Décision n° 123-AT-A-2003
le 6 mars 2003
Référence no U3570/01-62
DEMANDE
Le 20 septembre 2001, Mme Anita Mathiesen a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la demande énoncée dans l'intitulé.
Par lettres du 22 octobre et du 2 novembre 2001, KLM Royal Dutch Airlines (ci-après KLM) a déposé sa réponse à la demande, à laquelle elle avait annexé une copie du dossier passager de Mme Mathiesen. Cette dernière a déposé sa réplique le 5 décembre 2001. Même si ce document a été déposé après l'échéance pour le dépôt des plaidoiries, l'Office, dans sa décision no LET-AT-64-2002 du 4 mars 2002, l'a accepté, le jugeant pertinent et nécessaire à son examen de la présente.
Aux termes du paragraphe 29(1) de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC), l'Office est tenu de rendre sa décision au plus tard 120 jours après la date de réception de la demande, sauf s'il y a accord entre les parties pour une prolongation du délai. Dans le cas présent, les parties ont convenu de prolonger le délai pour une période indéterminée.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
Bien que la lettre de KLM datée du 2 novembre 2001 ait été reçue après l'expiration du délai fixé par l'Office, l'Office, aux termes de l'article 8 des Règles générales de l'Office national des transports, DORS/88-23, l'accepte comme étant pertinente et nécessaire à son examen de la présente affaire.
QUESTION
L'Office doit déterminer si le niveau d'assistance accordé à Mme Mathiesen lors de son arrivée à Dorval le 31 août 2001, de même que les difficultés que le personnel de KLM a eues lors du remontage de son fauteuil roulant électrique, ont constitué des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement de Mme Mathiesen au sens du paragraphe 172(1) de la LTC.
FAITS
Mme Mathiesen est une personne ayant une déficience qui se déplace en fauteuil roulant électrique. Lorsqu'elle voyage, elle requiert de l'assistance lors de l'embarquement et du débarquement.
Mme Mathiesen est arrivée à Dorval (Québec), le 31 août 2001 à bord du vol no 671 de KLM.
Au moment de faire ses réservations, Mme Mathiesen avait fait part de sa déficience au transporteur, en lui indiquant qu'elle aurait besoin d'assistance. Le système informatisé de KLM permet de faire l'impression des dossiers passagers, lesquels renferment l'information sur les passagers, y compris ceux qui ont des besoins spéciaux. Dans le cas présent, le fait que Mme Mathiesen avait besoin d'assistance était clairement indiqué dans son dossier passager, et ce au moyen du code WCHC prescrit dans le Passenger Services Conference Resolutions Manual de l'Association du transport aérien international. La demande de service spécial se lisait comme suit : « CANNOT WALK WILL NEED ASSISTANCE » (Ne peut marcher, aura besoin d'aide). Le dossier passager précisait également les dimensions de son fauteuil roulant électrique.
Le personnel de KLM a eu de la difficulté a transférer Mme Mathiesen de son siège d'aéronef au fauteuil roulant. Ne pouvant s'asseoir adéquatement dans le fauteuil roulant fourni par le transporteur, Mme Mathiesen a dû procéder, dans une position semi-couchée, de son siège d'aéronef jusqu'à l'aire où on devait lui remettre son propre fauteuil roulant.
Le personnel de KLM a également eu de la difficulté à remonter le fauteuil roulant électrique de Mme Mathiesen. Celle-ci a donc dû donner les directives au personnel de KLM à cette fin, pendant qu'elle était toujours dans la même position semi-couchée. Le tout s'est déroulé pendant environ 2 h 15 min. après le débarquement. Le fauteuil roulant de Mme Mathiesen lui a finalement été rendu, mais il était endommagé.
KLM ne nie pas les faits tels qu'ils sont présentés. En outre, elle reconnaît que Mme Mathiesen n'a pas reçu l'assistance appropriée.
ANALYSE ET CONSTATATION
Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.
La demande doit être présentée par une personne ayant une déficience ou en son nom. Dans le cas présent, Mme Mathiesen se déplace en fauteuil roulant et elle est donc une personne ayant une déficience aux fins de l'application des dispositions d'accessibilité de la LTC.
Pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si les possibilités de déplacement de la personne qui présente la demande ont été restreintes ou limitées par un obstacle. Le cas échéant, l'Office doit alors décider si l'obstacle était abusif. Pour répondre à ces questions, l'Office doit tenir compte des circonstances de l'affaire dont il est saisi.
