Décision n° 211-AT-A-2014

le 4 juin 2014

DEMANDE présentée par Kathryn Woodcock contre Air Canada.

No de référence : 
U3570/14-50027

INTRODUCTION

[1] Kathryn Woodcock a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office), conformément au paragraphe 172 (1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10. modifiée (LTC), contre Air Canada relativement à la fourniture de renseignements relatifs au changement de la porte d’embarquement pour son vol de retour vers Toronto (Ontario), Canada le 15 décembre 2013.

QUESTIONS

  1. Mme Woodcock est-elle une personne ayant une déficience aux termes de la partie V de la LTC?
  2. Quelles mesures constituent un accommodement approprié pour les personnes sourdes ou malentendantes, y compris Mme Woodcock, qui demandent des renseignements sur les changements de porte d’embarquement dans un aéroport?
  3. La façon dont Air Canada a communiqué les renseignements sur le changement de porte d’embarquement pour le vol de Mme Woodcock a-t-elle constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement? Le cas échéant, quelles mesures correctives devraient être prises?

LA LOI

[2] Lorsqu’il doit statuer sur une demande en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, l’Office applique une procédure particulière en trois temps pour déterminer s’il y a eu obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne ayant une déficience. L’Office doit déterminer :

  1. si la personne qui est l’auteur de la demande a une déficience aux fins de la LTC;
  2. si la personne a rencontré un obstacle du fait qu’on ne lui a pas fourni un accommodement approprié pour répondre aux besoins liés à sa déficience. Un obstacle est une règle, une politique, une pratique, un obstacle physique, etc. qui a pour effet de priver la personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services offerts aux autres voyageurs par le fournisseur de services de transport;
  3. si l’obstacle est « abusif ». Un obstacle est abusif à moins que le fournisseur de services de transport puisse prouver qu’il y a des contraintes qui rendraient l’élimination de l’obstacle déraisonnable, peu pratique ou impossible, de sorte qu’il ne peut pas fournir la mesure d’accommodement sans se voir imposer une contrainte excessive. Si l’obstacle est jugé abusif, l’Office ordonnera la prise de mesures correctives pour éliminer l’obstacle abusif.

MME WOODCOCK EST-ELLE UNE PERSONNE AYANT UNE DÉFICIENCE AUX TERMES DE LA PARTIE V DE LA LTC?

[3]  Pour déterminer s’il y a eu obstacle aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience, l’Office doit d’abord déterminer si la demande a été déposée par une personne ayant une déficience ou en son nom.

[4]  Dans le cas présent, Mme Woodcock est sourde.

[5]  À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que Mme Woodcock est une personne ayant une déficience aux fins de l’application des dispositions en matière d’accessibilité de la LTC.

QUELLES MESURES CONSTITUENT UN ACCOMMODEMENT APPROPRIÉ POUR LES PERSONNES SOURDES OU MALENTENDANTES, Y COMPRIS MME WOODCOCK, QUI DEMANDENT DES RENSEIGNEMENTS SUR LES CHANGEMENTS DE PORTE D’EMBARQUEMENT DANS UN AÉROPORT?

Approche de l’Office pour déterminer un accommodement approprié

[6]  Un service ou une mesure dont le but est de répondre aux besoins liés à la déficience d’une personne est défini comme étant un « accommodement approprié ». Les accommodements appropriés sont des mesures d’accommodement qui sont offertes de manière digne et qui répondent aux besoins liés à la déficience d’une personne. De ce fait, cette personne a l’occasion d’obtenir le même niveau de services de transport que celui offert aux autres passagers dans le réseau de transport fédéral.

[7] S’il est déterminé que la personne a bénéficié d’un accommodement approprié, on ne peut pas affirmer qu’elle a rencontré un obstacle.

[8]  Dans certaines situations, différentes mesures d’accommodement peuvent répondre aux besoins liés à la déficience d’une personne. Il n’est pas obligatoire que la mesure d’accommodement corresponde exactement à ce que demande la personne, sous réserve que la mesure soit efficace.

