Décision n° 166-AT-A-2003

le 26 mars 2003

Suivi - décision no 668-AT-A-2006

le 26 mars 2003

DEMANDE présentée par Richard Fortier, en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, concernant les difficultés qu'il a éprouvées en raison de l'attestation médicale exigée par Air Canada au moment d'une première réservation de voyage entre Montréal (Québec), Canada, et Miami, Floride, États-Unis d'Amérique, de l'assistance à l'embarquement et au débarquement qu'Air Canada lui a fournie à Montréal et à Miami, et de l'assignation des sièges à bord du vol de retour du transporteur à Montréal le 28 janvier 2001.

Référence no U3570/01-3


DEMANDE

Le 30 novembre 2000, Carole Benoit a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la demande énoncée dans l'intitulé au nom de son époux, Richard Fortier. Le 13 février 2001, Mme Benoit a fourni des renseignements supplémentaires.

Le 12 avril 2001, Air Canada a déposé sa réponse à la demande et y a joint une copie du dossier passager de M. Fortier (ci-après le DP), une copie du formulaire d'Air Canada intitulé État de santé des personnes désirant voyager qui fournit des détails sur la capacité de M. Fortier à voyager par avion, une copie de la politique d'Air Canada sur l'assignation des sièges accessibles (CIC 36/13), une copie de la politique du transporteur sur l'approbation médicale (CIC 57/29) et une copie de la politique d'Air Canada concernant les accompagnateurs (CIC 59/15). Le 4 mai 2001, Mme Benoit a déposé sa réplique à la réponse du transporteur.

Aux termes du paragraphe 29(1) de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC), l'Office est tenu de rendre sa décision au plus tard 120 jours après la date de réception de la demande, sauf s'il y a accord entre les parties pour une prolongation du délai. Dans le cas présent, les parties ont convenu de prolonger le délai pour une période indéterminée.

OBSERVATION PRÉLIMINAIRE

M. Fortier et Mme Benoit ont acheté des forfaits vacances par l'entremise d'un agent de voyages. Les forfaits, offerts par Vacances Air Canada, comprenaient le transport aérien aller-retour assuré par Air Canada entre Montréal et Miami, le transport terrestre aller-retour par autobus-navette entre Miami et Fort Lauderdale et une croisière de sept jours à bord d'un paquebot de la Royal Caribbean International. Outre les difficultés éprouvées en raison de l'attestation médicale exigée au moment de la première réservation de voyage, de l'assistance à l'embarquement et au débarquement fournie à M. Richard à Montréal et à Miami et de l'assignation des sièges à bord du vol de retour à Montréal le 28 janvier 2001, Mme Benoit a également fait part de problèmes relativement au service de navette entre Miami et Fort Lauderdale. À cet égard, l'Office note que lesdits problèmes relèvent du service à la clientèle de la Royal Caribbean International et ne sont pas survenus en raison de la déficience de M. Fortier. L'Office n'en tiendra donc pas compte dans sa décision.

QUESTION

L'Office doit examiner les éléments de la demande énoncés ci-après et déterminer s'il y a eu obstacle abusif aux possibilités de déplacement de M. Fortier et, le cas échéant, les mesures correctives devant être prises :

  • l'attestation médicale exigée au moment de la première réservation de voyage;
  • l'assistance fournie à M. Fortier à l'embarquement du vol à destination de Miami le 21 janvier 2001;
  • l'assistance fournie à M. Fortier à l'embarquement et au débarquement du vol de retour à Montréal le 28 janvier 2001; et
  • l'assignation des sièges à bord du vol de retour à Montréal le 28 janvier 2001.

FAITS

M. Fortier a une mobilité réduite en raison d'un problème d'équilibre et il utilise un fauteuil roulant.

Au début du mois de novembre 2000, Mme Benoit a communiqué avec l'agence de voyages Marlin pour planifier une croisière avec son époux et deux autres personnes. L'agent de voyage a pris les arrangements nécessaires et réserver la croisière et le transport aérien. Au sujet de l'assignation des sièges, l'agent de voyage a avisé Mme Benoit que pour accélérer le processus et obtenir une priorité, elle devait fournir rapidement un certificat médical confirmant la déficience de M. Fortier. Le service médical d'Air Canada a fait part à Mme Benoit que ce document devait lui être fourni si elle voulait bénéficier du tarif accompagnateur. Mme Benoit a alors fait savoir au service médical d'Air Canada que si la procédure à suivre pour avoir droit au tarif accompagnateur allait être compliquée, elle préférerait ne pas en bénéficier. Le service médical d'Air Canada a par la suite informé Mme Benoit qu'il était essentiel qu'un certificat médical lui soit fourni pour permettre à M. Fortier de voyager. Le médecin de M. Fortier a signé le certificat médical le 28 novembre 2000 et l'a fait parvenir à Air Canada.

