, les parties ne contestent pas que les demandeurs sont propriétaires de la terre ni que le titre de propriété de la terre en question atteste que celle-ci a toujours été considérée comme étant une seule et unique parcelle.

[30] L’Office est d’avis qu’avant la promulgation de la Loi sur les chemins de fer de 1888, il n’y avait aucune obligation de la part d’une compagnie de chemin de fer de fournir un passage au propriétaire dont la terre était divisée par le chemin de fer. Toutefois, l’article 191 de la Loi sur les chemins de fer de 1888, et toute version subséquente le remplaçant, y compris l’article 102 de la LTC, a donné droit au propriétaire à un passage à niveau dans les cas où la ligne de chemin de fer traversait une propriété privée.

[31] Comme il est indiqué dans la décision 417-R-2003, l’Office et ses prédécesseurs ont tranché qu’un tel propriétaire n’avait pas droit à un passage avant 1888, puisque la loi de cette époque avait pour intention d’indemniser en dommages la perte de valeur de la terre découlant de la séparation. Une compagnie de chemin de fer n’a aucune obligation de fournir un passage pour toute terre divisée en deux avant cette période. Ici, les éléments de preuve déposés par les parties montrent que la construction de la ligne de chemin de fer qui divise le terrain a été achevée en 1886 et que la propriété n’a pas été achetée avant 1890. Comme le chemin de fer a divisé la terre en deux avant 1888, les demandeurs n’ont pas le droit à un passage prévu à l’article 102 de la LTC.

ARTICLE 103 DE LA LTC

[32] Lorsqu’un propriétaire ne peut se prévaloir de l’article 102 de la LTC, il peut avoir recours à l’article 103 de la LTC, qui prévoit que si la compagnie de chemin de fer et le propriétaire d’une terre contiguë au chemin de fer ne s’entendent pas sur la construction d’un passage croisant celui-ci, l’Office peut, sur demande du propriétaire, ordonner à la compagnie de construire un passage convenable s’il juge celui-ci nécessaire à la jouissance, par le propriétaire, de sa terre.

[33] Comme il est indiqué ci-dessus, les demandeurs possèdent la terre située de part et d’autre de la ligne de chemin de fer. Le cas présent sera donc examiné en application de l’article 103 de la LTC.

[34] Les demandeurs affirment qu’un passage est fondamental pour l’utilisation et la jouissance de leur propriété. Ils expliquent qu’ils passent une grande partie de leur été sur la plage adjacente à la propriété, et que l’accès au bord de l’eau est la raison pour laquelle ils ont acheté la propriété. Ils soutiennent que le passage existant convient à leurs besoins puisqu’il leur permet d’accéder à leur terre et d’en jouir.

[35] Les défenderesses déclarent qu’il existe un autre accès sur Thrush Road qui constitue un passage convenable existant, et qui permet ainsi aux demandeurs de jouir de leur terre. De l’avis des défenderesses, l’Office ne devrait pas autoriser le passage proposé puisque la jouissance de la terre est préservée.

[36] Dans le cas présent, l’autre accès par Thrush Road n’est pas en bordure de la propriété des demandeurs et la capacité de ces derniers à accéder à leur parcelle de terre est compromise par l’emplacement de la ligne de chemin de fer. Si les demandeurs devaient utiliser le passage à niveau de Thrush Road, ils devraient faire un long détour pour accéder à leur terre, et revenir à pied à leur propriété après avoir traversé le passage à niveau de Thrush Road. Il ne s’agit pas d’un point d’accès commode ou pratique à leur propriété, compte tenu de l’utilisation prévue du passage, qui est un accès saisonnier au bord de l’eau pour au moins quatre personnes. De plus, d’après les photos de Thrush Road fournies par les demandeurs, l’autre accès constitue non seulement un grand détour, mais l’absence de trottoirs et la présence de camions sur la route occasionnent un sérieux problème de sécurité. Par conséquent, l’Office considère que l’autre accès sur Thrush Road ne constitue pas un passage convenable.

[37] Étant donné qu’il n’existe aucun autre passage convenable qui permettrait aux demandeurs d’accéder à la partie riveraine de leur terre, l’Office conclut que le passage proposé, situé sur la propriété des demandeurs, est nécessaire à la jouissance par ces derniers de leur terre.

