Décision n° 211-AT-A-2005

le 12 avril 2005

le 12 avril 2005

DEMANDE présentée par Elliott Richman en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, concernant l'impossibilité d'accéder par ATS (appareil de télécommunication pour personnes sourdes ou malentendantes) au système de réservation canadien de Cathay Pacific Airways Limited.

Référence no 3570/99-61


DEMANDE

[1] Le 28 novembre 1999, Elliott Richman a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la demande énoncée dans l'intitulé.

[2] Cathay Pacific Airways Limited (ci-après Cathay Pacific) a déposé sa réponse à la demande le 5 janvier 2000 et M. Richman y a répliqué le 11 janvier 2000.

CONTEXTE

[3] Conformément au paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC), l'Office peut, sur demande, enquêter sur toute question pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. La décision de l'Office repose sur le bien-fondé de chaque cas dont il est saisi.

[4] Toutefois, à la suite de l'examen préliminaire de la demande à l'étude, l'Office a déterminé que toute décision rendue concernant cette demande pourrait avoir d'importantes répercussions pour les transporteurs étrangers exploitant des services dans le réseau de transport canadien. De plus, à ce même moment, l'Office a conclu qu'il ne pouvait pas déterminé s'il y avait eu obstacle abusif pour les personnes ayant une déficience relativement à l'affaire visée par cette demande sans d'abord considérer l'industrie du transport aérien étranger, en général, ainsi que les répercussions de toute décision de l'Office sur les transporteurs aériens étrangers. Pour ce faire, l'Office a jugé nécessaire de mener des consultations auprès des transporteurs étrangers qui exploitent des services à destination ou en provenance du Canada afin de recueillir suffisamment de renseignements pour déterminer ce qui constitue un niveau de service adéquat en matière de communication pour les personnes ayant une déficience auditive. C'est pourquoi, le 9 mars 2000, l'Office a suspendu la procédure relative à la présente demande.

[5] Le 3 juin 2004, l'Office a publié un code de pratiques en matière de communication intitulé L'Élimination des entraves à la communication avec les voyageurs ayant une déficience (ci-après le code de pratiques). Ce code de pratiques est le fruit de vastes consultations qui ont été menées pour discuter des entraves à la communication auxquelles font face les voyageurs ayant une déficience. On y a notamment traité des systèmes de télécommunication qu'utilisent les fournisseurs de services de transport pour les réservations et les renseignements relatifs aux services requis. Au stade de l'élaboration du code de pratiques, l'Office a aussi tenu compte des commentaires soumis par les transporteurs étrangers qui ont été consultés à la suite de la suspension de la procédure relative à la présente instance et d'autres. Bien que les dispositions du code de pratiques ne soient pas expressément applicables aux transporteurs étrangers, elles reflètent le point de vue de l'Office sur l'importance du service par ATS à l'égard de l'accessibilité aux voyages pour les personnes ayant une déficience, et du principe général, applicable à toutes les activités au Canada et à l'extérieur du Canada, que les personnes ayant une déficience devraient avoir un accès équivalent aux services de transport.

QUESTION

[6] L'Office doit déterminer si l'impossibilité d'accéder par ATS au système de réservation canadien de Cathay Pacific a constitué un obstacle abusif pour M. Richman et, le cas échéant, les mesures correctives devant être prises.

FAITS

[7] M. Richman est une personne sourde. Il utilise un ATS pour communiquer par téléphone. Au moment où il consultait le site Web de Cathay Pacific, au mois de novembre 1999, M. Richman a constaté que le transporteur y annonçait les numéros de téléphones de ses bureaux de réservation à Toronto et Vancouver; aucun numéro d'ATS équivalent n'y était cependant indiqué.

[8] Au moment du dépôt de la demande auprès de l'Office, Cathay Pacific n'avait pas de ligne de réservation par ATS dans son bureau de réservation nord-américain, lequel dessert le Canada et les États-Unis d'Amérique. Ce service était accessible, gratuitement, aux clients sourds ou malentendants par le biais des divers services de relais téléphoniques locaux du Canada.

