Accessibilité et reprise : Éliminer les obstacles aux déplacements des voyageurs handicapés à mesure que le secteur du transport aérien reprend son essor

Accessibility and recovery: Breaking barriers to travellers with disabilities as aviation rebuilds

Discours du président et premier dirigeant lors du symposium mondial de l’IATA sur l’accessibilité – 27 octobre 2020

Le secteur du transport aérien traverse sa plus grave crise depuis le premier vol commercial international, il y a un siècle.

Ce premier vol commercial a été exploité par Aeromarine Airways, compagnie qui a lancé un service entre Key West, en Floride, et diverses destinations dans les Caraïbes, en 1920. C’était tout un exploit, et la flotte de la compagnie était impressionnante pour l’époque. Cependant, après trois ans d’exploitation, Aeromarine a fermé ses portes en raison de pertes financières.

Le secteur du transport aérien a toujours eu un parcours semé d’importantes expansions et de ralentissements marqués, volant parfois à plein régime grâce aux forts vents arrière et étant à d’autres moments secoué par des tempêtes indépendantes de sa volonté.

La plus importante tempête à ce jour est sans aucun doute l’effondrement causé par la pandémie de COVID-19. Le ciel s’est assombri pour l’industrie, car une grande partie de la population mondiale ne voyage plus par avion. L’ampleur de la mise au rencart des aéronefs, des licenciements d’employés et de la chute des valeurs des compagnies aériennes cotées en bourse éclipse tout ce que l’industrie a vécu dans le passé.

Mais après la nuit vient l’aube. Bien que de nombreuses compagnies aériennes ont frôlé la faillite, peu d’entre elles sont tombées jusqu’à présent, en partie grâce aux mesures gouvernementales. Et certains secteurs de l’industrie montrent de premiers signes d’une tentative de reprise.

Les difficultés actuelles ne sont pas de nature structurelle, mais sont plutôt la conséquence d’un facteur précis et temporaire : la propagation rapide d’un virus qui peut être transmis par des personnes asymptomatiques et avoir des conséquences graves, voire mortelles. Le jour viendra où un vaccin ou une combinaison de tests, de traçages et de traitements généralisés permettra d’endiguer la pandémie. Et quand ce jour viendra, la demande refoulée pour les voyages se transformera en une résurgence du secteur du transport aérien.

La question est de savoir à quoi ressemblera le secteur à l’avenir. En quoi son mode de fonctionnement et ses services changeront-ils par suite de cette douloureuse interruption? Les compagnies aériennes profiteront-elles de ce temps d’arrêt forcé et en sortiront-elles plus fortes et meilleures qu’avant? Saisiront-elles cette occasion de se renouveler et se reconstruire de manière à rehausser leur réputation, leur crédibilité et leur intérêt commercial pour des publics eux-mêmes frappés par les événements des huit derniers mois?

On discute déjà de la nécessité pour l’industrie d’intégrer des facteurs environnementaux dans son processus de reprise des activités. Je suggérerais que la même importance soit accordée à la création d’une expérience de vol inclusive et, plus particulièrement, à garantir que le transport aérien soit accessible aux personnes handicapées.

Pourquoi l’accessibilité?

Il existe deux arguments de base pour intégrer l’accessibilité dans le processus de reprise des activités : la décence élémentaire et le rendement des investissements.

Commençons par la décence. Chacun de nous connaît une personne handicapée, que ce soit un grand-parent, un parent, un frère ou une sœur, un enfant, un collègue, un voisin ou un ami. De plus, nous sommes nombreux à avoir des handicaps. Un handicap ne nous exclut pas de la normalité. Cela signifie simplement qu’une personne, en raison de caractéristiques physiques ou mentales particulières, a des besoins précis.

Et puisqu’un handicap ne nous exclut pas de la normalité, les obstacles aux personnes handicapées ne sont pas inévitables. Des obstacles surviennent lorsque l’éventail complet des besoins humains n’est pas pris en compte lors de la conception, de la construction et de la modernisation de l’équipement et des installations, et lorsque les services sont planifiés et fournis. Ces obstacles disparaissent lorsque ces besoins sont comblés de façon appropriée.

