Décision n° 183-AT-R-2004
le 6 avril 2004
Référence no U3570/03-44
DEMANDE
[1] Le 8 décembre 2003, John Benjamin a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la demande énoncée dans l'intitulé.
[2] Le 12 janvier 2004, VIA Rail Canada Inc. (ci-après VIA) a déposé une réponse partielle, soit une copie de ses politiques et procédures concernant l'assistance fournie aux voyageurs ayant une déficience et les réservations effectuées par des personnes ayant une déficience.
[3] Le 27 janvier 2004, dans la décision no LET-AT-R-27-2004, l'Office a demandé à VIA de déposer sa réponse complète à la demande dans les sept jours. Le 30 janvier 2004, VIA a déposé sa réponse.
[4] Le 26 février 2004, dans la décision no LET-AT-R-63-2004, l'Office a demandé à VIA de déposer des renseignements supplémentaires. Le 3 mars 2004, VIA a déposé les renseignements supplémentaires, y compris le dossier passager (ci-après le DP).
[5] Le 4 mars 2004, M. Benjamin a déposé sa réplique et le 18 mars 2004, il a déposé une copie de son billet de train.
QUESTION
[6] L'Office doit déterminer si le niveau d'assistance fourni par VIA à M. Benjamin durant son voyage aller-retour entre Ottawa et Québec via Montréal a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement et, le cas échéant, quelles mesures correctives devraient être prises.
FAITS
[7] M. Benjamin est aveugle au sens de la loi et utilise une canne blanche.
[8] M. Benjamin a fait ses réservations le 2 octobre 2003 et, à ce moment-là, il a informé l'agent à la billetterie de VIA de sa déficience et de l'assistance dont il aurait besoin. Le billet de M. Benjamin comprend les codes de services spéciaux suivants : BLND, MSCQ et PBTS.
[9] Le 6 octobre 2003, M. Benjamin a voyagé avec VIA d'Ottawa à Québec via Montréal et est revenu à Ottawa le 10 octobre 2003. À Ottawa, les dispositions prises par VIA répondaient aux besoins de M. Benjamin. Par la suite, malgré de nombreuses demandes d'aide dans chaque gare, aucune assistance n'a été fournie à M. Benjamin. Il n'a pas reçu d'assistance au préembarquement à Montréal et à son débarquement à Québec il n'a pas obtenu d'aide pour trouver l'aire de récupération des bagages ou pour aller chercher ses bagages. Durant le voyage de retour, le 10 octobre 2003 à Québec, aucune assistance au préembarquement n'a été fournie et, à son arrivée à Montréal, l'assistance pour les éléments suivants n'a pas été fournie à M. Benjamin : débarquement, repérage de l'aire de récupération des bagages, récupération des bagages, embarquement et repérage de son siège. De plus, à son arrivée à Ottawa, aucune assistance au débarquement n'a été fournie.
[10] Le système informatique de VIA génère un DP qui contient des renseignements à propos des voyageurs, y compris ceux qui ont des besoins précis. Dans le cas présent, le besoin d'assistance de M. Benjamin était indiqué dans son DP, lequel comprenait trois demandes de services spéciaux (ci-après SRR), avec les codes et remarques suivants :
SSR BLND - Remarques : Personne aveugle voyageant seule, sans accompagnateur ou chien.
SSR MSCQ - Remarques : Personne aveugle nécessitant de l'aide à l'embarquement OTTW au transfert MTRL et au débarquement QBEC / Vice Versa
SSR PBTS - Remarques: Préembarquement personne aveugle
[11] La politique de VIA concernant les personnes ayant une déficience prévoit en partie ce qui suit :
[Traduction] La politique est simple : les clients ayant une déficience sont traités avec la même dignité, la même constance et la même empathie que les autres clients.
Cette politique s'applique à tous les voyageurs ayant une déficience physique ou mentale (permanente ou temporaire), y compris les enfants et les personnes qui utilisent un laissez-passer.
