Arrêté n° 1990-R-616
le 23 octobre 1990
SOREL ELEVATORS LTD.
(demandeur)
contre
LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA
(intimé)
Avocats du demandeur :
F. Simard
D. Silverstone
Avocat de l'intimé :
L. M. Huart
TAXATION DES FRAIS
Agent taxateur : Edmund J. O'Brien
RENSEIGNEMENTS PRÉLIMINAIRES
Le présent jugement découle d'une décision précédente qu'a rendue l'Office national des transports (ci-après l'Office) le 3 novembre 1989, dans laquelle l'Office déterminait d'adjuger les dépens à Sorel Elevators Ltd. (ci-après Sorel) à la suite de l'intervention de cette dernière dans une demande qu'a présentée la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci-après CN) en vue d'obtenir l'autorisation d'abandonner l'exploitation de la subdivision Sorel.
Le 3 mai 1989, Sorel a demandé à l'Office de procéder à l'adjudication des dépens, en vertu de l'article 43 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. (1985), ch. 28 (3e suppl.) (ci-après la LTN 1987), qui donne à l'Office le pouvoir légal de procéder à cette adjudication. Après examen des documents déposés par Sorel et le CN, l'Office, dans une lettre datée du 3 novembre 1989, a adjugé les dépens à Sorel et a nommé M. Edmund J. O'Brien, membre, comme agent taxateur. Le processus exigeait le dépôt de présentations écrites, dont la présentation d'un mémoire de frais par Sorel et de mémoires concernant une liste de questions dressée par l'Office.
Comme il s'agit de la première fois que l'Office procède à l'adjudication de dépens, et comme l'Office ne dispose ni d'une réglementation ni de tarifs qui permettraient de quantifier les frais devant être adjugés à une partie, l'Office a dû mener des recherches et des examens sur les critères et les principes employés par d'autres organismes et tribunaux. Grâce à cette démarche, l'Office a pu établir un ensemble pertinent de principes qui ont servi dans la présente instance. Il est à noter que les deux parties ont présenté des arguments quant aux principes et aux critères que devrait suivre l'agent taxateur dans la détermination des frais qui doivent être adjugés.
Le principe qui ressort des deux mémoires présentés par Sorel et par le CN précise que les frais dont on désire obtenir l'adjudication doivent être raisonnables dans les circonstances, et doivent être nécessaires aux fins des procédures et être liés directement à celles-ci. Sorel doit convaincre l'Office qu'elle a rempli cette obligation.
Ce principe est celui que suivent la plupart des tribunaux dans la détermination des frais, et il se retrouve dans les règlements et les lignes directrices de nombreux tribunaux.
Dans l'examen de chaque réclamation présentée par Sorel, et l'examen des mémoires déposés par chacune des parties, je me suis fondé sur le principe énoncé précédemment, de façon à déterminer de façon éclairée le montant à adjuger.
Sorel a présenté un mémoire de frais modifié s'élevant à 119 316,32 $, dont voici la ventilation :
"Frais à l'externe" | |||
Honoraires d'avocat | 76 035,00 $ | ||
Mme Silverstone | 42 575,00 | ||
M. Simard | 28 710,00 | ||
Avocats associés | 4 750,00 | ||
Débours | 7 628,98 | ||
Honoraires du témoin-expert et | |||
frais connexes | 12 442,00 | ||
Honoraires de l'expert-conseil et | |||
frais connexes | 3 419,00 | 99 524,98 | |
Dépenses liées au personnel | 10 725,00 | ||
"Frais à l'interne" | |||
Dépenses d'administration | 3 638,17 | ||
Frais de déplacement | 4 936,08 | ||
Conseiller juridique à l'interne | 1 175,00 | 20 474,25 | |
119 999,23 $ |
HONORAIRES D'AVOCATS
Mme Silverstone et M. Simard
La cause a été confiée aux deux avocats, qui ont assisté à l'audience, et ont reçu l'aide d'avocats associés.
Mme Silverstone a déclaré un total de 327,5 heures pour la préparation et la présence à l'audience, à raison de 130,00 $ l'heure, et M. Simard, pour les mêmes motifs, a déposé un compte de 191,40 heures à 150,00 $ l'heure.
En outre, un paiement de 79,25 heures pour le travail des avocats associés, à raison de 50 $ à 100 $ l'heure, a également été réclamé.
Le nombre total d'heures de préparation et de présence déclarées par les avocats s'élève donc à 598,15 heures.
Le CN a contesté le nombre d'heures revendiqué par les avocats, disant que ce nombre "paraît extravagant étant donné les procédures en cause", et que la nature de la cause "ne justifie pas de façon raisonnable le temps qu'on lui a consacré". De plus, le CN alléguait que Sorel n'a pas satisfait à l'obligation de justifier les heures et le travail qui ont été consacrés à la cause.