Les possibilités de déplacement ont-elles été restreintes ou limitées par un obstacle?
L'expression « obstacle » n'est pas définie dans la LTC, ce qui donne à penser que le Parlement ne voulait pas limiter la compétence de l'Office compte tenu de son mandat d'éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. De plus, le terme « obstacle » a un sens large et s'entend habituellement d'une chose qui entrave le progrès ou la réalisation.
Pour déterminer si une situation constitue ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience dans un cas donné, l'Office se penche sur les déplacements de cette personne qui sont relatés dans la demande. Par le passé, l'Office a conclu qu'il y avait eu des obstacles dans plusieurs circonstances différentes. Par exemple, dans certains cas des personnes n'ont pas pu voyager, d'autres ont été blessées durant leurs déplacements (notamment quand l'absence d'installations convenables durant le déplacement affecte la condition physique du passager) et d'autres encore ont été privées de leurs aides à la mobilité endommagées pendant le transport. De plus, l'Office a identifié des obstacles dans les cas où des personnes ont finalement été en mesure de voyager, mais les circonstances découlant de l'expérience ont été telles qu'elles ont miné leur sentiment de confiance, de dignité, de sécurité, situation qui pourrait décourager ces personnes de voyager à l'avenir.
L'obstacle était-il abusif?
À l'instar du terme « obstacle », l'expression « abusif » n'est pas définie dans la LTC, ce qui permet à l'Office d'exercer sa discrétion pour éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. Le mot « abusif » a également un sens large et signifie habituellement que quelque chose dépasse ou viole les convenances ou le bon usage (excessif, immodéré, exagéré). Comme une chose peut être jugée exagérée ou excessive dans un cas et non dans un autre, l'Office doit tenir compte du contexte de l'allégation d'obstacle abusif. Dans cette approche contextuelle, l'Office doit trouver un juste équilibre entre le droit des passagers ayant une déficience d'utiliser le réseau de transport de compétence fédérale sans rencontrer d'obstacles abusifs, et les considérations et responsabilités commerciales et opérationnelles des transporteurs. Cette interprétation est conforme à la politique nationale des transports établie à l'article 5 de la LTC et plus précisément au sous-alinéa 5g)(ii) de la LTC qui précise, entre autres, que les modalités en vertu desquelles les transporteurs ou modes de transport exercent leurs activités ne constituent pas, dans la mesure du possible, un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
L'industrie des transports élabore ses services pour répondre aux besoins des utilisateurs. Les dispositions d'accessibilité de la LTC exigent quant à elles que les fournisseurs de services de transport du réseau de transport de compétence fédérale adaptent leurs services dans la mesure du possible aux besoins des personnes ayant une déficience. Certains empêchements doivent toutefois être pris en considération, par exemple les mesures de sécurité que les transporteurs doivent adopter et appliquer, les horaires qu'ils doivent s'efforcer de respecter pour des raisons commerciales, la configuration du matériel et les incidences d'ordre économique qu'aura l'adaptation d'un service sur les transporteurs aériens. Ces empêchements peuvent avoir une incidence sur les personnes ayant une déficience. Ainsi, ces personnes ne pourront pas nécessairement embarquer dans l'aéronef avec leur propre fauteuil roulant, elles peuvent devoir arriver à l'aérogare plus tôt aux fins de l'embarquement et elles peuvent devoir attendre plus longtemps pour obtenir de l'assistance au débarquement que les personnes n'ayant pas de déficience. Il est impossible d'établir une liste exhaustive des obstacles qu'un passager ayant une déficience peut rencontrer et des empêchements que les fournisseurs de services de transport connaissent dans leurs efforts pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience. Il faut en arriver à un équilibre entre les diverses responsabilités des fournisseurs de services de transport et le droit des personnes ayant une déficience à voyager sans rencontrer d'obstacle, et c'est dans cette recherche d'équilibre que l'Office applique le concept d'obstacle abusif.
