Décision n° 252-AT-A-2014
DEMANDE présentée par Bruce Kruger contre Air Canada.
INTRODUCTION
[1] Bruce Kruger a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office), en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10. modifiée (LTC), contre Air Canada concernant les difficultés rencontrées relativement à son besoin de siège particulier pour un voyage qu’il a réservé entre Toronto (Ontario), Canada, et Panama, Panama. La réservation de M. Kruger comprenait les segments de vol suivants :
- Toronto à Orlando (Floride) États-Unis d’Amérique, exploité par Air Canada le 6 juin 2013;
- Orlando à Panama, exploité par Compañia Panameña de Aviacion, S.A., exerçant son activité sous le nom de Copa Airlines (Copa Airlines) le 6 juin 2013;
- Panama à San Salvador, Salvador, exploité par Copa Airlines le 13 juin 2013;
- San Salvador à Toronto, exploité par TACA International Airlines, S.A. exerçant son activité sous le nom de TACA Airlines et Avianca (TACA Airlines) le 13 juin 2013.
OBSERVATION PRÉLIMINAIRE
[2] M. Kruger estime qu’Air Canada n’a pas respecté ses obligations, en vertu des articles 147, 151, 152 et 153 de la partie VII du Règlement sur les transports aériens, DORS/88‑58, modifié (RTA), de lui fournir une assistance en matière d’attribution de siège.
[3] La partie VII du RTA établit les conditions de transport des personnes ayant une déficience à bord de vols intérieurs exploités par les transporteurs aériens canadiens au moyen d’un aéronef d’au moins 30 sièges passagers. Comme le cas présent porte sur des vols internationaux, le manquement allégué ne sera pas traité dans la présente décision.
QUESTIONS
[4] L’Office se penchera sur les questions suivantes :
- M. Kruger est-il une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC en raison de son état de stress post‑traumatique (ESPT)?
- Dans l’affirmative, la politique d’Air Canada concernant l’attribution de sièges particuliers à des personnes ayant une déficience et la façon dont elle est appliquée, y compris en ce qui a trait au voyage de M. Kruger, constitue-t-elle un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de M. Kruger et d’autres personnes ayant une déficience?
- L’exigence d’Air Canada voulant que M. Kruger soit assujetti à une autorisation de sécurité supplémentaire pour son vol du 6 juin 2013 a-t-elle constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement?
- Le refus d’Air Canada de communiquer à Copa Airlines et à TACA Airlines les besoins de M. Kruger liés à sa déficience pour ses prochains segments de vol a-t-il constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement?
- La suggestion d’Air Canada que M. Kruger soit amené en fauteuil roulant à la porte de l’aéronef pour son vol du 6 juin 2013 a-t-elle constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement?
- Si l’Office conclut à un obstacle abusif, quelles mesures correctives devraient être ordonnées, le cas échéant?
LA LOI
[5] Lorsqu’il doit statuer sur une demande en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, l’Office applique une procédure particulière en trois temps pour déterminer s’il y a eu obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne ayant une déficience. L’Office doit déterminer :
- si la personne qui est l’auteur de la demande a une déficience aux fins de la LTC;
- si la personne a rencontré un obstacle du fait qu’on ne lui a pas fourni un accommodement approprié pour répondre aux besoins liés à sa déficience. Un obstacle est une règle, une politique, une pratique, un obstacle physique, etc. qui a pour effet de priver la personne de l’égalité d’accès aux services offerts aux autres voyageurs par le fournisseur de services de transport,
- si l’obstacle est « abusif ». Un obstacle est abusif à moins que le fournisseur de services de transport puisse prouver qu’il y a des contraintes qui rendraient l’élimination de l’obstacle déraisonnable, peu pratique ou impossible, de sorte qu’il ne peut pas fournir l’accommodement sans se voir imposer une contrainte excessive. Si l’obstacle est jugé abusif, l’Office ordonnera la prise de mesures correctives pour éliminer l’obstacle abusif.