Un champ pour les demandes de services spéciaux (SSR) dans le DP garantira que le dossier est acheminé à l'agent approprié qui prendra les dispositions nécessaires et confirmera les services s'ils sont disponibles. Les SSR doivent être faites au moins 24 heures à l'avance, 48 heures dans le cas des repas spéciaux, des adaptateurs électriques, des civières et des arrêts spéciaux.
La politique de VIA mentionne que les voyageurs avec déficience ne devraient pas être défavorisés ni favorisés par rapport aux autres voyageurs.
[12] La politique de préembarquement de VIA prévoit en partie ce qui suit :
[traduction] Le préembarquement fait partie intégrante du service fourni aux voyageurs voyageant en première classe, dans des places de voiture-lits ou aux groupes. Ces voyageurs devraient pouvoir monter à bord aussitôt que le train est prêt à les recevoir, et ils seront ensuite suivis des groupes et des voyageurs qui ont demandé le service de préembarquement et finalement par tous les autres voyageurs.
Les familles avec de jeunes enfants, les voyageurs ayant des besoins spéciaux, les enfants voyageant seuls, les voyageurs ayant des problèmes de santé, les femmes enceintes, les personnes âgées ayant de la difficulté à marcher (*) et tous les voyageurs qui croient avoir besoin d'assistance supplémentaire pour monter à bord du train sont admissibles aux services de préembarquement. (*) Note : Le fait d'avoir 60 ans au sens de notre politique des taux ne donne pas automatiquement droit à ce service. Nous offrons le préembarquement aux personnes qui semblent en avoir besoin ou qui le demandent.
Même si cela n'est pas obligatoire pour profiter du préembarquement, une demande de services spéciaux (SSR) devrait être inscrite dans le DP au moment de la réservation ou de l'achat du billet afin d'aider le personnel des gares à évaluer la demande et à fournir de meilleurs services.
Lorsqu'une demande de services spéciaux est faite, le code approprié doit être utilisé, c.-à-d. PBTS ou PBGS pour le préembarquement. WCHE, WCHM ou WCHR pour les fauteuils roulants et CHTA pour les enfants voyageant seuls.
POSITIONS DES PARTIES
[13] M. Benjamin fait valoir qu'il a fait ses réservations le 2 octobre 2003 et qu'à ce moment il a informé l'agent à la billetterie de VIA de sa déficience et de l'assistance dont il aurait besoin. M. Benjamin affirme que l'agent de VIA lui a dit que, puisqu'il voyageait seul, sa déficience serait indiquée sur son billet et que les dispositions nécessaires, y compris les services de préembarquement, seraient prises.
[14] M. Benjamin explique que le 6 octobre 2003, à la gare de VIA à Ottawa « [traduction] les dispositions prises étaient parfaites ». M. Benjamin explique que :
- il a été informé qu'il était identifié sur le manifeste de voyageurs comme une personne ayant une déficience;
- il a été accompagné jusqu'au train;
- on lui a demandé s'il avait besoin de plus d'aide;
- on l'a accompagné jusqu'à son siège lors de l'embarquement; et
- la gare de Montréal « [traduction] a été avertie ». M. Benjamin affirme qu'il a aussi reçu de l'aide pour ses bagages.
[15] M. Benjamin soutient qu'à son arrivée à Montréal et après avoir récupéré ses bagages, il a trouvé un employé de VIA et lui a demandé où il devait attendre pour le préembarquement. M. Benjamin affirme qu'il a montré son billet à l'employé et a mentionné qu'il est aveugle au sens de la loi. M. Benjamin fait valoir que l'employé a pointé vers l'endroit même si M. Benjamin ne pouvait savoir où l'employé pointait. M. Benjamin indique qu'après quelques échanges frustrants avec l'employé, il a finalement repéré l'aire de préembarquement lui-même en suivant tous les autres voyageurs vers le train lors de l'embarquement général.
[16] M. Benjamin poursuit en disant qu'il a demandé de l'aide plusieurs fois pour trouver son siège. Il ajoute qu'un chef de train l'a éventuellement conduit à un siège, mais qu'une autre voyageuse lui a par la suite dit qu'il était dans son siège. M. Benjamin a informé la voyageuse que le chef de train l'avait conduit jusqu'au siège.
