Lettre-décision n° LET-R-189-2006

le 13 juillet 2006

Demandes déposées par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada pour obtenir l'autorisation, aux termes de l'article 98 de la Loi sur les transports au Canada,, de construire un embranchement de 660 mètres à partir du point milliaire 0,84 de l'épi Farewell, prenant naissance à la traverse de pointe [point milliaire] 299,83 de la subdivision Kingston à Oshawa, en Ontario, ainsi que l'autorisation, aux termes de l'article 101 de la Loi sur les transports au Canada, de construire un franchissement routier sur l'épi proposé, sur le chemin Harbour.

No de référence : 
R8050/495-S00.84A

La présente lettre fait suite à la lettre de la Ville d'Oshawa (la Ville), datée du 5 juin 2006. Dans sa lettre, la Ville demandait à l'Office des transports du Canada (l'Office) de suspendre les demandes de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) jusqu'au règlement des litiges en cours entourant les titres fonciers. La Ville demandait également à l'Office de lui permettre, tel qu'elle l'avait demandé le 27 juin 2006, de déposer d'autres observations concernant le bien-fondé des demandes de CN.

Questions

L'Office doit déterminer s'il y a lieu de suspendre les demandes de CN en attendant le règlement des questions entourant la possession des terres où l'épi Farewell est situé, la possession des terres où le nouvel épi sera construit, le droit de passage nécessaire à sa construction sur le chemin Harbour et les répercussions éventuelles du projet sur les activités futures de planification pour la région portuaire. L'Office doit également déterminer si la Ville peut déposer des commentaires additionnels sur le bien-fondé des demandes.

Positions des parties

La Ville fait valoir que les demandes de CN sont prématurées. Elle demande à l'Office de suspendre les demandes en attendant le règlement des questions entourant la possession des terres où l'épi Farewell est situé, la possession des terres où le nouvel épi sera construit, le droit de passage nécessaire à sa construction sur le chemin Harbour et les répercussions éventuelles du projet sur les activités futures de planification pour la région portuaire.

La Ville affirme que les terres qui devaient accueillir l'épi Farewell ont été achetées par CN selon une entente conclue avec elle en 1972. Dans une disposition de cette entente, la Ville se réservait l'option de racheter les terres en question si elles cessaient de servir à l'exploitation du chemin de fer. Cette disposition a également été intégrée à l'acte de cession de 1976 par lequel la Ville a cédé les terres à CN.

Selon la Ville, CN a tort lorsqu'elle affirme que la Commission portuaire d'Oshawa (CPO) possède la majorité des terres sur lesquelles elle désire construire l'épi proposé. En effet, la Ville a cédé ces terres à Sa Majesté du chef du Canada en vertu de l'acte de cession de 1966, qui comportait une mise en garde : CPO devait utiliser les terres à des fins portuaires. La Ville fait valoir qu'aucune des terres où on se propose de construire l'épi proposé n'est utilisée « à des fins portuaires ».

La Ville affirme que la demande de CN de construire un nouveau franchissement routier à niveau sur le chemin Harbour est prématurée, car CN ne détient pas les droits de propriété nécessaires, sous forme de servitude ou de droit de passage, à l'égard du chemin Harbour. La Ville est d'avis que l'article 101 n'a pas pour but de faciliter la construction d'un chemin de fer et que ledit chemin de fer doit être construit ou approuvé pour qu'on puisse construire un franchissement routier.

La Ville affirme que l'Office n'a pas compétence pour statuer sur les droits de propriété.

De plus, la Ville fait valoir qu'il est actuellement prématuré de se prononcer sur le bien-fondé des demandes de CN en ce qui a trait aux questions environnementales et à la planification. La Ville a dégagé un certain nombre de problèmes et de préoccupations en lien avec l'épi proposé. Selon elle, ces questions pourraient avoir une incidence sur la planification à long terme dans la zone. De plus, elles n'auraient pas fait l'objet d'une attention adéquate dans le rapport d'examen environnemental préalable.

