Décision n° 21-AT-A-2021

le 23 mars 2021

DEMANDE présentée par Naima Iskander (demanderesse) contre la compagnie nationale Royal Air Maroc (Royal Air Maroc), en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (LTC), concernant ses besoins liés à sa déficience.

Numéro de cas : 
18-50117

RÉSUMÉ

[1] La demanderesse a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Royal Air Maroc en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC concernant le manquement présumé par Royal Air Maroc à lui fournir une assistance avec fauteuil roulant.

[2] Le 21 février 2020, l’Office a émis la décision no LET-AT-A-10-2020 (décision provisoire), dans laquelle il a conclu que la demanderesse est une personne ayant une déficience et qu’elle a rencontré des obstacles à ses possibilités de déplacement lorsqu’elle n’a pas reçu l’assistance avec fauteuil roulant qu’elle avait demandée pour se rendre de l’aéronef jusqu’à la zone d’attente de l’aérogare à Casablanca, Maroc, et à son arrivée au Caire, Égypte.

[3] L’Office a également conclu que la demanderesse n’a pas rencontré d’obstacles à ses possibilités de déplacement entre la zone d’attente et la sortie de l’aérogare de Casablanca, à son arrivée à Montréal, Québec, et lorsqu’on lui a refusé l’accès au salon économique.

[4] Dans la présente décision, l’Office se penchera sur la question de savoir si Royal Air Maroc peut éliminer les obstacles aux possibilités de déplacement de la demanderesse sans se voir imposer une contrainte excessive. L’Office se penchera également sur les demandes d’indemnisation présentées par la demanderesse.

[5] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que la demanderesse a rencontré des obstacles abusifs à ses possibilités de déplacement au sens du paragraphe 172(1) de la LTC lorsqu’elle n’a pas reçu l’assistance avec fauteuil roulant qu’elle avait demandée pour se rendre de l’aéronef à la zone d’attente à Casablanca et à son arrivée au Caire.

[6] L’Office ordonne à Royal Air Maroc de prendre la mesure suivante :

  • veiller à ce que la procédure « mode opératoire 2019 » figurant dans sa présentation à l’Office en date du 15 juillet 2020, ou une procédure offrant aux passagers handicapés un niveau de service avec fauteuil roulant égal ou supérieur, demeure en vigueur et soit appliquée par son personnel.

[7] En ce qui concerne la demande d’indemnisation de la demanderesse pour les traitements de physiothérapie qu’elle a reçus pendant son séjour au Caire, l’Office conclut qu’aucune indemnité ne lui sera versée.

CONTEXTE

[8] Le 11 juillet 2018, la demanderesse a voyagé de Montréal au Caire, via Casablanca. Le 1er octobre 2018, elle est revenue à Montréal via Casablanca. La demanderesse a demandé une assistance avec fauteuil roulant avant son départ de Montréal. EgyptAir a exploité le vol du Caire à Casablanca. Royal Air Maroc a exploité les autres segments du voyage de la demanderesse.

[9] La demanderesse explique qu’EgyptAir a fourni l’assistance avec fauteuil roulant qu’elle a demandée.

[10] La demanderesse affirme qu’elle n’a pas reçu d’assistance avec fauteuil roulant pour les segments de vol exploités par Royal Air Maroc. La demanderesse affirme qu’elle a ressenti de la douleur pendant trois mois et qu’elle a eu besoin de services de physiothérapie du fait qu’elle n’a pas eu accès à un fauteuil roulant. La demanderesse réclame une indemnisation en argent pour les traitements qu’elle a reçus lors de son séjour au Caire.

[11] La demanderesse déclare également qu’elle n’a pas eu accès au salon économique à Casablanca à son arrivée du Caire.

LA LOI

[12] La demande a été déposée en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, qui au moment du dépôt de la demande, se lisait comme suit :

Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

[13] Comme l’Office l’énonce dans sa lettre d’ouverture des actes de procédure, les premières étapes de la présente demande portaient sur la question de savoir si la demanderesse est une personne ayant une déficience et, le cas échéant, si elle a rencontré un obstacle. Ces étapes ont été complétées dans la décision provisoire.

[14] Comme dans le cas présent, s’il est déterminé que la demanderesse a rencontré un obstacle, l’Office donne alors à la défenderesse l’occasion :

  • d’expliquer, en tenant compte des propositions éventuelles de la demanderesse, comment elle propose d’éliminer l’obstacle en apportant une modification générale à la règle, à la politique, à la pratique ou à la structure physique concernée, ou encore, s’il n’est pas possible d’apporter une telle modification, en mettant en place une mesure d’accommodement; ou
  • de démontrer qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.

POSITIONS DES PARTIES

Royal Air Maroc

[15] Royal Air Maroc affirme qu’au moment où l’incident s’est produit, elle appliquait les procédures revues en juin 2013 par la Direction Opération Sol et Cargo – Département Support Métier. Royal Air Maroc indique que le 6 mars 2019, la Direction Opération Sol de Royal Air Maroc a remplacé les procédures par une nouvelle procédure appelée « mode opératoire 2019 ».