[17] M. Benjamin indique qu'au moment du débarquement à Québec, il a demandé de l'aide avec ses bagages à un employé de VIA. Il soutient que l'employé de VIA a pointé lorsqu'il a répondu à sa demande et a continué de pointer même après que M. Benjamin lui ait mentionné sa déficience et qu'il lui ait montré le billet. M. Benjamin affirme qu'il a ensuite essayé de trouver ses bagages lui-même et que le chef de train de VIA qui l'avait conduit jusqu'à son siège a remarqué qu'il avait de la difficulté à récupérer ses bagages et l'a aidé à récupérer sa dernière valise.
[18] M. Benjamin explique que le 10 octobre 2003, à la gare de VIA à Québec, il s'est approché du comptoir principal avec sa carte d'identité de l'Institut national canadien pour les aveugles ainsi que sa canne blanche et a demandé de l'assistance. M. Benjamin ajoute qu'il a été conduit à une aire de préembarquement où on l'a laissé seul. Il soutient que même après qu'il ait répété sa demande d'assistance, aucun service de préembarquement n'a été fourni. M. Benjamin fait valoir aussi qu'il a répété sa demande d'assistance une fois que l'embarquement général des voyageurs a commencé et finalement, après que tout le monde soit à bord, on l'a conduit à son siège. M. Benjamin note que sa canne blanche était visible en tout temps.
[19] M. Benjamin indique qu'à son arrivée à Montréal, il n'a pas reçu d'aide pour le débarquement; un agent de VIA lui a dit que puisqu'il avait une certaine vision, il pouvait suivre les autres voyageurs jusqu'à l'aire de récupération des bagages. M. Benjamin explique qu'il a finalement trouvé l'aire et ses bagages après avoir fait beaucoup de demandes, mais signale que les employés de VIA répondaient souvent en pointant. M. Benjamin fait observer qu'il a éprouvé un haut niveau de stress en raison de cette situation.
[20] M. Benjamin indique qu'à la gare de Montréal, alors qu'il tenait sa canne pliée, il a demandé à un employé de VIA où il devait aller pour monter à bord du train en direction d'Ottawa et l'employé lui a indiqué la direction à suivre en pointant. M. Benjamin affirme que l'employé a continué de pointer même après qu'il lui ait montré son billet et mentionné qu'il était aveugle au sens de la loi. M. Benjamin ajoute que l'employé ne lui a fourni aucune assistance, même après qu'il se soit identifié comme une personne ayant une déficience. Il explique que quelqu'un lui a finalement indiqué la file pour l'embarquement général.
[21] M. Benjamin fait valoir que dans la file pour l'embarquement général, il a montré son billet à un autre employé de VIA qui vérifiait les billets de tous les voyageurs de la file. M. Benjamin soutient que l'employé a vérifié son billet et ne lui a pas fourni de service de préembarquement et qu'il a ensuite emmené une famille qui était en ligne derrière lui pour le préembarquement avant que M. Benjamin puisse faire un commentaire.
[22] M. Benjamin explique que parce que les voyageurs doivent descendre un escalier pour prendre le train vers Ottawa, il a demandé de l'aide, montré son billet et sa canne blanche et, encore une fois, l'employé de VIA a répondu en pointant. M. Benjamin précise que, finalement, un ancien collègue l'a aidé dans les escaliers avec ses trois valises. M. Benjamin soutient qu'après cela, quoi qu'il dise, aucune aide n'a été fournie par le personnel de VIA avec ses bagages ou pour trouver son siège.
[23] M. Benjamin fait observer qu'il n'a pas reçu d'assistance pour descendre du train à Ottawa. Il indique qu'en raison de l'incident décrit ci-dessus, tout ce qu'il a demandé c'est d'obtenir des excuses de VIA.
