Décision n° 114-AT-A-2022

le 20 septembre 2022

DEMANDE présentée par Elaine Browne au nom du demandeur mineur contre WestJet, au titre du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (LTC).

Numéro de cas : 
21-50245

RÉSUMÉ

[1] Le demandeur, un enfant mineur représenté par Mme Browne, a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre WestJet dans laquelle il affirme que les personnes handicapées approuvées par WestJet pour participer à son programme « une personne, un tarif » (1p1t) devraient pouvoir réserver leurs billets par l’intermédiaire du système de réservation en ligne. À l’heure actuelle, WestJet exige que les passagers du programme 1p1t téléphonent à son bureau des soins particuliers pour faire leurs réservations.

[2] Le demandeur réclame une ordonnance pour que WestJet rende son système de réservation en ligne accessible à tous, ou encore qu’elle dédie une ligne de réservation aux personnes handicapées.

[3] Le 1er décembre 2021, l’Office a émis la décision LET-AT-A-62-2021 dans laquelle il a conclu que le demandeur est une personne handicapée et qu’il a rencontré des obstacles à ses possibilités de déplacement.

[4] Le 19 avril 2022, l’Office a émis la décision LET-AT-A-17-2022 dans laquelle il a conclu qu’il y a eu un obstacle abusif aux possibilités de déplacement du demandeur au sens du paragraphe 172(1) de la LTC. L’Office a reconnu que WestJet s’était déjà penchée sur le temps excessivement long que les passagers du programme 1p1t devaient passer à attendre au téléphone pour joindre le bureau des soins particuliers, et qu’aucune autre mesure corrective n’était nécessaire. WestJet devait informer l’Office des mesures correctives qu’elle prendrait pour trouver une solution aux heures d’ouverture limitées du bureau des soins particuliers et de la date prévue pour leur mise en œuvre. L’Office a également ouvert les actes de procédure sur la possibilité d’indemniser le demandeur pour souffrances et douleurs.

[5] Le 23 juin 2022, l’Office a rendu une décision, dont les motifs suivraient, indiquant qu’il était satisfait de la proposition de WestJet de mettre en œuvre, au plus tard le 1er juillet 2022, un processus pour permettre aux passagers ayant un numéro d’autorisation au programme 1p1t de réserver un itinéraire en dehors des heures d’ouverture du bureau des soins particuliers par l’intermédiaire de son site Web. L’Office a également ordonné à WestJet de modifier ses procédures pour qu’à partir du 1er juillet 2022, le bureau des soins particuliers confirme par écrit aux passagers du programme 1p1t ou à leur représentant que leur demande a été traitée dès sa réception.

[6] Dans la présente décision, l’Office énonce les motifs de la décision et de l’ordonnance qu’il a rendues le 23 juin 2022. De plus, il se penche sur l’indemnisation pour souffrances et douleurs.

[7] L’Office ordonne à WestJet de verser au demandeur une indemnité de 500 CAD pour les souffrances et douleurs et qu’il a subies.

LA LOI

Accessibilité

[8] La demande a été présentée au titre du paragraphe 172(1) de la LTC, qui prévoit ce qui suit :

Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes handicapées.

[9] Comme énoncé dans la décision 33-AT-A-2019 (décision d’interprétation) concernant les demandes relatives à l’accessibilité, l’Office détermine s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne handicapée en utilisant une approche en deux parties.

Partie 1 : Il revient au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités :

- qu’il a un handicap, c’est-à-dire toute déficience notamment physique, intellectuelle, cognitive, mentale ou sensorielle, tout trouble   
  d’apprentissage ou de la communication (ou toute limitation fonctionnelle) de nature permanente, temporaire ou épisodique, manifeste ou
  non et dont l’interaction avec un obstacle nuit à la participation pleine et égale d’une personne dans la société;

et

- qu’il a rencontré un obstacle, c’est-à-dire tout élément — notamment un élément de nature physique ou architecturale, qui est relatif à
  l’information, aux communications, aux comportements ou à la technologie ou qui est le résultat d’une politique ou d’une pratique — qui
  nuit à la participation pleine et égale dans la société des personnes ayant des handicaps notamment physiques, intellectuels, cognitifs,
  mentaux ou sensoriels, des troubles d’apprentissage ou de la communication ou des limitations fonctionnelles. Il doit y avoir un certain lien
  entre le handicap et l’obstacle.

