Décision n° 216-AT-A-1998
le 13 mai 1998
DEMANDE déposée par Mme Lemieux-Brassard pour l'adjudication de frais, en vertu de l'article 25.1 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10.
Référence no U 3570/96-21
DEMANDE
Le 10 novembre 1997, Mme Lemieux-Brassard a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office), en vertu de l'article 25.1 de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC), une demande d'adjudication de frais concernant les honoraires d'avocat et les frais d'expert reliés à sa participation à l'audience du 24 au 26 septembre 1997.
CONTEXTE
Dans la décision no 512-A-1997 du 19 août 1997, l'Office a déterminé que lors de 10 vols assurés par Air Canada, Air Nova Inc. (ci-après Air Nova) et Lignes aériennes Canadien International ltée exerçant son activité sous le nom commercial de Lignes aériennes Canadien International ou Canadi*n (ci-après Canadi*n), un total de sept infractions aux dispositions du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié, a été commis du fait que divers services n'ont pas été fournis à Mme Lemieux-Brassard, comme l'assistance au moment de l'embarquement et dans ses déplacements en fauteuil roulant électrique. L'Office a également déterminé qu'il y avait eu 15 obstacles abusifs aux possibilités de déplacement de Mme Lemieux-Brassard concernant certains points, tels l'assignation des sièges, les dommages causés à son fauteuil roulant, la façon dont les employés des transporteurs ont communiqué avec la passagère et la livraison tardive des piles de son fauteuil roulant. L'Office prescrivait que diverses mesures soient prises en vue de corriger certains problèmes rencontrés par Mme Lemieux-Brassard.
L'Office a également conclu que les nombreux incidents survenus dans le cas en instance semblaient indiquer un manque d'efficacité dans les programmes de formation des employés d'Air Canada, d'Air Nova et de Canadi*n. En conséquence, l'Office a décidé de tenir une audience à Montréal (Québec), du 24 au 26 septembre 1997, dans le but d'évaluer les mesures additionnelles pouvant être requises pour empêcher que des incidents semblables ne se reproduisent à l'avenir.
Le 2 septembre 1997, Mme Lemieux-Brassard a déposé auprès de l'Office une demande pour que des frais lui soient adjugés avant ou après la tenue de l'audience. Dans la décision no LET-A-251-1997 du 8 septembre 1997, l'Office, en réponse aux présentations déposées par Mme Lemieux-Brassard et par Air Canada, Air Nova et Canadi*n, a conclu que Mme Lemieux-Brassard avait le droit d'être accompagnée par un avocat au cours de l'audience, de produire des preuves par l'intermédiaire de témoins et de retenir les services d'un expert pour son avocat à des fins techniques. Partant du principe que les coûts doivent être compensatoires, l'Office a déterminé qu'il n'accorderait pas d'adjudication provisoire de frais mais qu'il ferait droit à des représentations en ce sens à la fin de l'audience.
À la fin de l'audience, l'Office, après avoir examiné l'information fournie par les parties, a rendu la décision no 120-AT-A-1998 le 30 mars 1998. Se fondant sur les arguments présentés par les parties lors de l'audience, l'Office a déterminé que des mesures correctives additionnelles étaient requises pour empêcher que des situations comme celles qu'a vécues Mme Lemieux-Brassard ne se reproduisent et pour aider à éliminer les obstacles abusifs aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. En conséquence, l'Office a enjoint à Air Canada, Air Nova et Canadi*n de mettre en oeuvre un certain nombre de mesures, comme offrir plus de types de sièges parmi ceux qui sont désignés accessibles; préparer une brochure qui décrit les options concernant la réparation des aides à la mobilité endommagées et les dispositions touchant le remplacement des appareils perdus; garantir qu'une personne ayant une déficience bénéficie d'un moyen temporaire pour se déplacer de façon autonome lorsqu'un fauteuil roulant électrique est endommagé ou perdu; et, si possible, élargir leur processus de collecte de données de façon à inclure le nombre de voyageurs ayant une déficience qui utilisent leurs services et de pousser la ventilation encore plus loin, au besoin, pour donner notamment le nombre de ceux qui utilisent une aide à la mobilité.
QUESTION
La question consiste à déterminer si l'Office doit accorder une adjudication de frais à Mme Lemieux-Brassard.