Mme Benoit, n'ayant toujours pas obtenu de confirmation de la part d'Air Canada en date du 8 décembre 2000, a annulé les arrangements de voyage pris auprès de l'agence de voyage Marlin et a entamé de nouvelles démarches auprès de l'agence de voyage Voyages en Liberté. Celle-ci a informé Mme Benoit d'un forfait offert par Vacances Air Canada qui correspondait à ses besoins. Aucun certificat médical n'a été exigé par le transporteur aérien au moment de cette deuxième réservation.

Air Canada utilise un système informatisé pour produire un DP dans lequel figurent des renseignements au sujet du passager, y compris ses besoins particuliers. Le DP de M. Fortier faisait état du code WCHC et de la note suivante : « non self reliant with attendant ». Ce code est défini dans le Passenger Services Conference Resolutions Manual de l'Association du transport aérien international (IATA) comme suit : « Passenger completely immobile. Requires wheelchair to/from aircraft/mobile lounge and must be carried up/down steps and to/from cabin seat... ».

À l'arrivée de M. Fortier et de Mme Benoit à l'Aéroport de Dorval le 21 janvier 2001, l'agent d'enregistrement leur a confirmé qu'un fauteuil roulant serait mis à la disposition de M. Fortier au quai d'embarquement. M. Fortier a été escorté jusqu'à la porte d'embarquement, mais aucun fauteuil roulant n'était disponible pour effectuer son transfert et le faire monter à bord de l'aéronef. M. Fortier et Mme Benoit ont dû attendre dans le corridor, qui était peu chauffé, et ce jusqu'à ce qu'on apporte un fauteuil roulant pour prêter assistance à M. Fortier. Ils ont par la suite été contraints d'attendre que tous les autres passagers soient embarqués avant de pouvoir monter à bord de l'aéronef.

Le 28 janvier 2001, au cours de l'enregistrement pour le vol de retour, Mme Benoit a informé l'agent des besoins de M. Fortier et demandé qu'on leur assigne des sièges près d'une salle de toilette. L'agent a avisé Mme Benoit qu'un fauteuil roulant serait mis à la disposition de M. Fortier au moment de procéder à son embarquement. Un fauteuil roulant a effectivement été mis à la disposition de M. Fortier au moment de procéder à son embarquement, mais aucun des préposés n'était sur place pour lui prêter assistance. Mme Benoit a elle-même poussé son époux dans le fauteuil roulant jusqu'à la porte de l'aéronef, et ils ont par la suite été contraints d'attendre que tous les autres passagers soient embarqués avant de pouvoir en faire autant. Une fois à bord de l'aéronef, M. Fortier et Mme Benoit ont constaté que les sièges qui leur avaient été assignés se trouvaient à environ sept mètres de la salle de toilette. La situation a cependant été rapidement corrigée, le personnel de bord leur ayant assigné de nouveaux sièges dans la dernière rangée de sièges de l'aéronef. À l'arrivée de leur vol à l'Aéroport de Dorval, M. Fortier et Mme Benoit ont été avisés qu'ils recevraient toute l'aide nécessaire dès que tous les passagers auraient débarqué. Ils ont toutefois dû attendre de nouveau plus de vingt minutes après que tous les autres passagers soient descendus avant qu'on vienne prêter assistance à M. Fortier pour débarquer.

POSITIONS DES PARTIES

Attestation médicale exigée au moment de la première réservation

Mme Benoit se plaint des contraintes et de la discrimination qu'a exercées le transporteur à son égard et à l'égard de son époux au moment de la première réservation. Mme Benoit précise que ce n'est qu'au moment où elle a personnellement communiqué avec le service médical d'Air Canada qu'elle a pris connaissance des privilèges dont pouvait bénéficier un accompagnateur. Mme Benoit ne doute pas que les procédures d'Air Canada soient appropriées. Cependant, elle estime que le transporteur ne les applique pas uniformément. Mme Benoit maintient qu'en raison des actions prises par le transporteur, elle et son époux ont été exposés à plusieurs inconvénients. Elle note, par exemple, qu'ils n'étaient même plus assurés d'avoir des places à bord du paquebot de croisière, qu'ils ont engagés des frais pour obtenir l'attestation médicale, que la croisière leur a coûté plus cher et, enfin, qu'ils ont perdu la prime offerte par l'agence de voyage Marlin (un téléviseur couleur et un lecteur DVD) en annulant la première réservation.