[9]  Les fournisseurs de services respectent leur obligation d’accommodement s’ils offrent des mesures qui permettent à une personne ayant une déficience de bénéficier du même niveau de services de transport que celui offert aux autres voyageurs.

[10] Les fournisseurs de services ont le droit de choisir la mesure d’accommodement la moins coûteuse, la moins perturbatrice ou la moins contraignante si elle répond aussi bien aux besoins d’une personne liés à sa déficience.

[11] Toutefois, dans les cas où différentes mesures d’accommodement sont équivalentes et qu’aucune n’est moins coûteuse, moins perturbatrice ou moins contraignante pour le fournisseur de services, la personne ayant une déficience devrait avoir le droit de choisir la mesure d’accommodement qu’elle préfère.

LE CAS PRÉSENT

Faits, éléments de preuve et présentations

Mme Woodcock

[12]  Mme Woodcock fait valoir que, pour rendre accessible ses voies de communication essentielles à un niveau comparable à celui fourni aux autres passagers, Air Canada devrait instaurer les mesures suivantes :

  1. faire des efforts raisonnables pour fournir les renseignements en utilisant tous les moyens d’information qui incluent l’annonce de renseignements de voyage importants (comme les retards et les changements de porte d’embarquement) de manière accessible, chaque fois qu’une personne sourde s’est enregistrée pour un vol, peu importe que le transporteur sache ou non lequel des passagers en attente est sourd. Mme Woodcock reconnaît qu’il y a des limites aux efforts de communication accessibles raisonnables, mais elle fait valoir que la norme minimale doit inclure l’utilisation de tous les moyens de communication dont dispose Air Canada, y compris, sans s’y limiter, des avis par message texte aux passagers dont la surdité a été signalée (s’ils ont fourni leurs coordonnées) et l’application mobile d’Air Canada. Mme Woodcock fait également valoir que les données desservant l’application doivent être mises à jour en temps opportun;
  2. laisser un avis visuel – imprimé ou numérique – à la porte d’embarquement abandonnée qui indique la nouvelle porte désignée, pour une période raisonnable après le déplacement d’un départ à une autre porte d’embarquement, et collaborer avec l’administration aéroportuaire au besoin pour atteindre cet objectif;
  3. afficher les renseignements sur l’écran d’information de vol de la porte d’embarquement.

[13]  Mme Woodcock est d’avis que les mesures susmentionnées feraient en sorte qu’Air Canada pourrait potentiellement suraccommoder certains passagers sourds ou malentendants, mais qu’elles fourniraient une assurance accrue que tous les passagers obtiendraient de manière adéquate les renseignements essentiels visant leur vol. Elle fait valoir que ses hypothèses ne nécessitent que quelques étapes de plus et des coûts additionnels minimums, et explique que ces coûts sont décrits comme « additionnels » uniquement parce qu’ils exploitent des capacités existantes, mais qui ne sont pas utilisées. Mme Woodcock est d’avis qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’Air Canada exécute une procédure plus fiable qu’une autre si le fardeau pour l’exécuter est minimal.

[14] Mme Woodcock formule également les commentaires suivants sur l’auto-identification :

  • les passagers sourds devraient raisonnablement pouvoir se fier au personnel de la compagnie aérienne pour accéder à l’auto-identification préalablement indiquée via l’interface Web pour mettre en place des procédures d’accessibilité fondées sur ces informations sans effectuer aucune autre demande;
  • l’auto-identification à la porte d’embarquement ne se traduira pas par un avis adéquat pour les raisons suivantes :
    • en cas de retards de vol, l’agent à l’embarquement risque de changer, et l’agent initial pourrait ne pas communiquer les renseignements à son remplaçant;
    • la personne sourde pourrait avoir quitté brièvement la porte d’embarquement, pendant l’annonce;
    • les agents à l’embarquement pourraient avoir de la difficulté à se rappeler du visage de la personne, malgré leurs meilleures intentions, compte tenu de la charge de travail cognitive du personnel du transporteur en vue d’un départ.

