Décision n° 124-R-1997
le 5 mars 1997
DEMANDE déposée par Edmonton Power Inc. faisant affaires sous la raison sociale d'Edmonton Power pour qu'un arrêté soit pris en vertu de l'article 326 de la Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985), ch. R-3, et du Règlement sur les croisements de fils et leur proximité (Ordonnance générale no E-11), C.R.C., ch. 1195, afin de lui permettre de déplacer la ligne aérienne de transport d'électricité existante longeant la rue 103 et de la reconstruire sur et le long de l'emprise de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, entre les points milliaires 94,94 et 95,93 de la subdivision Leduc, dans la ville d'Edmonton, dans la province d'Alberta.
Référence no R 8050/122-094.94
CONTEXTE
Edmonton Power Inc. faisant affaires sous la raison sociale d'Edmonton Power (ci-après la demanderesse) a déposé une demande auprès de l'Office national des transports (ci-après l'ONT) pour qu'un arrêté soit pris afin de lui permettre de reconstruire et d'entretenir une ligne de transport d'électricité de 1,6 kilomètres le long de l'emprise de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (ci-après le CP), auparavant Canadien Pacifique Limitée, le long de la rue 103, dans la ville d'Edmonton, dans la province d'Alberta.
Le 1er juillet 1996, la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10 (ci-après la LTC), est entrée en vigueur. Aux termes de l'article 195 de la LTC, les procédures relatives à certaines questions pendantes devant l'ONT avant l'entrée en vigueur de l'article 195 doivent être poursuivies devant l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office). L'Office a déterminé qu'il devrait trancher la présente affaire conformément aux dispositions du paragraphe 101(3) de la LTC.
Les travaux projetés visent à améliorer l'aspect visuel de la rue 103, qui est l'une des principales artères d'entrée dans Edmonton, dans le cadre du projet d'embellissement de la ville. Le déplacement de la ligne implique l'enlèvement de la ligne aérienne de transport d'électricité existante qui dessert 17 propriétés et entreprises et sa réinstallation derrière les édifices sur l'emprise du CP. La demanderesse précise que les coûts de remplacement de la ligne aérienne par un câble souterrain le long de la rue 103 et la perturbation de la circulation qu'une telle option entraînerait sont des aspects qui ont mené au dépôt de la présente demande.
Dans sa demande, la demanderesse fait observer que le CP a accepté le principe du tracé projeté sur l'emprise ferroviaire sous réserve des conditions d'une entente parallèle. Le tracé proposé est actuellement occupé par une ligne télégraphique du CP qu'il faudra déplacer au prix de 60 000 $ à la charge de la demanderesse. Bien que la demanderesse soit en négociations avec le CP depuis le 5 mai 1995, l'entente parallèle proposée par le CP contient des clauses qui sont inacceptables à la demanderesse.
Les questions litigieuses sont :
- Une clause de «non-négligence» qui dégagerait le CP de ses responsabilités advenant que la ligne aérienne de transport d'électricité soit endommagée par suite d'un acte de négligence de la part d'un de ses employés.
- Le droit de faire enlever la ligne aérienne dans un délai de six mois.
- Le loyer de 4 660 $ par an, calculé à raison de 1 $ le pied linéaire pour l'utilisation du terrain.
POSITION DE LA DEMANDERESSE
La demanderesse fait valoir que l'installation d'une ligne de transport d'électricité de cette importance fait normalement l'objet d'une servitude officielle et, à ce titre, elle demande à l'Office d'émettre un arrêté autorisant ces travaux dans les conditions normalement fixées pour une servitude.
Pour ce qui est de la clause de responsabilité projetée, la demanderesse insiste que le CP doit être tenu responsable de ses actes en cas de négligence d'un de ses employés.
En ce qui concerne le préavis requis, la demanderesse soutient que si la ligne doit être déplacée, il sera très difficile d'effectuer les travaux dans un délai aussi court (6 mois) étant donné qu'il faudra construire des sources d'alimentation de remplacement pour chacune des propriétés attenantes.
La demanderesse estime que, compte tenu de l'état du terrain et du paiement des frais de réinstallation de la ligne aérienne existante du CP, les frais de location sont élevés.