Assurer l’accessibilité, c’est reconnaître la valeur et la dignité de chaque personne. Cela consiste à permettre à chacun de vivre dans l’autonomie et le choix. Cela consiste à respecter le droit fondamental à l’égalité d’accès.

Une personne âgée qui utilise un fauteuil roulant devrait pouvoir prendre un vol vers une autre ville pour assister à la remise des diplômes de sa petite-fille. Un routard sourd devrait recevoir les mêmes renseignements lors d’un exposé sur les mesures de sécurité que quelqu’un qui a la capacité d’entendre. Un adolescent qui a grandi dans une zone de guerre devrait pouvoir obtenir un siège dans un emplacement qui ne déclenche pas de réactions liées à son traumatisme. Une femme d’affaires aveugle ne devrait pas manquer une réunion parce que l’espace au sol est insuffisant pour son chien-guide.

Nous savons tous que ces choses sont importantes et, en principe, nous voulons nous assurer que les personnes handicapées sont en mesure de prendre l’avion. Mais s’engager à faire la bonne chose n’est que la première étape. La prochaine étape consiste à traduire cet engagement en mesures concrètes.

Lorsque nous prenons les mesures nécessaires, nous n’avons pas seulement la satisfaction de savoir que nous avons fait ce qu’il fallait et que nous avons rendu le monde meilleur, même si cela est souvent en soi un facteur de motivation suffisant. Nous récoltons également des avantages. Le rendement des investissements lorsque nous améliorons l’accessibilité est réel et durable.

À l’échelle mondiale, une personne sur cinq a un handicap. Certains handicaps sont permanents alors que d’autres sont temporaires. Certains handicaps sont visibles alors que d’autres sont invisibles. À mesure que la population vieillit, cette proportion augmente. Les obstacles à cause desquels il est difficile pour les personnes handicapées de prendre l’avion empêchent une part importante et croissante du marché de voyager par voie aérienne ‒ et, alors que l’industrie a du mal à se remettre d’un effondrement sans précédent de la demande pour ses services, elle ne peut pas se permettre de voir quelqu’un qui souhaite prendre l’avion rester cloué au sol.

L’accent mis sur l’accessibilité devrait donc faire partie intégrante des efforts déployés au cours de la période à venir pour restaurer la confiance et l’intérêt du public à l’égard du transport aérien. Lorsque l’objectif est d’avoir plus d’avions dans le ciel et plus de passagers à bord des avions, personne ne devrait être laissé pour compte à cause d’obstacles que nous avons la capacité d’éliminer.

Les éléments d’une stratégie

Que faut-il donc pour garantir l’accessibilité du transport aérien? Je suggérerais, selon l’expérience que j’ai acquise à l’Office des transports du Canada, l’OTC, que j’ai le privilège de diriger, qu’il y a cinq éléments clés à une stratégie globale pour faire progresser cet objectif.

Le premier élément ‒ et celui qui encadre les autres ‒ est l’adoption d’une optique « d’accessibilité universelle ». En gros, cela signifie qu’il faut réfléchir activement, à chaque étape, à la manière dont l’équipement, les installations et les services peuvent être rendus accessibles au plus grand nombre de personnes possible sans devoir prendre des mesures d’adaptation individuelles. Il arrivera cependant que de telles mesures doivent être prises. Mais plus nous nous rapprochons de l’accessibilité universelle, et plus les mesures d’adaptation individuelles deviennent l’exception et servent de mesures de protection plutôt que de mesures par défaut.

Nous devons concevoir en fonction de l’accessibilité. Bâtir en fonction de l’accessibilité. Former les employés sur l’accessibilité. Intégrer l’accessibilité à la planification, aux politiques et aux pratiques de la même façon que nous le faisons pour la sûreté et la sécurité.

