Décision n° 110-C-A-2020

le 10 décembre 2020

DEMANDE présentée par Marla Morry contre Delta Air Lines, Inc. (Delta) au titre du paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58 (RTA), concernant le retard et la perte de son bagage.

Numéro de cas : 
20-06122

RÉSUMÉ

[1] Mme Morry a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Delta concernant le retard et la perte de son bagage à Freetown, Sierra Leone, le 26 décembre 2019. Elle réclame une indemnisation de 1 130 EUR pour perte de jouissance, inconvénients, douleur et souffrance.

[2] L’Office se penchera sur les questions suivantes :

  • Delta a-t-elle correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif intitulé International Passengers Rules and Fares Tariff No. DL-1 Containing Local and Joint Rules, Fares and Charges on Behalf of Delta Air Lines, Inc. Carrying on Business as Delta Airlines, Delta, Delta Shuttle, Delta Connection Applicable to the Transportation of Passengers and Baggage Between Points in the United States/Canada and Points Throughout the World, NTA (A) No. 459 (tarif), lequel incorpore par renvoi la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international – Convention de Montréal (Convention de Montréal), en ce qui a trait à la responsabilité des transporteurs relativement au retard et à la perte de bagages, comme l’exige le paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88‑58 (RTA)? Si Delta n’a pas appliqué correctement les conditions énoncées dans son tarif, quelle mesure corrective, le cas échéant, l’Office devrait-il ordonner?

[3] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que Delta a correctement appliqué les conditions énoncées à la règle 55 de son tarif lorsqu’elle a indemnisé Mme Morry pour la valeur totale des articles manquants dans son bagage retardé. Par conséquent, l’Office rejette la demande.

CONTEXTE

[4] Mme Morry avait un billet aller-retour pour un vol de Vancouver (Colombie‑Britannique), à Freetown, Sierra Leone, via Seattle, Washington, Amsterdam, Pays-Bas, et Paris, France, le 25 décembre 2019, et de Freetown à Vancouver, via Conakry, Guinée, et Paris, France, le 16 janvier 2020.

[5] Mme Morry est arrivée à Freetown le 26 décembre 2019 et a déposé une réclamation pour bagage manquant. Son bagage est arrivé 48 heures plus tard et plusieurs de ses effets étaient manquants. Delta a versé à Mme Morry une indemnité de 265 CAD, ce qui équivaut à la valeur totale de ses articles manquants.

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

[6] Mme Morry réclame une indemnisation pour dommages non matériels, y compris une indemnisation pour les inconvénients, la douleur et la souffrance qu’elle a subis lorsqu’elle a été privée de ses articles.

[7] L’Office n’a pas compétence pour ordonner le versement d’une indemnité pour les inconvénients, la douleur ou la souffrance dans les cas de présumée contravention aux obligations d’un transporteur en lien avec son tarif.

[8] En outre, comme l’énonce la décision Thibodeau c Air Canada, 2014 CSC 67, les dommages-intérêts visant l’indemnisation des inconvénients, de la douleur, de la souffrance et de la perte de jouissance qui ne découlent pas de la mort ou d’une lésion corporelle ne sont pas recouvrables aux termes de la Convention de Montréal.

[9] L’Office n’est pas lié par la décision de la Cour européenne dans l’affaire Axel Walz c Clickair S.A., affaire C-63/09, Recueil de jurisprudence 2010 I‑ 04239, identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2010:251, qui a été citée par Mme Morry dans sa demande. En tout état de cause, conformément à l’affaire Stuckless et Legge c Air Canada, 2017 CanLII 53798 (NL PC), para 15, la décision de la Cour européenne n’a pas élargi le champ d’application du recouvrement des dommages-intérêts en cas de retard; elle a simplement limité le risque en matière de responsabilité du transporteur aérien au montant énoncé dans la Convention de Montréal.

[10] Par conséquent, l’Office ne se penchera pas sur cette question.

LA LOI ET LES DISPOSITIONS TARIFAIRES PERTINENTES

[11] Le paragraphe 110(4) du RTA exige que le transporteur aérien lors de l’exploitation d’un service international applique correctement les conditions de transport énoncées dans son tarif.

[12] Si l’Office conclut qu’un transporteur aérien n’a pas correctement appliqué son tarif, l’article 113.1 du RTA confère à l’Office le pouvoir d’ordonner au transporteur :

a) de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées;

b) de verser des indemnités à quiconque pour toutes dépenses qu’il a supportées en raison de la non-application de ces prix, taux, frais ou conditions de transport applicables aux services offerts et prévus au tarif.

[13] L’article 17(2), de la Convention de Montréal établit la responsabilité du transporteur en cas de destruction, de perte ou d’avarie des bagages enregistrés :

Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de destruction, perte ou avarie de bagages enregistrés, par cela seul que le fait qui a causé la destruction, la perte ou l’avarie s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toute période durant laquelle le transporteur avait la garde des bagages enregistrés. Toutefois, le transporteur n’est pas responsable si et dans la mesure où le dommage résulte de la nature ou du vice propre des bagages. Dans le cas des bagages non enregistrés, notamment des effets personnels, le transporteur est responsable si le dommage résulte de sa faute ou de celle de ses préposés ou mandataires.

[14] L’article 19 de la Convention de Montréal énonce ce qui suit :

Le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.

[15] L’article 22(2) de la Convention de Montréal fixe les limites de la responsabilité en ce qui concerne les bagages :

Dans le transport de bagages, la responsabilité du transporteur en cas de destruction, perte, avarie ou retard est limitée à la somme de 1 131 droits de tirage spéciaux par passager, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par le passager au moment de la remise des bagages enregistrés au transporteur et moyennant le paiement éventuel d’une somme supplémentaire. Dans ce cas, le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel du passager à la livraison.