Air Canada indique regretter de ne pas avoir eu l'occasion de terminer son enquête sur la plainte de Mme Benoit avant qu'elle ne fasse l'objet d'une plainte formelle devant l'Office.

Air Canada déclare qu'à la suite de l'examen des deux dossiers de réservation, il a été déterminé que la première réservation comprenait une demande de tarif accompagnateur mais que la seconde n'en comprenait pas. Pour cette raison, les demandes de réservation ont été traitées différemment. Air Canada explique que selon sa politique, toute demande de tarif accompagnateur doit être approuvée par son service médical. Le tarif est accordé dès que le médecin traitant du passager en fait la demande par voie du formulaire du transporteur intitulé État de santé des personnes désirant voyager. Un tarif accompagnateur a ainsi été accordé à Mme Benoit dans le cadre de la première réservation, une fois que le formulaire de M. Fortier, dûment rempli par son médecin, a été reçu. Le tarif accompagnateur n'étant pas applicable aux forfaits de Vacances Air Canada, la seconde réservation de M. Fortier n'était pas assortie d'une telle demande. Air Canada indique que c'est Vacances Air Canada qui a recommandé que l'agence de voyage communique avec le service médical pour discuter du besoin d'un fauteuil roulant. Une demande de fauteuil roulant a été inscrite au dossier de réservation de M. Fortier par l'agent de voyage qui y a également indiqué, à titre informatif seulement, qu'un certificat médical avait été reçu dans le cadre d'une précédente réservation de voyage.

Assistance à l'embarquement du vol du 21 janvier 2001

Mme Benoit soutient qu'elle et son époux ont dû attendre jusqu'à ce qu'on apporte un fauteuil roulant pour prêter assistance à M. Fortier pour monter à bord de l'aéronef et que le fauteuil roulant qui leur a été apporté était « gelé ». Elle ajoute qu'ils ont pu par la suite embarquer, mais ce, sous le regard de tous les autres passagers. Mme Benoit indique qu'il serait dans l'intérêt d'Air Canada que le transporteur réponde aux attentes des clients et suive les procédures en place afin d'éviter d'indisposer les personnes concernées. Mme Benoit maintient que la situation a été, pour elle et son époux, une source d'anxiété et qu'on a porté atteinte à leur dignité.

Air Canada fait valoir qu'à l'aéroport de Montréal, c'est le personnel de ses services aux passagers qui accompagne les clients en fauteuil roulant du comptoir d'enregistrement jusqu'à la porte d'embarquement. Toutefois, c'est le personnel de l'aire de trafic de l'aéroport qui est responsable de leur fournir l'assistance avec fauteuil roulant requise jusqu'à leur siège dans l'aéronef. Air Canada explique que les fauteuils roulants demeurent dans les passerelles afin d'assurer leur disponibilité en tout temps. Air Canada ajoute qu'il arrive que certains se trouvent dans des endroits peu chauffés, et qu'il s'écoule un certain temps avant qu'un fauteuil roulant soit apporté à la porte d'embarquement. Air Canada prend note des inconvénients subis par M. Fortier et Mme Benoit et s'en excuse.

Assistance à l'embarquement et au débarquement du vol du 28 janvier 2001

Pour ce qui est de l'embarquement, Mme Benoit indique qu'après avoir atteint la porte d'embarquement, elle et son époux ont été contraints d'attendre dans le corridor, et ce, sous le regard de tous les autres passagers, avant de pouvoir embarquer dans l'aéronef à leur tour. Elle ajoute que c'est elle qui a poussé son époux en fauteuil roulant jusqu'à la porte de l'aéronef, comme on lui a demandé de le faire étant donné qu'aucun des agents chargés de fournir ce service n'était disponible pour le faire.

Air Canada fait savoir qu'elle n'a pu établir avec certitude les circonstances entourant l'embarquement tardif à l'aéroport de Miami, sauf que le vol en question était complet et que cinq des passagers étaient en fauteuil roulant.