CPO fait valoir qu'aucun sursis ne devrait être accordé, car il appartient aux tribunaux de trancher la question des droits réels immobiliers de la Ville. Elle affirme que la suspension de la procédure de l'Office ne pourrait que nuire aux intérêts des tiers qui utilisent le port. S'il s'avère, dans le futur, que la Ville possède des droits réels immobiliers, l'épi de chemin de fer peut être retiré.

CN fait valoir que les questions soulevées par la Ville ne sont pas pertinentes dans le cadre de l'examen de sa demande par l'Office. CN affirme que l'argument de la Ville est sans bien-fondé.

CN affirme que l'épi Farewell n'est pas une ligne abolie qui ne sert plus à l'exploitation du chemin de fer. CN ajoute que seuls les tribunaux, et non l'Office, peuvent statuer sur la question du droit de la Ville à l'égard des terres assorties d'une mise en garde en vertu de l'acte de cession de 1966.

CN fait valoir qu'elle a déposé une demande auprès de l'Office conformément à l'article 101 de la Loi sur les transports au Canada (ci après la LTC) concernant le franchissement routier du chemin Harbour pour parer à l'éventualité qu'il ne soit pas possible de conclure une entente négociée. CN affirme qu'elle poursuit de bonne foi ses négociations avec la Ville pour conclure une entente. CN affirme également que le paragraphe 101(3) a précisément pour but de permettre aux compagnies de chemin de fer et aux administrations routières de faire appel à l'autorité de l'Office pour autoriser la construction d'un franchissement si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur ce point.

La Ville fait valoir, dans sa réplique aux réponses de CN et de CPO, que l'Office n'a pas compétence pour statuer sur les demandes avant que les points en litige ne soient résolus. La Ville demande à l'Office de suspendre la procédure. La Ville croit également que si l'Office devait déterminer qu'il a compétence sur cette question, elle devrait avoir la possibilité de fournir des observations additionnelles sur le bien-fondé des demandes de CN.

La Ville affirme que les dispositions de la LTC ne sont pas applicables aux droits contractuels que lui confèrent l'acte de cession de 1976 et l'entente de 1972.

Analyse et constatations

Demande de sursis

L'Office a déjà établi dans un certain nombre de dossiers qu'il incombe à la partie requérante qui désire obtenir un sursis ou un arrêté provisoire de prouver que la question sur laquelle il faut statuer est sérieuse, qu'elle-même risque de subir un préjudice irréparable si le redressement recherché n'est pas accordé et que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur.

Dans le cas présent, la Ville demande, entre autres choses, la suspension de la demande de CN aux termes de l'article 98 de la LTC. La Ville justifie sa requête en affirmant qu'elle est la propriétaire bénéficiaire de la majorité des terres sur lesquelles l'épi Farewell est situé ainsi que des terres assorties d'une mise en garde sur lesquelles CN veut construire l'épi proposé. Elle ajoute que l'Office n'a pas le pouvoir « d'autoriser CN à réactiver l'épi Farewell » [traduction] avant que ces questions n'aient été tranchées.

La demande dont l'Office est saisi ne vise pas la « réactivation » de l'épi Farewell, mais bien l'obtention d'un arrêté autorisant la construction d'un embranchement de 660 mètres à Oshawa (Ontario) à partir du point milliaire 0,84 de l'épi Farewell, prenant naissance à la traverse de pointe 299.83 de la subdivision Kingston jusqu'au port d'Oshawa.

L'article 98 de la LTC prévoit entre autres choses que :

98. (1) La construction d'une ligne de chemin de fer par une compagnie de chemin de fer est subordonnée à l'autorisation de l'Office.

(2) Sur demande de la compagnie, l'Office peut accorder l'autorisation s'il juge que l'emplacement de la ligne est convenable, compte tenu des besoins en matière de service et d'exploitation ferroviaires et des intérêts des localités qui seront touchées par celle-ci.