Dans une lettre datée du 15 mai 1996, la demanderesse déclare que les négociations avec le CP ont été rompues lorsqu'un représentant du CP a fait savoir que le projet d'entente parallèle était la dernière offre du CP et qu'aucune autre modification ne serait envisagée. La demanderesse soutient que la construction de la ligne de transport d'électricité nécessite le déplacement d'une ligne télégraphique existante du CP et que, même si la demanderesse a pour principe de déplacer les lignes aériennes sur d'autres poteaux, le CP a décidé de remplacer sa ligne aérienne par un câble souterrain moyennant un coût estimatif de 60 000 $. La demanderesse fait valoir qu'en acceptant de payer les frais de déplacement se chiffrant à 60 000 $ elle montre qu'elle est prête à verser une indemnité raisonnable.
La demanderesse reconnaît que sa proposition est de nature purement esthétique, mais que cet embellissement de la ville d'Edmonton profitera à toutes les entreprises, y compris au CP.
Selon la demanderesse, la construction d'une ligne aérienne sur les propriétés commerciales attenantes est impossible du fait que certains édifices sont érigés sur les limites mêmes des propriétés et que le Alberta Electrical Utility Regulations interdit le franchissement d'édifices par une ligne aérienne.
La demanderesse soutient par ailleurs que la construction de la ligne projetée n'entraînera aucune difficulté financière immédiate pour le CP vu que le secteur est actuellement vacant, qu'il est accidenté, non clôturé et qu'il sert de décharge ou de passage piétonnier dans certains cas. La demanderesse soutient que la demande d'indemnisation n'est pas conforme à des ententes de même nature et ajoute que, puisque le CP paie 6 721,67 $ de taxes par an pour les 13,244 km de son couloir, le tarif de la demanderesse calculé au pro rata devrait être de 735 $ pour toute la largeur du couloir du CP ou de 74 $ pour 10 % de la largeur que la demanderesse se propose en réalité d'utiliser entre les points milliaires 94,94 et 95,84 de la subdivision Leduc.
POSITION DU CP
Dans une lettre datée du 10 mai 1996, le CP s'oppose à la présente demande en prétextant qu'elle est prématurée et qu'elle a été déposée au milieu d'un processus de négociations. Étant donné que la demande n'a rien à voir avec la sécurité, la commodité et la nécessité publiques et qu'elle ne vise qu'un but purement esthétique, le CP estime qu'elle doit être rejetée.
Le CP ajoute qu'il est fondamentalement inéquitable qu'une société de service public soit autorisée à exproprier un couloir ferroviaire en exploitation pour des raisons purement esthétiques sans au moins : 1) assumer l'entière responsabilité des risques et dommages, peu importe qui en est la cause, se rattachant à la construction, à l'entretien et à la réalisation des travaux projetés et indemniser la compagnie de chemin de fer intégralement à cet égard; 2) s'engager à déplacer ou à modifier les ouvrages afin de tenir compte de l'exploitation et de la planification à long terme de la compagnie de chemin de fer; et 3) payer une indemnité raisonnable.
Selon le CP, le fait de posséder, d'entretenir et d'exploiter des terrains ferroviaires comporte des risques importants et des charges financières, notamment d'importantes taxes foncières qui sont payées aux municipalités locales. Si l'emprise ferroviaire n'occupe pas un emplacement convenant aussi bien aux besoins de la demanderesse, le CP affirme que celle-ci aurait fait l'acquisition d'autres terrains, qu'elle aurait payé une indemnité aux propriétaires locaux et qu'elle aurait dû assumer les risques et les charges se rattachant aux titres de propriété acquis.
Le CP fait valoir qu'il y a des propriétés commerciales attenantes à l'emprise ferroviaire qui pourraient convenir à l'érection de la ligne, mais la demanderesse a choisi de profiter du couloir ferroviaire tout en refusant de payer une indemnité raisonnable.
Le CP mentionne que, puisque cette proposition ne concerne pas un ouvrage de franchissement mais l'utilisation d'un long tronçon d'emprise en service, les principes d'indemnisation qui s'appliquent généralement aux situations de franchissement sont sans objet et, à ce titre, il a calculé qu'un loyer annuel de 4 660 $ (ou 1 $ le pied linéaire d'emprise) était raisonnable en l'occurrence.
