Décision n° 100-C-A-2017
DEMANDE présentée par Farzana Mahida, au nom de son enfant mineur, contre Jet Airways (India) Limited (Jet Airways).
RÉSUMÉ
[1] Farzana Mahida a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) en vertu du paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié (RTA), concernant le refus allégué de Jet Airways de transporter son fils qui voyagerait non accompagné de Mumbai, en Inde, à Toronto (Ontario), Canada, en passant par Londres, Angleterre, le 21 août 2016.
[2] Mme Mahida réclame un remboursement de 1 520,05 $, soit un montant de 1 220,05 $ pour récupérer les dépenses qu’elle a engagées pour l’achat d’un nouveau billet pour son fils, et 300 $ de frais connexes pour « mineur non accompagné ».
[3] La question sur laquelle l’Office doit se pencher est de savoir si, devant le refus allégué de transport, Jet Airways a appliqué une condition qui n’était pas énoncée dans son tarif intitulé International Passenger Rules and Fares Tariff, NTA(A) No. 521 (tarif), contrevenant ainsi au paragraphe 110(4) du RTA.
[4] Pour les raisons énoncées ci-après, l’Office conclut que Jet Airways, en délivrant un billet qui contenait un segment de vol en partage de codes pour le transport d’un mineur non accompagné, a appliqué une condition qui n’était pas énoncée dans son tarif. De plus, l’Office conclut que la règle 25(IV)(1) du tarif de Jet Airways est imprécise, car elle n’énonce pas la politique du transporteur concernant l’acceptation de mineurs non accompagnés dans le cas de vols en partage de codes. En conséquence, l’Office ordonne à Jet Airways de :
- modifier la règle 25(IV)(1) de son tarif pour y inclure un énoncé indiquant que les mineurs non accompagnés ne seront pas acceptés à bord de vols en partage de codes;
- verser une indemnisation de 1 520 $ à Mme Mahida.
CONTEXTE
[5] Voici un résumé des faits décrits par Mme Mahida. Même si la demande a été envoyée à l’adresse courriel du défendeur, le défendeur n’a pas déposé de réponse à la demande.
[6] Mme Mahida a acheté un billet pour son fils alors âgé de huit ans pour un vol aller-retour avec Jet Airways, entre Toronto et Mumbai, en tant que mineur non accompagné. Au moment de l’enregistrement à Mumbai, on a refusé le transport au fils de Mme Mahida, car Air Canada, le transporteur exploitant du vol de correspondance de son fils entre Londres et Toronto, n’accepte pas les mineurs non accompagnés pour des vols en partance d’un point de correspondance. Jet Airways a tenté de réacheminer le fils de Mme Mahida à bord d’un autre vol de Jet Airways à destination de Toronto, mais ce vol était complet. Pour que son fils puisse retourner à Toronto, Mme Mahida a réservé un aller simple de dernière minute auprès de Lufthansa qui partait de Mumbai le lendemain, soit le 22 août 2016.
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
Partage de codes
[7] Le partage de codes est une entente dans le cadre de laquelle un transporteur aérien licencié fournit des services en vendant des services de transport en son nom (code) sur les vols effectués par un autre transporteur aérien.
[8] L’Office est chargé d’approuver les services exploités dans le cadre d’ententes de partage de codes. Cette responsabilité vise tous les exploitants licenciés de services aériens internationaux, à destination ou en provenance du Canada, pour le transport de passagers ou de marchandises effectué ensemble ou séparément.
[9] Dans la décision n° 12-A-2017, l’Office a autorisé Jet Airways à partager des codes pour qu’elle puisse vendre des vols entre l’Inde et le Canada en son propre nom à bord de vols exploités par Air Canada entre le Canada et le Royaume-Uni. Cette autorisation comprend une condition selon laquelle le transporteur qui vend le billet au passager doit appliquer ses tarifs publiés, déposés au dossier de l’Office et en vigueur, même si un autre transporteur exploite le vol.
[10] Dans le cas présent, l’itinéraire du fils de Mme Mahida prévoyait un segment de Londres à Toronto à bord d’un vol en partage de codes entre Jet Airways et Air Canada. Le billet du fils de Mme Mahida indique que Jet Airways a mis en marché le vol n° 9W5069 sous son code de transporteur, donc c’est le tarif de Jet Airways qui s’applique au cas présent.
LA LOI
[11] Le paragraphe 110 (4) du RTA exige que le transporteur aérien, dans le cadre de l’exploitation d’un service international, applique correctement les conditions de transport énoncées dans son tarif.
[12] Si l’Office conclut qu’un transporteur aérien n’a pas correctement appliqué son tarif, l’article 113.1 du RTA confère à l’Office le pouvoir d’accorder certains types de recours.
- de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées;
- de verser des indemnités à quiconque pour toutes dépenses qu’il a supportées en raison de la non-application de ces prix, taux, frais ou conditions de transport.