QUESTION 1 : M. KRUGER EST-IL UNE PERSONNE AYANT UNE DÉFICIENCE AU SENS DE LA PARTIE V DE LA LTC EN RAISON DE SON ESPT?
Démarche de l’Office pour conclure à l’existence d’une déficience
[6] Bien qu’il existe des cas où la déficience est évidente (p. ex. une personne qui se déplace en fauteuil roulant), il y en a d’autres où des éléments de preuve supplémentaires sont nécessaires pour établir à la fois l’existence d’une déficience et le besoin d’accommodement. Dans pareils cas, l’Office peut avoir recours à la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), un instrument mondialement reconnu de classification normalisée du fonctionnement et des handicaps en lien avec des problèmes de santé, à d’autres publications de l’OMS, ou à de la documentation médicale.
Fardeau de la preuve
[7] Il incombe au demandeur de fournir des éléments de preuve suffisamment convaincants pour établir l’existence d’une déficience sur le plan de l’invalidité, de la limitation d’activité et de la restriction de participation.
[8] La norme qui s’applique à ce fardeau de la preuve est la prépondérance des probabilités, qui exige que la partie qui a le fardeau prouve que sa position est plus probable que celle de l’autre partie. Si les positions des deux parties sont également probables, la partie qui a le fardeau de la preuve ne se sera pas acquittée de son fardeau.
Le cas présent
Faits, éléments de preuve et présentations
[9] Le psychiatre de M. Kruger indique que M. Kruger a un ESPT grave dont la principale invalidité est une hypervigilance invalidante exigeant un accommodement dans des contextes publics, comme un aéronef. Le psychiatre de M. Kruger décrit les symptômes et les limitations fonctionnelles comme une incapacité de s’asseoir quelque part s’il n’est pas adossé à un mur, afin que personne ne puisse l’approcher par derrière. Le psychiatre de M. Kruger fait valoir que l’état de santé de M. Kruger est grave et qu’il dure depuis plus de 10 ans. Il indique que M. Kruger a besoin d’un siège particulier qui lui permet de rester le dos au mur dans tous les espaces publics, y compris dans un aéronef. Il ajoute que si l’accommodement n’est pas possible, M. Kruger peut avoir une crise de panique grave.
[10] M. Kruger explique que son état résulte d’incidents de stress vécus durant sa carrière d’agent de la Police provinciale de l’Ontario. Il explique que s’il s’assoit dans une position « non sécuritaire », il perd immédiatement ses moyens en raison de crises d’anxiété, ce qui l’empêche de parler jusqu’à ce qu’il ait la possibilité de « se calmer ». M. Kruger fait valoir qu’il n’a jamais réagi violemment ou incorrectement.
[11] M. Kruger affirme être suivi par un psychiatre depuis 2002 et avoir été hospitalisé pendant deux mois en 2010 afin de se faire traiter pour son ESPT. Il ajoute avoir eu 10 mois de traitement d’un programme psychologique intensif en 2012, après quoi le Centre for Addiction and Mental Health de Toronto a jugé son état permanent. M. Kruger indique qu’il s’agit d’un problème dévastateur qui lui crée beaucoup de difficultés.
[12] M. Kruger fait valoir que l’Agence du revenu du Canada, reconnaissant [traduction] « les effets débilitants considérables qu’il endure quotidiennement en raison de son ESPT », a récemment conclu, pour ses propres fins, qu’il est une personne ayant une déficience.
[13] Air Canada fait valoir qu’aux fins du cas présent, elle ne conteste pas le fait que M. Kruger est une personne ayant une déficience.
Analyse et constatations
[14] Conformément à la CIF, pour l’Office, une déficience comprend trois dimensions : une invalidité, une limitation d’activité et une restriction de participation. Les décisions précédentes de l’Office exigent que les trois dimensions soient établies pour qu’il y ait déficience aux termes de la partie V de la LTC.
Invalidité
[15] La CIF définit l’invalidité comme une perte ou une anomalie d’une partie du corps (c.-à-d. d’une structure), ou une perte ou un écart d’une fonction de l’organisme (c.-à-d. d’une fonction physiologique). Selon la CIF, le terme « anomalie » est strictement un écart important par rapport aux normes statistiques établies. L’existence d’une invalidité peut être temporaire ou permanente.