Le CP est convaincu que la demanderesse cherche à profiter des biens du CP pour ses propres besoins et intérêts commerciaux. Advenant que l'Office décide d'accéder à la demande, celle-ci devra être assujettie aux conditions énoncées dans l'entente parallèle type du CP visant l'installation de lignes intitulée Entente visant l'installation de poteaux et de câbles sur les terrains ferroviaires parallèles à une voie de chemin de fer mais ne la franchissant pas qui englobe des clauses contestées par la demanderesse.
Dans sa lettre du 5 juillet 1996, le CP réaffirme qu'il s'oppose farouchement à l'émission d'un arrêté autorisant l'installation projetée et il demande le rejet de la demande. Pour ce qui est de l'indemnisation, le CP a présenté 11 exemplaires d'accords portant sur l'installation de lignes parallèles de service public le long d'emprises ferroviaires dans l'ouest du Canada où l'indemnisation est calculée au taux de 1 $ le pied linéaire de terrain occupé. Même s'il est prêt à accepter ce taux pour l'installation prévue par la demanderesse, le CP trouve que ce prix est nettement inférieur à la valeur marchande des terrains ferroviaires dans ce quartier. Le CP précise qu'il y a trois ans, il a vendu à la province d'Alberta un couloir ferroviaire de 100 pieds de large sur six milles de long pour un montant approximatif de 7,8 millions $, soit 110 000 $ l'acre. L'an dernier, le CP a vendu une autre bande de terrain d'environ 20 pieds de large pour environ 3 $ le pied carré. À 3 $ le pied carré, ladite partie de l'emprise ferroviaire vaudrait 130 680 $ l'acre ou, si l'on se base sur 10 % de la valeur marchande, 13 000 $ par acre par an, ce qui est très nettement supérieur au prix de 1 $ le pied linéaire proposé.
Le CP a précisé que l'occupation totale sollicitée allait du point milliaire 94,94 au point milliaire 95,93 avec 4 761 pieds aériens et 460 pieds souterrains pour une longueur totale de 5 221 pieds. En réponse aux calculs de la demanderesse visant une servitude de 6 mètres ou 19,7 pieds de large avec occupation minimum de 10 pieds de large (4 pieds mesurés depuis la limite de la propriété jusqu'à la limite du poteau et 6 pieds jusqu'au rail le plus proche), le CP affirme que cela irait à l'encontre de l'exigence de 30 pieds jusqu'au rail le plus proche fixée dans la Notice technique, advenant que le CP soit tenu de construire une voie supplémentaire à cet endroit.
Pour ce qui est du déplacement de la ligne existante de la compagnie de chemin de fer dans le cadre de ce projet, le CP soutient qu'il est désormais d'usage au sein de la compagnie d'enfouir les câbles de signalisation et de transmission déplacés ou nouvellement construits. Les coûts connexes de 60 000 $ que la demanderesse a accepté de prendre à sa charge n'ont rien à voir avec l'indemnité que le CP demande au titre de l'occupation du terrain.
Le CP réfute les allégations de la demanderesse selon lesquelles les édifices sont construits à la limite de la propriété, ce qui interdit de construire la ligne sur les terrains commerciaux attenants, et déclare par ailleurs que les photos présentées par la demanderesse infirment ses allégations.
Quant aux affirmations de la demanderesse selon lesquelles une partie du terrain du CP serait vacante, le CP réplique que ce terrain vacant fait partie de son emprise d'exploitation et qu'au cours d'une réunion sur place tenue l'an dernier, la demanderesse a été informée qu'en raison d'une capacité de triage limitée dans la partie Sud d'Edmonton, il se peut que les modifications à apporter à l'extrémité nord de la cour de triage nécessitent l'ajout d'une voie entre la voie existante et la limite ouest, ce qui fera de ce terrain soi-disant vacant une parcelle extrêmement précieuse pour le CP.
Le CP ajoute que, puisqu'il ne dispose que d'une période de sept mois pour construire une voie supplémentaire en cas de besoin et qu'il doit conserver une certaine flexibilité pour modifier ses installations pour répondre à la demande de ses clients, le préavis de déplacement de six mois est essentiel.
Le CP réaffirme que tout arrêté approuvant les installations proposées doit être pris sous réserve des conditions énoncées dans son entente parallèle type visant l'installation de lignes.
