Lettre-décision n° LET-AT-R-6-2002
Plainte du Conseil des Canadiens avec déficiences contre VIA Rail Canada Inc. : Production des contrats Alstom et Bombardier
Par lettre du 1er novembre 2001, le Conseil des Canadiens avec déficiences (CCD) demande que l'Office des transports du Canada (l'Office) prenne un arrêté en vue de la production des contrats Alstom et Bombardier, qui sont en possession de VIA Rail Canada Inc. (VIA). Dans sa décision no LET-AT-R-442-2001 du 9 novembre 2001, l'Office a fixé les délais dans lesquels VIA devait présenter ses observations et le CCD, sa réponse.
Dans les décisions qu'il a rendues à ce jour, bien qu'il se soit penché sur la question de la divulgation des contrats Alstom et Bombardier, l'Office n'a pas ordonné leur production. Dans sa décision la plus récente, soit la décision no LET-AT-R-377-2001 du 15 août 2001, il a déclaré que l'argument du CCD selon lequel VIA pouvait s'appuyer sur ces contrats pour justifier une défense invoquant le caractère indu était prématuré. Il a déclaré également qu'il n'avait pas encore commencé à s'interroger sur la question de savoir si les voitures Nightstock (Renaissance) constituent un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. Il a conclu que le CCD ne l'avait pas convaincu que les contrats en question étaient pertinents pour déterminer s'il existe un tel obstacle abusif en vertu de l'article 172 de la Loi sur les transports au Canada (LTC).
Dans sa lettre du 1er novembre 2001, le CCD fait valoir que l'Office, dans sa décision no LET-AT-R-377-2001 du 15 août 2001, a énoncé les conditions préalables à un arrêté qui lui donnerait accès aux contrats Alstom et Bombardier. Il est d'avis qu'étant donné que VIA, dans sa lettre du 25 octobre 2001 relative aux voitures Renaissance, a soulevé le coût excessif de l'élimination des obstacles abusifs, lesdites conditions préalables touchant les voitures en question ont été remplies, et le CCD a droit par conséquent à un arrêté exigeant la production des contrats Alstom et Bombardier.
La lettre de VIA du 25 octobre 2001, à laquelle le CCD fait référence, était la réponse de cette dernière à une question soulevée par le CCD à la réunion et à l'inspection des voitures Renaissance, le 20 septembre 2001. En bref, VIA alléguait dans cette lettre que l'élargissement des portes à 32 pouces dans la voiture de restauration, et l'agrandissement du point d'immobilisation de fauteuil roulant dans les voitures-coaches, occasionneraient une dépense constituant un fardeau excessif.
Dans sa réponse du 15 novembre 2001, VIA s'oppose à la production des contrats et allègue qu'en ce qui a trait à Alstom et Bombardier, les conditions stipulées dans ces contrats sont hautement confidentielles, et que les renseignements sont délicats au point de vue commercial. Elle fait valoir que ces conditions n'ont rien à voir avec la plainte du CCD, la réponse de VIA et les délibérations de l'Office. En outre, elle indique que le CCD a d'ores et déjà été mis au courant du total des frais relatifs aux voitures et aux pièces, et du travail qui sera effectué par Bombardier. Elle indique que le coût estimatif total de la mise en service des voitures au Canada sera de 125 à 130 millions de dollars.
Dans sa réponse du 20 novembre, le CCD allègue que dans la décision no LET-AT-R-377-2001, l'Office a tranché en indiquant que lorsque VIA soulèverait la question du caractère excessif des frais occasionnés par la mise en oeuvre de solutions de rechange pour éliminer les obstacles à l'accessibilité des personnes ayant des déficiences, la pertinence des contrats serait établie, et leur présentation autorisée. De l'avis du CCD, VIA a maintenant soulevé la question du caractère excessif.