[16] Pour déterminer si l’état de santé d’une personne équivaut à une invalidité, l’Office se sert de la CIF, d’autres publications de l’OMS comme la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (CIM-10), ou de la documentation médicale.
[17] L’état de stress post-traumatique est défini dans la CIM-10 à la section « Troubles mentaux et du comportement » à la rubrique « Réaction à un facteur de stress sévère, et troubles de l’adaptation » :
Ce trouble constitue une réponse différée ou prolongée à une situation ou à un événement stressant (de courte ou de longue durée), exceptionnellement menaçant ou catastrophique et qui provoquerait des symptômes évidents de détresse chez la plupart des individus[…] Les symptômes typiques comprennent la reviviscence répétée de l’événement traumatique, dans des souvenirs envahissants (« flashbacks »), des rêves ou des cauchemars; ils surviennent dans un contexte durable d’anesthésie psychique et d’émoussement émotionnel, de détachement par rapport aux autres, d’insensibilité à l’environnement, d’anhédonie et d’évitement des activités ou des situations pouvant réveiller le souvenir du traumatisme. Les symptômes précédents s’accompagnent habituellement d’un hyperéveil neuro-végétatif, avec hypervigilance […].
[18] L’Office a établi que, de façon similaire aux limitations d’activité, une invalidité doit être suffisamment importante pour avoir un effet négatif sur le fonctionnement d’une partie du corps ou du système. Dans le cas présent, le psychiatre de M. Kruger décrit son ESPT comme étant grave.
[19] À la lumière des preuves médicales déposées, l’Office conclut que M. Kruger a une invalidité.
Limitation d’activité
[20] Le modèle de déficience de la CIF définit la limitation d’activité comme une difficulté qu’une personne peut éprouver dans l’exécution d’une activité. La limitation d’activité qui se rattache à une invalidité a donc trait à la présence de symptômes et des difficultés qui en découlent, quel que soit le contexte.
[21] Selon la CIF, une limitation d’activité peut se traduire par un écart plus ou moins grand, tant en qualité qu’en quantité, dans la capacité d’exécuter l’activité de la manière et dans la mesure escomptée de la part de gens n’ayant pas une invalidité.
[22] Il n’est pas nécessaire qu’une limitation d’activité se situe à l’extrémité de l’éventail, quoique, aux fins de la détermination de l’Office concernant la déficience, la limitation d’activité doit être suffisamment importante pour entraîner une difficulté inhérente à accomplir une tâche ou une action.
[23] À la lumière des preuves médicales et des présentations déposées par M. Kruger, l’Office conclut que M. Kruger a une limitation d’activité du fait qu’il ne peut s’asseoir nulle part si son dos n’est pas contre un mur et qu’il fait des crises d’anxiété graves s’il n’a pas un tel siège. La limitation d’activité est donc suffisamment importante pour entraîner une difficulté inhérente à accomplir une tâche ou une action.
Restriction de participation
[24] La restriction de participation est définie par la CIF comme étant un problème qu’une personne peut éprouver dans des situations de vie réelles.
[25] Contrairement à une limitation d’activité, une restriction de participation dépend du contexte, dans ce cas, le réseau de transport fédéral. L’Office détermine alors l’existence d’une restriction de participation en comparant l’accès d’une personne au réseau de transport fédéral avec celui d’une personne qui ne se heurte pas à une limitation d’activité.
[26] L’Office accepte la description des limitations de M. Kruger en matière de sélection de sièges et de sa réaction lorsqu’il ne reçoit pas l’accommodement requis, à titre de preuve de restriction de participation, fondée sur des faits, dans le contexte du transport aérien.
[27] L’Office conclut donc que le besoin de M. Kruger d’avoir un siège particulier lorsqu’il voyage par avion entraîne une restriction de participation du fait qu’il ne peut pas voyager de la même façon que tous les autres passagers.