Dans une lettre du 8 juillet 1996, le CP déclare par ailleurs que, même si l'emprise est évaluée pour les besoins fiscaux de l'Alberta à 13,883 $ le kilomètre, ce taux est imposé par règlement dans toute la province et n'a aucun rapport avec la valeur marchande du terrain.
ANALYSE ET CONSTATATIONS DE L'OFFICE
Le paragraphe 101(3) de la LTC autorise l'Office à prendre des arrêtés autorisant la construction d'ouvrages de franchissement, advenant qu'une personne ne réussisse pas à négocier une entente. Dans le cas en instance, la demanderesse a fait observer que le CP avait accepté le principe d'une utilisation de son emprise, mais que les deux parties ne s'entendent pas sur des questions comme le fait de dégager le CP de toute responsabilité en cas de dommage occasionné à la ligne de transport d'électricité par un acte de négligence d'un des employés du CP, le besoin de déplacer les installations moyennant un préavis d'à peine six mois et le montant du loyer annuel.
Pour ce qui est de l'impératif d'une clause de non-négligence du CP, l'Office est d'avis qu'il ne doit pas imposer une telle condition mais que la question de la responsabilité doit être traitée selon les lois de la province.
Sur la question de la publication d'un préavis pour le déménagement ou l'enlèvement des installations, l'Office n'entend pas limiter son pouvoir discrétionnaire en la matière à quelque chose qui risque de se produire à l'avenir. La prise d'un arrêté par l'Office autorisant une entreprise à installer des câblages sur l'emprise ferroviaire confère un droit statutaire à cet endroit jusqu'à ce que cet arrêté soit modifié ou abrogé par l'Office.
Pour ce qui est du loyer annuel, l'Office et ses prédécesseurs ont pour principe de ne pas accorder d'indemnité à une compagnie de chemin de fer lorsqu'une «simple» servitude a été créée sans causer de préjudice réel ou appréciable à la compagnie de chemin de fer ou à ses biens.
Toutefois, la situation en présence est exceptionnelle en ce sens que la demanderesse ne demande pas une «simple» servitude en travers de l'emprise ferroviaire en vue d'offrir un service à ses clients, mais plutôt un empiétement de 5 221 pieds de long le long de la voie pour des motifs purement esthétiques. Il faut en effet savoir que cette ligne existe déjà, que le service est déjà fourni et que le déplacement de la ligne a pour but d'améliorer l'aspect visuel de la rue 103 dans le cadre du projet d'embellissement de la ville d'Edmonton.
L'Office constate en outre que le CP pourrait devoir ajouter une autre voie dans ce secteur à l'avenir, ce qui rend cette emprise extrêmement précieuse pour la compagnie de chemin de fer. Par ailleurs, la demanderesse affirme avoir décidé d'utiliser l'emprise exploitée par le CP plutôt que d'acquérir les droits nécessaires sur les terrains attenants auprès de leurs propriétaires, car cela risquait d'être un processus aussi coûteux que fastidieux.
L'Office est d'avis que la demanderesse n'a pas démontré de façon satisfaisante que l'empiétement demandé était la seule solution ni que cette proposition était motivée par des questions de sécurité, de commodité et de nécessité publiques, mais plutôt par choix. Compte tenu de ces faits, l'Office est d'avis qu'en l'occurrence, il faut autoriser le CP à percevoir un loyer annuel pour la portion utilisée de cette emprise ferroviaire. Selon les données fournies par les parties, et en particulier les copies d'autres accords présentées par le CP, l'Office estime qu'un loyer annuel de 1 $ le pied linéaire d'emprise ferroviaire est raisonnable.
C'est pourquoi l'Office autorise le déplacement de la ligne aérienne de transport d'électricité qui longe la rue 103 et sa reconstruction sur l'emprise ferroviaire entre les points milliaires 94,94 et 95,93 de la subdivision Leduc à Edmonton. La demanderesse assumera tous les coûts de construction, d'exploitation et d'entretien se rattachant à cette ligne de transport d'électricité. En outre, la demanderesse devra payer au CP un loyer annuel de 1 $ le pied linéaire d'emprise ferroviaire jusqu'à ce que l'arrêté pris à cet effet soit modifié ou abrogé.
Un arrêté sera pris à cet effet.
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