[24] VIA note que si un client fait une demande de services spéciaux et informe VIA d'une « [traduction] déficience comme celle de M. Benjamin », les employés de VIA ont des instructions très strictes sur la façon de s'occuper du client. Plus précisément, VIA indique que le directeur des services doit faire savoir au voyageur qu'une personne désignée de la gare l'accompagnera du quai à la gare ou de la gare jusqu'au quai. Si un train de correspondance est nécessaire, on demandera au client d'attendre près d'un endroit approprié pour le préembarquement. Lorsque le train est prêt pour l'embarquement, le client sera accompagné par un préposé d'escale à la voiture appropriée ou jusqu'au personnel de bord et de la gare et lors du débarquement, le voyageur sera traité de la même manière. VIA affirme que ces procédures sont précises et connues par le personnel de bord et de la gare.
[25] VIA précise qu'elle est extrêmement désolée pour toutes les difficultés que M. Benjamin a éprouvées. Elle affirme qu'à l'avenir, si M. Benjamin se trouvait dans une situation semblable, il devrait faire connaître sa déficience aux employés de VIA afin d'éviter toute confusion concernant l'assistance dont il a besoin. VIA affirme aussi qu'il est possible que ses employés étaient « perplexes » car ils ne savaient pas quels étaient les besoins de M. Benjamin.
[26] VIA affirme que les codes parlent d'eux-mêmes, indiquant dans ce cas que le voyageur est aveugle. VIA explique que diverses demandes contenues dans le code MSCQ peuvent porter sur un grand ensemble de problèmes qui peuvent être uniques à n'importe quelle personne, y compris l'assistance avec l'assignation des sièges. VIA précise que les codes étaient utilisés dans ce cas parce que M. Benjamin avait besoin d'assistance au préembarquement lors de son voyage. VIA signale que le code SSR indique que M. Benjamin avait besoin d'assistance au préembarquement, à l'embarquement à Ottawa, lors du débarquement à Montréal et de l'embarquement à Montréal et du débarquement à Québec et vice versa lors du voyage de retour.
[27] VIA explique aussi qu'une fois qu'une demande contenant le code SSR est faite, divers manifestes sont automatiquement créés, pour chaque train utilisé durant le voyage d'une personne. VIA explique que le manifeste est envoyé au directeur des services qui est à bord du train. Une séance d'information sur le préembarquement est tenue avec tout le personnel de bord. Le directeur des services explique les SSR à bord du train. Au cours du voyage, le directeur des services peut effectuer le service spécial lui-même ou demander à un autre employé de le faire. La personne responsable à la gare reçoit aussi un manifeste pour la journée et elle doit tenir une séance d'information pour toutes les personnes à la gare qui pourraient être concernées par le code SSR. VIA ajoute que le manifeste pour le train de Montréal à Québec comprend aussi une indication des besoins particuliers de M. Benjamin. Finalement, VIA soutient que les personnes responsables à Montréal et à Québec ont aussi reçu un manifeste qui indiquait que M. Benjamin voyageait et qu'il avait besoin d'assistance à la gare.
ANALYSE ET CONSTATATIONS
[28] Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.
[29] La demande doit être présentée par une personne ayant une déficience ou en son nom. M. Benjamin est aveugle au sens de la loi. Il est donc une personne ayant une déficience aux fins de l'application des dispositions d'accessibilité de la LTC.
[30] Pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si les possibilités de déplacement de la personne qui présente la demande ont été restreintes ou limitées par un obstacle. Le cas échéant, l'Office doit alors décider si l'obstacle était abusif. Pour répondre à ces questions, l'Office doit tenir compte des circonstances de l'affaire dont il est saisi.
Les possibilités de déplacement ont-elles été restreintes ou limitées par un obstacle ?
[31] L'expression « obstacle » n'est pas définie dans la LTC, ce qui donne à penser que le Parlement ne voulait pas limiter la compétence de l'Office compte tenu de son mandat d'éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. De plus, le terme « obstacle » a un sens large et s'entend habituellement d'une chose qui entrave le progrès ou la réalisation.