L'exigence selon laquelle une compagnie de chemin de fer doit déposer une demande auprès de l'Office pour faire autoriser la construction d'une ligne de chemin de fer a deux objectifs principaux. En premier lieu, elle oblige la compagnie de chemin de fer à prouver que l'emplacement de la ligne est convenable, compte tenu des besoins en matière de service et d'exploitation ferroviaires et des intérêts des localités qui seront touchées par celle-ci. En second lieu et conformément au paragraphe 5(1) de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (LCEE), elle oblige la compagnie de chemin de fer à prouver que les travaux ferroviaires n'auront pas d'effets nuisibles importants sur l'environnement.

Dans le cas qui nous occupe, il est très important de noter que l'article 98 de la LTC ne constitue pas une procédure d'expropriation. En effet, cet article ne donne pas à une compagnie de chemin de fer la propriété ou la propriété bénéficiaire des terres sur lesquelles la ligne proposée passera. Tel qu'il a été mentionné ci-dessus, l'Office n'autorise, en vertu de l'article 98 de la LTC, que l'emplacement de la ligne proposée et s'assure que la compagnie de chemin de fer respecte les exigences de la LCEE. Dans l'éventualité où la compagnie de chemin de fer n'est pas la propriétaire ou la propriétaire bénéficiaire de la terre sur laquelle la ligne proposée passera, elle peut faire l'acquisition de ce droit de propriété par l'entremise d'une entente privée ou en faisant une demande d'expropriation au ministre des Transports aux termes de l'article 4.1 de la Loi sur l'expropriation.

La question de la propriété ou de la propriété bénéficiaire des terres sur lesquelles on veut construire la ligne de chemin de fer proposée n'est donc pas pertinente lorsqu'il est question d'une demande d'autorisation en vertu de l'article 98 de la LTC. En fait, on pourrait s'attendre à ce que la compagnie de chemin de fer obtienne l'autorisation de l'Office à propos de l'emplacement de la ligne avant d'acquérir, au moyen d'une entente privée ou d'une demande déposée auprès du ministre des Transports aux termes de la Loi sur l'expropriation, les terres sur lesquelles elle prévoit construire la ligne de chemin de fer.

Par conséquent, même si l'Office autorisait la construction de l'épi Farewell à l'endroit indiqué par CN dans sa demande, la compagnie serait encore tenue de s'assurer qu'elle détient tous les droits de propriété nécessaires pour construire la ligne de chemin de fer à cet endroit. De plus, si la Ville ou tout propriétaire privé touché est d'avis que CN ne possède pas lesdits droits de propriété, il a la possibilité de réclamer les redressements appropriés auprès d'un tribunal civil.

À la lumière de ce qui précède, en rappelant que la question de la propriété ou de la propriété bénéficiaire n'est pas pertinente lorsqu'il s'agit d'accorder une autorisation aux termes de l'article 98 de la LTC et que la poursuite de la procédure ne nuira pas aux droits de la Ville à l'égard des terres visées par la demande de CN, l'Office conclut que la Ville n'a pas réussi à s'acquitter du fardeau de la preuve pour obtenir la suspension de la présente procédure.

La Ville, note l'Office, a également fait valoir que la demande de CN effectuée aux termes de l'article 101 de la LTC et concernant la construction d'un franchissement à niveau sur le chemin Harbour est prématurée, car la compagnie ne possède pas de droits de propriété à l'égard de ce chemin.

L'argument de la Ville concernant le caractère prématuré de la demande de CN visant la construction d'un franchissement routier est contraire à la nature de l'article 101 de la LTC. En effet, le paragraphe 101(3) de la LTC est précisément conçu pour s'appliquer aux situations dans lesquelles l'administration routière et la compagnie de chemin de fer n'arrivent pas à s'entendre sur la construction d'un franchissement routier qui traverserait la propriété de la partie principale. Le paragraphe 101(3) permet donc à une compagnie de chemin de fer ou, le cas échéant, à une administration routière, de demander à l'Office d'autoriser la construction d'un franchissement en travers d'une emprise ferroviaire ou routière. Le paragraphe 101(3) prévoit que :

(3) L'Office peut, sur demande de la personne qui ne réussit pas à conclure l'entente ou une modification, autoriser la construction d'un franchissement convenable ou de tout ouvrage qui y est lié, ou désigner le responsable de l'entretien du franchissement.