[15]  Mme Woodcock indique qu’elle s’auto-identifie à la porte d’embarquement avant chaque vol, et qu’elle l’aurait fait pour ce vol également, dès qu’elle aurait jugé le moment d’agir opportun, c.-à-d. lorsque le personnel à la porte d’embarquement a commencé à annoncer l’embarquement. Mme Woodcock est d’avis que la détermination du moment de s’auto-identifier repose sur l’objectif de l’auto-identification tel que perçu par la personne. Sa perception de cet objectif est qu’il fait prendre conscience aux agents qu’elle ne peut pas entendre leurs annonces d’embarquement, et qu’elle a besoin qu’ils examinent sa carte d’embarquement plus attentivement que celle des autres pour vérifier que la destination qui y est inscrite correspond bien au vol qu’elle est sur le point de prendre, et que s’ils ne la font pas préembarquer, ils auront la responsabilité supplémentaire de voir à ce qu’elle ne manque pas le dernier rappel d’embarquement.

[16]  Mme Woodcock est d’avis qu’il n’est pas logique de s’auto-identifier à la porte d’embarquement avant le début de l’embarquement, car l’auto-identification peut mener à une action immédiate, comme la faire préembarquer ou la diriger vers l’agent d’embarquement. Elle affirme qu’elle ne trouvera jamais logique de s’auto-identifier à une porte d’embarquement destinée à changer, en raison de manquements multiples dont elle a déjà fait l’expérience après s’être auto-identifiée.

[17]  Mme Woodcock fait valoir que si l’auto-identification est le seul signal qui amène Air Canada à communiquer les renseignements accessibles, même lorsqu’elle sait qu’un passager sourd s’est enregistré, elle doit communiquer explicitement cette attente au passager. Mme Woodcock fait également valoir que, comme le transporteur accommode des personnes sourdes, il doit communiquer cette attente par écrit au comptoir d’enregistrement ou des bagages, pour que le passager reçoive un rappel immédiatement avant que la « mesure soit exécutée ». Elle indique qu’il n’y a aucune référence quant à une obligation de déclarer ses déficiences à la porte d’embarquement dans les conditions de transport d’Air Canada, ni dans le document pdf envoyé avec son billet de confirmation/itinéraire, ni sur la liste de choses à faire qu’on retrouve en suivant l’hyperlien indiqué sur le billet de confirmation/itinéraire.

[18] Mme Woodcock fait valoir que le fait de fournir des renseignements accessibles aux passagers sourds seulement s’ils sont visuellement reconnaissables à la porte d’embarquement, dans la mesure où un passager s’est auto-identifié, n’est pas ce qu’on appelle fournir des efforts raisonnables. Mme Woodcock a l’impression qu’Air Canada voit d’une manière condescendante l’accommodement des passagers sourds qui demandent des services spéciaux, où le personnel reconnaît ces passagers en les voyant et va les aider au besoin. Mme Woodcock fait valoir que cette situation est non seulement socialement dépassée, mais qu’elle est également déraisonnable compte tenu de toute la charge de travail cognitive du personnel du transporteur en vue d’un départ. Mme Woodcock fait valoir qu’il s’agirait d’un fardeau de garder dans leur mémoire à court terme l’apparence visuelle de quatre pour cent des passagers à un quelconque moment, soit la prévalence de personnes sourdes ou ayant une déficience auditive grave au Canada.

Air Canada

[19] Air Canada fait valoir que ses politiques et procédures suivantes lui permettent de fournir un accommodement approprié aux clients ayant une déficience auditive qui voyagent seuls :

