Décision n° 9-C-A-2019

le 14 février 2019

DEMANDE présentée par Selwyn Pieters contre WestJet.

Numéro de cas : 
18-03933

RÉSUMÉ

[1] M. Pieters a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre WestJet, dans laquelle il soutient avoir été victime de profilage racial et criminel par WestJet alors qu’il se rendait de Port of Spain, Trinité-et-Tobago, à Toronto (Ontario), le 2 juillet 2018.

[2] M. Pieters demande une indemnisation pour atteinte à sa dignité et à sa réputation de même que pour des frais encourus. Il demande également des excuses sincères de la part de WestJet pour son comportement offensant.

[3] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office a déterminé qu’il n’entendra pas la demande de M. Pieter.

CONTEXTE

[4] Le 26 juin 2018, M. Pieters a voyagé de Toronto à Port of Spain pour assister à des procédures judiciaires devant la Cour de justice des Caraïbes, à titre d’avocat du procureur général du Guyana. Son vol de retour, le 2 juillet 2018, était exploité par WestJet. M. Pieters prétend que lorsqu’il a tenté de s’enregistrer pour ce vol, il a été victime de profilage racial et criminel et que le personnel de WestJet l’a traité comme un passeur de drogue.

[5] À la suite de cet incident, M. Pieters a déposé une demande auprès de l’Office le 11 juillet 2018. Les plaidoiries n’ont pas été ouvertes et, par conséquent, WestJet n’a pas eu l’occasion de répondre aux allégations de M. Pieters. La formation de membres de l’Office chargée de cette affaire a examiné la demande et les documents à l’appui.

LA LOI

[6] Le paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié (RTA) exige que le transporteur aérien lors de l’exploitation d’un service international applique correctement les conditions de transport énoncées dans son tarif.

[7] De plus, le paragraphe 111(2) du RTA prévoit que :

111(2) En ce qui concerne les taxes et les conditions de transport, il est interdit au transporteur aérien :

  1. d’établir une distinction injuste à l’endroit de toute personne ou de tout autre transporteur aérien;
  2. d’accorder une préférence ou un avantage indu ou déraisonnable, de quelque nature que ce soit, à l’égard ou en faveur d’une personne ou d’un autre transporteur aérien;
  3. de soumettre une personne, un autre transporteur aérien ou un genre de trafic à un désavantage ou à un préjudice indu ou déraisonnable de quelque nature que ce soit.

[8] Si l’Office détermine qu’un tarif ou une partie d’un tarif n’est pas conforme à l’article 111 du RTA, les pouvoirs réparateurs conférés à l’Office en vertu de l’article 113 du RTA sont les suivants :

  1. suspendre tout ou partie d’un tarif qui paraît ne pas être conforme aux paragraphes 110(3) à (5) ou aux articles 111 ou 112, ou refuser tout tarif qui n’est pas conforme à l’une de ces dispositions;
  2. établir et substituer tout ou partie d’un autre tarif en remplacement de tout ou partie du tarif refusé en application de l’alinéa a).

[9] Si l’Office conclut qu’un transporteur aérien n’a pas correctement appliqué son tarif, l’article 113.1 du RTA confère à l’Office le pouvoir d’ordonner au transporteur :

  1. de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées;
  2. de verser des indemnités à quiconque pour toutes dépenses qu’il a supportées en raison de la non-application de ces prix, taux, frais ou conditions de transport.

POSITION DU DEMANDEUR

[10] M. Pieters affirme que lorsqu’il s’est présenté au comptoir d’enregistrement pour son vol avec WestJet le 2 juillet 2018, un homme prétendant faire partie de la sécurité de WestJet a demandé à voir son passeport et son formulaire de départ, avant de lui intimer de se soumettre à un examen minutieux avant de pouvoir procéder à son enregistrement. M. Pieters affirme que l’agent de sécurité a dit qu’il avait été sélectionné par le système de WestJet parce qu’il revenait au Canada avec un billet aller simple. M. Pieters a informé l’agent de sécurité qu’il était avocat, qu’il se trouvait à Trinité-et-Tobago pour une affaire judiciaire et qu’il s’était rendu de Toronto à Trinité‑et-Tobago avec Caribbean Airlines.