Conclusion
[28] L’Office conclut que M. Kruger a une invalidité et se heurte à une limitation d’activité et à une restriction de participation dans le contexte de voyage dans le réseau de transport fédéral.
[29] L’Office conclut donc que M. Kruger est une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC en raison de son ESPT.
DÉMARCHE DE L’OFFICE POUR CONCLURE À L’EXISTENCE D’UN OBSTACLE
[30] L’Office définit un obstacle dans le réseau de transport fédéral comme étant une règle, une politique, une pratique, un obstacle physique, etc. qui est :
- soit direct, c’est-à-dire qu’il s’applique à une personne ayant une déficience;
- soit indirect, c’est-à-dire que, bien qu’il soit le même pour tous, il a pour effet de priver une personne ayant une déficience d’un avantage;
- et qui prive une personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services accessibles aux autres voyageurs de sorte que le fournisseur de services doit fournir un accommodement.
[31] Pour qu’un obstacle existe, le problème doit être rattaché à la déficience de la personne. Par exemple, un problème de service à la clientèle ne devient pas un obstacle du simple fait qu’il est éprouvé par une personne ayant une déficience.
[32] Les fournisseurs de services ont l’obligation d’offrir un accommodement aux personnes ayant une déficience. Une personne ayant une déficience rencontre un obstacle à ses possibilités de déplacement si elle démontre qu’elle avait besoin d’un accommodement qu’on ne lui a pas fourni, ce qui revient à la priver de l’égalité d’accès aux services accessibles aux autres passagers dans le réseau de transport fédéral.
[33] Un service ou une mesure dont le but est de répondre aux besoins liés à la déficience d’une personne est défini comme étant un « accommodement approprié ». S’il est déterminé que la personne a bénéficié d’un accommodement approprié, il est alors impossible de prétendre qu’elle a rencontré un obstacle.
Fardeau de la preuve
[34] Il incombe au demandeur de fournir des éléments de preuve suffisamment convaincants pour établir son besoin d’accommodement et pour prouver que ce besoin n’a pas été satisfait. La norme de preuve qui s’applique au fardeau de la preuve est la prépondérance des probabilités.
DÉMARCHE DE L’OFFICE POUR CONCLURE À L’EXISTENCE D’UN OBSTACLE ABUSIF
[35] Un obstacle est abusif à moins que le fournisseur de services puisse justifier son existence. Dès lors que l’Office a déterminé qu’une personne ayant une déficience a rencontré un obstacle, le fournisseur de services peut :
- soit fournir l’accommodement approprié ou offrir une autre solution qui répond tout autant aux besoins de la personne liés à sa déficience. En pareil cas, l’Office déterminera les mesures correctives qui s’imposent pour s’assurer que l’accommodement approprié est fourni;
- soit justifier l’existence de l’obstacle en prouvant qu’il ne peut pas raisonnablement fournir l’accommodement approprié ou toute autre forme d’accommodement raisonnable sans se voir imposer une contrainte excessive. À défaut de ce faire, l’Office ordonnera des mesures correctives pour s’assurer que l’accommodement est fourni.
[36] Dans les situations où le fournisseur de services est d’avis qu’il ne peut pas fournir l’accommodement adapté aux besoins de la personne ayant une déficience, il doit justifier l’existence de l’obstacle.
[37] Le critère que doit respecter un fournisseur de services pour justifier l’existence d’un obstacle comporte trois éléments. Le fournisseur de services doit prouver :
- que la source de l’obstacle est rationnellement liée à la fourniture des services de transport;
- que la source de l’obstacle a été adoptée selon la conviction honnête et de bonne foi qu’elle était nécessaire pour fournir les services de transport;
- qu’il ne peut fournir aucun accommodement sans se voir imposer une contrainte excessive.
Fardeau de la preuve
[38] Il incombe au fournisseur de services de fournir des preuves suffisamment convaincantes pour établir selon la prépondérance des probabilités que l’obstacle est justifié (c.-à-d. que la mise en place des mesures d’accommodement entraînerait une contrainte excessive).