[38] Dans la décision Fafard c Canadian National Railway Company, 2003 CAF 243 (Fafard), la Cour fédérale d’appel indique qu’un passage convenable est un passage adéquat et approprié pour les fins auxquelles il est destiné et mis en place, tant pour ses utilisateurs que pour les trains. Elle ajoute que la notion de « passage convenable » comporte un élément de sécurité. L’Office a subséquemment appliqué le principe à de nombreuses occasions.

[39] Les arguments des défenderesses concernant le caractère convenable du passage proposé sont axés sur des questions de sécurité, à savoir les lignes de visibilité et les approches. Les défenderesses soutiennent que le passage proposé est inférieur aux normes de sécurité minimales; qu’il est situé dans une zone où il y a déjà 17 passages pour piétons dans un rayon de 610 mètres et que potentiellement certains, sinon tous, sont illégaux et représentent une multiplication des dangers aux passages à niveau; et, enfin, que le passage nuirait aux activités d’exploitation ferroviaire. Les défenderesses s’appuient sur le rapport GRE pour étayer leurs arguments.

[40] Comme mentionné précédemment, il n’y a pas d’activités d’exploitation ferroviaire sur cette portion de la ligne de chemin de fer et il n’y en a pas eu depuis plus de dix ans. Bien qu’ICF ait déclaré avoir l’intention de reprendre ses activités à un moment donné, des réparations importantes sont nécessaires et dépendront de la disponibilité des fonds publics. ICF soutient qu’il y aura un DJMA important au passage à niveau. Le produit des mouvements ferroviaires quotidiens annuels moyens et du nombre quotidien moyen de voyages sur le passage à niveau déterminera le produit vectoriel. À l’heure actuelle, l’entretien est effectué deux fois par mois, en supposant un DJMA compris entre 4 et 18 par mois. En prenant l’extrémité supérieure de l’estimation du DJMA, on obtient environ 0,6 mouvement par jour pendant un mois. Si l’on considère que les demandeurs effectuent approximativement jusqu’à 16 voyages par jour pendant l’été, cela se traduira par un produit vectoriel minimal de 9,6 mouvements par jour au passage à niveau proposé pendant l’été. Il est raisonnable de conclure que, dans les circonstances actuelles, le passage proposé n’aura pas de répercussions importantes sur les activités d’exploitation ferroviaire.

[41] Si les réparations nécessaires sont effectuées et si les activités d’exploitation ferroviaire reprennent, les défenderesses prévoient qu’il y aura un maximum de 8 trains par jour qui assureront le transport de marchandises et de voyageurs, et que ce nombre pourrait augmenter à 12 trains par jour ou plus à un moment indéterminé. Bien que le produit vectoriel demeure relativement faible, cette augmentation possible des mouvements ferroviaires, combinée aux quelque 16 déplacements quotidiens des demandeurs, pourrait avoir une incidence sur les activités d’exploitation ferroviaire. Cependant, aucun élément de preuve n’a été fourni à l’Office quant à l’incidence précédente des passages à niveau non officiels sur les activités de l’ancien Chemin de fer Esquimalt et Nanaimo.

[42] Il n’y a actuellement aucun engagement ni calendrier connu pour la reprise des activités d’exploitation ferroviaire sur ce tronçon de la ligne de chemin de fer. Toute augmentation du produit vectoriel au passage à niveau demeure donc spéculative. Tant qu’il n’y a pas d’activités d’exploitation ferroviaire sur la ligne, la sécurité des personnes et des biens ne semble pas être affectée par le passage à niveau.

[43] Toutefois, si les activités devaient reprendre, les demandeurs indiquent que la vitesse affichée prévue sera de 40 mi/h pour les trains de voyageurs et de 30 mi/h pour les mouvements de marchandises. Combiné à la circulation accrue des trains et au passage quotidien des piétons, cela peut avoir une incidence sur la sécurité des personnes et des biens transportés ainsi que sur la sécurité des autres personnes et des autres biens. En effet, le passage à niveau proposé n’est pas protégé et, comme l’ont fait valoir les demandeurs, les lignes de visibilité et la déclivité des approches ne répondent pas aux exigences de sécurité applicables. Ce problème pourrait être résolu si les activités sur la ligne reprennent à l’avenir.