Air Canada explique qu'à l'aéroport de Miami, elle a recours aux services d'un sous-traitant pour fournir l'assistance à l'embarquement aux clients en fauteuil roulant. Au moment de l'enregistrement, Air Canada avise le sous-traitant en question qui dépêche un préposé au comptoir. Le préposé conduit alors le client en fauteuil roulant jusqu'à la porte d'embarquement et demeure auprès de lui afin de procéder au préembarquement en temps opportun. Air Canada ajoute que c'est aussi ce préposé qui s'occupe du client jusqu'à ce que ce dernier soit installé dans son siège à bord de l'aéronef.

Pour ce qui est du débarquement à Montréal, Mme Benoit estime injustifiée l'attente de plus de vingt minutes à laquelle elle et son époux ont été soumis, et ce, après que tous les autres passagers soient descendus, y compris ceux qui étaient en fauteuil roulant, avant qu'on vienne prêter assistance à M. Fortier pour débarquer. Selon elle, un employé aurait dû être en poste pour prêter l'assistance requise par son époux. Elle fait savoir que la situation les a exaspérés et qu'à son avis, il y a un manque de sensibilité à l'égard des personnes à mobilité réduite et il y a lieu de revoir la fourniture des services qui leur sont offerts.

Pour sa part, Air Canada explique que les préposés ont dû procéder au débarquement de cinq personnes en fauteuil roulant, ce qui a pu entraîner un certain retard.

Assignation des sièges à bord du vol de retour le 28 janvier 2001

Mme Benoit soutient qu'au moment de l'enregistrement, son époux et elle ont informé l'agent des besoins de M. Fortier, et ce, même si cela avait déjà été fait par l'agence de voyage. Cependant, Mme Benoit indique que les sièges qui leur ont été assignés se trouvaient à environ sept mètres de la salle de toilette. Elle fait toutefois savoir que la situation a été corrigée une fois à bord de l'aéronef, mais qu'ils ont dû à nouveau « parader » sous le regard de tous les autres passagers. Mme Benoit souligne que son époux et elle ont fort apprécié la promptitude du personnel de bord d'Air Canada à leur assigner de nouveaux sièges.

Selon les renseignements dont dispose Air Canada, c'est l'agent de voyage qui a fait la demande d'un siège près cloison pour M. Fortier. Air Canada indique que l'agent de Vacances Air Canada, qui n'a pas cru bon de noter les besoins en matière de siège de M. Fortier dans son DP, lui a fait savoir qu'aucun arrangement pour le type de siège requis ne pouvait être pris avant l'enregistrement. Air Canada soutient que cette information est contraire à sa politique d'assignation des sièges accessibles, qui précise que les employés doivent tenter de réserver les sièges requis au moment de la réservation et faire parvenir le dossier au service médical d'Air Canada s'ils n'y parviennent pas. De plus, Air Canada signale que son personnel est tenu de décrire le plus précisément possible le type de siège requis par une personne ayant une déficience afin de faciliter la réassignation d'un siège comparable dans l'éventualité où l'on doive apporter une modification à la réservation.

Air Canada constate qu'au moment de l'enregistrement, les sièges près cloison 12D et 12E ont été assignés à M. Fortier et Mme Benoit, en l'absence de directives au dossier. Air Canada prend note que M. Fortier et Mme Benoit ont demandé des sièges à proximité d'une salle de toilette et que l'agent d'enregistrement leur a indiqué que les sièges qui leur étaient assignés étaient situés directement à côté d'une salle de toilette, ce qui n'était pas le cas. Air Canada indique que bien que les sièges de la rangée 12 soient les plus près (en classe économique) de la salle de toilette de la classe affaires, ils sont effectivement situés à plusieurs mètres de la salle de toilette en classe économique. Air Canada dit ne pas pouvoir expliquer les circonstances d'une telle erreur. Air Canada affirme que, par voie d'un communiqué à l'intention de ses préposés des ventes et du service à la clientèle émis en février 2001, Air Canada a invité ses employés à réviser la politique d'assignation des sièges.

Air Canada a également avisé l'Office que la politique d'Air Canada en matière de sièges accessibles sera révisée avec l'agent de Vacances Air Canada concerné.

Finalement, Air Canada reconnaît que le service offert à M. Fortier et à Mme Benoit est bien en deçà des normes de professionnalisme recherchées et elle s'en excuse. Air Canada indique avoir en place des politiques et procédures visant à satisfaire aux besoins de sa clientèle, y compris les personnes ayant une déficience. Air Canada ajoute qu'aux termes de son enquête, il ressort que ses politiques et procédures n'ont pas été suivies par des membres de son personnel, ce qui a entraîné de sérieux inconvénients pour ses clients.