  • Les clients ayant une déficience auditive sont considérés comme autonomes et n’ont donc pas besoin d’autorisation médicale. S’ils déclarent ne pas être autonomes, ils peuvent demander qu’un accompagnateur voyage avec eux.
  • Les agents à l’aéroport qui aident un client sourd ou ayant une déficience auditive sont tenus de demander au client s’il peut lire sur les lèvres, sinon de communiquer par écrit; de transmettre en temps opportun tous renseignements communiqués aux autres clients; de communiquer directement avec le client, à moins d’avis contraire. Les agents de bord suivent les mêmes instructions et fournissent un exposé de sécurité personnel avant le vol.
  • Si des passagers indiquent être sourds ou avoir une déficience auditive, le code de la demande de services spéciaux (DSS) « PERSONNE SOURDE » est indiqué dans le dossier du passager, dans le dossier du système de contrôle des départs et à côté du nom du passager sur la liste de passagers dont se servent les agents à l’embarquement et les agents de bord.
  • Dans l’aéronef, l’équipage est en mesure d’identifier la personne par son nom, son numéro de siège et le code DSS « PERSONNE SOURDE ».
  • Dans l’aéroport, tous les renseignements pertinents sont communiqués aux passagers qui indiquent volontairement leur présence à l’agent à l’embarquement; si le passager ne s’auto-identifie pas, l’agent à l’embarquement ne peut pas l’identifier parmi toutes les personnes présentes à la porte d’embarquement et dans l’aéroport.
  • En cas de changements de porte d’embarquement, les personnes qui ne s’identifient pas à l’agent à l’embarquement peuvent opter pour l’une ou l’autre des options suivantes :
  1. suivre le mouvement d’autres passagers qui attendent le vol;
  2. s’adresser à un agent disponible;
  3. consulter les écrans d’information de vol installés partout dans l’aéroport pour connaître le numéro de la porte;
  4. utiliser d’autres moyens, y compris les médias sociaux.

[20] Air Canada fait également valoir qu’il serait impossible de communiquer les changements de porte d’embarquement au moyen d’applications mobiles ou de messages textes, car ces changements sont des décisions de l’aéroport qui ne sont pas communiquées au système de réservation d’Air Canada.

Analyse et constatations

[21] La communication de renseignements liés au transport sur divers supports est essentielle pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience, et leur assurer un accès au réseau de transport fédéral à l’instar d’autres passagers. En ce qui a trait à la communication des changements de porte d’embarquement aux personnes ayant une déficience auditive, les renseignements doivent être communiqués au moyen d’un média visuel sans se limiter à des annonces audio, étant donné que les personnes ayant une déficience auditive grave pourraient ne pas bien les entendre. Cela est conforme au paragraphe 2.3 du Code de pratiques – L’Élimination des entraves à la communication avec les voyageurs ayant une déficience (Code de communication), qui prévoit que « Les annonces publiques nécessaires au succès du déplacement doivent être faites en format auditif et visuel dans toutes les zones de services aux passagers à l’intérieur des gares. Les annonces comprennent, entre autres, l’information sur les retards de vols, la désignation des portes, les changements d’horaire ou de correspondance. »

[22] Dans ce cas présent, les renseignements sur le changement de porte d’embarquement pour les vols d’Air Canada sont affichés sur les écrans d’information de vol partout dans les aéroports; l’Office note que cela est conforme au Code de communication et est d’avis que cela répond clairement aux besoins des personnes sourdes ou malentendantes. L’Office conclut donc que cela constitue un accommodement approprié.

[23] Air Canada veille également à ce que ses passagers sourds ou malentendants soient mis au courant des changements de porte d’embarquement par l’intermédiaire de sa politique qui exige que son personnel à l’embarquement informe le passager sourd ou malentendant de tout changement de porte d’embarquement, sous réserve de l’auto-identification du passager.

[24] Mme Woodcock doute de l’efficacité de l’auto-identification pour diverses raisons : le personnel à l’embarquement peut changer ou un agent pourrait ne pas se rappeler du visage de la personne qui s’est auto-identifiée. Toutefois, ses points de vue sur l’auto-identification semblent contradictoires. D’une part, elle est d’avis que, comme elle a indiqué ses besoins durant le processus de réservation et d’enregistrement de ses bagages, elle ne devrait pas avoir à s’auto-identifier de nouveau à la porte d’embarquement. D’autre part, Mme Woodcock affirme qu’elle s’auto-identifie quand elle juge le moment de le faire opportun, par exemple lorsque le personnel à l’embarquement commence à annoncer l’embarquement.