Le cas présent
Selon les faits présentés dans les mémoires, Mme Mathiesen a été transférée, avec difficulté, de son siège passager à bord de l'aéronef à un fauteuil roulant fourni à l'aéroport. Elle était dans une position semi-couchée et y est restée pendant environ 2 h 15 min. pendant que l'on s'affairait à remonter son fauteuil électrique. De l'avis de Mme Mathiesen, le fauteuil manuel qui lui avait été fourni à l'aéroport était inadéquat. Elle a suggéré que de tels fauteuils devraient être munis d'accoudoirs et de repose-pieds mobiles. KLM a fait valoir que la difficulté que son personnel a eue lors du transfert reposait sur la taille de la passagère et le manque d'un fauteuil roulant ayant les dimensions requises. Selon KLM, elle ne dispose pas actuellement d'un fauteuil assez large, mais elle examine la possibilité d'en faire l'acquisition. La demanderesse a indiqué quant à elle qu'elle est de taille normale, soit 165 cm de hauteur, et qu'elle pèse 65 kilos.
Selon les éléments de preuve présentés, il appert que le personnel/les préposés du transporteur ont utilisé le fauteuil de transfert, connu dans l'industrie sous le nom de fauteuil Washington, pour transporter Mme Mathiesen depuis son siège à bord de l'aéronef jusqu'à l'endroit où son fauteuil roulant électrique devait être remonté. La pratique courante consiste à utiliser le fauteuil d'embarquement « étroit » pour transporter le passager de son siège à bord de l'aéronef jusqu'à la passerelle d'embarquement où le passager est par la suite transféré dans un fauteuil standard fourni dans les aéroports. De là, la passagère aurait normalement, par la suite et avec l'aide du personnel au sol du transporteur, été emmenée à l'aire de récupération des bagages pour prendre possession de son fauteuil électrique. Les fauteuils roulants fournis dans les aéroports sont standard et sont munis d'accoudoirs et de repose-pieds.
Le fauteuil Washington est conçu pour un usage très particulier, soit pour effectuer le transfert de passagers qui sont complètement immobiles ou ne peuvent marcher sur de longues distances. Ce fauteuil est très étroit afin de pouvoir l'utiliser dans les allées des aéronefs pour se rendre aux sièges passagers. Il est conçu spécifiquement pour cet usage limité. Il n'est donc pas approprié pour être utilisé pour une durée plus longue que celle que nécessite le transfert proprement dit.
L'Office est d'avis que l'utilisation du fauteuil Washington au-delà de la zone de débarquement était contre-indiquée. L'Office est préoccupé par le fait que KLM, devant l'inconfort évident de Mme Mathiesen lors de son transfert dans le fauteuil Washington, n'a pas transféré Mme Mathiesen dans un fauteuil roulant standard fourni dans les aéroports ou, en l'absence d'un tel fauteuil, n'a pas même tenté de trouver une autre solution. Cette conclusion est renforcée par le fait que Mme Mathiesen a dû attendre près de 2 h 15 min. en position semi-couchée dans le fauteuil Washington.
De l'avis de l'Office, l'inconfort qu'a connu Mme Mathiesen en plus de l'absence d'un fauteuil roulant standard fourni dans les aéroports et du fait que le personnel n'a pas tenté de trouver une autre solution pour assister Mme Mathiesen ont constitué un obstacle abusif a ses possibilités de déplacement au sens du paragraphe 172(1) de la LTC.
En ce qui concerne les difficultés qu'a connues le personnel du transporteur lors du remontage du fauteuil électrique de Mme Mathiesen, ainsi que les dommages causés à celui-ci, l'Office a établi à maintes reprises que le corollaire du droit d'un transporteur de démonter une aide à la mobilité pour des questions opérationnelles est de le remonter de façon adéquate et dans un délai raisonnable. Ceci ne suppose aucunement que l'obligation imposée au transporteur de remonter l'aide à la mobilité ne doit pas être acquittée sans aucune assistance de la part de son propriétaire. Au contraire, l'Office est d'avis que le propriétaire d'une aide à la mobilité est sans aucun doute la personne la mieux placée pour guider le personnel d'un transporteur lors du remontage. Par conséquent, le fait que l'assistance d'une personne qui utilise un aide à la mobilité soit requise lors du remontage de cet aide n'est pas susceptible de constituer un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de la personne; toutefois, l'incapacité du transporteur de remplir son obligation de manière adéquate et dans un délai raisonnable et sans justification est susceptible de constituer un obstacle abusif.