Mme Benoit maintient qu'on a porté atteinte à leur dignité au plus au point lors de ce voyage. Dans sa réplique, Mme Benoit indique qu'ils ne doutent pas de la bonne foi d'Air Canada, mais qu'il semble y avoir un écart entre les procédures en place et leur mise en application. Mme Benoit réitère qu'ils ont perdu la prime offerte par l'agence de voyage en annulant la première réservation, qu'ils ont été soumis à plusieurs attentes et connu plusieurs frustrations et que la deuxième réservation de voyage leur a coûté plus cher.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.

La demande doit être présentée par une personne ayant une déficience ou en son nom. M. Fortier a une mobilité réduite en raison d'un problème d'équilibre et il utilise un fauteuil roulant. Il est donc une personne ayant une déficience aux fins de l'application des dispositions d'accessibilité de la LTC.

Pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si les possibilités de déplacement de la personne qui présente la demande ont été restreintes ou limitées par un obstacle. Le cas échéant, l'Office doit alors décider si l'obstacle était abusif. Pour répondre à ces questions, l'Office doit tenir compte des circonstances de l'affaire dont il est saisi.

Les possibilités de déplacement ont-elles été restreintes ou limitées par un obstacle ?

L'expression « obstacle » n'est pas définie dans la LTC, ce qui donne à penser que le Parlement ne voulait pas limiter la compétence de l'Office compte tenu de son mandat d'éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. De plus, le terme « obstacle » a un sens large et s'entend habituellement d'une chose qui entrave le progrès ou la réalisation.

Pour déterminer si une situation constitue ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience dans un cas donné, l'Office se penche sur les déplacements de cette personne qui sont relatés dans la demande. Dans le passé, l'Office a conclu qu'il y avait eu des obstacles dans plusieurs circonstances différentes. Par exemple, dans certains cas des personnes n'ont pas pu voyager, d'autres ont été blessées durant leurs déplacements (notamment quand l'absence d'installations convenables durant le déplacement affecte la condition physique du passager) et d'autres encore ont été privées de leurs aides à la mobilité endommagées pendant le transport. De plus, l'Office a identifié des obstacles dans les cas où des personnes ont finalement été en mesure de voyager, mais les circonstances découlant de l'expérience ont été telles qu'elles ont miné leur sentiment de confiance, de dignité, de sécurité, situation qui pourrait décourager ces personnes de voyager à l'avenir.

L'obstacle était-il abusif ?

À l'instar du terme « obstacle », l'expression « abusif » n'est pas définie dans la LTC, ce qui permet à l'Office d'exercer sa discrétion pour éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. Le mot « abusif » a également un sens large et signifie habituellement que quelque chose dépasse ou viole les convenances ou le bon usage (excessif, immodéré, exagéré). Comme une chose peut être jugée exagérée ou excessive dans un cas et non dans un autre, l'Office doit tenir compte du contexte de l'allégation d'obstacle abusif. Dans cette approche contextuelle, l'Office doit trouver un juste équilibre entre le droit des passagers ayant une déficience d'utiliser le réseau de transport de compétence fédérale sans rencontrer d'obstacles abusifs, et les considérations et responsabilités commerciales et opérationnelles des transporteurs. Cette interprétation est conforme à la politique nationale des transports établie à l'article 5 de la LTC et plus précisément au sous-alinéa 5g)(ii) de la LTC qui précise, entre autres, que les modalités en vertu desquelles les transporteurs ou modes de transport exercent leurs activités ne constituent pas, dans la mesure du possible, un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