[25] Mme Woodcock fait valoir que si Air Canada s’appuie sur l’auto-identification comme le seul signal pour communiquer les renseignements, elle doit explicitement communiquer cette attente au passager par écrit. L’Office n’est pas d’accord avec le point de vue de Mme Woodcock au motif que, nonobstant un avis écrit du transporteur, il est intuitivement évident qu’une personne doit communiquer son besoin de service au personnel approprié et au bon moment aux diverses étapes d’un voyage. Cela est nécessaire pour assurer la fourniture des services liés à la déficience demandés, comme il est indiqué dans le Code de communication qui prévoit que les personnes ayant une déficience auront peut-être à s’auto-identifier à diverses étapes de leur voyage pour que le personnel soit au courant de leurs besoins spéciaux. La plupart des personnes ayant une déficience qui ont besoin d’accommodement reconnaissent la nécessité de s’auto-identifier, et c’est habituellement ce qu’elles font.

[26] En plus du besoin de s’auto-identifier à la porte d’embarquement pour recevoir les renseignements relatifs aux changements de porte d’embarquement, chaque fois qu’une personne sourde ou malentendante quitte la zone devant une porte d’embarquement, peu importe la raison, il lui incombe d’informer les agents à l’embarquement de l’endroit où elle s’en va, et pendant environ combien de temps, afin qu’un agent puisse la trouver pour l’informer d’un changement relatif à son vol au besoin. Si la personne décide de ne pas s’auto-identifier à la porte d’embarquement, comme dans le cas de Mme Woodcock, elle doit se fier aux renseignements relatifs à son vol qui sont affichés sur les écrans d’information de vol.

[27] Comme il a été indiqué précédemment, dans certaines situations, différentes mesures d’accommodement peuvent répondre aux besoins liés à la déficience d’une personne. L’Office reconnaît également que dans de telles situations, les personnes ayant une déficience qui ont besoin d’accommodement peuvent préférer une mesure répondant à leurs besoins plutôt qu’une autre mesure équivalente. Dans le cas présent, certaines personnes sourdes ou malentendantes préféreront se fier aux affiches électroniques pour obtenir des renseignements sur les changements de porte d’embarquement, mais d’autres préféreront que le personnel du transporteur aérien les informe en personne, sous réserve de l’auto-identification, comme il a été indiqué précédemment. L’Office note que cela est conforme au Code de communication qui reconnaît que beaucoup de gens se sentent à l’aise d’utiliser un stylo et du papier ou encore de lire sur les lèvres. Par conséquent, les fournisseurs de services de transport devraient répéter, reformuler les phrases ou fournir des renseignements par écrit au besoin une fois que la personne ayant une déficience s’est auto-identifiée.

[28] À la lumière de ce qui précède, malgré les préoccupations de Mme Woodcock relatives l’auto-identification, l’Office est d’avis que si le personnel à l’embarquement pour le vol de départ fournit les renseignements sur les changements de porte d’embarquement par des moyens visuels (p. ex., au moyen d’un stylo et d’un papier), sous réserve de l’auto-identification des personnes sourdes ou malentendantes, la mesure permet, dans certains cas, de répondre à leurs besoins de la même façon que si on affichait le renseignement de vol sur les écrans d’information. L’Office note en outre que cela est conforme au Code de communication et il est d’avis que cela répond clairement aux besoins des personnes sourdes ou malentendantes.

[29] En ce qui concerne les mesures décrites ci-dessus qui, selon Mme Woodcock, sont nécessaires pour répondre à ses besoins, notamment en ce qu’elles portent sur les renseignements relatifs aux changements de porte d’embarquement, l’Office note que ces mesures viendraient s’ajouter aux autres qui sont déjà en place, et que l’Office a jugées comme fournissant un accommodement approprié. À cet égard, l’Office reconnaît que plusieurs mesures d’accommodement peuvent répondre aussi bien aux besoins d’une personne ayant une déficience, sans que l’accommodement approprié soit exactement celui que demande la personne, mais il doit être efficace. De plus, le fournisseur de services de transport doit tenir compte de la préférence d’une personne, mais il a le droit de choisir une mesure d’accommodement moins coûteuse, moins perturbatrice ou moins contraignante, à condition que la mesure choisie réponde aussi bien aux besoins d’une personne liés à sa déficience. Dans le cas présent, l’Office est d’avis que les mesures proposées par Mme Woodcock entraîneraient un fardeau inutile pour Air Canada et iraient au-delà de son obligation d’accommodement.