[39] Si un fournisseur de services s’acquitte du fardeau de la preuve, l’Office conclura que l’obstacle n’est pas abusif et il n’ordonnera pas de mesures correctives.
QUESTION 2 : LA POLITIQUE D’AIR CANADA CONCERNANT L’ATTRIBUTION DE SIÈGES PARTICULIERS À DES PERSONNES AYANT UNE DÉFICIENCE ET LA FAÇON DONT ELLE EST APPLIQUÉE, Y COMPRIS EN CE QUI A TRAIT AU VOYAGE DE M. KRUGER, CONSTITUE-T-ELLE UN OBSTACLE ABUSIF AUX POSSIBILITÉS DE DÉPLACEMENT DE M. KRUGER ET D’AUTRES PERSONNES AYANT UNE DÉFICIENCE?
A. Demande de siège particulier présentée plus de 48 heures avant le départ (ou plus de 24 heures pour les vols entre le Canada et les États‑Unis d’Amérique [vols transfrontaliers])
Faits, éléments de preuve et présentations
Positions des parties concernant la politique d’Air Canada sur les demandes de siège particulier avec préavis
[40] M. Kruger estime que la politique et les procédures d’Air Canada sont hautement discriminatoires envers les personnes ayant un problème de santé mentale et que son personnel n’a pas la formation ni les directives convenables à cet égard.
[41] Air Canada fait valoir que les procédures sur le traitement des « demandes particulières » sont en place et à la disposition de ses agents des ventes et du service à la clientèle. Les procédures prévoient que si un passager demande un « siège particulier » en raison de sa déficience, les agents des ventes et du service à la clientèle doivent soit fournir l’accommodement approprié ou, dans des circonstances particulières, transférer l’appel au service Meda d’Air Canada.
[42] La politique et les procédures d’Air Canada sur l’attribution de sièges et le déplacement des clients ayant une déficience (politique) prévoient une attribution préalable de sièges accessibles aux clients ayant une déficience qui le demandent au moins 48 heures avant le départ pour les itinéraires intérieurs et internationaux [24 heures dans le cas des vols transfrontaliers]. La politique renferme également les renseignements suivants :
[traduction]
- L’invalidité se définit comme étant la perte ou la fonction limitée d’un membre, d’un tissu ou d’un organe, y compris de fonctions mentales.
- Le siège est choisi en fonction de la déficience du client, et les clients doivent être traités sur une base individuelle.
- Peu importe la limitation, il revient au client de communiquer à Air Canada son besoin d’avoir un siège « particulier ».
[43] La politique renferme notamment les procédures ci-après concernant les demandes de siège présentées par des personnes ayant une déficience, déposées conformément aux exigences susmentionnées d’avis de 24 et 48 heures :
[traduction]
1. Si un siège accessible est libre
- L’agent du centre d’appel fournit le siège souhaité ou un autre ayant les mêmes caractéristiques.
- L’agent du centre d’appel peut utiliser la fonction de priorité de siège, si nécessaire.
- L’agent du centre d’appel doit inscrire un message pour l’enregistrement indiquant qu’un client ayant une déficience a besoin d’un siège avec des caractéristiques particulières.
- Vérifier les sièges accessibles, voir la section Siège – caractéristiques, restrictions, configuration, inclinaison et dégagement.
2. Si aucun siège accessible ou semblable n’est libre et que les besoins du client ayant une déficience ne peuvent être satisfaits, l’agent du centre d’appel inscrit des remarques dans le dossier passager et dirige le client vers le service Meda qui s’occupera de l’attribution des sièges.
La politique prévoit que les sièges accessibles attribués peuvent comprendre des sièges comportant les caractéristiques suivantes :
- près de la porte de l’aéronef (mais pas dans les rangées menant à une issue de secours);
- près des toilettes;
- plus d’espace pour les jambes;
- accoudoirs relevables ou escamotables.
3. Consulter la section intitulée Siège – caractéristiques, restrictions, configuration, inclinaison et dégagement, pour les sièges par type d’aéronef, ou la carte de leur disposition dans l’aéronef pour voir les numéros des sièges suggérés, leur dégagement et leur largeur.