[16] Royal Air Maroc affirme que cette nouvelle procédure définit trois types de passagers nécessitant un fauteuil roulant, en fonction des besoins précisés lors de la réservation, comme suit :

  1. WCHR (fauteuil roulant – R pour rampe) : Passager qui peut se déplacer lentement, monter ou descendre des escaliers, se déplacer dans la cabine, accéder à son siège de manière autonome, mais qui demande un fauteuil roulant pour de longues distances dans le terminal.
  2. WCHS (fauteuil roulant – S pour marches ou escaliers) : Passager qui peut effectuer quelques pas, mais qui est incapable de monter ou de descendre des escaliers ou de “faire son propre chemin”. Ce passager nécessite un fauteuil roulant pour se déplacer vers ou à partir de la porte de l’aéronef et doit être transporté par un ambulift pour accéder à la cabine.
  3. WCHC (fauteuil – C pour le siège de cabine): Passager qui ne peut pas marcher et qui demande une assistance tout au long du voyage. Ce passager nécessite un fauteuil roulant pour se déplacer dans le terminal, vers ou à partir de la porte de l’aéronef et doit être transporté par un ambulift pour accéder à la cabine.

[17] Royal Air Maroc affirme que la nouvelle procédure prévoit également une assistance aux passagers à l’arrivée et pendant les escales en fonction du type d’aide demandé.

[18] À l’arrivée :

  1. Passager WCHR : Le passager débarque de façon autonome avec les autres passagers et poursuit sa route par bus ou passerelle. L’agent commercial d’exploitation récupère le passager à mobilité réduite (PMR) au niveau de l’arrivée et l’accompagne jusqu’au tapis de livraison des bagages en passant par le service d’immigration.
  2. Passager WCHS: L’agent commercial d’exploitation récupère le PMR auprès du chef de cabine au moment de l’achèvement du débarquement et l’accompagne à partir de la porte de l’aéronef jusqu’au tapis de livraison des bagages en passant par le service d’immigration.

Pour les vols “au large”, l’agent commercial d’exploitation assiste le PMR en utilisant un ambulift pour le récupérer au pied de l’aéronef.

3. Cas d’un passager WCHC: L’agent commercial récupère le PMR auprès du chef de cabine au moment de l’achèvement du débarquement et l’accompagne du pied de l’aéronef jusqu’au hall d’arrivée public en passant par le service d’immigration.

Pour les vols “au large”, l’agent commercial d’exploitation assiste le PMR en utilisant un ambulift pour le récupérer au pied de l’aéronef.

[19] En correspondance :

  • Correspondance courte durée : L’agent commercial d’exploitation accompagne le PMR de l’arrivée jusqu’à la fin de la prestation selon la catégorie de sa réservation (R ou C ou S);
  • Correspondance longue durée : L’agent commercial d’exploitation accompagne le PMR selon la catégorie de sa réservation (R ou C ou S) de l’arrivée jusqu’au salon d’attente ou l’hôtel. À la fin de la correspondance, le PMR est récupéré par un agent commercial d’exploitation pour finaliser le processus du traitement du PMR en transit.

[20] Royal Air Maroc indique qu’elle applique désormais la procédure « mode opératoire 2019 » à tous ses passagers dans le monde entier en tenant compte des pratiques locales des autorités aéroportuaires.

[21] Royal Air Maroc affirme également que ses procédures d’assistance aux passagers handicapés sont en cours d’examen pour déterminer si elles doivent être mises à jour pour refléter les exigences énoncées dans le Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées,DORS/2019-244.

[22] Enfin, Royal Air Maroc fait valoir que, sans admettre l’existence d’une quelconque lacune dans l’assistance apportée à la demanderesse, la procédure « mode opératoire 2019 » traite des questions soulevées par l’Office dans la décision provisoire.

La demanderesse

[23] La demanderesse souligne que l’ancienne procédure est en place depuis 2013 et précise qu’elle a voyagé en 2018, suivant les termes de l’ancienne procédure.

[24] La demanderesse affirme que la réponse de Royal Air Maroc consiste [traduction] « simplement à informer Transports Canada que la compagnie a modifié l’ancienne procédure ». Elle se demande pourquoi la procédure a été modifiée et soutient qu’elle n’aurait pas été modifiée à moins qu’elle ne soit inadéquate et qu’elle n’ait suscité d’autres plaintes.

[25] La demanderesse affirme que [traduction] « cela montre que Royal Air Maroc ne peut pas expliquer pourquoi elle ne fournit pas une assistance à une vieille dame à mobilité réduite qui a été déclarée handicapée par le ministère de la Santé du Québec ».

[26] Enfin, la demanderesse affirme qu’elle [traduction] « pense que Royal Air Maroc n’a aucun argument pour se défendre ou justifier la négligence commise lors de son voyage en 2018 ».

ANALYSE ET DÉTERMINATIONS

Assistance avec un fauteuil roulant

[27] Les fournisseurs de services de transport ont l’obligation de veiller à ce que les personnes ayant une déficience aient un accès égal à leurs services.