[13] L’alinéa 122c) du RTA prévoit que les tarifs doivent contenir les conditions de transport dans lesquelles est énoncée clairement la politique du transporteur aérien concernant au moins les éléments suivants :
[...]
ii. l’admission des enfants,
[14] La règle 25 (IV)(1) du tarif de Jet Airways énonce sa politique sur le transport de mineurs non accompagnés et prévoit ce qui suit :
[traduction]
[…]
(a) Sous réserve de dispositions préalables, et en plus des dispositions susmentionnées, Jet Airways accepte le transport intracompagnies d’enfants à condition qu’un siège ait été confirmé pour la destination ou le prochain lieu d’escale.
[…]
f. Un enfant non accompagné sera accepté à bord d’un vol intercompagnies conformément aux alinéas (1)(a) et (b) ci-dessus, sous réserve des conditions de transport du transporteur intercompagnies, et à condition que les frais de tels services, s’il y a lieu, imposés par le ou les transporteurs intercompagnies, soient payés directement au transporteur qui impose les frais avant le début du trajet.
POSITION DE MME MAHIDA ET CONSTATATIONS DE FAITS
[15] Mme Mahida fait valoir que, en respectant les procédures de la compagnie aérienne, elle a réservé un billet en ligne pour son fils de huit ans pour voyager avec Jet Airways, puis a appelé la compagnie aérienne pour les informer qu’il était un mineur non accompagné. Elle affirme qu’un membre du personnel a inscrit une note dans le dossier de son fils et a expliqué à Mme Mahida en quoi consistait le service visant les mineurs non accompagnés. Mme Mahida ajoute avoir été informée que les frais pour un mineur non accompagné devaient être payés à l’enregistrement avant chaque vol.
[16] Mme Mahida indique que lorsque le transport a été refusé à son fils, elle a eu une très longue conversation avec un membre de la direction de Jet Airways à Mumbai, et a demandé pourquoi sa réservation avait même été acceptée.
[17] Mme Mahida affirme avoir communiqué avec Jet Airways avant et pendant le voyage de son fils et que jamais personne ne l’a informée qu’il ne pourrait pas prendre le vol de retour réservé, ou que la réservation devait être changée. Elle affirme également que si elle avait été informée à tout moment de la complication avec la réservation de son fils, elle aurait eu amplement le temps de prendre de nouvelles dispositions de vol, au lieu que son fils se voie refuser l’embarquement au moment de l’enregistrement.
[18] Mme Mahida affirme que le refus de transport de son fils a causé des inconvénients et du stress aux membres de sa famille qui ont dû se dépêcher pour trouver un nouveau vol pour que son fils puisse retourner à la maison et que, ce faisant, ils ont dû passer la nuit à Mumbai.
[19] Mme Mahida fait valoir qu’elle ne remet pas en question les détails de la politique de Jet Airways, mais plutôt le fait de n’avoir reçu aucun avis ni avertissement que son fils ne pourrait pas prendre un vol en raison des restrictions de l’autre compagnie aérienne. Elle affirme que c’est un sentiment horrible pour un parent de savoir qu’on refuse l’embarquement à un enfant de huit ans, lequel s’attend à prendre un vol et à voir ses parents à l’issue de son voyage.
[20] Mme Mahida affirme avoir reçu un remboursement pour la portion inutilisée du billet de retour de son fils.
[21] À l’appui de demande, Mme Mahida a présenté l’itinéraire de son fils pour le vol de Lufthansa et son relevé de carte de crédit indiquant les montants facturés par Lufthansa pour le billet de son fils et les frais connexes pour mineurs non accompagnés.
Constatations de faits
[22] Comme Jet Airways n’a pas déposé de réponse à la demande, les faits et les preuves présentées par Mme Mahida ne sont pas contestés. Selon le dossier devant lui, l’Office constate les faits ci‑après.
[23] Le fils de Mme Mahida avait un billet confirmé avec Jet Airways pour prendre le vol n° 9W120 le 21 août 2016 de Mumbai à Londres, ensuite le vol n° 9W5069 de Londres à Toronto.
[24] La preuve démontre que Jet Airways a vendu à Mme Mahida un billet aller-retour pour son fils entre Toronto et Mumbai en sachant que l’enfant aurait le statut de mineur non accompagné. Les vols en partance qu’a pris le mineur non accompagné, de Toronto à Mumbai en passant par Amsterdam, ont été exploités sans incident par Jet Airways. Le segment du retour comportait un segment de vol exploité par Jet Airways de Mumbai à Londres, et un vol en partage de codes entre Jet Airways et Air Canada exploité par Air Canada, de Londres à Toronto.
[25] À Mumbai, Jet Airways a interdit au mineur non accompagné de prendre son vol vers Londres, car Air Canada, son partenaire en partage de codes, n’accepte pas à bord des vols qu’elle exploite des mineurs non accompagnés qui arrivent à bord d’un vol de correspondance exploité par un transporteur partenaire.
[26] Jet Airways est le transporteur qui a vendu à Mme Mahida le billet aller-retour pour son fils, en sachant qu’il voyagerait en ayant le statut de mineur non accompagné. De plus, Jet Airways est aussi celle qui a empêché le mineur non accompagné d’embarquer à bord de son vol à Mumbai en raison de son statut de mineur non accompagné.