[44] Les procédures du service Meda comprennent les dispositions suivantes pour le « déplacement » de clients :
- Le service Meda s’occupera du « déplacement » des clients.
- Un « déplacement » se fera seulement si l’autorisation médicale ou le formulaire d’autorisation de voyager du client indique – et les services de santé au travail jugent – que le client doit prendre place dans un siège particulier.
- Il faut déplacer des passagers pour répondre aux besoins des clients ayant une déficience, seulement parmi les sièges accessibles alloués.
- Lorsque d’autres sièges sont libres :
o si le siège accessible est occupé par un client ayant une déficience, vérifier les autres sièges accessibles.
o si le siège accessible est occupé par un client n’ayant pas de déficience, déplacer ce client vers un autre siège et attribuer ce siège au client ayant une déficience.
o si aucun autre siège n’est libre, appeler le service de gestion des voyages des clients qui s’occupe de l’attribution des sièges/déplacement des passagers.
[45] Air Canada fait valoir que toutes les politiques et procédures pertinentes sont en place afin de fournir un accommodement complet aux passagers ayant une déficience qui demandent un siège particulier, et que les procédures montrent clairement les mesures qui seront prises dans des situations où un passager demande un tel accommodement. Air Canada fait en outre valoir que ses agents sont particulièrement formés sur la façon de traiter les demandes de siège particulier en raison d’une déficience.
Positions des parties sur l’application de la politique d’Air Canada sur les demandes de siège particulier avec préavis
[46] M. Kruger fait valoir qu’après avoir réservé ses vols de septembre 2013, il a appelé Air Canada en avril 2013 pour choisir son siège. Les parties conviennent qu’il a demandé un siège côté hublot et avec un mur derrière, et qu’on lui a dit qu’il devait rappeler la veille du départ, c.‑à‑d. le 5 juin, pour demander le siège.
[47] Dans une déclaration signée, Sylvie Calmet, une agente des ventes et du service à la clientèle du centre d’appel d’Air Canada, indique ne pas se rappeler de la conversation, mais elle confirme avoir pris un appel concernant le voyage de juin de M. Kruger. Mme Calmet a noté ce qui suit dans le dossier passager de M. Kruger : [traduction] « M. Kruger a demandé un siège côté hublot avec un mur derrière. Je lui ai dit d’appeler 24 heures avant le départ, et que nous allions appeler le centre de contrôle des départs pour tenter de lui assigner le siège 33A ». Mme Calmet explique dans sa déclaration que le 33A, un siège côté hublot à l’arrière de l’aéronef, est le siège de repos pour l’équipage, qui peut être attribué le jour du voyage par le centre de contrôle des départs d’Air Canada.
[48] En ce qui a trait à la communication de sa déficience, M. Kruger fait valoir que durant son appel à Air Canada pour choisir un siège, il a expliqué son état de santé et souligné l’importance d’obtenir un siège particulier, mais qu’on lui a dit que ses « problèmes de santé » ne faisaient aucune différence et qu’aucune exception n’était admise. M. Kruger indique qu’on lui a dit qu’il pourrait réserver le siège seulement la veille du vol et que par conséquent, il devait rappeler le 5 juin. M. Kruger laisse entendre que l’agente n’a pas accepté son ESPT comme étant un problème de santé mentale pour lequel un accommodement était nécessaire.
[49] M. Kruger fait valoir que, comme il est absolument essentiel qu’il obtienne un « siège sécuritaire », il a fortement protesté et expliqué avec moult détails le sérieux de sa demande, y compris ce qui suit :
- il a développé un ESPT en conséquence de sa carrière de policier;
- il ne peut s’asseoir que s’il a le dos protégé par un mur pour que personne ne puisse arriver par derrière;
- il fait des crises de panique si on ne lui fournit pas cet accommodement;
- il a eu des difficultés les fois où on ne lui a pas fourni l’accommodement à bord d’autres aéronefs.