POSITION DES PARTIES
Mme Lemieux-Brassard fait valoir que sa demande d'adjudication ne porte pas sur les éléments de l'audience se rapportant aux droits dont elle a été privée ni sur l'indemnité à laquelle elle peut prétendre en conséquence. Après mûre réflexion, Mme Lemieux-Brassard a également décidé de retirer sa demande d'indemnité pour les troubles émotifs dont elle a souffert du fait que, selon elle, ses droits ont été violés par les transporteurs aériens. Elle affirme être consciente de l'importance de procéder à ces délibérations de la façon la plus simple possible et de permettre aux personnes ayant une déficience de se faire entendre sans craindre qu'elles aient des frais à assumer.
Elle demande que les trois transporteurs supportent les frais reliés aux services de l'avocat et de l'expert qui ont été requis pour la partie de l'audience qui a porté sur les mesures à prendre pour éviter que tout voyageur ayant une déficience ne rencontre pareilles difficultés à l'avenir.
Mme Lemieux-Brassard signale que sa plainte vise des questions qui, selon l'Office, justifient la tenue d'une enquête dans l'intérêt des personnes ayant une déficience.
Mme Lemieux-Brassard est d'avis qu'elle devait agir au nom des futurs utilisateurs des services aériens ayant une déficience et qu'aucun intervenant ne serait appelé à comparaître au nom de ces dernières. Mme Lemieux-Brassard a reconnu l'importance de son rôle comme plaignante représentant l'intérêt public. Elle s'est donnée pour tâche de soulever des points, de faire entendre des témoignages d'experts relativement à des questions soulevées par l'Office et de contre-interroger les témoins des compagnies aériennes de façon à prêter assistance à l'Office. Elle fait remarquer qu'à maintes reprises, les compagnies aériennes répondaient aux questions et aux propositions qu'elle soulevait au moyen d'affirmations comme « nous ne savions pas que » ou « c'est une bonne idée et nous essaierons d'y donner suite ».
Elle ajoute que compte tenu de son rôle prépondérant au cours de l'audience en tant que plaignante représentant l'intérêt public, elle a droit au paiement de ses frais par les transporteurs.
Air Canada et Canadi*n affirment que Mme Lemieux-Brassard a pu compter sur les services d'un avocat en tout temps, soit M. David Baker, directeur ou employé du Advocacy Resource Centre for the Handicapped (ci-après ARCH), centre d'aide juridique pour les personnes ayant une déficience. Selon Air Canada, le financement d'ARCH provient en totalité ou en partie de fonds publics. Les deux transporteurs affirment que rien n'indique que Mme Lemieux-Brassard serait tenue de payer les services de M. Baker ou d'ARCH. En conséquence, Air Canada estime que l'Office ne devrait pas accorder d'adjudication de frais. Canadi*n ajoute que l'Office n'est pas habilité à accorder une adjudication de frais à M. Baker et qu'un tel pouvoir est contraire au principe directeur de l'Office voulant que les coûts soient compensatoires.
Mme Lemieux-Brassard a répondu que l'Office a le même pouvoir que la Cour fédérale pour ce qui est de l'adjudication des frais et que les clients d'ARCH ont, à cet égard, les mêmes droits qu'un client représenté par un cabinet privé d'avocats.
Les trois transporteurs ont fait remarquer que le témoin expert de Mme Lemieux-Brassard, M. Eric Norman, n'était pas présent pendant toute la durée de l'audience. Air Canada précise que l'avocat de Mme Lemieux-Brassard, au cours de discussions préliminaires avec celui d'Air Canada, avait indiqué qu'il comptait sur la présence de M. Norman pour l'aider dans son contre-interrogatoire des représentants des transporteurs aériens sur les questions techniques. Ce qui, de l'avis du transporteur aérien, n'a pas eu lieu étant donné que M. Norman n'était pas toujours présent.
Canadi*n est d'avis que si l'on prend en considération la possibilité de payer les frais réclamés pour M. Norman, l'Office doit au préalable conclure que le pouvoir qu'il détient à cet égard comprend également celui d'adjuger les frais d'un expert que la plaignante n'aurait pas à assumer. L'Office peut décider d'assumer les frais de M. Norman, mais Canadi*n estime que cette question ne relève pas des transporteurs aériens en cause.