Dans le cas présent, et malgré l'assistance de Mme Mathiesen, la preuve indique que le personnel de KLM a eu beaucoup de difficulté à remonter le fauteuil roulant électrique. Conséquemment, Mme Mathiesen n'a repris possession de son fauteuil que près de 2 h 15 min. après le débarquement. Cette incapacité de remonter le fauteuil roulant dans un délai raisonnable a non seulement retardé Mme Mathiesen dans ses déplacements, mais l'a également forcée à attendre tout ce temps dans une position semi-couchée dans le fauteuil manuel fourni par KLM. De plus, la preuve indique que le fauteuil roulant de Mme Mathiesen a été endommagé lors du démontage, de son transport ou du remontage.
Le transporteur n'a pas nié cette preuve et, en fait, ce dernier a choisi de ne présenter aucun argument ou aucune preuve pouvant expliquer ou justifier le délai lors du remontage et les dommages causés au fauteuil roulant de Mme Mathiesen. À la lumière de ce qui précède, l'Office est d'avis que l'attente de 2 h 15 min. qu'a connue Mme Mathiesen avant qu'on lui remette son fauteuil roulant électrique, ainsi que les dommages causés à celui-ci, ont constitué des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement de Mme Mathiesen.
RÉPARATION
Conformément au paragraphe 172(3) de la LTC, dans le cas d'une décision positive, l'Office peut exiger la prise de mesures correctives indiquées ou le versement d'une indemnité destinée à couvrir les frais supportés par une personne ayant une déficience en raison de l'obstacle en cause, ou les deux.
Depuis l'incident, l'Office note que le transporteur a :
- remboursé Mme Mathiesen pour les dommages causés à son fauteuil roulant,
- transmis à Mme Mathiesen un bon au montant de 200 $US en guise de dédommagement,
- révisé sa procédure d'aide à fournir aux personnes ayant une déficience avec son gestionnaire à Montréal et,
- révisé sa procédure concernant l'assistance à fournir aux personnes ayant une déficience avec le directeur de « GlobeGround », le fournisseur des services au sol de KLM à Dorval.
L'Office prend note des démarches entreprises par KLM, tant avec son personnel qu'avec Mme Mathiesen, afin de résoudre de manière satisfaisante la présente plainte ou de prévenir la répétition d'une telle situation. Malgré ces mesures, l'Office estime nécessaire de revoir à la fois les procédures mentionnées de KLM, la formation qu'a reçue son personnel contractuel à Dorval relativement au transfert de personnes ayant une déficience, et le module de formation relative aux techniques de montage et de démontage de fauteuils roulants.
Compte tenu des conséquences sérieuses que pourrait entraîner l'utilisation d'un fauteuil Washington à des fins autres que celles prévues, l'Office conclut que KLM devrait diffuser un bulletin à son personnel de Dorval décrivant les difficultés qu'à connues Mme Mathiesen et lui rappelant de toujours se servir des fauteuils roulants standard fournis dans les aéroports pour le transfert de passagers depuis la passerelle d'embarquement.
CONCLUSION
À la lumière de ce qui précède, l'Office est d'avis que le niveau d'assistance fourni par KLM à Mme Mathiesen lors de son arrivée à Dorval le 31 août 2001, ainsi que les difficultés qu'a connues le personnel de KLM lors du remontage du fauteuil électrique de Mme Mathiesen, ont constitué des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement de cette dernière au sens du paragraphe 172(1) de la LTC.
À la lumière des constatations précédentes, l'Office enjoint à KLM, dans les trente (30) jours suivant la date de la présente décision, de :
- fournir une copie du matériel de formation qu'a reçu son personnel contractuel à Dorval relativement au transfert de personnes ayant une déficience, et du module de formation relative aux techniques de montage et de démontage de fauteuils roulants des procédures de KLM sur le transfert de passagers.
- diffuser un bulletin à l'intention de ses employés qui fait état des difficultés qu'a connues Mme Mathiesen et qui rappelle au personnel l'importance d'utiliser le fauteuil d'embarquement aux fins pour lesquelles il a été conçu et de ne pas s'en servir pour de longues périodes ou pour le transfert d'un passager de son siège à bord de l'aéronef jusqu'à l'aire de récupération des bagages. Une copie de ce bulletin doit être déposée auprès de l'Office.
Après avoir examiné les renseignements requis, l'Office déterminera si de nouvelles mesures s'imposent.
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