[32] Pour déterminer si une situation constitue ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience dans un cas donné, l'Office se penche sur les déplacements de cette personne qui sont relatés dans la demande. Dans le passé, l'Office a conclu qu'il y avait eu des obstacles dans plusieurs circonstances différentes. Par exemple, dans certains cas des personnes n'ont pas pu voyager, d'autres ont été blessées durant leurs déplacements (notamment quand l'absence d'installations convenables durant le déplacement affecte la condition physique du passager) et d'autres encore ont été privées de leurs aides à la mobilité endommagées pendant le transport. De plus, l'Office a identifié des obstacles dans les cas où des personnes ont finalement été en mesure de voyager, mais les circonstances découlant de l'expérience ont été telles qu'elles ont miné leur sentiment de confiance, de dignité, de sécurité, situation qui pourrait décourager ces personnes de voyager à l'avenir.
Le cas présent
[33] L'Office note que l'assistance à l'embarquement et au débarquement ainsi que l'assistance dans la gare ont été demandées avant le voyage. À cet égard, l'information pertinente pour permettre au personnel de VIA de connaître les besoins de M. Benjamin (c.-à-d. qu'il est aveugle au sens de la loi, qu'il voyage seul et qu'il a demandé de l'assistance au préembarquement) a été reçue par VIA avant le voyage et était indiquée dans le DP. Cependant, l'Office note aussi que malgré ces dispositions, au cours du voyage de M. Benjamin le 6 octobre 2003, à l'exception d'Ottawa, et à nouveau le 10 octobre 2003, les employés de VIA ont omis de fournir l'assistance à M. Benjamin, même si elle avait été demandée.
[34] L'Office est d'avis qu'un voyageur ayant une déficience visuelle laissé sans surveillance et dans un état d'incertitude et ce, bien qu'il ait fait des demandes d'assistance à l'embarquement ou au débarquement, pour trouver son siège ou pour se déplacer dans la gare, peut vraisemblablement ressentir un énorme stress et ne plus être enclin à voyager à l'avenir.
[35] L'Office reconnaît que le fait que M. Benjamin ait dû se rendre par ses propres moyens à l'aire de récupération des bagages ou dans la file pour l'embarquement et demander à plusieurs reprises de l'assistance et rappeler sa déficience aux employés de VIA, a dû être très difficile pour lui. L'Office accepte l'affirmation de M. Benjamin qu'il s'agissait d'une expérience de voyage stressante et frustrante.
[36] Compte tenu de ce qui précède, l'Office conclut que le niveau d'assistance fourni par VIA à M. Benjamin, à différents moments de son voyage aller-retour, a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement.
L'obstacle était-il abusif ?
[37] À l'instar du terme « obstacle », l'expression « abusif » n'est pas définie dans la LTC, ce qui permet à l'Office d'exercer sa discrétion pour éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. Le mot « abusif » a également un sens large et signifie habituellement que quelque chose dépasse ou viole les convenances ou le bon usage (excessif, immodéré, exagéré). Comme une chose peut être jugée exagérée ou excessive dans un cas et non dans un autre, l'Office doit tenir compte du contexte de l'allégation d'obstacle abusif. Dans cette approche contextuelle, l'Office doit trouver un juste équilibre entre le droit des passagers ayant une déficience d'utiliser le réseau de transport de compétence fédérale sans rencontrer d'obstacles abusifs, et les considérations et responsabilités commerciales et opérationnelles des transporteurs. Cette interprétation est conforme à la politique nationale des transports établie à l'article 5 de la LTC et plus précisément au sous-alinéa 5g)(ii) de la LTC qui précise, entre autres, que les modalités en vertu desquelles les transporteurs ou modes de transport exercent leurs activités ne constituent pas, dans la mesure du possible, un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
[38] L'industrie des transports élabore ses services pour répondre aux besoins des utilisateurs. Les dispositions d'accessibilité de la LTC exigent quant à elles que les fournisseurs de services de transport du réseau de transport de compétence fédérale adaptent leurs services dans la mesure du possible aux besoins des personnes ayant une déficience. Certains empêchements doivent toutefois être pris en considération, par exemple les mesures de sécurité que les transporteurs doivent adopter et appliquer, les horaires qu'ils doivent s'efforcer de respecter pour des raisons commerciales, la configuration du matériel et les incidences d'ordre économique qu'aura l'adaptation d'un service sur les transporteurs aériens. Ces empêchements peuvent avoir une incidence sur les personnes ayant une déficience. Ainsi, ces personnes ne pourront pas nécessairement embarquer avec leur propre fauteuil roulant, elles peuvent devoir arriver à l'aérogare plus tôt aux fins de l'embarquement et elles peuvent devoir attendre plus longtemps pour obtenir de l'assistance au débarquement que les personnes n'ayant pas de déficience. Il est impossible d'établir une liste exhaustive des obstacles qu'un passager ayant une déficience peut rencontrer et des empêchements que les fournisseurs de services de transport connaissent dans leurs efforts pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience. Il faut en arriver à un équilibre entre les diverses responsabilités des fournisseurs de services de transport et le droit des personnes ayant une déficience à voyager sans rencontrer d'obstacle, et c'est dans cette recherche d'équilibre que l'Office applique le concept d'obstacle abusif.