[50] Air Canada indique, dans sa correspondance à M. Kruger avant le dépôt de sa demande auprès de l’Office, que selon les dossiers du transporteur, M. Kruger n’a pas indiqué que le siège demandé était pour répondre à un besoin particulier. Air Canada souligne que la note dans le dossier passager de M. Kruger n’indique pas qu’il demandait un siège particulier en raison d’une déficience.
[51] Air Canada fait valoir que, si M. Kruger avait indiqué qu’il demandait un siège particulier en raison d’une déficience, l’agente aurait suivi les procédures appropriées pour attribuer le siège particulier à M. Kruger et l’aurait dirigé vers le service Meda. Même si Mme Calmet affirme ne pas se rappeler de la discussion, elle fait valoir qu’elle aurait transféré l’appel au service Meda ou aurait demandé à M. Kruger de communiquer avec le service, puis aurait inscrit une note en conséquence dans son dossier passager. Mme Calmet fait également valoir qu’elle a suivi cette procédure tout au long de ses quelque 17 années au poste d’agente des ventes et du service à la clientèle d’Air Canada.
[52] M. Kruger fait valoir que malgré sa « politique habituelle », comme elle l’affirme, cette agente soit n’a pas compris une demande très simple liée à des besoins médicaux particuliers, soit elle n’a pas fait ce qu’elle fait habituellement, c’est-à-dire de transférer les appels au service Meda. Il fait également valoir que si Mme Calmet avait correctement acquiescé à sa demande ou l’avait dirigé au service Meda, toute cette affaire aurait été évitée.
[53] M. Kruger est d’avis que, considérant les réactions graves qu’il peut avoir en cas de problèmes de siège, il est totalement « farfelu » qu’Air Canada dise qu’il n’a pas mentionné son état de santé. M. Kruger fait valoir que dans toutes les circonstances, ses actions sont extrêmement cohérentes en vue de repérer un « siège sécuritaire » et que sa famille et ses amis doivent continuellement s’assurer qu’on ne lui attribue pas un siège qui ne convient pas pour assurer son bien-être mental. Il ajoute qu’il doit s’occuper de cette exigence en matière de sièges dans toutes les situations, que ce soit au restaurant, dans des réunions, dans ses déplacements par train, par avion, par métro et par autobus, ou partout à l’intérieur ou à l’extérieur, en public ou à la maison. M. Kruger a soumis une liste de situations qui témoignent de la cohérence de sa démarche quand il demande un siège particulier, ce qui, selon lui, montre qu’il n’est ni négligent ni embarrassé lorsqu’il discute de son ESPT.
[54] M. Kruger affirme que pour soutenir davantage la véracité de ses propos, lors d’un rendez-vous médical le 16 mai 2013, il a signalé le manque d’aide d’Air Canada à son psychiatre, qui lui a signé un certificat médical pour appuyer son besoin d’accommodement. M. Kruger fait valoir que le fait qu’il a parlé de cette plainte à son psychiatre dans les quelques semaines qui ont suivi sa demande de siège particulier à Air Canada, exprimant sa peur de ne pas pouvoir obtenir un siège sécuritaire pour son voyage au Panama, et que son psychiatre l’a aidé en lui signant un certificat médical à remettre à Air Canada appuie sa position selon laquelle il a discuté de son état de santé avec Air Canada en avril 2013, de même que la légitimité de sa requête.
Analyse et constatations
[55] L’Office est d’avis que les sièges attribués pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience doivent nécessairement comprendre des sièges comportant une variété de caractéristiques, compte tenu des divers besoins en matière de sièges des personnes ayant une déficience, et qu’ils devraient être les derniers sièges à être attribués à des personnes n’ayant pas de déficience. L’Office est également d’avis que lorsque tous les sièges accessibles sont réservés par des personnes ayant une déficience ou que le siège demandé est réservé, on s’attend à ce que le transporteur fasse des efforts raisonnables pour déplacer les passagers n’ayant pas de déficience pour garantir l’égalité d’accès au réseau de transport fédéral.