Partie 2 : Si l’Office détermine qu’un demandeur a un handicap et qu’il a rencontré un obstacle, il incombe alors à la partie défenderesse de prendre l’une ou l’autre des mesures suivantes :

- expliquer, en tenant compte des solutions proposées par le demandeur, comment elle propose d’éliminer l’obstacle en apportant une
  modification générale à la règle, à la politique, à la pratique, à la technologie ou à la structure physique visée ou, si la modification
  générale n’est pas possible, en adoptant une mesure d’accommodement personnalisée;

ou

- démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.

Mesures correctives

[10] L’Office a déterminé dans la décision LET-AT-A-62-2021 que dans le cas présent, il n’y avait pas de règlement pertinent en vigueur au moment de l’incident qui pouvait limiter ses pouvoirs de réparation au titre du paragraphe 172(3) de la LTC. Parce que l’Office a conclu dans la décision LET-AT-A-17-2022 qu’il existait un obstacle abusif, il a le pouvoir d’ordonner toute mesure corrective prévue au paragraphe 172(2) de la LTC, soit :

a) la prise de mesures correctives indiquées;

b) le versement d’une indemnité destinée à couvrir les frais supportés par une personne handicapée en raison de l’obstacle en cause, notamment les frais occasionnés par le recours à d’autres biens, services ou moyens d’hébergement;

c) le versement d’une indemnité pour les pertes de salaire subies par une telle personne en raison de l’obstacle;

d) le versement d’une indemnité — dont le montant maximal, rajusté chaque année conformément à l’article 172.2, est de 20 000 $ — pour les souffrances et douleurs subies par une telle personne en raison de l’obstacle;

e) le versement d’une indemnité — dont le montant maximal, rajusté chaque année conformément à l’article 172.2, est de 20 000 $ — s’il en vient à la conclusion que l’obstacle résulte d’un acte délibéré ou inconsidéré.

Confirmation des services

[11] L’article 58 du Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapéesNote 1 (RTAPH) prévoit ce qui suit :

Le transporteur qui est tenu de fournir un service à la personne handicapée aux termes de la présente partie indique sans délai dans le dossier de réservation de la personne les services qu’il lui fournira et inclut une confirmation écrite de ces services dans l’itinéraire délivré à la personne et, si le service est confirmé seulement après la délivrance de l’itinéraire, fournit une confirmation écrite du service sans délai.

MOTIFS DE LA DÉCISION ET DE L’ORDONNANCE DU 23 JUIN 2022

Positions des parties

WESTJET

[12] WestJet propose de demander aux passagers du programme 1p1t de continuer de téléphoner au bureau des soins particuliers pendant les heures d’ouverture pour réserver leur itinéraire.

[13] Lorsque le bureau des soins particuliers est fermé, WestJet propose de mettre en œuvre une mesure permettant aux passagers du programme 1p1t de réserver leur itinéraire et de payer une place par l’intermédiaire de son site Web. Après avoir reçu leur numéro de confirmation d’itinéraire, les passagers accèderaient au site Web de WestJet où ils rempliraient et soumettraient un formulaire dans lequel ils indiqueraient leur numéro de confirmation, leur numéro de programme 1p1t et d’autres renseignements concernant les accommodements requis au cours de leur itinéraire. Le bureau des soins particuliers ferait ensuite tout en son pouvoir pour examiner le formulaire et ajuster la réservation au besoin dans les 24 heures suivantes (par exemple, l’attribution d’un siège en particulier, l’ajout d’un siège ou l’ajout d’une réservation pour un accompagnateur). WestJet soutient qu’avec cette mesure, les passagers du programme 1p1t pourront réserver un billet par l’intermédiaire de son site Web à tout moment et au prix qui y est indiqué.

[14] WestJet a indiqué que la création du nouveau formulaire était en cours et que cette nouvelle mesure pourrait être mise en œuvre au plus tard le 1er juillet 2022.

LE DEMANDEUR

[15] Le demandeur s’interroge sur le délai de réservation attendu dans le cas où l’on permettrait aux passagers du programme 1p1t de réserver un vol par courriel; il se préoccupe du risque que le vol se remplisse avant que WestJet leur donne une réponse.