[30] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que les mesures ci-après répondent aussi bien aux besoins des passagers sourds ou malentendants, y compris Mme Woodcock, et représentent un accommodement approprié :

  • la fourniture de renseignements visuels relatifs aux changements de porte d’embarquement sur les écrans d’information de vol de l’aéroport;
  • la fourniture de renseignements visuels par le personnel du transporteur (p. ex., au moyen d’un stylo et de papier) à propos des changements de porte d’embarquement, sous réserve de l’auto-identification des personnes sourdes ou malentendantes à la porte de départ.

LA FAÇON DONT AIR CANADA A COMMUNIQUÉ LES RENSEIGNEMENTS SUR LE CHANGEMENT DE PORTE D’EMBARQUEMENT POUR LE VOL DE MME WOODCOCK A-T-ELLE CONSTITUÉ UN OBSTACLE ABUSIF À SES POSSIBILITÉS DE DÉPLACEMENT? LE CAS ÉCHÉANT, QUELLES MESURES CORRECTIVES DEVRAIENT ÊTRE PRISES?

Démarche de l’Office pour conclure à l’existence d’un obstacle

[31] L’Office définit un obstacle dans le réseau de transport fédéral comme étant une règle, une politique, une pratique, un obstacle physique, etc. :

  • qui est soit direct, c’est-à-dire qu’il s’applique à une personne ayant une déficience;
  • qui est soit indirect, c’est-à-dire que, bien qu’il soit le même pour tous, il a pour effet de priver une personne ayant une déficience d’un avantage;
  • et qui prive une personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services accessibles aux autres voyageurs de sorte que le fournisseur de services doit fournir un accommodement.

Faits, éléments de preuve et présentations

Mme Woodcock

[32]  Mme Woodcock fait valoir qu’elle s’est auto-identifiée de toutes les façons demandées par Air Canada, au moment de sa réservation en ligne, dans son profil client, et pendant l’achat de son billet. Mme Woodcock indique également que sa carte d’embarquement renferme la mention « PERSONNE SOURDE », ce qui l’a amenée à croire qu’Air Canada était au courant de sa déficience et reconnaissait ses obligations en matière d’accessibilité. Mme Woodcock fait valoir que rien sur la carte d’embarquement n’indiquait que d’autres avis seraient nécessaires. Selon elle, cette indication a toujours signifié [traduction] « Détendez-vous, nous savons que vous êtes sourde et nous avons pris des mesures pour vous accommoder ». De plus, Mme Woodcock affirme que lorsqu’elle a enregistré ses bagages, elle a montré à l’agent sa carte d’embarquement et lui a pointé la mention « PERSONNE SOURDE ». Elle fait valoir qu’elle est arrivée à la porte d’embarquement en temps opportun et a reconnu à la porte d’embarquement le même personnel qui se trouvait au comptoir d’enregistrement.

[33] Mme Woodcock indique qu’elle savait que l’aéronef n’était pas encore arrivé parce qu’elle surveillait les vols à l’arrivée sur Flightstats.com et que par conséquent, elle n’avait pas besoin d’une « attention particulière » à ce moment-là. Elle indique avoir décidé qu’elle s’auto-identifierait avant le préembarquement. Elle fait valoir qu’elle a pris ce vol de trois à cinq fois peut-être par année pendant plusieurs années, et bien que l’heure exacte de départ variait d’une saison à l’autre, c’était toujours à la même porte d’embarquement. Elle indique qu’en se fondant sur son expérience, elle soupçonne que si elle s’était auto-identifiée à son arrivée à la porte d’embarquement 90 minutes avant le vol, et Air Canada avait changé de personnel ou l’avait oubliée, Air Canada la blâmerait encore de ne pas s’être auto-identifiée de nouveau.