POSITIONS DES PARTIES

[9] M. Richman déclare que puisqu'il ne peut communiquer par téléphone qu'à l'aide d'un ATS, le fait que Cathay Pacific annonce des numéros de réservation à l'intention des personnes « qui entendent », mais aucun numéro équivalent par ATS, lui cause un préjudice indu.

[10] M. Richman estime inacceptable le fait que Cathay Pacific, en l'espèce, ou tout autre transporteur aérien, en général, s'attende à ce que les personnes sourdes ou malentendantes communiquent avec le transporteur par le biais des services de relais téléphoniques ou par télécopieur.

[11] Cathay Pacific déclare qu'elle exploite des services réguliers au Canada depuis plus de 16 ans, et qu'au cours de cette période, tous les services qui étaient offerts aux personnes « qui entendent » étaient également accessibles aux personnes sourdes ou malentendantes par le biais des services de relais téléphoniques décrits plus haut.

[12] Cathay Pacific fait valoir que parce qu'ils utilisent fréquemment des ATS dans le cadre de leurs fonctions, les téléphonistes des services de relais téléphoniques sont manifestement plus compétents en la matière que ne pourrait l'être un agent du transporteur qui serait rarement appelé à utiliser un tel appareil. Cela dit, Cathay Pacific avance qu'en date du 1er avril 2000, elle aura installé un ATS dans son bureau de réservation nord-américain, et que le numéro de cet appareil sera indiqué dans son site Web et dans toute publicité où seront annoncés les numéros de téléphones de son bureau de réservation pour les personnes qui entendent.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

[13] Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.

[14] La demande doit être présentée par une personne ayant une déficience ou en son nom. Dans le cas présent, M. Richman est une personne sourde. Il est donc une personne ayant une déficience aux fins de l'application des dispositions d'accessibilité de la LTC.

[15] Pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si les possibilités de déplacement de la personne qui présente la demande ont été restreintes ou limitées par un obstacle. Le cas échéant, l'Office doit alors décider si l'obstacle était abusif. Pour répondre à ces questions, l'Office doit tenir compte des circonstances de l'affaire dont il est saisi.

Les possibilités de déplacement ont-elles été restreintes ou limitées par un obstacle ?

[16] L'expression « obstacle » n'est pas définie dans la LTC, ce qui donne à penser que le Parlement ne voulait pas limiter la compétence de l'Office compte tenu de son mandat d'éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. De plus, le terme « obstacle » a un sens large et s'entend habituellement d'une chose qui entrave le progrès ou la réalisation.

[17] Pour déterminer si une situation constitue ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience dans un cas donné, l'Office se penche sur les déplacements de cette personne qui sont relatés dans la demande. Dans le passé, l'Office a conclu qu'il y avait eu des obstacles dans plusieurs circonstances différentes. Par exemple, dans certains cas des personnes n'ont pas pu voyager, d'autres ont été blessées durant leurs déplacements (notamment quand l'absence d'installations convenables durant le déplacement affecte la condition physique du passager) et d'autres encore ont été privées de leurs aides à la mobilité endommagées pendant le transport. De plus, l'Office a identifié des obstacles dans les cas où des personnes ont finalement été en mesure de voyager, mais les circonstances découlant de l'expérience ont été telles qu'elles ont miné leur sentiment de confiance, de dignité, de sécurité, situation qui pourrait décourager ces personnes de voyager à l'avenir.

Le cas présent

[18] M. Richman a déclaré que comme il ne peut communiquer par téléphone qu'à l'aide d'un ATS, le fait que Cathay Pacific annonce des numéros de réservations à l'intention des personnes « qui entendent », mais aucun numéro équivalent par ATS, lui cause un préjudice indu.