Le cas présent
[39] Ayant déterminé que le niveau d'assistance fourni par VIA à M. Benjamin a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement, l'Office doit maintenant déterminer si cet obstacle était abusif.
[40] L'Office est conscient qu'une note dans le dossier de réservation d'un voyageur signale au transporteur, avant le voyage, les besoins du voyageur pour les services particuliers ou certains types d'assistance. L'Office note que M. Benjamin a informé VIA au moment de la réservation et tout au long de son voyage aller-retour qu'il avait besoin d'assistance. En effet, le DP comprend trois SSR pour M. Benjamin et indique expressément que M. Benjamin est aveugle, qu'il voyage seul et qu'il a demandé de l'assistance au préembarquement.
[41] L'Office note que VIA a seulement deux codes pour le préembarquement : PBTS et PBGS. L'Office note aussi que le code SSR indique que le code PBTS fait référence au préembarquement pour les voyageurs à la « gare d'origine », mais VIA, dans son mémoire du 3 mars 2004, a indiqué que le code PBTS fait référence au préembarquement pour les voyageurs « dans la gare ». Ainsi, et selon la preuve déposée, il est évident que ces codes prêtent à confusion en ce qui a trait aux services prévus à chacun, plus particulièrement en ce qui concerne le code PBTS.
[42] L'Office note aussi l'observation de VIA que le code SSR MSCQ peut traiter d'un grand ensemble de cas et est utilisé pour indiquer les besoins uniques d'une personne en particulier, y compris l'assistance avec l'assignation des sièges. Cependant, il est évident, comme l'a indiqué l'expérience de M. Benjamin, que l'utilisation d'un tel code ne garantit pas que les services demandés à l'avance par les voyageurs ayant une déficience leur seront fournis.
[43] L'Office est d'avis que l'absence de codes SSR précis pour signaler les services particuliers dont avait besoin M. Benjamin tout au long de son voyage a contribué aux difficultés éprouvées par M. Benjamin. À cet égard, l'Office note que le billet de M. Benjamin fait état des services dont il a besoin au moyen des codes SSR BLND, PBTS et MSCQ. L'Office note également que même si M. Benjamin a présenté le billet, qui indiquait le code MSCQ sans note explicative, à un employé de VIA à son arrivée à Montréal, il n'a pas reçu l'assistance dont il avait besoin. Même si l'Office reconnaît qu'une explication des services requis par un passager ayant une déficience accompagne le code MSCQ dans le DP du passager, l'Office estime que l'utilisation de codes précis pour signaler des services particuliers permettrait d'éviter diverses interprétations par le personnel des trains et de gare, améliorant par le fait même la constance sur le plan de la fourniture de service. L'Office est d'avis que si VIA avait eu des codes précis pour signaler les services particuliers dont M. Benjamin avait besoin, le personnel de VIA qui a transigé avec M. Benjamin auraient été en mesure de déterminer clairement les services requis, surtout compte tenu du fait qu'il a montré son billet au personnel de VIA. L'Office estime aussi que des codes SSR précis constituent un outil efficace pour communiquer clairement au personnel du fournisseur de services de transport les services requis par les personnes ayant une déficience. L'Office est d'avis que si de tels codes étaient offerts dans le cadre d'un dialogue avec une personne ayant une déficience, le personnel du fournisseur de services de transport serait plus en mesure de déterminer les services particuliers requis.