Analyse et détermination

[16] L’Office conclut que le processus proposé par WestJet élimine l’obstacle abusif aux possibilités de déplacement qui n’avait pas encore été réglé dans la décision LET-AT-A-17-2022 puisque ce processus permet aux passagers du programme 1p1t de réserver un itinéraire en tout temps par l’intermédiaire du système de réservation en ligne lorsque le bureau des soins particuliers est fermé.

[17] L’Office a ordonné au bureau des soins particuliers de WestJet de confirmer par écrit aux passagers du programme 1p1t, ou à leur représentant, que leur demande a été traitée dès sa réception. Cette condition reflète l’obligation de WestJet de confirmer par écrit le service qu’elle fournira aux passagers du programme 1p1t sans délai, au titre de l’article 58 du RTAPH. L’Office prend note que WestJet fait tout en son pouvoir pour que le bureau des soins particuliers réponde dans les 24 heures suivantes.

INDEMNISATION POUR SOUFFRANCES ET DOULEURS

Positions des parties

LE DEMANDEUR

[18] Le demandeur soutient qu’il n’a pas été traité de façon juste et respectueuse. Selon lui, les obstacles que les personnes handicapées rencontrent en tant que participantes du programme 1p1t de WestJet sont injustes et inéquitables. Il est triste de constater l’iniquité à laquelle font face les personnes qui doivent se déplacer avec un accompagnateur. Il lui a été pénible de voir par quelles difficultés et frustrations Mme Browne est passée avant de réussir à lui réserver un billet pour un vol auprès de WestJet. Il déclare être offensé des arguments de WestJet et affirme que WestJet minimise le fardeau et les inconvénients pour sa famille et lui-même, et qu’elle ne reconnaît pas que le niveau de service était inacceptable ni ne s’en excuse.

[19] Le demandeur dit qu’il a trouvé les 14 heures que Mme Browne a passées au téléphone très ennuyeuses et longues puisqu’il a besoin d’aide dans toutes les sphères de sa vie quotidienne.

[20] Le demandeur affirme également que les nombreuses heures que Mme Browne a passées à la présente procédure auraient pu être consacrées à l’occuper ou à s’occuper de lui. Il soutient que pendant le déroulement des actes de procédure, Mme Browne a consacré beaucoup de temps à réfléchir et à travailler à ses présentations, et qu’elle a suggéré des solutions pour améliorer la situation des passagers du programme 1p1t.

[21] Le demandeur déclare qu’il n’a pas supporté de dépenses. Il accepterait une indemnité en raison de l’iniquité et des obstacles à ses possibilités de déplacement qu’il a rencontrés.

WESTJET

[22] WestJet mentionne que dans sa demande initiale, le demandeur n’a pas réclamé d’indemnité pour les souffrances et douleurs subies. Elle affirme que les présentations les plus récentes du demandeur ne suffisent pas pour établir qu’il a subi des souffrances et douleurs, termes utilisés dans la LTC qui lui donneraient droit à une indemnité.

[23] WestJet souligne que sur son site Web, l’Office déclare que la Loi canadienne sur l’accessibilitéNote 2 lui confère le pouvoir d’accorder des indemnisations au même titre que le Tribunal canadien des droits de la personne en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personneNote 3(LCDP).

[24] WestJet cite la décision LebeauNote 4, dans laquelle la Cour fédérale a confirmé la décision d’un arbitre de ne pas accorder d’indemnisation pour les souffrances et douleurs prétendues en raison de la discrimination reprochée à l’employeur. Dans ce cas, la demanderesse n’avait fourni aucune preuve médicale à l’appui de ses allégations selon lesquelles elle avait souffert de stress, d’humiliation, d’une perte d’estime de soi, du syndrome de l’intestin irritable, d’insomnie, et de dépression en raison de la discrimination prétendue. La Cour a conclu que la décision de l’arbitre de ne pas accorder d’indemnisation au titre de la LCDP était raisonnable. WestJet soutient également que l’Office ne devrait pas tenir compte d’allégations de souffrance ou de douleur que le demandeur aurait subie pendant les actes de procédure de l’Office, ou pendant les différentes étapes que WestJet ou l’Office ont suivies pour régler le cas présent.