Dans sa réponse, le CCD fait référence aux demandes de renseignements du 15 novembre 2001 qu'il a adressées à VIA. Il estime que si cette dernière ne rend pas ses trains Renaissance accessibles aux personnes ayant une déficience en satisfaisant aux exigences de base en matière d'accès qui visent la largeur des portes, les endroits où les personnes en fauteuil roulant peuvent faire demi-tour, les attaches ou fixations de fauteuil roulant et la sécurité, les trains en question devront être renvoyés à leur fabricant. Il fait valoir qu'il a le droit de savoir quelle amende VIA doit payer à la société Alstom au cas où les trains seraient jugés non conformes aux exigences canadiennes en matière d'accessibilité. Il prétend en outre qu'il a le droit de savoir si cette amende résulte de la décision de VIA de faire venir les trains au Canada et d'en amorcer le processus de modification avant même de donner à l'Office l'occasion de se prononcer sur leur accessibilité. Il affirme enfin qu'il a droit à des renseignements comparables au sujet du contrat Bombardier. Il est d'avis que lorsque VIA a conclu ce dernier, elle se rendait parfaitement compte qu'elle pourrait se voir enjoindre de le produire dans le cadre des procédures.
Le CCD allègue qu'il respectera les conditions de tout arrêté de non-divulgation imposé par l'Office au sujet des contrats, et il demande à avoir accès à la preuve qui, à son avis, est le renseignement le plus pertinent sur la question du caractère excessif ou indu. Il fait valoir qu'il a besoin de cette preuve pour que ses experts puissent prouver ce caractère indu, et que sans elle, il n'aura plus l'occasion de présenter des documents éclairés sur la question principale en litige. Il ajoute que l'Office sera privé lui aussi de l'opinion d'experts sur les incidences des contrats. Dans l'intérêt de la justice et en toute équité pour les parties, il soutient que le temps est venu de divulguer ceux-ci.
Le CCD allègue que VIA ne s'est pas conformée au paragraphe 11(3) des Règles générales de l'Office national des transports (les Règles générales), en ce sens qu'elle n'a même pas prétendu que tous les documents, à l'exception de certaines parties, devaient continuer à être tenus confidentiels. VIA n'a pas indiqué si elle s'opposait à ce que soit versée au dossier public une version abrégée des documents, ou une partie d'entre eux. Le CCD déclare que VIA a par conséquent adopté une méthode « tout ou rien » qui prive l'Office de toute occasion d'élaborer un arrêté de divulgation qui permettrait au CCD d'avoir accès à au moins une partie des documents en question. Il fait valoir en outre que VIA n'a pas expliqué pourquoi la confidentialité est nécessaire dans le cas d'un achat n'ayant pas fait l'objet d'un appel d'offres mais faisant appel à l'argent des contribuables.
Le CCD conclut en alléguant que VIA a négligé de préciser le préjudice direct qui l'emporterait sur l'intérêt public en matière de divulgation des contrats.
À la lumière des nouveaux arguments juridiques soulevés par le CCD dans sa réponse du 20 novembre 2001, l'Office, dans la décision no LET-AT-R-461-2001 du 27 novembre suivant, a donné à VIA jusqu'au 30 novembre pour lui faire ses observations, le cas échéant, en réaction à la réponse du CCD.
Le 30 novembre 2001, VIA a présenté les observations en question. Elle s'est fondée sur les parties appropriées de la décision antérieure no LET-AT-R-377-2001 de l'Office, datée du 15 août 2001 et à l'appui de sa position selon laquelle le CCD a méjugé de la nature de cette décision. Elle se réfère également aux documents qu'elle a présentés respectivement le 17 janvier, le 13 juillet et le 15 novembre 2001 pour étayer son opposition à la production des contrats.
Plus précisément, VIA fait valoir que les demandes de renseignements du CCD sont tout simplement des questions qui ne justifient pas celui-ci de demander la divulgation des contrats Alstom et Bombardier. À son avis, les réponses à ces demandes de renseignements indiquent que ces contrats n'ont rien à voir avec toute détermination de l'existence d'un obstacle abusif. De toute façon, elle affirme qu'ils sont hautement confidentiels et que toute utilité qu'ils pourraient avoir pour le CCD est supplantée par l'importance de maintenir leur confidentialité.
