Décision n° 111-AT-C-A-2023
Demande présentée par Maryam Rashidian contre Air Canada et Lufthansa concernant des obstacles à ses possibilités de déplacement
Résumé
[1] Maryam Rashidian a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Air Canada et Lufthansa concernant le manque d’assistance avec fauteuil roulant lors de son transit à l’aéroport de Francfort.
[2] Mme Rashidian réclame un remboursement de 8 649,03 CAD pour le coût de ses billets et de ceux des membres de sa famille à titre d’indemnité pour leur voyage familial gâché.
[3] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que Mme Rashidian, qu’elle soit ou non une personne handicapée, n’a pas démontré qu’elle a rencontré un obstacle attribuable à Air Canada. Par conséquent, l’Office rejette la demande présentée contre Air Canada. L’Office rejette également la demande présentée contre Lufthansa parce que cette dernière n’était pas responsable de fournir une assistance avec fauteuil roulant à Mme Rashidian et n’était pas en cause dans l’incident.
Contexte
[4] Mme Rashidian a pris un vol de Toronto (Ontario) à Téhéran, Iran, via Francfort, Allemagne, le 13 août 2022. Le segment de vol de Toronto à Francfort était exploité par Air Canada et le segment de vol de Francfort à Téhéran était exploité par Lufthansa. À l’aéroport de Toronto, Mme Rashidian a demandé à Air Canada une assistance avec fauteuil roulant ou un transport pour son transit à l’aéroport de Francfort, mais affirme qu’elle ne l’a pas reçu.
Observations préliminaires
Requête d’Air Canada visant le rejet de la demande
[5] Air Canada demande à l’Office de rejeter la demande pour des motifs de forme au titre de l’article 42 des Règles de l’Office des transports du Canada (Instances de règlement des différends et certaines règles applicables à toutes les instances) (Règles) pour défaut de compétence. Si la demande n’est pas rejetée, Air Canada demande à l’Office d’exiger que Mme Rashidian démontre qu’elle a un handicap ou une limitation fonctionnelle dont l’interaction avec un obstacle nuit à sa participation pleine et égale dans la société.
[6] Comme l’Office l’a déterminé précédemment dans la décision LET-C-A-10-2021 (Milovac c Air Canada), l’article 42 des Règles permet à l’Office de traiter un défaut précis dans une demande sans exiger que la défenderesse dépose une réponse sur le fond. Cependant, cela représente une étape additionnelle dans la procédure en ce sens que le demandeur doit justifier pourquoi l’Office ne devrait pas rejeter la demande avant de traiter le fond de l’affaire. Cette étape additionnelle n’est ni nécessaire ni souhaitable dans les cas où la défenderesse désire simplement faire valoir que la demande devrait être rejetée sur le fond. Il est préférable de traiter cette question dans les actes de procédure de la demande principale, plutôt que dans une demande distincte.
[7] Étant donné la grande quantité de renseignements fournis dans les présentations d’Air Canada et de Lufthansa, ainsi que dans la réponse de Mme Rashidian, l’Office conclut qu’il dispose de tous les renseignements nécessaires pour prendre une décision sur le fond de la demande. Par conséquent, l’Office rejette la requête d’Air Canada et conclut qu’il n’est pas nécessaire de recevoir une réponse supplémentaire d’Air Canada.
Compétence
Air Canada
[8] Air Canada soutient que l’Office n’a pas compétence sur la demande étant donné que le Règlement (CE) 1107/2006 du Parlement européen et du Conseil demande à l’administration aéroportuaire et non au transporteur de fournir une assistance avec fauteuil roulant aux personnes handicapées. En Allemagne, l’aéroport de Francfort est responsable de la prestation d’une assistance avec fauteuil roulant aux personnes handicapées à l’extérieur de l’aéronef et a retenu les services de FRACareServices pour ce faire.
[9] L’Office a compétence sur les questions d’accessibilité qui sont soulevées dans le contexte du transport aérien international, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Canada, et qui concernent les transporteurs aériens assurant le transport à destination ou en provenance du Canada. Cependant, comme énoncé dans la décision 211-AT-A-2012 (Ronald et Sandra Boyko, au nom de Frances Bassarab c Air Canada), l’Office n’a pas compétence sur les services d’une entreprise étrangère retenus par une administration aéroportuaire étrangère. Par conséquent, l’Office ne peut invoquer sa compétence ni sur FRACareServices ni sur l’incident survenu entre FRACareServices et Mme Rashidian dans le cas présent. Toutefois, l’Office a compétence sur la participation d’Air Canada au processus visant à assurer la prestation du service, c’est-à-dire la communication à FRACareServices du besoin d’assistance de Mme Rashidian en raison de son handicap.
