Décision n° 167-AT-A-2004
le 31 mars 2004
Référence no U3570/03-22
DEMANDE
[1] Le 13 mai 2003, Robin Diehl a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la demande énoncée dans l'intitulé.
[2] Le 18 juin 2003, MyTravel Airways Limited (ci-après MyTravel) a reçu copie de la demande et avait 30 jours pour y répondre. L'Office a également demandé à MyTravel de lui fournir une copie du rapport de vol rédigé par l'équipage, ainsi qu'une copie du dossier de réservation du passager et tous les documents ayant trait au voyage de Mme Diehl. Le 23 juillet 2003, MyTravel a déposé sa réponse à la demande et Mme Diehl n'y a pas répliqué.
[3] Par les décisions nos LET-AT-A-197-2003 du 29 septembre 2003 et LET-AT-A-217-2003 du 27 octobre 2003, l'Office a enjoint à MyTravel de déposer des renseignements spécifiques. Le 27 octobre 2003, MyTravel a déposé le rapport de vol ainsi que l'itinéraire de Mme Diehl provenant de son système de réservation.
[4] Aux termes du paragraphe 29(1) de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC), l'Office est tenu de rendre sa décision au plus tard 120 jours après la date de réception de la demande, sauf s'il y a accord entre les parties pour une prolongation du délai. Dans le cas présent, les parties ont convenu de prolonger le délai pour une période indéterminée.
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
[5] Bien que MyTravel ait déposé sa réponse après le délai prescrit, l'Office, en vertu de l'article 6 des Règles générales de l'Office national des transports, DORS/88-23, l'accepte, la jugeant pertinente et nécessaire à son examen de la présente affaire.
[6] L'Office reconnaît que Mme Diehl a également fait part de ses préoccupations relativement au retard du vol de retour et note que de tels retards sont source d'inconvénients pour tous les passagers. De plus, dans le cas présent, le retard n'était que de 45 minutes. Puisque le retard du vol touchait tous les passagers, la question ne relève pas des paragraphes 172(1) et (3) de la LTC et ne sera pas abordée.
QUESTION
[7] L'Office doit déterminer si le fait que MyTravel n'a pas offert un repas complet à Mme Diehl à bord du vol transatlantique entre Vancouver et Londres, via Calgary, a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement et, le cas échéant, quelles mesures correctives devraient être prises.
FAITS
[8] Mme Robin Diehl est diabétique. Lorsqu'elle voyage, elle apporte sa propre collation afin de pouvoir contrôler son état.
[9] Le 21 décembre 2002, Mme Diehl voyageait avec MyTravel à bord du vol no 086 de Vancouver à Londres, via Calgary. Selon l'information fournie par Sunquest/Alba Tours Maison (ci-après Sunquest), elle n'a pas spécifiquement informé Sunquest au moment de la réservation de son état et des besoins connexes, pas plus qu'elle n'a demandé un type de service ou d'assistance particulier.
[10] Le vol no 086 a été retardé à Calgary en raison de problèmes liés au traiteur. Les passagers déjà à bord ont été avisés par un représentant de MyTravel qu'une collation leur serait offerte lors du vol vers Londres. Cependant, un repas complet ne serait pas servi. Mme Diehl a fait part de ses préoccupations à l'équipage de MyTravel concernant son diabète.
[11] Selon le rapport du vol, en raison des heures de travail de l'équipage, l'aéronef a quitté Calgary uniquement avec les passagers provenant de Vancouver. De plus, aucun repas complet n'a été servi. Cependant, MyTravel a offert aux passagers une baguette chaude, des fruits, des croustilles, des jus (pomme et orange), du thé, du café et des biscuits.
POSITIONS DES PARTIES
[12] Mme Diehl déclare que les passagers qui devaient monter à bord à Calgary n'avaient pas été autorisés à le faire, alors que ceux arrivant de Vancouver ont été avisés par le représentant de MyTravel qu'au lieu d'un repas complet, le transporteur ne pourrait leur offrir qu'une collation lors du vol à destination de Londres. Mme Diehl ajoute que le représentant de MyTravel a indiqué que si quelqu'un s'opposait à cette proposition, le vol serait complètement annulé et tous les passagers devraient demeurer à Calgary jusqu'à ce que le transporteur puisse prendre d'autres arrangements.