ANALYSE ET DÉTERMINATION

[25] Au titre de l’alinéa 172(2)d) de la LTC, l’Office peut exiger le versement d’une indemnité pour les souffrances et douleurs subies par une personne handicapée en raison d’un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement. Les souffrances et les douleurs peuvent se manifester sous différentes formes, notamment par du stress, de l’anxiété, de la dépression, des douleurs ou des souffrances physiques, une perte de dignité ou un sentiment d’humiliation, ou une combinaison de ces facteurs. Chaque plainte est unique. Par conséquent, l’Office évalue l’indemnisation au cas par cas.

[26] L’Office reconnaît que le demandeur a éprouvé des sentiments d’injustice et de désarroi en raison des difficultés que Mme Browne a rencontrées pour lui réserver un itinéraire auprès de WestJet en tant que participant au programme 1p1t. L’Office est également convaincu que cet incident a eu des conséquences négatives sur sa vie quotidienne, car Mme Browne n’a pas pu l’aider pour ses activités quotidiennes ni être en sa compagnie pendant les 14 heures qu’elle a passées en attente au téléphone.

[27] L’Office conclut que ces éléments de preuve suffisent pour justifier le versement d’une indemnisation pour les souffrances et douleurs que le demandeur décrit. Des exemples plus graves de souffrances et de douleurs pourraient être corroborés à l’aide de dossiers médicaux, de rapports et d’autres éléments de preuve, mais l’Office conclut qu’il est déraisonnable de s’attendre à des éléments de corroboration pour ce type de demande.

[28] Bien que l’Office ne soit pas lié par les décisions du Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP), la jurisprudence applicable renferme une orientation utile. Dans la décision Alizadeh-EbadiNote 5, le TCDP a affirmé : « En présence d’une preuve de préjudice moral, il faut tenter d’indemniser la victime ».

[29] Afin de déterminer le montant de l’indemnité, l’Office doit soupeser les éléments de preuve qui lui sont présentés et tenir compte de certains facteurs, comme la gravité et la durée des souffrances et douleurs subies par le demandeur. L’indemnisation doit être juste et raisonnable, mais elle est difficile à quantifier; il s’agit essentiellement de tenter de mettre un prix sur le bonheur. Comme le reconnaît la Cour suprême du Canada dans la décision AndrewsNote 6, l’estimation de la valeur des pertes financières est plus un exercice philosophique et social qu’un exercice légal ou logique parce que le préjudice n’est pas intégralement réparable en argent.

[30] Dans la jurisprudence du TCDP, le montant adjugé en dommages dépend de la gravité des répercussions sur la victime et les montants maximaux prévus sont typiquement adjugés aux « plaintes qui sont les plus flagrantes, frappantes, voire les pires » (HugieNote 7), ou « dans les cas les plus flagrants » (GrantNote 8).

[31] Les éléments de preuve du cas présent ne permettent pas de démontrer des conséquences qui justifieraient une indemnité maximale au titre de la LTC ou s’y rapprochant. Par conséquent, l’Office conclut qu’une indemnité de 500 CAD serait appropriée dans le contexte.

[32] L’Office reconnaît également la frustration de Mme Browne lorsqu’elle a tenté de réserver un itinéraire auprès de WestJet dans le cadre du programme 1p1t, ainsi que le temps et les efforts qu’elle a consacrés aux présentations du demandeur pour la présente demande. Selon la décision LET-AT-A-17-2022, l’Office peut accorder une indemnité pour les souffrances et douleurs subies par la personne handicapée en raison d’un obstacle à ses possibilités de déplacement. L’Office n’a pas le pouvoir, en vertu de l’alinéa 172(2)d) de la LTC, d’indemniser d’autres personnes pour leurs souffrances et douleurs ni pour le temps et les efforts consacrés à son processus de règlement des différends.

ORDONNANCE

[33] L’Office ordonne à WestJet de verser au demandeur une indemnité de 500 CAD pour les souffrances et douleurs que le demandeur a subies. WestJet doit verser ce montant au demandeur le plus tôt possible, mais au plus tard le 3 novembre 2022.


Membre(s)

Heather Smith
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