Le deuxième élément d’une stratégie est un dialogue approfondi et permanent entre les exploitants, les organismes de réglementation et des personnes présentant divers handicaps. Une phrase souvent utilisée par la communauté des droits des personnes handicapées exprime bien cet impératif : « Ne faites rien pour nous sans nous ». Aucune personne ne comprend mieux les défis de voyager par avion en ayant un handicap ‒ et la façon dont ces défis peuvent être surmontés ‒ que les personnes qui ont vécu cette expérience. Le dialogue et la collaboration peuvent susciter des débats vigoureux entre des participants ayant des préoccupations et des expériences différentes; cependant, il ne s’agit pas d’argumentations, mais plutôt de discussions visant à cerner les vrais problèmes et à élaborer des solutions novatrices de manière collaborative.

Il est possible d’avoir des conversations fructueuses à l’aide du bon cadre et de conditions adéquates. À l’OTC, un comité consultatif permanent sur l’accessibilité comprenant plus de 30 représentants de l’industrie et des droits des personnes handicapées se réunit au moins une fois par an pour échanger de l’information et des idées, présenter des commentaires et nouer des liens. Il arrive que ces délibérations soient ponctuées d’étincelles, et parfois, ces mêmes étincelles ouvrent la voie à une meilleure compréhension et à des solutions plus efficaces.

Le troisième élément d’une stratégie d’accessibilité efficace est l’échange, l’apprentissage et la mise en œuvre systématiques de pratiques exemplaires. L’accessibilité, c’est la prise de mesures tangibles qui préviennent et éliminent les obstacles. L’expérimentation nous aide à déterminer les mesures les plus efficaces dans une situation donnée. Et l’expérience acquise au fil des années dans un contexte peut contribuer à la réalisation de progrès en quelques mois seulement dans d’autres contextes.

Pour faciliter cet échange et cet apprentissage, l’OACI a entrepris, de concert avec l’OTC, un projet visant à préparer un recueil de pratiques exemplaires puisées de partout dans le monde en matière de transport aérien accessible. Le recueil devrait être utile aux compagnies aériennes, aux organismes de réglementation et aux groupes de défense des droits des personnes handicapées. Bien que les progrès dans ce domaine aient été ralentis par la pandémie, on s’attend à ce que le recueil soit publié sur le site Web de l’OACI d’ici la fin de 2020.

Le quatrième élément d’une stratégie d’accessibilité est l’établissement de règles et de normes claires et détaillées. Les règles ne sont pas la solution à tous les problèmes et, dans le pire des cas, elles peuvent décourager l’innovation. Mais pour de nombreux problèmes ‒ en particulier lorsque nous disposons de suffisamment de données pour savoir ce qui fonctionne ‒ les règles apportent une certaine clarté, stimulent les progrès, réduisent les conflits et mettent tous les intervenants sur un pied d’égalité.

L’an dernier, l’OTC a finalisé le Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées du Canada. Ce règlement s’inspire de l’expérience et des pratiques exemplaires à l’échelle nationale et internationale, intégrant et actualisant deux anciens règlements et six codes volontaires en un seul instrument moderne et juridiquement contraignant. Ce fut une percée majeure. À peu près au même moment, le Parlement du Canada a donné à l’OTC le pouvoir de permettre aux compagnies aériennes et aux exploitants d’aérogares de prendre des mesures de rechange si celles-ci produisent des résultats équivalents ou meilleurs en matière d’accessibilité. De telles dispositions visant à « respecter ou à surpasser » nous aident à trouver un équilibre entre la création d’exigences claires et détaillées d’une part, et de laisser de l’espace pour la conception et la mise en œuvre d’approches novatrices d’autre part.

Toutefois, les règles contraignantes sont plus faciles à adopter à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale. Cela nous amène au cinquième et dernier élément d’une stratégie de transport aérien accessible : faire progresser des approches communes au-delà des frontières sur une base volontaire, sinon obligatoire. Les approches communes sont dans l’intérêt de tous. Pour les compagnies aériennes, elles réduisent la complexité et les coûts des étapes pour assurer l’accessibilité : mettre en application les mêmes mesures partout en matière de transport aérien est beaucoup moins compliqué que de devoir faire face à des attentes fragmentées et incohérentes entre les divers pays. Pour les passagers handicapés, les approches concertées leur évitent la confusion et la frustration qui peuvent résulter si les normes et les services liés à l’accessibilité diffèrent selon l’endroit où ils embarquent et l’endroit où ils débarquent. Après tout, un obstacle à une seule étape d’un voyage peut gâcher le voyage dans son ensemble ou même empêcher de le poursuivre. Et pour les organismes de réglementation, les approches communes éliminent le besoin de consacrer du temps et de l’énergie à réinventer la roue dans des domaines où il n’y a aucune justification à la mise en œuvre d’approches divergentes dans différents pays.