Lufthansa
[10] Lufthansa soutient que la demande déposée contre elle devrait être rejetée parce que ses employés n’étaient pas en cause dans l’incident. Lufthansa indique que l’incident a eu lieu à la porte d’embarquement d’Air Canada à l’aéroport de Francfort et mettait en cause un employé de FRACareServices. Lufthansa affirme que les photos fournies par Mme Rashidian de la personne qui, selon elle, a insisté pour qu’elle sorte du fauteuil roulant, montrent un employé de FRACareServices. Lufthansa explique également qu’elle n’aurait pu prendre aucune mesure relativement à la demande d’assistance avec fauteuil roulant de Mme Rashidian, puisque la demande a été faite par l’entremise d’Air Canada et fournie par FRACareServices, entreprise sur laquelle elle n’a aucun contrôle.
[11] L’Office convient que Lufthansa n’était pas responsable de fournir une assistance avec fauteuil roulant à Mme Rashidian à son arrivée à l’aéroport de Francfort ou de transmettre la demande d’assistance avec fauteuil roulant de Mme Rashidian à FRACareServices. Par conséquent, l’Office rejette la demande présentée contre Lufthansa.
La loi
[12] L’Office a le pouvoir de se prononcer sur des demandes dans lesquelles une personne affirme qu’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes handicapées dans le réseau de transport fédéral.
[13] L’Office détermine s’il y a un obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne ayant une déficience au moyen d’une approche en deux parties.
Partie 1 : Il incombe au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités :
- qu’il a un handicap, c’est-à-dire toute déficience, notamment physique, intellectuelle, cognitive, mentale ou sensorielle, tout trouble d’apprentissage ou de la communication ou toute limitation fonctionnelle, de nature permanente, temporaire ou épisodique, manifeste ou non et dont l’interaction avec un obstacle nuit à la participation pleine et égale d’une personne dans la société;
et
- qu’il a rencontré un obstacle, c’est-à-dire tout élément — notamment un élément de nature physique ou architecturale, qui est relatif à l’information, aux communications, aux comportements ou à la technologie ou qui est le résultat d’une politique ou d’une pratique — qui nuit à la participation pleine et égale dans la société des personnes ayant des déficiences notamment physiques, intellectuelles, cognitives, mentales ou sensorielles, des troubles d’apprentissage ou de la communication ou des limitations fonctionnelles.
Il doit y avoir un certain lien entre le handicap et l’obstacle.
Partie 2 : Si l’Office détermine qu’un demandeur a un handicap et qu’il a rencontré un obstacle, il incombe alors à la partie défenderesse de prendre l’une ou l’autre des mesures suivantes :
- expliquer, en tenant compte des solutions proposées par le demandeur, comment elle propose d’éliminer l’obstacle en apportant une modification générale à la règle, à la politique, à la pratique, à la technologie ou à la structure physique visée ou, si la modification générale n’est pas possible, en adoptant une mesure d’accommodement personnalisée;
- ou
- démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.
Positions des parties
Mme Rashidian
[14] Mme Rashidian déclare qu’elle est atteinte de fibromyalgie, ce qui lui cause des douleurs et une sensibilité dans tout le corps, de la fatigue et des troubles du sommeil. Mme Rashidian déclare qu’elle a également subi une opération au genou qui a réduit sa mobilité, lui a causé des douleurs et a limité sa capacité à marcher correctement et à rester longtemps debout. Elle indique également que les douleurs musculaires dans l’ensemble de son corps ont affecté son interaction et sa communication avec les gens.
[15] Mme Rashidian explique qu’à l’aéroport de Toronto et à la porte d’embarquement d’Air Canada à l’aéroport de Francfort, elle a demandé une assistance avec fauteuil roulant ou un transport avec Air Canada pour son transit à l’aéroport de Francfort. À son arrivée à la porte d’embarquement de l’aéroport de Francfort, Mme Rashidian a demandé son fauteuil roulant. Elle déclare qu’un employé lui a pris de force son fauteuil roulant, a crié contre elle, l’a menacée, l’a insultée et l’a pointée du doigt. Mme Rashidian affirme que cet employé a gâché ses vacances et celles de sa famille, car elle a pleuré pendant toutes ses vacances. Elle affirme que ses symptômes se sont aggravés et qu’elle a dû prendre des analgésiques et des somnifères.