L'industrie des transports élabore ses services pour répondre aux besoins des utilisateurs. Les dispositions d'accessibilité de la LTC exigent quant à elles que les fournisseurs de services de transport du réseau de transport de compétence fédérale adaptent leurs services dans la mesure du possible aux besoins des personnes ayant une déficience. Certains empêchements doivent toutefois être pris en considération, par exemple les mesures de sécurité que les transporteurs doivent adopter et appliquer, les horaires qu'ils doivent s'efforcer de respecter pour des raisons commerciales, la configuration du matériel et les incidences d'ordre économique qu'aura l'adaptation d'un service sur les transporteurs aériens. Ces empêchements peuvent avoir une incidence sur les personnes ayant une déficience. Ainsi, ces personnes ne pourront pas nécessairement embarquer dans l'aéronef avec leur propre fauteuil roulant, elles peuvent devoir arriver à l'aérogare plus tôt aux fins de l'embarquement et elles peuvent devoir attendre plus longtemps pour obtenir de l'assistance au débarquement que les personnes n'ayant pas de déficience. Il est impossible d'établir une liste exhaustive des obstacles qu'un passager ayant une déficience peut rencontrer et des empêchements que les fournisseurs de services de transport connaissent dans leurs efforts pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience. Il faut en arriver à un équilibre entre les diverses responsabilités des fournisseurs de services de transport et le droit des personnes ayant une déficience à voyager sans rencontrer d'obstacle, et c'est dans cette recherche d'équilibre que l'Office applique le concept d'obstacle abusif.

Le cas présent

Attestation médicale exigée au moment de la première réservation

Selon l'information fournie par Mme Benoit dans la demande, c'est l'agent de voyage qui lui aurait dit qu'afin d'accélérer le processus d'assignation des sièges et d'avoir une priorité de siège, elle devait fournir rapidement un certificat médical confirmant la déficience de M. Fortier. Mme Benoit n'a jamais demandé un tarif accompagnateur. Malgré cela, le service médical d'Air Canada a indiqué à Mme Benoit qu'un certificat médical était nécessaire si M. Fortier voulait voyager.

La liste des passagers qui ont besoin d'une attestation médicale qui figure dans la politique d'Air Canada en vigueur, donne, au point 10, « Passager ayant besoin d'un accompagnateur ». Comme le DP de M. Fortier précise qu'il a besoin d'un accompagnateur, il était donc tenu de fournir une attestation médicale. Dans le présent dossier, l'agent du service médical d'Air Canada avait inscrit au DP de M. Fortier qu'une attestation médicale avait déjà été obtenue dans le cadre d'une précédente demande réservation. Il est donc logique qu'aucune attestation médicale n'ait été demandée pour la deuxième réservation puisque le DP de M. Fortier portait une mention de l'approbation accordée dans le cadre de la précédente demande de réservation. Donc, si le DP de M. Fortier n'avait pas fait état de l'attestation médicale obtenue dans le cadre d'une précédente réservation de voyage, Air Canada lui en aurait demandé une.

L'Office note que l'attestation médicale a été accordée par Air Canada dès la réception du formulaire signé par le médecin de M. Fortier. L'Office reconnaît que M. Fortier et Mme Benoit ont dû surmonter plusieurs contraintes. Toutefois, l'Office n'est pas en mesure de conclure, d'après la preuve au dossier, que l'attestation médicale exigée par le transporteur a constitué un obstacle aux possibilités de déplacement de M. Fortier; il s'agit plutôt d'une mesure de sécurité qui a été adoptée par Air Canada et qu'elle se doit d'appliquer.

Assistance à l'embarquement du vol du 21 janvier 2001

L'Office note que la demande de fauteuil roulant apparaissait au DP de M. Fortier.

Selon Mme Benoit, son époux et elle ont été contraints d'attendre pour qu'on prête assistance à M. Fortier à l'embarquement à Montréal. Plus particulièrement, M. Fortier a été escorté jusqu'à la porte d'embarquement; toutefois, étant donné qu'aucun fauteuil roulant n'était disponible pour effectuer son transfert et le monter à bord de l'aéronef, M. Fortier et Mme Benoit ont dû attendre dans le corridor jusqu'à ce qu'un fauteuil roulant soit mis à leur disposition. Ils ont par la suite été contraints d'attendre que tous les passagers soient embarqués avant de pouvoir monter à bord de l'aéronef.

Air Canada procède normalement au préembarquement des personnes ayant besoin d'assistance, et ce pour éviter des situations semblables à celle qu'a vécue M. Fortier. L'Office reconnaît que la situation a provoqué de l'incertitude et de la confusion puisque le préembarquement n'était pas terminé lorsqu'on a procédé à l'embarquement. De plus, l'Office prend note de la longue attente à laquelle on a soumis M. Fortier et Mme Benoit sans les avertir que l'assistance attendue leur serait fournie. Toutefois, l'Office note que l'assistance demandée par M. Fortier lui a été fournie. Bien qu'on lui ait prêté assistance de façon un peu tardive, l'Office ne considère pas que le retard était exagéré ou excessif.