[44] Compte tenu de ce qui précède, l'Office estime qu'il est approprié que VIA crée un code SSR pour les situations où une personne ayant une déficience demande de l'assistance au préembarquement dans toutes les gares. L'Office estime aussi qu'il est approprié que VIA crée un code précis pour signaler l'assistance demandée à l'embarquement, au débarquement et aux correspondances. De plus, afin de s'assurer que d'autres services spécifiques sont fournis aux personnes ayant une déficience, comme l'assistance pour trouver le siège et les bagages du voyageur, l'Office est d'avis que VIA, comme tous les autres fournisseurs de services de transport, devrait créer des codes précis afin de signaler de tels services et de s'assurer que son personnel est informé de ces codes et formé de façon à les utiliser de façon appropriée.
[45] L'Office note le commentaire de VIA voulant que si cette situation devait se présenter à l'avenir, VIA espère que M. Benjamin fera connaître sa déficience à la personne à qui il parle afin qu'il n'y ait pas de confusion quant à l'assistance dont il a besoin. Compte tenu de la preuve présentée par M. Benjamin, du fait qu'il a demandé les services avant son voyage et du fait qu'il utilisait une canne blanche, l'Office estime totalement inacceptable la nuance tacite comprise dans le commentaire de VIA, soit que M. Benjamin serait de quelque façon responsable du manquement de VIA à fournir l'assistance appropriée. À cet égard, l'utilisation par M. Benjamin d'une canne blanche aurait dû indiquer clairement au personnel de VIA la nature de sa déficience et le type d'assistance dont il avait besoin. De plus, l'Office estime que M. Benjamin n'aurait rien pu faire de plus pour s'assurer que le personnel de VIA soit informé de ses besoins en matière d'assistance en raison de sa déficience. L'Office estime également que VIA n'a soumis aucune preuve pour expliquer pourquoi M. Benjamin n'a pas reçu l'assistance appropriée et a plutôt été laissé sans surveillance et sans information malgré ses nombreuses demandes d'assistance.
[46] À cet égard, l'Office note que si un voyageur informe VIA qu'il a une déficience et fait une demande de services spéciaux, la procédure de VIA indique clairement que dans des circonstances semblables, le directeur des services a la responsabilité de faire savoir au voyageur qu'une personne désignée de la gare l'accompagnera du quai à la gare ou de la gare au quai. Dans le cas où un train de correspondance est nécessaire, on doit demander au client d'attendre près d'un endroit approprié pour le préembarquement. Lorsque le train est prêt pour l'embarquement, le client doit être accompagné par un préposé d'escale à la voiture appropriée ou jusqu'au personnel de bord. Lors du débarquement, le voyageur doit être traité de la même manière. L'Office est préoccupé par des situations comme celle qu'a vécue M. Benjamin lorsque les employés ne se conforment pas à d'importantes procédures comme celles-ci, surtout compte tenu de l'affirmation de VIA que ces procédures sont précises et connues par le personnel de bord et de gare.
[47] L'Office est également préoccupé de la façon dont M. Benjamin a été traité, plus précisément lorsque le personnel de VIA, en réponse aux demandes d'assistance, a indiqué les aires de préembarquement et de récupération des bagages en pointant du doigt et ce, à plusieurs reprises, ce qui est clairement inapproprié pour une personne qui est aveugle et qui utilise une canne blanche. L'Office estime que cela démontre un manque de formation sur les services requis par les personnes qui sont aveugles. Par conséquent, l'Office estime approprié que VIA offre des programmes de formation de recyclage sur les services requis par les personnes qui sont aveugles et qu'elle modifie son module de formation en conséquence.