[34]  Mme Woodcock indique qu’à son retour à sa porte d’embarquement après s’être dégourdi les jambes et être allée aux toilettes, la porte était « abandonnée ». Mme Woodcock ajoute que lorsqu’elle a découvert qu’il n’y avait plus personne à la porte d’embarquement, sa réaction immédiate a été de paniquer et de se dire que l’aéronef était arrivé, que les passagers étaient débarqués, que d’autres étaient embarqués, puis que l’aéronef était reparti, effectuant son dernier départ de la journée, et tout cela pendant qu’elle était aux toilettes. Mme Woodcock explique qu’après s’être ressaisie et s’être rendu compte qu’elle n’avait pas pu se trouver aux toilettes pendant si longtemps, elle a improvisé une façon qui lui permettrait de savoir où se trouvait la nouvelle porte d’embarquement, qui était à un autre quai de l’aérogare.

[35] Mme Woodcock fait valoir qu’il n’y avait pas de renseignements relatifs à la porte d’embarquement dans l’application mobile d’Air Canada de son téléphone cellulaire. Elle indique que, comme elle est sourde, elle ne pouvait pas appeler Air Canada. De plus, elle fait valoir qu’elle ne pouvait demander d’aide à personne, car elle aurait trouvé difficile de comprendre un étranger. Mme Woodcock fait également valoir que l’écran des départs qui affiche tous les vols ne lui était pas immédiatement visible et indique que, dans un premier temps, dans sa vive préoccupation, elle a oublié de regarder l’écran. Mme Woodcock indique avoir communiqué avec l’équipe de Twitter d’Air Canada qui a répondu en lui offrant de l’aide, mais qu’à ce moment-là, elle avait trouvé elle-même la nouvelle porte d’embarquement.

[36] Mme Woodcock fait valoir qu’il n’aurait pas été difficile pour Air Canada, d’un point de vue opérationnel, de laisser à la porte abandonnée un avis indiquant l’emplacement de la nouvelle porte, car l’ancienne porte semblait fermée pour la nuit.

[37] Mme Woodcock indique que, même si elle n’a pas subi de perte ni de dommages tangibles graves à ce moment-là, elle a perdu confiance pour ses voyages futurs. Elle indique avoir été désorientée et s’être inquiétée pendant cinq minutes et elle est d’avis que dans différentes circonstances, selon les mêmes hypothèses et pratiques, des passagers sourds pourraient « subir un préjudice aussi important que s’ils avaient été oubliés dans un aéroport étranger ».

[38] Mme Woodcock fait valoir que, en ne l’informant pas du changement de porte d’embarquement par l’entremise de son personnel, et en ne lui fournissant pas les renseignements sur les changements de porte d’embarquement par d’autres moyens, comme des massages textes ou des mises à jour sur l’application mobile, Air Canada n’a pas respecté son obligation de fournir des renseignements accessibles et a créé des obstacles à ses possibilités de déplacement.

Air Canada

[39] Air Canada fait valoir que 20 minutes avant l’arrivée de l’aéronef, l’Administration aéroportuaire de l’aéroport international d’Orlando a changé la porte de départ de la porte 20 à la porte 11. Air Canada soutient que les écrans d’information de vol de l’aéroport, qui étaient situés dans un lieu central près de la porte 20, ont été mis à jour jusqu’au départ du vol, pour indiquer le changement du numéro de la porte.

[40] Air Canada indique que, contrairement à l’affirmation de Mme Woodcock, l’agent qui l’a aidée à enregistrer ses bagages n’était pas en service à la porte.

[41] Air Canada fait valoir qu’à aucun moment Mme Woodcock n’a fait connaître sa présence aux agents à la porte 20; si elle l’avait fait, ils auraient su qu’il fallait l’informer directement du changement de porte d’embarquement.

[42] Air Canada explique que lors du changement de porte d’embarquement, il a été conclu que Mme Woodcock avait eu connaissance du changement en voyant le mouvement des passagers ou la mise à jour des écrans d’information de vol situés près de la porte 20, ou encore en s’informant auprès des agents qui sont restés à la porte 20 environ 10 à 15 minutes après le changement pour rassembler leurs documents et récupérer les bagages de cabine. Air Canada fait valoir que la façon dont Mme Woodcock a été traitée à l’aéroport international d’Orlando dans le contexte d’un changement de porte d’embarquement ne devrait pas être considérée comme un obstacle à ses possibilités de déplacement.