En l'espèce, l'Office détermine que le retard à fournir à M. Fortier l'assistance requise à l'embarquement à Montréal n'a pas constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement.

Assistance à l'embarquement et au débarquement du vol du 28 janvier 2001

Selon Mme Benoit, elle et son époux ont été contraints d'attendre pour obtenir l'assistance requise à l'embarquement du vol à Miami et au débarquement du vol à Montréal.

En ce qui concerne l'embarquement à Miami, l'Office note que Mme Benoit a elle-même poussé M. Fortier dans le fauteuil roulant jusqu'à la porte de l'aéronef car aucun des agents du sous-traitant chargé de fournir ce service n'était libre. Air Canada a pour sa part indiqué qu'au moment de l'enregistrement, le transporteur communique avec le sous-traitant qui dépêche un préposé au comptoir. L'Office constate, toutefois, que même si l'assistance requise avait été demandée à l'avance, comme en fait foi le DP de M. Fortier, elle ne lui a pas été fournie. L'Office considère donc que la non-fourniture de cette assistance a constitué un obstacle aux possibilités de déplacement de M. Fortier. L'Office prend note qu'Air Canada a recours aux services d'un sous-traitant pour offrir cette assistance. Toutefois, Air Canada n'a émis aucune information pour expliquer pourquoi le sous-traitant n'a pas fourni l'assistance requise. L'Office estime qu'il incombe à Air Canada de fournir de tels services à ses passagers, et ce, par l'entremise d'un sous-traitant si nécessaire. L'Office estime qu'il est raisonnable qu'un passager ayant une mobilité réduite qui a besoin d'assistance et qui en a fait la demande, comme M. Fortier, reçoive cette assistance. Par conséquent, l'Office détermine que la non-fourniture de l'assistance demandée par M. Fortier pour se rendre jusqu'à la porte de l'aéronef a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.

Par ailleurs, l'Office note qu'après que M. Fortier et Mme Benoit ont atteint la porte de l'aéronef, ils ont dû attendre que tous les passagers soient montés à bord avant de pouvoir en faire autant. L'Office reconnaît que cette situation a pu préoccuper M. Fortier, mais il ne considère pas que le retard accusé était exagéré ou excessif. L'Office constate qu'en l'espèce, M. Fortier a été en mesure de voyager en dépit des circonstances. Par conséquent, l'Office ne considère pas que le retard à prêter assistance à M. Fortier depuis la porte de l'aéronef jusqu'à son siège à bord de l'aéronef a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement.

Pour ce qui est du débarquement du vol à Montréal, l'Office prend note que M. Fortier et Mme Benoit ont dû attendre plus de vingt minutes après que tous les autres passagers, y compris ceux qui étaient en fauteuil roulant, soient descendus de l'aéronef avant de pouvoir débarquer, et ce, sans avoir si l'assistance demandée leur serait fournie. L'Office reconnaît que la situation leur a été une source d'inquiétude et de confusion. L'Office note que M. Fortier et Mme Benoit ont été avisés à l'arrivée de leur vol à l'aéroport de Dorval qu'ils recevraient l'assistance nécessaire dès que tous les passagers seraient débarqués, mais, en ne faisant rien par la suite pour expliquer la situation à M. Fortier et le rassurer que l'assistance requise lui serait fournie le plus rapidement possible dans les circonstances, l'Office est d'avis que le personnel d'Air Canada a fait preuve d'un manque de sensibilité à son égard. Dans une telle situation, le personnel d'Air Canada aurait dû prendre l'initiative de discuter avec M. Fortier pour lui donner un aperçu de la situation pendant qu'il était à bord de l'aéronef. Par conséquent, l'Office conclut que le retard à fournir à M. Fortier l'assistance requise au débarquement à Montréal a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement, puisqu'il s'est ainsi trouvé dans une situation stressante et dérangeante.

L'Office reconnaît que pour éviter la congestion dans les allées, les transporteurs aériens ont comme pratique de procéder au débarquement des personnes ayant besoin d'assistance après que tous les autres passagers soient débarqués. Dans le cas présent, l'attente à laquelle M. Fortier a été soumis a été prolongée du fait que cinq passagers avaient demandé de l'aide pour débarquer. L'Office est d'avis que même si l'attente a causé un inconvénient à M. Fortier, cette attente était attribuable à des circonstances opérationnelles inhabituelles en raison du nombre de passagers qui ont eu besoin d'assistance au débarquement. L'Office note que l'assistance demandée par M. Fortier lui a été fournie et, par conséquent, il considère que le retard à fournir à M. Fortier l'assistance requise au débarquement à Montréal n'a pas constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.