[48] L'Office est conscient que d'autres fournisseurs de services de transport dans le réseau de transport fédéral utilisent des codes précis pour signaler des services particuliers requis par les personnes ayant une déficience. Comme il l'a mentionné précédemment, des codes SSR précis constituent un outil plus efficace pour le personnel du fournisseur de services de transport dans la fourniture de services appropriés aux personnes ayant une déficience, plus particulièrement lorsqu'ils sont offerts dans le cadre d'un dialogue avec ces personnes. À cet égard, l'Office est d'avis qu'à l'avenir, l'utilisation de codes SSR précis par le personnel de bord et de gare de VIA lui permettra de mieux appliquer les politiques et procédures établies concernant les personnes ayant une déficience. L'Office estime que de telles mesures aideront à prévenir la répétition du malencontreux incident vécu par M. Benjamin.
[49] À la lumière de ce qui précède, l'Office conclut que le niveau d'assistance fourni par VIA à M. Benjamin, à diverses occasions lors de son voyage, a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.
CONCLUSION
[50] Compte tenu des constatations précédentes, l'Office ordonne par les présentes à VIA de prendre les mesures suivantes dans les trente (30) jours suivant la date de cette décision :
- Faire parvenir des excuses par écrit directement à M. Benjamin, sous forme électronique, en ce qui a trait à son expérience de voyage et fournir une copie des excuses à l'Office;
- Fournir une copie écrite de la décision de l'Office aux directeurs des services de VIA, au personnel de bord et de gare en fonction à Ottawa, Montréal et Québec les 6 et 10 octobre 2003 et en fournir une confirmation écrite à l'Office;
- Publier un bulletin à ses agents, à ses directeurs des services, à son personnel de bord et de gare ainsi qu'aux employés du train soulignant l'incident vécu par M. Benjamin, sans identifier son nom, et l'importance de fournir les services demandés et de maintenir des niveaux appropriés de sensibilisation et de sensibilité aux besoins particuliers des voyageurs ayant une déficience. De plus, le bulletin devra renforcer l'importance de suivre les politiques et procédures du transporteur en ce qui a trait à la prestation de service pour un voyageur ayant une déficience;
- Fournir à l'Office une copie du bulletin, comme il a été publié;
- Faire rapport à l'Office des politiques et procédures qui ont été élaborées ou des autres mesures précises qui ont été prises afin de prévenir la répétition de la situation vécue par M. Benjamin.
- Élaborer et mettre en oeuvre des codes SSR supplémentaires pour signaler les services précis demandés par les personnes ayant une déficience, particulièrement en ce qui a trait à l'assistance à l'embarquement dans toutes les gares, l'assistance au débarquement ainsi que lors des correspondances et en fournir une confirmation écrite à l'Office;
- Décrire, en détail, quelles démarches seront prises pour s'assurer que les demandes de services précis faites par les personnes ayant une déficience, et communiquées à VIA, sont indiquées en entier et fidèlement dans les dossiers de VIA, y compris le DP, le manifeste des passagers et les billets, afin que ses directeurs des services et le personnel de bord et de gare soient en position de connaître les détails de ces demandes et puissent s'assurer que les besoins des voyageurs ayant une déficience sont satisfaits;
- Incorporer cet incident dans son programme de formation du personnel, afin de s'assurer que des incidents semblables ne se reproduisent pas et fournir à l'Office le module de formation modifié.
[51] VIA est aussi tenue d'offrir un programme de formation de recyclage aux directeurs des services de VIA et au personnel de bord et de gare, y compris ceux en fonction à Ottawa, Montréal et Québec les 6 et 10 octobre 2003 concernant les personnes ayant une déficience et le type d'assistance requise, plus particulièrement sur les services requis pour répondre aux besoins des personnes qui sont aveugles. VIA est tenue de fournir un horaire du programme de formation de ses employés dans les trente (30) jours suivant la date de la présente décision.
[52] À la suite d'un examen de l'information requise, l'Office déterminera si d'autres mesures sont nécessaires.
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