Analyse et constatations

[43] Même si Mme Woodcock n’a pas reçu personnellement le renseignement sur le changement de porte d’embarquement, au moyen de messages textes ou de l’application mobile sur son téléphone cellulaire, ou encore d’une note affichée à la porte d’embarquement, ce qu’elle aurait préféré, les renseignements étaient disponibles sur les écrans d’information de vol près de la porte d’embarquement initiale. Mme Woodcock ne nie pas que les renseignements étaient disponibles sur les écrans; elle reconnaît plutôt l’avoir oublié dans sa vive préoccupation.

[44] Mme Woodcock fait valoir que l’agent à l’embarquement était la même personne qu’au comptoir d’enregistrement, à qui elle avait montré la mention « PERSONNE SOURDE » sur sa carte d’embarquement. Air Canada fait valoir que ce n’était pas la même personne. Nonobstant ce désaccord, l’Office est d’avis que même si l’agent avait été le même, il serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’il se rappelle quel passager s’est auto-identifié comme étant sourd pendant l’enregistrement de ses bagages, sachant qu’il a possiblement traité des centaines de passagers au comptoir de bagages. Pour cette raison, l’Office est d’avis qu’il est impératif que les personnes ayant une déficience s’auto-identifient et communiquent leurs besoins tout au long de leur voyage, afin de recevoir les services liés à la déficience qu’elles demandent. Dans le cas présent, compte tenu du fait que Mme Woodcock a décidé de ne pas s’auto-identifier aux agents à l’embarquement, elle n’aurait pas pu être personnellement informée du changement de porte d’embarquement. Par conséquent, l’Office conclut qu’il n’y avait pas eu d’obstacle aux possibilités de déplacement de Mme Woodcock du fait qu’elle n’a pas été personnellement avisée du changement de porte d’embarquement par Air Canada.

[45] À la lumière du fait qu’il y avait deux mesures qui répondaient aussi bien aux besoins de Mme Woodcock liés à sa déficience et qui représentaient un accommodement approprié, l’Office conclut que Mme Woodcock n’a pas rencontré d’obstacle à ses possibilités de déplacement.

CONCLUSION

[46]  Ayant déterminé qu’il n’y avait pas eu d’obstacle, la question du caractère abusif est sans objet et l’Office n’a pas à se pencher sur la question. Par conséquent, l’Office ne prendra aucune autre mesure dans cette affaire.

AUTRES QUESTIONS

[47] L’Office note qu’Air Canada a pris des mesures positives proactives pour informer particulièrement les passagers sourds ou malentendants qu’ils devraient s’auto-identifier, en ajoutant la phrase suivante sur la page de réservation en ligne où les renseignements sur la déficience sont recueillis :

[traduction]

« Nous recommandons que les passagers qui indiquent être sourds ou aveugles s’identifient auprès des agents à l’embarquement pour s’assurer de communiquer tous les renseignements pertinents en temps opportun. »

[48]  L’Office note également le fait que le jour du voyage, en plus des deux mesures d’accommodement appropriées susmentionnées pour fournir visuellement les renseignements relatifs au changement de porte d’embarquement, Air Canada était disposée à fournir les renseignements relatifs au changement de porte d’embarquement à Mme Woodcock via Twitter. Mme Woodcock a communiqué avec Air Canada au moyen de Twitter et a reçu une réponse dans les trois minutes suivantes, lui offrant de vérifier avec elle les renseignements sur la porte d’embarquement. Mme Woodcock a répondu dans les deux minutes qui ont suivi qu’elle avait déjà trouvé la nouvelle porte.

[49] Par conséquent, l’Office reconnaît que, en prenant ces mesures supplémentaires pour informer les passagers sourds ou malentendants du besoin de s’auto-identifier à la porte d’embarquement, et en répondant rapidement par l’intermédiaire d’autres moyens de communication électronique, comme Twitter, Air Canada a pris l’initiative de fournir un accommodement au-delà de ce que l’Office juge nécessaire dans le cas présent.

Membre(s)

J. Mark MacKeigan
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