[19] L'Office est d'avis que la possibilité de communiquer par téléphone, sans l'intervention d'une tierce partie, est essentielle pour tous les voyageurs, y compris les personnes sourdes ou malentendantes. Bien que Cathay Pacific offre à ses clients la possibilité de communiquer avec elle par le biais d'autres technologies de télécommunication, par exemple par télécopieur, par courriel et par l'entremise de son site Web, l'Office estime que de tels services ne sont pas nécessairement accessibles à toutes les personnes ayant une déficience et qu'ils ne permettent pas un échange d'information « en temps réel », comme l'offre l'utilisation de téléphones et d'ATS. L'Office fait également observer que dans plusieurs cas, les personnes qui sont sourdes ou malentendantes considèrent l'utilisation d'un ATS comme le mode de communication le plus efficace.

[20] À la lumière de ce qui précède, l'Office estime qu'au moment du dépôt de la demande, l'impossibilité d'accéder par ATS au système de réservation canadien de Cathay Pacific a constitué un obstacle pour M. Richman, et pour toutes les personnes sourdes ou malentendantes en général.

L'obstacle était-il abusif ?

[21] À l'instar du terme « obstacle », l'expression « abusif » n'est pas définie dans la LTC, ce qui permet à l'Office d'exercer sa discrétion pour éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. Le mot « abusif » a également un sens large et signifie habituellement que quelque chose dépasse ou viole les convenances ou le bon usage (excessif, immodéré, exagéré). Comme une chose peut être jugée exagérée ou excessive dans un cas et non dans un autre, l'Office doit tenir compte du contexte de l'allégation d'obstacle abusif. Dans cette approche contextuelle, l'Office doit trouver un juste équilibre entre le droit des passagers ayant une déficience d'utiliser le réseau de transport de compétence fédérale sans rencontrer d'obstacles abusifs, et les considérations et responsabilités commerciales et opérationnelles des transporteurs. Cette interprétation est conforme à la politique nationale des transports établie à l'article 5 de la LTC et plus précisément au sous-alinéa 5g)(ii) de la LTC qui précise, entre autres, que les modalités en vertu desquelles les transporteurs ou modes de transport exercent leurs activités ne constituent pas, dans la mesure du possible, un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

[22] L'industrie des transports élabore ses services pour répondre aux besoins des utilisateurs. Les dispositions d'accessibilité de la LTC exigent quant à elles que les fournisseurs de services de transport du réseau de transport de compétence fédérale adaptent leurs services dans la mesure du possible aux besoins des personnes ayant une déficience. Certains empêchements doivent toutefois être pris en considération, par exemple les mesures de sécurité que les transporteurs doivent adopter et appliquer, les horaires qu'ils doivent s'efforcer de respecter pour des raisons commerciales, la configuration du matériel et les incidences d'ordre économique qu'aura l'adaptation d'un service sur les transporteurs aériens. Ces empêchements peuvent avoir une incidence sur les personnes ayant une déficience. Ainsi, ces personnes ne pourront pas nécessairement embarquer avec leur propre fauteuil roulant, elles peuvent devoir arriver à l'aérogare plus tôt aux fins de l'embarquement et elles peuvent devoir attendre plus longtemps pour obtenir de l'assistance au débarquement que les personnes n'ayant pas de déficience. Il est impossible d'établir une liste exhaustive des obstacles qu'un passager ayant une déficience peut rencontrer et des empêchements que les fournisseurs de services de transport connaissent dans leurs efforts pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience. Il faut en arriver à un équilibre entre les diverses responsabilités des fournisseurs de services de transport et le droit des personnes ayant une déficience à voyager sans rencontrer d'obstacle, et c'est dans cette recherche d'équilibre que l'Office applique le concept d'obstacle abusif.

Le cas présent

[23] Ayant conclu que l'impossibilité d'accéder par ATS au système de réservation canadien de Cathay Pacific au moment du dépôt de la demande a constitué un obstacle pour M. Richman, et pour toutes les personnes sourdes ou malentendantes en général, l'Office doit maintenant déterminer si cet obstacle était abusif.