[13] Mme Diehl fait valoir qu'elle se sentait obligée d'accepter l'option que proposait le représentant de MyTravel de poursuivre le trajet sans repas complet. Elle indique qu'elle a fait part à l'équipage de MyTravel de ses préoccupations au sujet de son diabète. Mme Diehl déclare que l'équipage l'a rassurée qu'il tenterait d'obtenir suffisamment de nourriture pour lui permettre d'effectuer le voyage.
[14] Mme Diehl soutient qu'on lui a offert de la nourriture qu'elle ne peut ordinairement manger, y compris des biscuits et des jus ayant un taux de sucre élevé. Mme Diehl ajoute qu'elle a mangé ce qu'elle avait elle-même apporté en plus de ce que lui avait offert le transporteur, et ce afin d'éviter que le taux de sucre dans son sang ne chute à un niveau critique. Cependant, même avec ces aliments, elle a néanmoins eu des réactions à l'insuline. Mme Diehl explique qu'une personne diabétique doit s'efforcer de maintenir, dans la mesure du possible, un niveau de sucre constant dans le sang et d'éviter les hausses ou les baisses extrêmes. Elle ajoute qu'il est difficile de rétablir l'équilibre s'il est perturbé. Mme Diehl indique qu'en raison de cette situation à bord de l'aéronef, elle a connu de multiples réactions mineures à l'insuline. Il lui aura fallu plusieurs jours par la suite pour rétablir l'équilibre et reprendre le contrôle sur le taux de sucre dans son sang. Mme Diehl déclare que cette situation aurait pu être évitée et que même si MyTravel n'a pu offrir un repas complet, les passagers auraient dû avoir l'option de rester à Calgary ou de poursuivre le trajet sans la menace d'interrompre le vol pour les autres passagers ou que le vol soit annulé.
[15] Par suite de l'incident décrit ci-dessus, Mme Diehl demande qu'on lui rembourse 50 pour cent du coût de son billet et de celui de son compagnon, soit un montant de 840 $CAN.
[16] Mme Diehl indique qu'avant de déposer sa plainte à l'Office, elle a correspondu par lettres et courrier électronique avec Sunquest et MyTravel sans pour autant recevoir de réponse, mis à part un bref courrier électronique de Sunquest accusant réception de la correspondance de Mme Diehl et lui demandant de faire preuve de patience pendant que l'on examinait ses préoccupations.
[17] Dans ses mémoires, MyTravel reconnaît que l'état de Mme Diehl est très sérieux et mentionne qu'une enquête approfondie sera menée relativement à l'incident qu'elle a vécu. MyTravel présente ses excuses si Mme Diehl s'est sentie contrainte à demeurer à bord de l'aéronef et fait valoir que dès que l'équipage a été avisé de l'état de Mme Diehl, il a fait tous les efforts possibles pour s'assurer son bien-être pendant le vol.
ANALYSE ET CONSTATATIONS
[18] Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.
[19] La demande doit être présentée par une personne ayant une déficience ou en son nom. L'Office note que Mme Diehl est diabétique et qu'elle doit manger à intervalles réguliers pour contrôler le taux de sucre dans son sang et prévenir les réactions à l'insuline qui peuvent avoir de sérieuses conséquences d'ordre médical. Elle est donc une personne ayant une déficience aux fins de l'application des dispositions d'accessibilité de la LTC.
[20] Pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si les possibilités de déplacement de la personne qui présente la demande ont été restreintes ou limitées par un obstacle. Le cas échéant, l'Office doit alors décider si l'obstacle était abusif. Pour répondre à ces questions, l'Office doit tenir compte des circonstances de l'affaire dont il est saisi.
Les possibilités de déplacement ont-elles été restreintes ou limitées par un obstacle ?
[21] L'expression « obstacle » n'est pas définie dans la LTC, ce qui donne à penser que le Parlement ne voulait pas limiter la compétence de l'Office compte tenu de son mandat d'éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. De plus, le terme « obstacle » a un sens large et s'entend habituellement d'une chose qui entrave le progrès ou la réalisation.