Dans sa réplique, Sorel a fait valoir qu'elle s'était conformée à l'obligation de justifier les frais juridiques réclamés et que, étant donné "les courts délais impartis", on ne pouvait s'attendre à ce que les avocats connaissent toutes les subtilités du calcul des frais et de la comptabilité des chemins de fer, même s'ils étaient spécialisés dans les questions ferroviaires.
J'estime que le temps indiqué dans le mémoire de frais pour la préparation de la cause par les avocats est excessif, et que Sorel n'a pas prouvé que les honoraires réclamés par Mme Silverstone et M. Simard étaient raisonnables dans l'ensemble. À mon avis, le registre quotidien montre qu'il y a eu des répétitions et du double emploi. En outre, le degré de complexité juridique des questions en litige ne justifiait pas entièrement le temps consacré à la cause par deux avocats chevronnés aidés d'avocats associés, d'un témoin-expert et d'un expert-conseil.
Pour déterminer si les frais réclamés étaient raisonnables, j'ai tenu compte de plusieurs facteurs, dont l'année où les avocats ont été admis au barreau, le degré de complexité juridique des questions en litige, l'aide apportée par le témoin-expert et l'expert-conseil, ainsi que l'expérience de chaque avocat comme plaideur et dans les questions réglementaires.
Dans mon examen des heures déclarées par Mme Silverstone, j'ai tenu compte de son expérience en matière de questions réglementaires et, surtout, du fait qu'elle a agi comme conseiller juridique de la Commission canadienne des transports (prédécesseur de l'Office) pendant sept ans, au cours desquels Mme Silverstone a participé à des audiences concernant des abandons de lignes ferroviaires. J'estime qu'étant donné l'expérience de Mme Silverstone et le fait qu'elle connaît bien le fonctionnement de l'Office, le nombre d'heures qu'elle a déclaré est excessif, compte tenu surtout qu'elle a bénéficié de l'aide de MM. Best, Dehod et Bussière pendant la préparation de la cause.
Mme Silverstone a calculé 327,5 heures pour une audience de quatre jours. À partir des considérations exposées précédemment, je conclus qu'un total de 128 heures est raisonnable. Mon calcul se fonde sur les données suivantes :
Temps de préparation (Montréal) | 8 jours |
Temps de préparation (Winnipeg) | 2 jours |
Présence à l'audience | 4 jours |
Temps de déplacement | 2 jours |
TOTAL | 16 jours |
On remarquera que j'ai fixé à huit heures le nombre maximal d'heures de travail qu'on peut déclarer pour une journée.
Le temps approuvé de seize journées de huit heures donne un total de cent vingt-huit heures. Ce nombre d'heures, multiplié par le montant approuvé du tarif horaire de Mme Silverstone, soit 130,00 $ l'heure, donne donc un total de 16 640,00 $.
Dans mon évaluation des honoraires déclarés par M. Simard, j'ai tenu compte de la participation de Mme Silverstone, qui de toute évidence a eu pour effet de réduire le travail de préparation de M. Simard. J'ai aussi pris en compte l'argument de Sorel, selon lequel les avocats ont dû se préparer à l'audience chacun de son côté, étant donné les délais plutôt courts.
J'ai déterminé que la participation de M. Simard a été nécessaire, et j'estime donc que les honoraires réclamés pour sa participation ne devraient pas être refusés en bloc. Cela dit, j'estime aussi que les sommes demandées sont excessives compte tenu du travail effectué par Mme Silverstone, et que les questions légales dont il était question n'étaient pas indûment complexes.
En conséquence, j'estime qu'un total de cent douze heures est raisonnable. L'écart entre le temps calculé pour chaque avocat s'explique par le fait que le temps déclaré pour Mme Silverstone comprend un voyage de deux jours à Winnipeg pour discuter de la demande avec le client. Par conséquent, le montant approuvé dans le cas de M. Simard s'élève à cent douze heures à 150,00 $ l'heure, soit un montant de 16 800,00 $.
Enfin, je suis d'avis que le total des heures déclarées dans le cas des avocats associés est raisonnable et que les frais correspondants ont été nécessaires aux fins des procédures et ont été liés directement à celles-ci. J'accorde donc 4 750 $ pour la participation des avocats associés.
DÉPENSES DES AVOCATS
Les avocats ont déclaré des dépenses de 7 628,98 $ qui sont décrites dans le mémoire de frais modifié.