[24] L'Office estime que les personnes ayant une déficience devraient pouvoir se prévaloir des options qui sont offertes aux autres voyageurs. Dans le cas présent, elles devraient pouvoir communiquer directement avec le transporteur pour faire des réservations. Les personnes ayant une déficience ont les mêmes droits que les autres de participer pleinement dans leurs collectivités et il ne fait aucun doute que l'égalité d'accès aux transports et aux services est essentielle à l'aptitude des personnes ayant une déficience d'exercer leurs droits. Les personnes ayant une déficience tendent au plus haut degré d'autonomie possible dans leur vie quotidienne et, il en va de soi, dans leurs déplacements. Dans le cas présent, et considérant les faibles coûts y associés, ces principes peuvent être respectés en fournissant un service d'ATS.

[25] Par ailleurs, l'Office souligne que le code de pratiques en rend compte comme suit sous la rubrique « Systèmes de télécommunication pour les réservations et les renseignements » :

Les fournisseurs de services de transport qui utilisent des lignes téléphoniques pour des réservations, des renseignements ou des services relatifs au succès du déplacement doivent fournir un niveau de service équivalent aux voyageurs ayant une déficience en mettant à leur disposition des systèmes de communication auxiliaires, comme une ligne ATS.

[26] L'Office est conscient que les dispositions du code de pratiques ne sont pas expressément applicables aux transporteurs étrangers. Néanmoins, le code de pratiques reflète le point de vue de l'Office sur l'importance du service par ATS à l'égard de l'accessibilité aux transports pour les personnes ayant une déficience, et du principe général, applicable à toutes les activités au Canada et à l'extérieur du Canada, que les personnes ayant une déficience devraient avoir un accès équivalent aux services de transport.

[27] Par conséquent, l'Office conclut que l'impossibilité d'accéder par ATS au système de réservation canadien de Cathay Pacific au moment du dépôt de la demande a constitué un obstacle abusif pour M. Richman, et pour toutes les personnes sourdes ou malentendantes en général.

MESURES PRISES OU DEVANT ÊTRE PRISES

[28] Dans sa réponse à la demande, Cathay Pacific a indiqué qu'elle avait l'intention de faire installer un ATS dans son bureau de réservation nord-américain et de compléter la formation du personnel à l'égard de ce service au plus tard le 31 mars 2000. Elle a ajouté qu'à compter du 1er avril 2000, le numéro de l'ATS sera indiqué partout où ses numéros de réservations apparaîtront dans les publications et annonces publicitaires du transporteur qui seront produites et distribuées au Canada après cette date. Le 10 mars 2000, Cathay Pacific a de nouveau fait part à l'Office de son intention de mettre en œuvre un service d'ATS dans son bureau de réservation nord-américain. Le 28 juillet 2000, Cathay Pacific a confirmé que toutes les mesures précitées ont été entreprises et exécutées.

[29] Le personnel de l'Office s'est assuré que Cathay Pacific a mis en œuvre un service d'ATS dans son bureau de réservation nord-américain, et que le numéro de l'appareil est annoncé dans le site Web du transporteur et indiqué dans ses publications et annonces publicitaires. Ainsi, l'Office estime que les mesures prises par Cathay Pacific assureront la possibilité pour les personnes sourdes ou malentendantes d'accéder au système de réservation canadien du transporteur.

CONCLUSION

[30] À la lumière des constatations qui précèdent, l'Office conclut que l'impossibilité d'accéder par ATS au système de réservation canadien de Cathay Pacific au moment du dépôt de la demande a constitué un obstacle abusif pour M. Richman, et pour toutes les personnes sourdes ou malentendantes en général.

[31] Cependant, compte tenu des mesures prises par Cathay Pacific, l'Office n'envisage aucune mesure relativement à cette affaire.

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