VIA répète son argument selon lequel la question du caractère indu peut-être analysée pleinement grâce aux renseignements à la disposition du CCD, sans que celui-ci ait accès aux contrats, de sorte que le CCD n'est privé d'aucune occasion de présenter des documents éclairés à cause de la décision antérieure de l'Office de ne pas divulguer lesdits contrats.
VIA indique également que rien dans le document présenté par le CCD le 15 novembre 2001 ne modifie les faits à la disposition de l'Office lorsqu'il a rendu sa décision antérieure. C'est pourquoi elle estime que l'Office est justifié de ne pas revenir sur cette décision et qu'il doit, à un moment donné, adopter le principe selon lequel une décision antérieure au sujet de la même affaire, fondé sur les mêmes faits, ne devrait pas être modifiée.
VIA rejette l'argument du CCD selon lequel il n'est pas convaincu que la justice et l'équité ont été respectées, et elle maintient sa position antérieure qui veut qu'elle ait donné à ce dernier tous les renseignements qu'elle possédait, lorsque cela était approprié et justifié. En tout cas, VIA s'oppose à la divulgation des contrats ou de quelque partie que ce soit de ces derniers, et rejette l'argument du CCD au sujet de l'argent des contribuables, en alléguant qu'il n'apporte rien au dossier.
VIA indique que le CCD a défendu son point de vue en public, qu'il a émis des communiqués de presse et fait des déclarations avec lesquelles elle est fondamentalement en désaccord, et sur des questions qui sont soit de la compétence de l'Office, soit tenues par ce dernier pour dépasser sa compétence.
VIA conclut en alléguant que l'Office ne devrait pas modifier sa décision antérieure, qu'il n'y a aucun fait nouveau ni aucune question nouvelle qui pourrait même inciter l'Office à amorcer une révision, et, en tout cas, que les contrats n'ont rien à voir avec les délibérations de ce dernier. Elle fait valoir que le CCD a tous les renseignements nécessaires pour faire ses exposés, et que l'Office devrait par conséquent rejeter sa demande de production des contrats.
Analyse
Dans sa décision no LET-AT-R-377-2001, l'Office a rejeté la demande du CCD en vue de la production des contrats Alstom et Bombardier. Il a déclaré que jusqu'à ce que VIA lui ait fourni une copie du plan faisant état des caractéristiques en matière d'accessibilité, et qu'il ait procédé à son inspection des voitures de chemin de fer, on ne pourrait pas dire qu'il a pris en compte la question du « caractère indu ». C'est pourquoi il n'a pas énoncé les conditions auxquelles il ordonnerait la divulgation des contrats Alstom et Bombardier à la lumière de l'argument du CCD au sujet des conditions préalables énoncées dans sa décision no LET-AT-R-377-2001, et il n'a pas déclaré non plus que ces contrats seraient divulgués au CCD dès que VIA aurait déposé les plans des voitures Renaissance et qu'il aurait effectué son inspection des trains. L'Office réagissait à l'hypothèse erronée du CCD selon laquelle l'Office avait d'ores et déjà amorcé son analyse de la question de l'« obstacle abusif ».
Demande actuelle
Dans sa troisième demande, le CCD allègue qu'étant donné que VIA invoque pour sa défense le coût excessif de l'élargissement des portes à 32 pouces à bord de la voiture de restauration, ainsi que de l'agrandissement de l'espace pour les attaches ou fixations de fauteuil roulant à bord des voitures-coaches, les contrats Alstom et Bombardier devraient être divulgués.
Comme nous l'avons vu, le CCD estime que la décision no LET-AT-R-377-2001 de l'Office, datée du 15 août 2001, énonce les conditions préalables de la prise d'un arrêté lui donnant accès aux contrats Alstom et Bombardier, et que celles-ci ont maintenant été remplies. Même si cette décision répondait à la demande de divulgation des deux contrats faite par le CCD, elle ne fixait pas de conditions préalables à cette divulgation. En substance, l'Office a déclaré que jusqu'à ce que VIA lui ait fourni une copie du plan faisant état des caractéristiques en matière d'accessibilité, et qu'il ait effectué son inspection des voitures de chemin de fer, on ne pourrait pas dire qu'il a pris en compte la question du « caractère indu ».