Air Canada
[16] Air Canada affirme que rien à ses dossiers n’indique que Mme Rashidian a demandé une assistance avec fauteuil roulant avant le vol et que son bureau médical n’a pas de dossier pour Mme Rashidian. Air Canada indique que Mme Rashidian a demandé une assistance avec fauteuil roulant (WCHR) à l’aéroport de Toronto le 13 août 2022 pour son arrivée à l’aéroport de Francfort. Air Canada fournit un élément de preuve sous la forme du dossier passager (DP) de Mme Rashidian, qui montre que la demande d’assistance avec fauteuil roulant a été ajoutée au système par Air Canada pour les vols de Toronto à Francfort et de Francfort à Téhéran. Comme l’explique Lufthansa dans sa réponse, le code WCHR désigne une assistance avec fauteuil roulant ou voiturette électrique fournie par un employé de FRACareServices, qui attend à la porte d’embarquement pour les passagers qui peuvent marcher sur de courtes distances et monter ou descendre des escaliers. Comme en témoigne un courriel de FRACareServices, Air Canada explique que Mme Rashidian, sans le demander, a pris un fauteuil roulant qui était réservé à un autre passager à la porte d’embarquement, s’est assise dedans et a refusé de céder le fauteuil roulant lorsqu’on lui a expliqué la situation. Le ton de Mme Rashidian était agressif et la police fédérale a été appelée.
[17] Le courriel qu’Air Canada a reçu de FRACareServices indique que Mme Rashidian a finalement reçu une assistance avec voiturette électrique jusqu’à son vol de correspondance. Air Canada soutient que cette information confirme qu’elle a communiqué à FRACareServices que Mme Rashidian avait besoin d’une assistance de type WCHR. De plus, Air Canada soutient que tout conflit entre Mme Rashidian et les employés de FRACareServices n’est pas lié à Air Canada. Ainsi, Air Canada affirme que Mme Rashidian n’a pas rencontré un obstacle qui lui est attribuable.
Analyse et détermination
[18] Comme indiqué précédemment, l’Office ne peut pas invoquer sa compétence sur FRACareServices et, par conséquent, sur l’incident entre FRACareServices et Mme Rashidian. Cependant, l’Office conclut qu’Air Canada était responsable de la transmission de la demande d’assistance avec fauteuil roulant de Mme Rashidian à FRACareServices, et peut invoquer sa compétence sur la participation d’Air Canada au processus pour assurer la prestation du service.
[19] Il est incontesté qu’Air Canada a reçu la demande de Mme Rashidian à l’aéroport de Toronto le jour du vol. Le Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées (RTAPH) prévoit que lorsqu’une demande de service est faite par une personne handicapée 48 heures avant l’heure de départ prévue, le transporteur doit fournir le service et que lorsque la demande est faite moins de 48 heures à l’avance, le transporteur doit faire tous les efforts raisonnables pour fournir le service. L’Office note que même si Mme Rashidian n’a pas donné un préavis de 48 heures, Air Canada a traité correctement la demande d’accommodement de dernière minute en faisant tous les efforts raisonnables pour transmettre la demande d’assistance de Mme Rashidian à FRACareServices en ajoutant le code WCHR au dossier passager de Mme Rashidian. Le fait que FRACareServices ait fourni à Mme Rashidian le service de voiturette électrique démontre que ses efforts ont porté ses fruits.
[20] L’Office conclut donc que Mme Rashidian ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer qu’elle a rencontré un obstacle attribuable à Air Canada qui a nui à sa participation pleine et égale au réseau de transport fédéral. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de déterminer si Mme Rashidian a démontré qu’elle est une personne handicapée.
Conclusion
[21] L’Office rejette la demande.
Dispositions en référence | Identifiant numérique (article, paragraphe, règle, etc.) |
---|---|
Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 | 172(1); 169.5 |
Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées, DORS/2019-244 | 32(1); 32(4) |
Règles de l’Office des transports du Canada (Instances de règlement des différends et certaines règles applicables à toutes les instances), DORS/2014-104 | 42 |
Règlement (CE) no 1107/2006 du Parlement européen et du Conseil | 7 |
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