Selon Air Canada, le témoignage d'un certain nombre de ses témoins a joué un rôle plus actif au cours de l'audience que celui de M. Norman.
Air Canada et Air Nova estiment qu'elles ne devraient pas être tenues d'assumer les dépenses de M. Norman et que le montant de ces dernières devrait être réduit étant donné qu'il a consacré tout au plus une demi-journée à l'audience.
ANALYSE ET CONSTATATIONS
L'Office a étudié les représentations de Mme Lemieux-Brassard, d'Air Canada, d'Air Nova et de Canadi*n en ce qui concerne la question des coûts.
L'article 25.1 de la LTC se lit comme suit :
(1) Sous réserve des paragraphes (2) à (4), l'Office a tous les pouvoirs de la Cour fédérale en ce qui a trait à l'adjudication des frais relativement à toute procédure prise devant lui.
(2) Les frais peuvent être fixés à une somme déterminée, ou taxés.
(3) L'Office peut ordonner par qui et à qui les frais doivent être payés et par qui ils doivent être taxés et alloués.
(4) L'Office peut, par règle, fixer un tarif de taxation des frais.
L'Office jouit de tous les pouvoirs nécessaires en ce qui concerne l'adjudication des frais et procède au cas par cas lorsqu'il s'agit de décider du bien-fondé d'une demande.
L'Office note que Canadi*n et Air Canada s'opposent à l'adjudication des frais concernant les honoraires d'avocat de Mme Lemieux-Brassard parce qu'ils estiment qu'une telle demande va à l'encontre du principe selon lequel les coûts doivent être compensatoires. Toutefois, le pouvoir de l'Office en ce qui a trait à l'adjudication des frais n'est pas limité à ce principe. L'Office, en sa qualité de tribunal administratif, a le pouvoir d'accorder une adjudication des frais pour s'assurer d'une participation effective à ses audiences.
Selon l'Office, Mme Lemieux-Brassard a manifesté beaucoup d'intérêt pour l'audience, y a pris part de façon responsable et contribué d'une façon pertinente et a permis à l'Office ainsi qu'aux parties de mieux comprendre les questions qui avaient été soulevées. De plus, l'Office a examiné les faits suivants :
- Il ne s'agit pas d'un dossier mettant en cause uniquement deux parties; les mesures correctives découlant de la présente instance engagée par Mme Lemieux-Brassard sont dans l'intérêt de l'ensemble de la collectivité et, plus particulièrement, de la communauté des personnes ayant une déficience. Elles permettent également aux transporteurs de mieux comprendre les questions et s'acquitter de leurs obligations en vertu de la LTC.
- Le dossier n'en est pas un d'ordre commercial et Mme Lemieux-Brassard ne saurait tirer un avantage financier des mesures correctives dont l'Office a ordonné la mise en place. Il lui a néanmoins fallu beaucoup de temps et d'efforts afin de poursuivre cette affaire devant l'Office, compte tenu de la portée des questions que soulève ce dossier et de la nature de l'enquête qu'a menée l'Office.
- Les efforts de Mme Lemieux-Brassard ont permis de faire progresser les questions de transports accessibles.
- Le recours de Mme Lemieux-Brassard a connu une réussite considérable.
Bien que l'Office n'alloue pas normalement les frais relatifs aux dossiers dont il est saisi, il conclut que dans le cas présent, et à la lumière de ce qui précède, Mme Lemieux-Brassard devrait être compensée. Un taxateur mènera les plaidoiries en vue de recueillir l'information sur la question du montant des frais à allouer. Par la suite, et après avoir obtenu toute la documentation, le taxateur rendra une décision quant aux montants à verser. Puisque les dépenses de Mme Lemieux-Brassard ont été engagées par suite des gestes ou des manquements d'Air Canada, d'Air Nova et de Canadi*n, ces derniers supporteront les coûts en parts égales.
CONCLUSION
L'Office détermine que les coûts devraient être payés à Mme Lemieux-Brassard. De plus, conformément au paragraphe 25.1(3), l'Office nomme par la présente M. Keith Penner, membre de l'Office, comme taxateur afin de déterminer les frais à taxer et allouer, frais qui seront répartis à part égale entre Air Canada, Air Nova et Canadian.
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