[11] Après l’examen, M. Pieters est retourné au comptoir d’enregistrement de WestJet, mais il n’a pas été autorisé à s’enregistrer. Il s’en est suivi un différend au sujet de l’utilisation par M. Pieters d’un appareil d’enregistrement pour documenter l’examen effectué par le service de sécurité de WestJet. La police de l’aéroport est également intervenue, mais a conclu, selon M. Pieters, qu’elle n’avait pas compétence dans le litige.

[12] M. Pieters indique que lorsqu’il n’a pas été autorisé à s’enregistrer, il a quitté le comptoir de WestJet et s’en est allé à celui de Caribbean Airlines pour savoir si elle n’avait pas de vols à destination de Toronto. Celle-ci l’a informé qu’il y avait des places disponibles sur un vol ultérieur. Toutefois, avant d’acheter un nouveau billet, il est retourné une dernière fois au comptoir de WestJet et a pu, à ce moment-là, s’enregistrer pour son vol.

[13] M. Pieters affirme qu’il a fait l’objet d’un profilage racial et criminel et qu’il s’est vu involontairement refuser l’enregistrement pendant une longue période de temps parce qu’il a refusé de consentir à toute autre violation de ses droits. M. Pieters croit qu’il a été victime de discrimination et qu’il a subi des préjugés et des désavantages déraisonnables en ce qui concerne la prestation des services en raison de sa race (noir), de sa couleur (noir), de son ascendance (africaine), de son origine ethnique (afro-canadienne), de ses croyances (dreadlocks, qui sont perçues comme symbole rastafari), ce qui va à l’encontre du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié (RTA), de la Charte et du Code des droits de la personne. Il s’appuie également sur la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée (LTC); les Règles de l’Office des transports du Canada (Procédures et règles applicables à toutes les instances), DORS/2014-14; la Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C-26; la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP); la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.

ANALYSE ET DÉTERMINATIONS

[14] M. Pieters invoque les dispositions de l’article 37 de la LTC pour étayer sa demande.

[15] L’article 37 de la LTC prévoit que :

L’Office peut enquêter sur une plainte, l’entendre et en décider lorsqu’elle porte sur une question relevant d’une loi fédérale qu’il est chargé d’appliquer en tout ou en partie.

[16] L’article 37 de la LTC confère à l’Office le pouvoir discrétionnaire d’entendre une plainte. L’emploi du terme « peut » dans cette disposition laisse entendre qu’il n’y a pas d’obligation d’entendre chaque plainte, mais que l’Office peut exercer un certain pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit de déterminer s’il doit entendre une plainte particulière. Ce pouvoir discrétionnaire a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans Delta Air Lines Inc. c. Lukács, 2018 CSC 2(Delta).

[17] Bien que l’affaire Delta portait sur la question de la qualité pour agir devant l’Office, la décision de la Cour suprême a confirmé que, en ce qui concerne l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’Office en vertu de l’article 37 de la LTC, la qualité pour agir n’était qu’un élément à considérer pour déterminer si une plainte doit être entendue. Dans sa décision, la Cour suprême a fourni une liste non exhaustive de facteurs potentiels dont l’Office pourrait tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, mais a souligné qu’il lui appartenait de déterminer comment exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 37 de la LTC. La seule limite imposée par la Cour suprême au pouvoir discrétionnaire de l’Office était le caractère raisonnable.

[18] M. Pieters s’appuie sur le paragraphe 111(2) du RTA qui stipule qu’aucun transporteur aérien ne doit établir une distinction injuste à l’endroit d’une personne en ce qui concerne les taxes ou les conditions de transport. En vertu de l’article 113 du RTA, l’Office peut :

  • suspendre tout ou partie d’un tarif qui ne paraît pas être conforme à l’article 111;
  • refuser tout tarif ou partie de tarif qui n’est pas conforme au présent article;
  • établir et substituer tout ou partie d’un autre tarif en remplacement de tout ou partie du tarif refusé en application de l’alinéa a).