CN, note l'Office, a indiqué qu'elle poursuivait de bonne foi ses négociations avec la Ville pour conclure une entente à l'égard du franchissement du chemin Harbour, mais qu'elle demandait à l'Office d'autoriser, aux termes du paragraphe 101(3), la construction du franchissement pour parer à l'éventualité d'un échec des négociations. L'Office encourage fortement les parties à conclure une entente mutuellement satisfaisante sur le franchissement du chemin Harbour. Par contre, sans la notification à l'Office d'une entente entre les parties, ce dernier exercera sa compétence et rendra une décision aux termes du paragraphe 101(3) de la LTC.

L'Office note également que la Ville a dégagé un certain nombre de problèmes et de préoccupations entourant l'épi proposé, des questions qui pourraient avoir une incidence sur la planification à long terme dans la zone visée et qui, toujours selon la Ville, n'ont pas été suffisamment explorées dans le cadre du rapport d'examen environnemental préalable. L'Office indique qu'il examinera toute question concernant le rapport d'examen environnemental préalable pour rendre une décision en vertu de l'article 20 de la LCEE.

Demande d'autorisation du dépôt de commentaires additionnels

Dans sa réplique aux réponses de CPO et de CN concernant sa demande de sursis datée du 27 juin 2006, la Ville a affirmé qu'elle devrait avoir la possibilité de présenter d'autres observations sur le bien-fondé des demandes de CN.

Dans sa décision no LET-R-129-2006 datée du 15 mai 2006, l'Office a donné à la Ville jusqu'au 15 juin 2006 pour déposer une intervention relative à la demande de CN. Au moment du dépôt de sa demande de sursis du 5 juin 2006, la Ville s'est expressément réservé le droit de déposer d'autres observations sur le bien-fondé des demandes de CN auprès de l'Office au plus tard le 15 juin 2006, conformément au délai consenti par l'Office dans sa décision no LET-R-129-2006.

Une lettre datée du 12 juin 2006 a établi les directives procédurales pour l'audition de la demande de sursis de la Ville. Les parties pouvaient également y lire le rappel suivant :

On rappelle aux parties que nonobstant la demande de sursis de la ville d'Oshawa, cette dernière a jusqu'au 15 juin 2006 pour déposer ses commentaires sur les demandes. [Traduction]

Or, la Ville a omis de déposer des commentaires additionnels, ou décidé de ne pas le faire, concernant les demandes de CN en respectant l'échéance du 15 juin 2006. La Ville a également omis de présenter avant le 15 juin 2006, ou décidé de ne pas le faire, une demande de prolongation du délai pour déposer des commentaires. Le 27 juin 2006, CN a déposé, à l'intérieur du délai qui lui avait été accordé, sa réplique à toutes les interventions reçues sur le bien-fondé de ses demandes. En termes simples, la réception de la réplique de CN le 27 juin 2006 a mis un terme aux actes de procédure sur le bien-fondé des demandes de CN.

Comme la Ville n'a pas fourni de motifs ou de justifications à l'appui de sa demande de réouverture des actes de procédure ou de sa décision de ne pas présenter de commentaires avant le ou le 15 juin 2006, l'Office ne l'autorise pas à déposer des observations additionnelles concernant le bien-fondé des demandes de CN.

Conclusion

À la lumière de ce qui précède, l'Office rejette par les présentes la demande de sursis et la demande d'autorisation du dépôt de commentaires additionnels sur le bien-fondé des demandes de CN présentées par la Ville.

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