[22] Pour déterminer si une situation constitue ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience dans un cas donné, l'Office se penche sur les déplacements de cette personne qui sont relatés dans la demande. Dans le passé, l'Office a conclu qu'il y avait eu des obstacles dans plusieurs circonstances différentes. Par exemple, dans certains cas des personnes n'ont pas pu voyager, d'autres ont été blessées durant leurs déplacements (notamment quand l'absence d'installations convenables durant le déplacement affecte la condition physique du passager) et d'autres encore ont été privées de leurs aides à la mobilité endommagées pendant le transport. De plus, l'Office a identifié des obstacles dans les cas où des personnes ont finalement été en mesure de voyager, mais les circonstances découlant de l'expérience ont été telles qu'elles ont miné leur sentiment de confiance, de dignité, de sécurité, situation qui pourrait décourager ces personnes de voyager à l'avenir.
Le cas présent
[23] L'Office note la position de Mme Diehl relativement au vol entre Calgary et Londres selon laquelle les passagers auraient dû avoir l'option de débarquer à Calgary pour prendre un vol ultérieur ou demeurer à bord du vol à destination de Londres sans la menace d'interrompre le vol pour les autres passagers. Cependant, peu importe la façon dont Mme Diehl peut avoir interprété l'offre de l'équipage de MyTravel, l'Office note qu'elle avait effectivement le choix de descendre à Calgary, comme tous les autres passagers.
[24] Mme Diehl est une personne diabétique et doit s'alimenter à intervalles réguliers, ce qui comprend les repas qu'offrent les transporteurs lorsqu'elle voyage. L'Office note qu'un repas complet n'a pas été offert aux passagers et qu'on leur a plutôt offert une baguette chaude, des fruits, des croustilles, des jus et des biscuits. L'Office accepte la déclaration de Mme Diehl selon laquelle même avec la collation qu'elle avait elle-même apportée, les quelques aliments qu'offrait le transporteur ne suffisaient pas à répondre aux besoins alimentaires liés à son diabète. Ainsi, elle a eu de multiples réactions mineures à l'insuline et il lui a fallu plusieurs jours par la suite pour rétablir l'équilibre et reprendre le contrôle sur le taux de sucre dans son sang.
[25] À la lumière de ce qui précède, l'Office conclut que le fait que MyTravel n'a pas offert un repas complet à Mme Diehl a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement.
L'obstacle était-il abusif ?
[26] À l'instar du terme « obstacle », l'expression « abusif » n'est pas définie dans la LTC, ce qui permet à l'Office d'exercer sa discrétion pour éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. Le mot « abusif » a également un sens large et signifie habituellement que quelque chose dépasse ou viole les convenances ou le bon usage (excessif, immodéré, exagéré). Comme une chose peut être jugée exagérée ou excessive dans un cas et non dans un autre, l'Office doit tenir compte du contexte de l'allégation d'obstacle abusif. Dans cette approche contextuelle, l'Office doit trouver un juste équilibre entre le droit des passagers ayant une déficience d'utiliser le réseau de transport de compétence fédérale sans rencontrer d'obstacles abusifs, et les considérations et responsabilités commerciales et opérationnelles des transporteurs. Cette interprétation est conforme à la politique nationale des transports établie à l'article 5 de la LTC et plus précisément au sous-alinéa 5g)(ii) de la LTC qui précise, entre autres, que les modalités en vertu desquelles les transporteurs ou modes de transport exercent leurs activités ne constituent pas, dans la mesure du possible, un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
[27] L'industrie des transports élabore ses services pour répondre aux besoins des utilisateurs. Les dispositions d'accessibilité de la LTC exigent quant à elles que les fournisseurs de services de transport du réseau de transport de compétence fédérale adaptent leurs services dans la mesure du possible aux besoins des personnes ayant une déficience. Certains empêchements doivent toutefois être pris en considération, par exemple les mesures de sécurité que les transporteurs doivent adopter et appliquer, les horaires qu'ils doivent s'efforcer de respecter pour des raisons commerciales, la configuration du matériel et les incidences d'ordre économique qu'aura l'adaptation d'un service sur les transporteurs aériens. Ces empêchements peuvent avoir une incidence sur les personnes ayant une déficience. Ainsi, ces personnes ne pourront pas nécessairement embarquer avec leur propre fauteuil roulant, elles peuvent devoir arriver à l'aérogare plus tôt aux fins de l'embarquement et elles peuvent devoir attendre plus longtemps pour obtenir de l'assistance au débarquement que les personnes n'ayant pas de déficience. Il est impossible d'établir une liste exhaustive des obstacles qu'un passager ayant une déficience peut rencontrer et des empêchements que les fournisseurs de services de transport connaissent dans leurs efforts pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience. Il faut en arriver à un équilibre entre les diverses responsabilités des fournisseurs de services de transport et le droit des personnes ayant une déficience à voyager sans rencontrer d'obstacle, et c'est dans cette recherche d'équilibre que l'Office applique le concept d'obstacle abusif.