Après examen, je suis d'avis que ces frais sont raisonnables et qu'ils ont été nécessaires aux fins des procédures et sont liés directement à celles-ci, à l'exception des postes suivants :
Temps supplémentaire à un employé | 79,34 $ |
Citations à comparaître (frais de cour) | 12,32 |
Location d'un magnétoscope | 61,69 |
Chèque visé | 3,00 |
Sténographe | 336,00 |
Total des dépenses non admises | 492,35 $ |
Ces dépenses ne sont pas admises, car il n'a pas été prouvé qu'elles étaient nécessaires aux fins des procédures et étaient liées directement à celles-ci.
En conséquence, au titre des dépenses des avocats, j'accorde un montant de 7 136,63 $.
HONORAIRES DU TÉMOIN-EXPERT M. BEST
Sorel a présenté, au titre des frais de son témoin-expert, M. Best, une note de frais de 11 820,00 $, qui comprend sa contribution lors de la préparation relative aux aspects économiques de la cause, son témoignage à l'audience, et sa contribution à la préparation du contre-interrogatoire des témoins du CN. M. Best a déclaré au total 98,5 heures à 120 $ l'heure. On a aussi déclaré des frais de traduction, de transport et de secrétariat, ainsi que des frais de repas s'élevant à 622,00 $, pour un total de 12 442,00 $.
Le CN, dans sa réponse, a fait valoir que certains des frais déclarés au titre du travail effectué par M. Best, notamment le temps et les frais liés à la préparation des analyses supplémentaires demandées par le Président, ne devraient pas être admis. Le CN citait la causeBell contre C.A.C.(1986) 1 R.C.S. 190, pour prouver le bien-fondé de son affirmation voulant que le terme frais ne signifie pas "une obligation de contribuer aux frais d'administration du tribunal" (traduction libre).
Sorel a par ailleurs souligné que la décision de l'Office rendue le 3 novembre 1989 reconnaît la contribution de M. Best, et que par conséquent les frais admissibles pour la contribution de M. Best se trouvent par le fait même validés. Sorel faisait aussi valoir que le témoignage de M. Best a été primordial, non seulement dans la détermination de la rentabilité actuelle de l'embranchement, mais aussi dans la détermination des possibilités de rentabilité future.
De plus, Sorel estimait que la cause de la Cour suprême du Canada que le CN avait citée n'était pas pertinente.
Je suis d'accord avec l'argument de Sorel voulant que la cause citée précédemment ne soit pas pertinente dans le cas qui nous intéresse. La demande d'analyses supplémentaires ne fait pas partie des frais d'administration du tribunal, mais constitue plutôt une requête formulée par le Président portant sur l'élaboration d'analyses supplémentaires devant permettre de tenir compte de nouvelles données déposées à l'audience. Ces frais ne constituent pas des dépenses liées aux procédures, comme celles dont il est question dans la décision de la Cour suprême.
Je suis d'avis que la compétence reconnue de M. Best a contribué au bon déroulement de l'audience et que les preuves apportées par M. Best devraient être admises.
J'estime que le nombre total d'heures déclaré pour le travail de M. Best est raisonnable et que, par conséquent, les frais réclamés par Sorel pour la contribution de M. Best doivent être admis tels quels, soit des honoraires professionnels (11 820,00 $) et des frais (622,00 $), pour un total de 12 442,00 $.
HONORAIRES DE L'EXPERT-CONSEIL
M. Bussière
Pour les services de son expert-conseil, M. Bussière, Sorel a présenté une note indiquant des honoraires de 3 200,00 $ et des frais de 219,00 $, soit un total de 3 419,00 $.
Même si M. Bussière n'a pas témoigné à l'audience, on précise qu'il a pris part, notamment, à la rédaction et à l'analyse des documents qui devaient être utilisés à l'audience.
Le CN a contesté le montant réclamé pour M. Bussière, disant qu'il ignorait tout de la nature et de la nécessité des services de cette personne.
Dans sa réplique, Sorel a cité deux causes entendues par des tribunaux administratifs, et dans lesquelles on avait admis les honoraires d'un expert-conseil qui avait assisté les avocats mais n'avait pas comparu à titre de témoin. Sorel a indiqué qu'elle avait retenu les services de M. Bussière pour qu'il examine la preuve déposée et qu'il apporte son aide à la préparation des contre-interrogatoires et de la plaidoirie finale.
Dans l'examen de la présentation concernant les frais de M. Bussière, j'ai tenu compte du fait qu'il a pris part à la préparation en vue des procédures, plutôt que d'y participer à titre de témoin, de sorte que son opinion d'expert a été présentée indirectement devant l'Office. Je remarque que dans son mémoire, Sorel a précisé que M. Bussière a rédigé des données aux fins de l'audience. Toutefois, j'estime que le travail de M. Bussière fait double emploi avec une bonne partie de celui de MM. Best et Dehod. Les honoraires réclamés par M. Bussière ne sont donc pas, dans l'ensemble, raisonnables dans les circonstances.