En vertu de l'alinéa 11(12) des Règles générales, les facteurs à examiner pour décider s'il faut divulguer un document confidentiel sont la pertinence de ce dernier et le préjudice direct qui résulterait de cette divulgation.
Les documents présentés par le CCD au sujet de la divulgation des contrats, ainsi que les demandes de renseignements qu'il a présentées, font voir qu'une raison principale de la demande de divulgation est le calcul des frais que VIA devrait supporter si jamais l'Office déterminait, après avoir conclu éventuellement à l'existence d'un obstacle abusif, que les trains doivent être renvoyés à leur fabricant. Le CCD se demande si l'achat peut être annulé et, dans l'affirmative, à quel prix. Il allègue que cela a tout à voir avec son opinion selon laquelle advenant l'impossibilité pour VIA de rendre les trains accessibles aux personnes ayant une déficience, elle devrait renvoyer les trains à leur fabricant.
En vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, le mandat de l'Office, dans la présente affaire, consiste à préciser si les particularités des voitures Renaissance font en sorte qu'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. Si l'Office conclut à l'existence de tels obstacles, il a le pouvoir, aux termes du paragraphe 172(3) de la LTC, d'ordonner la prise de mesures correctives pour éliminer ces obstacles. Selon les circonstances d'une demande présentée à l'Office, les mesures correctives ordonnées par celui-ci pourraient comprendre l'élaboration de programmes de formation, l'installation d'un matériel caractérisé par son accessibilité, et la prestation de services aux personnes ayant une déficience. Mais dans ce cas, on ne peut prévoir que l'Office, en ordonnant des mesures correctives, enjoindrait à VIA d'annuler les contrats ou de renvoyer les trains comme le CCD semble le lui demander. Si jamais l'Office devait conclure à des obstacles abusifs et ordonner des mesures correctives, il appartiendrait à VIA de décider si elle mettrait en oeuvre ces dernières ou les correctifs contractuels qu'elle jugerait appropriés.
Le CCD demande également que les contrats soient produits pour permettre à ses experts d'établir la preuve et d'avoir l'occasion de présenter des documents éclairés sur l'enjeu principal, soit le caractère indu. L'Office est d'avis que le CCD et ses experts peuvent lui faire part de leurs arguments à savoir si les particularités des trains Renaissance constituent des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience, sans divulgation des contrats.
L'Office rappelle aux deux parties que les coûts ne sont qu'un des nombreux facteurs qui entrent en ligne de compte dans l'analyse d'un obstacle abusif. (VIA Rail Canada Inc. c. l'Office national des transports et M. Jean Lemonde, dossier no A-507-96, 10 octobre 2000). Par conséquent, on ne saurait dire que chaque fois que VIA invoque le coût d'une caractéristique donnée en matière d'accessibilité pour justifier financièrement le caractère indu comme moyen de défense, elle le fait en se reportant au prix d'achat des trains Renaissance ou au contrat de services qu'elle a conclu avec Bombardier. Mais si l'Office, en examinant les arguments définitifs avancés par les deux parties, conclut que VIA se réfère directement ou indirectement à toutes données financières de l'un ou l'autre des contrats pour s'opposer aux assertions du CCD sur la question de savoir si les trains comportent des obstacles abusifs pour les personnes ayant une déficience, il décidera, de sa propre initiative, s'il va ordonner la divulgation des contrats, ou de n'importe laquelle de leurs parties, au CCD. Mais pour le moment, l'Office estime que les deux contrats n'ont aucun rapport avec la détermination de l'existence d'un obstacle abusif aux termes de l'article 172 de la LTC.
Conclusion
L'Office rejette la demande du CCD en vue de la production des contrats Alstom et Bombardier.
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