Des efforts visant à promouvoir l’adoption d’approches communes ont récemment été déployés par le groupe de travail international sur le transport aérien et les aides à la mobilité. Mis sur pied par l’OTC, ce groupe comprend des représentants de l’IATA, de l’OACI, de diverses compagnies aériennes, de services d’escale, de fabricants d’aides à la mobilité, d’organisations représentant les personnes à mobilité réduite et d’organismes de réglementation. Au cours d’une série de séminaires et d’appels, le groupe a examiné comment résoudre les problèmes liés à l’entreposage et au transport sécuritaire des fauteuils roulants. Ces problèmes ont pris de l’ampleur à mesure que les fauteuils roulants sont devenus plus grands et plus lourds, plus sophistiqués sur le plan technologique et plus personnalisés pour les utilisateurs. Il s’en est suivi un accord prévoyant la prise d’un certain nombre de mesures concrètes à court terme et l’identification de solutions à plus long terme aux fins d’étude ultérieure.

Parmi les mesures prises à court terme, mentionnons la création d’un passeport d’aide à la mobilité qui comprendrait des renseignements sur l’aide à la mobilité du titulaire, comme la marque, le numéro de série, le poids et les points d’arrimage, des instructions pour assurer une manipulation sécuritaire ainsi que les coordonnées du voyageur. Le principe est que ce document soit accepté et utilisé par toutes les compagnies aériennes, ce qui permettrait d’établir des pratiques uniformes à l’échelle de l’industrie et de faire en sorte que moins de fauteuils roulants soient endommagés ou égarés. L’IATA joue un rôle clé dans l’avancement de cette importante initiative.

Des solutions communes comme celle-ci relèvent du bon sens. Tout le monde bénéficiera de leur mise en œuvre.

Conclusion

Alors que je me prépare à conclure mes remarques et à répondre à vos questions, je tiens à dire que je suis conscient à quel point il peut être difficile, lorsqu’on est en mode survie, de poursuivre des objectifs à plus long terme et d’adopter une perspective globale.

Mais en ce qui concerne le transport aérien accessible, le moment présent est tout indiqué pour porter notre regard un peu plus haut et réfléchir à long terme. Dans quelques années, la pandémie sera terminée et les gens voyageront en bien plus grand nombre. Voulons-nous simplement restaurer l’ancien statu quo pour ce qui est de la capacité des personnes handicapées à prendre l’avion? Ou souhaitons-nous faire mieux?

L’intégration des points à prendre en compte en matière d’accessibilité dans le renouvellement du secteur du transport aérien est une mesure qui s’impose d’elle-même alors que l’élargissement de la clientèle et la maximisation des facteurs de remplissage représentent l’option la plus judicieuse. Une stratégie basée sur une optique d’accessibilité universelle, le dialogue entre l’industrie et les personnes handicapées, l’échange des pratiques exemplaires, l’établissement de règles claires et la mise en œuvre d’approches transfrontalières communes rendront le transport aérien beaucoup plus accessible pour chacun d’entre nous, les membres de notre famille, nos amis et nos collègues handicapés.

De la même façon que le secteur du transport aérien s’est remis des crises précédentes (des premiers trébuchements d’il y a cent ans aux répercussions du 11 septembre), il survivra à la crise actuelle. Cela ne fait aucun doute. Mais ce à quoi le secteur ressemblera quand il en émergera dépend de chaque personne participant à cet appel conférence. La période actuelle de regroupement peut être empreinte d’une mission à accomplir, pas seulement d’inquiétude, si nous réfléchissons attentivement à ce qui compte le plus et nous fixons des objectifs ambitieux. Au milieu de défis considérables, il y a une occasion extraordinaire de rendre le transport aérien accessible aux personnes handicapées aux quatre coins du globe. Saisissons cette occasion, ensemble.

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