[16] La règle 55(B)(4) du tarif de Delta établit sa responsabilité en cas de destruction ou de perte, d’endommagement ou de retard des bagages enregistrés et non enregistrés.

[17] Les dispositions pertinentes du tarif de Delta sont énoncées à l’annexe.

POSITIONS DES PARTIES ET CONSTATATIONS DE FAITS

Mme Morry

[18] Mme Morry admet qu’elle a été indemnisée pour le coût des articles manquants, notamment un tapis de yoga (98,56 CAD), des bottes noires (28 CAD), des chaussures de course (16,80 CAD), une caméra vidéo (31,25 CAD), une carte mémoire (36,50 CAD), un support pour genou (34,99 CAD), des rasoirs jetables (7,83 CAD) et un sac en nylon (11,20 CAD).

[19] Mme Morry affirme que, à l’exception du tapis de yoga, les articles manquants étaient censés être des cadeaux. Outre le coût de remplacement des articles, elle demande une indemnisation pour le coût de leur expédition du Canada à la Sierra Leone. Autrement, Mme Morry demande une indemnisation de 150 USD pour l’achat d’une caméra vidéo similaire à Freetown et 30 USD pour les dépenses supplémentaires supportées pour l’achat des autres articles manquants à Freetown.

[20] Mme Morry demande également une indemnité de 500 EUR parce qu’elle n’a pas pu s’adonner à sa pratique régulière de yoga et parce que le tapis de yoga, qui manquait dans son bagage, est un modèle qui n’est plus vendu.

Delta

[21] Delta conteste la demande de Mme Morry, qui affirme avoir droit à une indemnisation pour la douleur, la souffrance, les inconvénients et les frais de remplacement des cadeaux, au lieu du remboursement des dépenses qu’elle a supportées pour acheter les articles.

[22] Delta fait valoir que la décision dans l’affaire européenne soulevée par Mme Morry est erronée, qu’elle est fondée sur un raisonnement douteux et qu’elle n’est pas conforme au droit canadien. Delta fait référence à de multiples affaires antérieures, telles que la décision n° 31-C-A-2019 (Feng c Air Canada) et la décision n° 91-C-A-2019 (Neil c WestJet), et elle affirme que les précédents au Canada, tant à l’Office que dans la jurisprudence, indiquent que seuls les préjudices réels, et non les préjudices résultant des inconvénients ou de ce qui aurait pu en être, sont indemnisables.

Constatations de faits

[23] Il est incontesté que le bagage de Mme Morry a été retardé et que des objets ont disparu. Les deux parties conviennent que Delta a indemnisé Mme Morry pour la valeur totale des articles manquants réclamés (256 CAD), mais qu’elle a refusé de l’indemniser pour d’autres dommages, y compris les dommages non matériels réclamés (1 130 EUR).

ANALYSE ET DÉTERMINATIONS

[24] Le fardeau de la preuve repose sur la demanderesse, qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur n’a pas correctement appliqué les conditions de transport énoncées dans son tarif.

[25] Delta a correctement appliqué la règle 55 de son tarif lorsqu’elle a indemnisé Mme Morry pour la valeur totale que Mme Morry a attribuée aux articles manquants, conformément aux articles 17(2), 19 et 22(2) de la Convention de Montréal.

[26] En ce qui concerne l’allégation de Mme Morry selon laquelle les coûts de remplacement seraient plus élevés à Freetown, Mme Morry n’a pas réclamé de dépenses ni fourni de reçus démontrant qu’elle avait remplacé les cadeaux ou la caméra à Freetown. Si elle avait remplacé les articles au cours de son voyage, elle aurait peut-être pu réclamer les coûts réels de remplacement des articles. Elle a plutôt été indemnisée pour le coût initial des articles, ce qui est raisonnable dans les circonstances.

[27] Il n’y a pas non plus de preuve que Mme Morry a supporté des dépenses pour remplacer les articles manquants et les faire ensuite expédier à Freetown.

[28] Mme Morry indique clairement qu’elle demande une indemnisation pour les pertes non matérielles, plus précisément pour les inconvénients, la douleur et la souffrance. S’il ne fait aucun doute que l’expérience de Mme Morry a été extrêmement frustrante, la Convention de Montréal ne prévoit pas d’indemnisation pour les inconvénients, la douleur ou la souffrance, tel que mentionné ci-dessus.

CONCLUSION

[29] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que Delta a correctement appliqué les conditions énoncées à la règle 55 de son tarif. Par conséquent, l’Office rejette la demande.


ANNEXE À LA DÉCISION No 110-C-A-2020

International Passenger Rules and Fares Tariff No. Dl-1 Containing Local and Joint Rules, Fares and Charges on Behalf of Delta Air Lines, Inc. Carrying on Business as Delta Airlines, Delta, Delta Shuttle, Delta Connection Applicable to the Transportation of Passengers and Baggage Between Points in the United States/Canada and Points Throughout the World, NTA (A) No. 459

Remarque : Delta a déposé son tarif en anglais seulement.

Rule 55 – LIABILITY OF CARRIERS

….

B. LAWS AND PROVISIONS APPLICABLE

….
4. The Carrier is liable for damages sustained in the case of destruction or loss of, damage to, or delay of checked and unchecked baggage, as provided in the following paragraphs:
  a. Except as provided below, the liability of the Carrier is limited to 1,131 Special Drawing Rights for each passenger in the case of   
     destruction, loss, damage, or delay of baggage, whether checked or unchecked, under the Warsaw Convention or the Montreal
     Convention, whichever may apply….

Membre(s)

Allan Matte
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