[19] Toutefois, M. Pieters n’a relevé aucune disposition du tarif de WestJet ou de toute autre politique écrite s’appliquant au cas présent que l’Office pourrait examiner en vertu de ces dispositions. Il ne demande pas non plus à l’Office de rejeter quelque aspect que ce soit du tarif de WestJet ni de substituer une autre disposition du tarif pour répondre à ses préoccupations. M. Pieters allègue qu’il y a eu discrimination, mais ne précise pas les conditions prévues au paragraphe 111(2) du RTA qui s’appliquent, et il ne demande pas non plus la réparation qui pourrait être accordée en vertu de l’article 113.

[20] M. Pieters invoque la LCDP, laquelle interdit explicitement la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur et la religion. M. Pieters explique que, selon la loi, chacun a droit à l’égalité dans la formation et l’application de la loi et à l’absence de discrimination. Bien que l’Office adhère à ces principes très importants, il n’a pas compétence pour appliquer la LCDPni pour conclure qu’elle a été enfreinte. Ce sont la Commission canadienne des droits de la personne et le Tribunal canadien des droits de la personne qui sont habilités par le Parlement à appliquer la LCDP.

[21] M. Pieters demande également une réparation qui n’est pas de la compétence de l’Office. En particulier, M. Pieters demande que l’Office poursuive son enquête, prépare un rapport et renvoie l’incident au Tribunal canadien des droits de la personne pour que ce dernier prenne des mesures supplémentaires.

[22] Enfin, M. Pieters demande une indemnisation pour atteinte à sa dignité et à sa réputation de même que pour des frais encourus. Il demande également des excuses sincères de la part de WestJet pour la façon dont il a été traité.

[23] L’Office est une création de la loi et le pouvoir d’exiger le versement d’indemnités ou d’ordonner des excuses doit être expressément prévu aux termes de la LTC. Or, rien dans la LTC ne permet à l’Office d’ordonner de telles excuses ou d’exiger le versement d’indemnités pour atteinte à la dignité et à la réputation. En vertu de la LTC, l’Office n’a pas non plus le pouvoir de renvoyer une plainte au Tribunal canadien des droits de la personne et de l’obliger à prendre des mesures. La Commission canadienne des droits de la personne a toutefois le pouvoir d’enquêter sur une plainte alléguant la violation de la LCDP(art. 43 de la LCDP), de préparer un rapport (par. 44 de la LCDP) et demander au président du Tribunal canadien des droits de la personne d’instruire une enquête sur la plainte (par. 44(3) de la LCDP). Le Tribunal canadien des droits de la personne peut accorder une indemnisation pour préjudice moral d’un montant maximal de 20 000 $ (alinéa 53(2)(e) de la LCDP), sauf si l’acte discriminatoire a été commis délibérément ou inconsidérément, auquel cas un montant supplémentaire ne dépassant pas 20 000 $ peut être accordé (par. 53(3) de la LCDP).

[24] Dans le cas présent, la Commission canadienne des droits de la personne et le Tribunal canadien des droits de la personne sont les instances les plus appropriées pour entendre la plainte de M. Pieters. Ils ont la compétence nécessaire pour examiner sa plainte, appliquer les dispositions législatives sur lesquelles il s’appuie et, s’il y a lieu, accorder la réparation qu’il demande. Les ressources limitées de l’Office ne seraient pas utilisées de façon optimale dans un cas où l’Office n’a pas le pouvoir d’appliquer la loi en vertu de laquelle M. Pieters a déposé sa demande ni d’accorder les réparations qu’il demande.

[25] La plainte de M. Pieters n’indique clairement aucune disposition du tarif ou condition de transport que l’Office pourrait examiner en vertu du paragraphe 111(2) du RTA ou de l’article 113. Il existe une instance plus appropriée pour sa plainte, une instance habilitée à traiter les questions qu’il a soulevées, à appliquer les dispositions législatives qu’il cite et, s’il y a lieu, à accorder la réparation qu’il demande. Dans ces circonstances, l’Office a déterminé qu’il ne devrait pas entendre la plainte.

[26] L’Office ne prononce aucune ordonnance.

Membre(s)

Elizabeth C. Barker
Lenore Duff
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