Assignation des sièges à bord du vol de retour le 28 janvier 2001

Le DP de M. Fortier ne fait pas état du besoin exprimé par celui-ci concernant l'assignation de sièges près d'une salle de toilette, et ce, malgré les deux tentatives déployées par M. Fortier. Premièrement, l'agent de voyage, qui n'a pas cru bon d'inscrire ce besoin dans le DP de M. Fortier, lui a répondu qu'aucun arrangement pour ce type de siège ne pouvait être pris avant l'enregistrement. Deuxièmement, au moment de l'assignation des sièges au comptoir d'enregistrement, l'agent a indiqué, à tort, à M. Fortier et à Mme Benoit que les sièges qu'on leur avait assignés étaient situés près d'une salle de toilette. L'Office détermine donc que cela a constitué un obstacle aux possibilités de déplacement de M. Fortier.

Selon l'Office, l'agent d'enregistrement peut avoir cru que M. Fortier accepterait d'utiliser la salle de toilette de la classe affaires. Toutefois, l'agent aurait pu informer M. Fortier de ce fait afin de vérifier si les sièges satisfaisaient à ses besoins. Néanmoins, l'Office constate que le personnel de bord du transporteur a rapidement réagi et réassigné à M. Fortier un siège qui satisfaisait à ses besoins. D'ailleurs, Mme Benoit a indiqué avoir grandement apprécié la promptitude avec laquelle le personnel de bord d'Air Canada leur a assigné de nouveaux sièges. Ainsi, l'Office estime que l'assignation des sièges n'a pas constitué un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de M. Fortier.

De plus, l'Office note qu'en février 2001, Air Canada a fait parvenir un communiqué à l'intention de ses préposés à la vente et au service à la clientèle, dans lequel Air Canada les invitait à réviser la politique d'assignation des sièges du transporteur. L'Office note également qu'Air Canada a informé l'Office qu'elle allait revoir sa politique en matière de sièges accessibles avec l'agent de voyage de Vacances Air Canada concerné dans ce dossier.

CONCLUSION

Compte tenu des constatations qui précèdent, l'Office conclut que les éléments de la demande énoncés ci-après n'ont pas créé d'obstacle aux possibilités de déplacement de M. Fortier :

  • l'attestation médicale exigée par Air Canada au moment de la première réservation de voyage;
  • le retard à fournir à M. Fortier l'assistance requise à l'embarquement du vol à destination de Miami le 21 janvier 2001; et
  • l'assistance fournie à M. Fortier à l'embarquement du vol de retour à Montréal le 28 janvier 2001, depuis de la porte de l'aéronef jusqu'à son siège à bord de l'aéronef.

Par ailleurs, l'Office conclut que les éléments de la demande énoncés ci-après ont créé des obstacles aux possibilités de déplacement de M. Fortier, mais que ces obstacles n'étaient pas abusifs :

  • le retard à fournir à M. Fortier l'assistance requise au débarquement du vol de retour à Montréal le 28 janvier 2001; et
  • l'assignation des sièges à bord du vol de retour à Montréal le 28 janvier 2001.

Par contre, l'Office conclut que la non-fourniture de l'assistance demandée par M. Fortier pour se rendre jusqu'à la porte de l'aéronef du vol de retour à Montréal le 28 janvier 2001 a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement et que cet obstacle était abusif.

L'Office enjoint donc, par les présentes, à Air Canada de prendre les mesures suivantes dans les trente (30) jours suivant la date de la présente décision :

  • Fournir à l'Office un rapport sur les mesures exceptionnelles ou autres mesures précises qui seront adoptées pour éviter que des incidents semblables à ceux qu'a vécus M. Fortier à l'aéroport de Miami ne se reproduisent. Ce rapport devra faire état des mesures prises par Air Canada pour assurer la fourniture d'assistance avec fauteuil roulant en son nom par l'entremise d'un sous-traitant.
  • Publier un bulletin d'information à l'intention de ses employés à l'aéroport de Miami, ainsi que des employés du sous-traitant à ce même aéroport, soulignant l'importance de fournir les services demandés par les personnes ayant une déficience, à la lumière des incidents vécus par M. Fortier; et transmettre à l'Office une copie de ce bulletin.

Après examen des documents requis, l'Office déterminera si d'autres mesures sont nécessaires.

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