[44] Selon les défenderesses, et comme l’indique le rapport GRE commandé par les défenderesses, le passage à niveau proposé n’est actuellement pas conforme aux Normes sur les passages à niveau de Transports Canada ni au Règlement sur les passages à niveau, DORS/2014-275, qui ont été incorporés par renvoi dans la RSA par le Railway Safety Adopted Provisions Regulations. Cette conclusion repose toutefois sur l’existence d’un trafic ferroviaire sur la ligne. En dehors des affirmations concernant le trafic futur, aucun élément de preuve n’a été présenté concernant des mouvements ferroviaires probables. Le rapport GRE ne traite pas, dans une mesure significative, de la ligne dans son état actuel de non-utilisation.

[45] Le passage à niveau proposé devra être conforme aux exigences de sécurité applicables au titre de la RSA de la Colombie-Britannique, du Règlement sur les passages à niveau et de toute autre loi ou tout autre règlement applicable, en tenant compte du fait qu’un changement dans l’état d’exploitation de la ligne de chemin de fer pourrait nécessiter des changements ultérieurs au passage à niveau pour en assurer la sécurité.

[46] Le paragraphe 103(3) de la LTC prévoit que les coûts de la construction et de l’entretien du passage sont à la charge du demandeur. Ce principe a été confirmé par la Cour d’appel fédérale. Dans l’affaire Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2005 CAF 400, la Cour d’appel fédérale a indiqué ce qui suit : « Dans tous les cas autres que ceux couverts par l’article 102, les coûts de construction et d’entretien d’un passage sont à la charge du propriétaire de la terre, et non de la compagnie de chemin de fer. »

[47] Ayant conclu qu’un passage à niveau au point milliaire 27,59 de la subdivision Victoria d’ICF est nécessaire à la jouissance par les demandeurs de leurs terres aux termes de l’article 103 de la LTC, l’Office conclut que les défenderesses doivent fournir un passage convenable aux demandeurs, aux frais de ces derniers.

QUESTION 2 : L’OFFICE DEVRAIT-IL ADJUGER DES FRAIS AUX DÉFENDERESSES?

Position des parties

LES DÉFENDERESSES

[48] Les défenderesses soutiennent qu’elles devraient se voir adjuger des frais à hauteur de 50 % des frais juridiques réels qu’elles ont supportés. Elles affirment que l’approche des demandeurs a considérablement accru les coûts et que ceux-ci n’agissent pas de bonne foi et détournent le processus de l’Office à des fins inavouées. Elles soutiennent que les demandeurs ont avancé des arguments juridiques de grande envergure qui dépassent la compétence de l’Office et ont soulevé des questions réputées avoir déjà été tranchées par un autre tribunal.

LES DEMANDEURS

[49] En réponse, les demandeurs font valoir qu’ils ont approché les défenderesses pour négocier en vain une résolution, et que les instances devant l’Office étaient justifiées par le refus des défenderesses d’engager un dialogue. Les demandeurs soutiennent que les coûts liés à cette instance sont directement attribuables aux défenderesses et à leur refus de communiquer.

Analyse et déterminations

[50] L’Office a pour pratique d’adjuger des frais seulement dans des circonstances spéciales ou exceptionnelles. L’Office a un vaste pouvoir discrétionnaire pour adjuger des frais et, pour déterminer s’il doit le faire ou non, il tient compte de facteurs comme l’importance et la complexité des questions soulevées dans la demande, les dimensions d’intérêt public de la demande, la conduite des parties, et l’issue de l’instance.

[51] Dans le cas présent, les deux parties ont contribué à une meilleure compréhension des problèmes, en présentant des actes de procédure longs et détaillés. L’Office conclut que le cas présent ne correspond pas aux circonstances spéciales ou exceptionnelles qui justifient l’adjudication de frais et, par conséquent, rejette la demande d’adjudication de frais des défenderesses.

CONCLUSION

[52] L’Office ordonne aux défenderesses de construire un passage convenable, qui est adéquat et approprié pour les fins auxquelles il est destiné et mis en place, au point milliaire 27.59 de la subdivision Victoria d’ICF. Les coûts de construction et d’entretien du passage seront à la charge des demandeurs conformément au paragraphe 103(3) de la LTC. Les défenderesses doivent fournir une estimation des coûts de construction aux demandeurs avant d’exécuter des travaux.

Membre(s)

Mark MacKeigan
Inge Green
Date de modification :