[27] Mme Mahida a acheté un billet auprès de Lufthansa Airlines qui a permis à son fils de retourner à Toronto. Le coût de ce billet était 1 520,05 $, qui comprenait les frais pour « mineur non accompagné ».
ANALYSE ET DÉTERMINATIONS
[28] Les règles 25 (IV)(1)(c) et (f) du tarif de Jet Airways prévoient que Jet Airways acceptera de transporter des mineurs non accompagnés à bord de vols « intracompagnies » ou « intercompagnies » et, dans le cas d’un vol intercompagnies, ce sont les conditions du transporteur intercompagnies qui s’appliqueront.
[29] Les termes « intracompagnie » et « intercompagnies » ne sont pas définis dans la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifié, ni dans le RTA. Voici une traduction des deux termes définis dans la seconde édition du Compendium of International Civil Aviation, un recueil de l’aviation civile internationale de l’Association du transport aérien international :
Intracompagnie – terme générique utilisé avec un autre mot pour décrire le transport sur les lignes d’une seule et même compagnie aérienne.
Intercompagnies – terme générique utilisé avec un autre mot pour décrire tout ce qui fait intervenir deux compagnies aériennes ou plus.
[30] L’Office note que des transporteurs aériens intervenant dans le transport intercompagnies exploitent des vols en utilisant le nom (code) de leur propre compagnie aérienne, et appliquent leurs propres conditions de transport au segment de vol exploité avec leur code. Dans le cas présent, l’Office conclut que le trajet de retour du mineur non accompagné entre dans la définition de transport intercompagnies, puisque deux compagnies aériennes sont intervenues dans le transport, soit Jet Airways et Air Canada. Toutefois, contrairement au transport intercompagnies, le segment de vol exploité par Air Canada était codé au nom de Jet Airways, et les conditions de transport de Jet Airways s’appliquaient à l’ensemble du trajet, même si le vol entre Londres et Toronto était exploité par Air Canada. En conséquence, l’Office conclut qu’aucune des règles tarifaires 25 (IV)(1)(c) et 25 (IV)(1)(f) (cette dernière porte directement sur le transport intercompagnies) ne s’applique au transport de mineurs non accompagnés qui prennent des vols en partage de codes. En conséquence, l’Office conclut que Jet Airways, en vendant un billet qui contenait un segment de vol en partage de codes pour le transport d’un mineur non accompagné, a appliqué une condition qui ne figurait pas dans son tarif, contrevenant ainsi au paragraphe 110(4) du RTA.
[31] De plus, l’Office conclut que, puisqu’il n’y a aucune référence à des vols en partage de codes dans la règle tarifaire 25 (IV)(1), cette situation crée un doute raisonnable, de l’ambiguïté et de l’incertitude en ce qui concerne les droits et les obligations du transporteur et des passagers. La règle tarifaire est donc imprécise et contrevient au sous-alinéa 122(c)(ii) du RTA.
[32] Mme Mahida réclame une indemnisation de 1 520,05 $ qui représente les dépenses associées à l’achat d’un nouveau billet pour son fils auprès de Lufthansa. L’Office note que Jet Airways a remboursé la partie du billet de retour du mineur non accompagné. Toutefois, selon la preuve, Jet Airways n’a pas réacheminé le mineur non accompagné à bord d’un autre de ses vols, ni autorisé la prise en charge de cette partie du billet par un autre transporteur pour assurer le retour de l’enfant en toute sécurité à Toronto. L’Office note également que Jet Airways a négligé de délivrer un billet pour le transport d’un mineur non accompagné, alors qu’elle ne pouvait pas fournir le service acheté. Cette situation a perturbé Mme Mahida du fait que son fils non accompagné était pris à Mumbai, et qu’en conséquence, elle a dû acheter un nouveau billet pour qu’il puisse retourner à Toronto. Donc, à la lumière des reçus que Mme Mahida a fournis, et comme Jet Airways n’a pas répondu à sa demande, l’Office conclut que le montant d’indemnisation que Mme Mahida réclame est raisonnable.
ORDONNANCE
- L’Office ordonne à Jet Airways, en vertu de l’alinéa 113.1(a) du RTA, de modifier la règle 25(IV)(1) de son tarif afin d’inclure un énoncé qui indique que les mineurs non accompagnés ne seront pas acceptés à bord de vols en partage de codes, et de déposer auprès de l’Office la règle tarifaire révisée, le plus tôt possible, mais au plus tard le 22 décembre 2017.
- L’Office ordonne à Jet Airways, en vertu de l’alinéa 113.1(b) du RTA, de verser à Mme Mahida la somme de 1 520,05 $, en remboursement des dépenses qu’elle a engagées pour que son fils non accompagné puisse retourner à Toronto. Ce montant doit être payé le plus tôt possible, mais au plus tard le 22 décembre 2017; Jet Airways doit informer l’Office après qu’elle aura versé l’indemnisation.
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