[28] Comme l’énonce la décision provisoire, la preuve démontre que la demanderesse a demandé une assistance avec fauteuil roulant à Royal Air Maroc et qu’elle n’a pas bénéficié d’une telle assistance pour se rendre de l’aéronef à la zone d’attente à Casablanca, et à son arrivée au Caire, ce qui constituait des obstacles à sa mobilité.

[29] À ce stade de l’instance, il incombe à la défenderesse de démontrer comment elle se propose d’éliminer les obstacles constatés par l’Office ou de démontrer qu’elle ne peut pas les éliminer sans subir une contrainte excessive.

[30] Royal Air Maroc ne prétend pas que le fait d’éliminer les obstacles constituerait une contrainte excessive. Au contraire, Royal Air Maroc démontre qu’elle peut éliminer les obstacles constatés par l’Office. La procédure « mode opératoire 2019 » qui a été mise en place après le voyage de la demanderesse permet de remédier aux obstacles qu’elle a rencontrés. En effet, selon la procédure « mode opératoire 2019 », la demanderesse recevrait désormais une assistance avec fauteuil roulant pour se rendre de l’aéronef à la zone d’attente si Royal Air Maroc lui attribuait la désignation « assistance WCHS » à la réception de sa demande d’aide. Selon les termes de la procédure « mode opératoire 2019 », « l’agent commercial d’exploitation récupère le PMR auprès du chef de cabine au moment de l’achèvement du débarquement et il l’accompagne à partir de la porte [de l’aéronef] jusqu’au tapis de livraison [des] bagage[s] en passant par le service d’immigration ».

[31] La nouvelle procédure est en vigueur depuis le 6 mars 2019 et Royal Air Maroc a expliqué qu’elle s’applique à tous ses passagers dans le monde entier en tenant compte des pratiques locales des autorités aéroportuaires.

[32] Comme Royal Air Maroc a démontré qu’elle a mis en œuvre une nouvelle procédure qui permet d’éliminer les obstacles rencontrés par la demanderesse, à savoir le « mode opératoire 2019 », l’Office conclut que l’élimination des obstacles rencontrés par la demanderesse ne constituerait pas une contrainte excessive pour Royal Air Maroc.

[33] Par conséquent, l’Office conclut que la demanderesse a rencontré des obstacles abusifs à ses possibilités de déplacement lorsque Royal Air Maroc n’a pas fourni l’assistance avec fauteuil roulant que la demanderesse avait demandée pour se rendre de l’aéronef à la zone d’attente à Casablanca et à son arrivée au Caire.

Indemnisation

[34] La demanderesse réclame une indemnisation en argent pour les traitements qu’elle a reçus lors de son séjour au Caire.

[35] Le paragraphe 172(3) de la LTC en vigueur au moment de la demande énonce :

En cas de décision positive, l’Office peut exiger la prise de mesures correctives indiquées ou le versement d’une indemnité destinée à couvrir les frais supportés par une personne ayant une déficience en raison de l’obstacle en cause, ou les deux.

[36] La demanderesse affirme, en termes généraux, qu’elle a ressenti de la douleur pendant trois mois et qu’elle a eu besoin de service de physiothérapie en raison du fait qu’elle n’a pas eu accès à un fauteuil roulant. La demanderesse a déposé une liste des dépenses qu’elle a supportées qui comprend les frais pour les services suivants : hôpital, physiothérapie, médicaments, injection, aide à domicile et analyses médicales de sang et d’urine. Cependant, les documents déposés par la demanderesse ne montrent pas clairement que les analyses qu’elle a subies étaient attribuables à l’absence d’assistance lors de ses voyages en juillet 2018. Bien que la demanderesse semble avoir subi une série d’analyses le 7 août 2018, rien ne prouve que ces analyses soient imputables aux obstacles abusifs qu’elle a rencontrés au cours de ses voyages. La demanderesse a également déposé une lettre d’une clinique de rhumatologie établie à l’étranger qu’elle a visitée le 17 septembre 2018. Cette lettre ne soutient pas son affirmation selon laquelle des dépenses ont été engagées en raison d’obstacles abusifs, car la lettre indique que [traduction] « la patiente s’est présentée à notre centre en se plaignant d’une lombalgie aiguë et d’un gonflement au niveau du genou droit à la suite d’un mouvement brusque ».

[37] Même si l’Office reconnaît que l’absence d’assistance avec fauteuil roulant de la part de Royal Air Maroc a pu poser des difficultés à la demanderesse, il conclut que la preuve déposée ne démontre pas que les dépenses, pour lesquelles la demanderesse a présenté des reçus à l’Office, ont été supportées en raison des obstacles abusifs. En conséquence, l’Office rejette la demande d’indemnisation.

ORDONNANCE

[38] L’Office ordonne à Royal Air Maroc de prendre la mesure suivante :

  • veiller à ce que la procédure « mode opératoire 2019 » figurant dans la présentation de Royal Air Maroc à l’Office en date du 6 mars 2019, ou une procédure similaire offrant aux passagers handicapés un niveau de service avec fauteuil roulant égal ou supérieur, demeure en vigueur et soit appliquée par son personnel.

Membre(s)

J. Mark MacKeigan
Mary Tobin Oates
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