Par conséquent, j'estime que seuls les frais réclamés dans le cas de M. Bussière sont admis, soit un montant de 219,00 $.
FRAIS À L'INTERNE
Sorel a déposé une note de frais de 20 474,25 $ pour ce qui est des dépenses à l'interne.
Dans son mémoire de frais, Sorel affirmait qu'à l'exception de certains frais juridiques à l'interne, même si d'autres membres du personnel accompagnaient M. Dehod à l'audience et ont participé à la préparation du témoignage, la compagnie n'a réclamé que le remboursement des dépenses liées à M. Dehod, plus ses frais de déplacement et les frais d'administration connexes. Dans ces conditions, j'ai essayé de trouver dans le mémoire les frais dont on pouvait être certain qu'ils ont été engagés par M. Dehod.
Sorel a déclaré des dépenses de 19 299,25 $ pour M. Dehod, qui était vice-président aux opérations des terminaux et a comparu à titre de témoin au nom de Sorel lors de l'audience tenue les 27 et 28 juillet. Sorel précisait que M. Dehod était aussi responsable de la préparation, de l'examen et de la présentation des preuves écrites déposées à l'audience.
Après avoir examiné le mémoire de frais dans lequel sont exposés les frais pour M. Dehod, je conclus qu'une grande partie du travail de préparation de M. Dehod en vue de l'audience fait double emploi avec celui des avocats, du témoin-expert, M. Best, et en partie de M. Bussière. En conséquence, j'estime que Sorel n'a pas prouvé que les honoraires réclamés étaient dans l'ensemble raisonnables ou nécessaires. Toutefois, j'estime qu'il y a lieu de rembourser à Sorel une partie du temps de préparation consacré à l'audience, et que, comme M. Dehod devait assister à l'audience à titre de représentant de Sorel, on devrait rembourser à Sorel les frais liés au temps que M. Dehod a passé à l'audience ainsi que ses frais de déplacement et ses faux frais.
En conséquence, j'admets les dépenses suivantes concernant le temps de préparation de M. Dehod et la présence de ce dernier à l'audience :
Temps de préparation | 14 heures |
Assistance à l'audience | 15 heures |
Temps de déplacement | 7,5 heures |
36,5 heures à 50 $ l'heure | 1 825,00 $ |
Frais téléphoniques extraordinaires | 138,17 |
Billets d'avions | 680,00 |
Hôtel, repas et faux frais | 450,00 |
Total | 3 093,17 $ |
Honoraires d'avocat
Concernant ses honoraires d'avocat à l'interne, Sorel a présenté une note de 1 175,00 $.
Le CN a souligné que l'avocat de la maison n'a participé qu'à des réunions au sujet desquelles Sorel n'a donné aucune précision.
Sorel a répondu en disant que la description des activités de l'avocat est suffisamment détaillée et que les honoraires d'avocat à l'interne devraient être admis.
J'estime que les honoraires d'avocat à l'interne ne sont pas admissibles, car à mon avis, Sorel n'a pas démontré que ces honoraires étaient raisonnables ou nécessaires dans les circonstances.
EXACTITUDE DU MÉMOIRE DE FRAIS PRÉSENTÉ PAR SOREL
Le CN a fait valoir que le mémoire de frais déposé par Sorel ne justifiait pas le caractère raisonnable des frais réclamés , ou n'expliquait pas la façon dont ces frais sont liés directement aux procédures et sont nécessaires à celles-ci. Plus particulièrement, le CN faisait valoir que le registre journalier "ne justifiait aucunement la moyenne de 13,59 heures par jour qui a été consacrée à ce dossier".
Dans sa réplique, Sorel précisait que les dossiers et les documents à l'appui présentés devant l'Office prouvent que les frais étaient bel et bien liés aux procédures, et que le mémoire de frais déposé par Sorel est similaire à d'autres mémoires de frais présentés devant d'autres tribunaux, qui ont jugé que le demandeur avait satisfait à l'obligation qui lui était faite.
Après avoir examiné le mémoire de frais déposé par Sorel, je suis convaincu qu'il établit la relation entre les frais déclarés et les questions qui ont été abordées à l'audience.
FRAIS TAXÉS
Par les présentes, je taxe les frais et débours suivants :
Honoraires | ||
Honoraires d'avocat | 38 190,00 $ | |
Débours | 7 163,63 | |
Honoraires et débours du témoin-expert | 12 442,00 | |
Honoraires et débours de l'expert-conseil | 219,00 | |
"à l'interne" | ||
Honoraires et frais des témoins | 3 093,17 | |
61 080,80 $ |
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