Le cas présent
[28] Ayant conclu que le fait que MyTravel n'a pas offert un repas complet à Mme Diehl a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement, l'Office doit déterminer si l'obstacle était abusif.
[29] L'Office sait qu'une note au dossier de réservation d'un passager vise à attirer l'attention du transporteur, avant le voyage, au fait que ce passager a besoin de services particuliers ou d'une assistance quelconque. À cet égard, l'Office note que Mme Diehl n'a pas avisé MyTravel avant de voyager qu'elle est diabétique, qu'elle requiert des soins médicaux ou qu'elle a besoin d'un service particulier (un repas complet). Par conséquent, le dossier de réservation que Sunquest a transmis au transporteur relativement à Mme Diehl ne faisait état d'aucune demande spéciale. L'Office reconnaît également que MyTravel n'a été avisé de l'état de Mme Diehl et de ses besoins qu'à Calgary alors que le représentant du transporteur venait d'expliquer que le service d'alimentation serait réduit.
[30] L'Office s'attend en effet à ce que les transporteurs fassent des efforts raisonnables pour assurer la prestation de services pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience, même si ces services ne sont pas demandés au préalable. Compte tenu des circonstances entourant le cas présent, l'Office conclut que MyTravel a fait des efforts raisonnables pour répondre aux besoins alimentaires de Mme Diehl.
[31] À la lumière de ce qui précède, l'Office conclut que, bien que Mme Diehl ait été confrontée à un obstacle à ses possibilités de déplacement du fait que le transporteur ne lui a pas offert un repas complet pendant le vol, l'obstacle n'était pas abusif.
COMPENSATION
[32] En vertu du paragraphe 172(3) de la LTC, l'Office peut, s'il conclut en la présence d'un obstacle abusif, exiger le versement d'une indemnité destinée à couvrir les frais supportés par une personne ayant une déficience en raison de l'obstacle en cause.
[33] Dans le cas présent, l'Office conclut que l'obstacle aux possibilités de déplacement de Mme Diehl n'était pas abusif et que, par conséquent, elle n'a pas droit à une telle indemnité en vertu du paragraphe 172(3) de la LTC.
CONCLUSION
[34] À la lumière de ce qui précède, l'Office conclut qu'il n'y a pas eu d'obstacle abusif aux possibilités de déplacement de Mme Diehl. Par conséquent, l'Office n'envisage aucune mesure dans cette affaire.
[35] Néanmoins, l'Office souligne l'importance du dialogue dans de tels cas. Lorsqu'une personne ayant une déficience soulève une préoccupation, surtout s'il s'agit d'un état pathologique qui pourrait avoir de sérieuses conséquences, il est important que le personnel du transporteur discute avec cette personne afin de bien comprendre les besoins particuliers qu'elle requiert et d'expliquer la mesure dans laquelle le transporteur peut y répondre. L'Office est d'avis, cependant, que les personnes ayant des déficiences connaissent mieux que quiconque leurs besoins particuliers et qu'elles sont les mieux placées pour déterminer si les services du transporteur sauront répondre à ces besoins. De plus, si le passager ayant une déficience sait qu'il aura besoin d'un service ou d'une assistance quelconque, c'est à lui qu'il incombe d'en aviser le transporteur, et ce avant même de voyager. Ainsi, le transporteur saura mieux se préparer pour répondre aux besoins, le cas échéant, lors du voyage.
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