[56] Dans le cas présent, si une demande de siège particulier est déposée jusqu’à 24 ou 48 heures avant le départ (dépendant de l’itinéraire) et une note signale que la demande est liée à une déficience, la politique d’Air Canada prévoit que les personnes ayant une déficience, y compris celles ayant des problèmes de santé mentale, se verront attribuer au préalable un siège accessible parmi les sièges attribués à cette fin, ou un autre siège libre comportant les mêmes caractéristiques. De plus, la politique permet le déplacement de passagers n’ayant pas de déficience si les sièges comportant les caractéristiques nécessaires, parmi les sièges accessibles attribués, ou encore d’autres sièges ne sont pas libres.
[57] Les parties ne s’entendent pas à savoir si M. Kruger a indiqué qu’il demandait un siège particulier en raison de sa déficience. Comme les preuves des parties sont contradictoires, l’Office doit décider si M. Kruger a fourni suffisamment d’éléments de preuve pour soutenir sa position selon laquelle il aurait effectivement précisé que sa demande de siège particulier était liée à sa déficience, et si ses éléments de preuve ont plus de poids que ceux opposés présentés par Air Canada.
[58] En évaluant ces preuves opposées, comme dans tout différend, il est important de déterminer quelle partie a l’obligation de prouver un point litigieux. Dans des affaires civiles, la règle générale est que le demandeur a le fardeau de persuasion et doit donc établir, selon la prépondérance des probabilités, c’est-à-dire de la preuve, que sa version représente bien les faits en litige ou que sa position est la bonne. Ce principe s’applique également aux allégations d’obstacles en vertu de la partie V de la LTC.
[59] Il revient donc à M. Kruger de convaincre l’Office que sa version, à savoir s’il a fait connaître sa déficience au moment de faire sa demande de siège, est plus probable que la version d’Air Canada.
[60] D’une part, l’agente d’Air Canada qui a pris l’appel ne se souvient pas de la conversation. Elle croit néanmoins que M. Kruger n’a pas communiqué sa déficience parce que son dossier passager ne fait aucune référence à une déficience, et parce qu’elle aurait dirigé M. Kruger vers le service Meda et l’aurait noté dans son dossier passager. D’autre part, M. Kruger fournit une liste détaillée des renseignements concernant sa déficience qu’il se rappelle avoir fournis à l’agente.
[61] L’Office reconnaît que les personnes ayant un ESPT peuvent avoir de graves limitations fonctionnelles dans leur quotidien, qui peuvent nécessiter des accommodements. Dans le cas présent, les preuves médicales de M. Kruger obtenues de son psychiatre attestent qu’il a un ESPT grave avec une hypervigilance invalidante et qu’il doit avoir un siège dos à un mur, où personne ne peut l’approcher par derrière.
[62] M. Kruger a fourni des éléments de preuve convaincants de son sérieux quand il est question de son ESPT et du mal qu’il se donne pour veiller à ce que ses besoins en matière de sièges soient respectés, y compris en demandant l’aide de sa famille et de ses amis pour s’assurer qu’il obtienne le siège dont il a besoin, peu importe où il se trouve, pour réduire les symptômes graves associés à son hypervigilance.
[63] L’Office est d’avis que M. Kruger a prouvé qu’il a besoin d’un accommodement en matière de sièges tous les jours dans tous les aspects de sa vie, qu’il n’est pas gêné d’en discuter, et que ses réactions sont graves si on ne lui fournit pas l’accommodement. L’Office estime donc qu’il est improbable que M. Kruger ait fait part de son besoin d’avoir un siège avec un mur derrière sans en expliquer la raison. Il semble particulièrement improbable que M. Kruger n’ait pas parlé de la raison associée à sa demande lorsqu’Air Canada a refusé de confirmer le siège demandé à ce moment‑là, lui demandant d’attendre jusqu’à la veille de son départ pour déterminer si on lui attribuerait un tel siège.
[64] L’Office conclut donc, selon la prépondérance des probabilités, que M. Kruger a communiqué sa déficience à l’agente des ventes et du service à la clientèle du centre d’appel d’Air Canada pour justifier sa demande. Cela dit, même si les passagers ont la responsabilité d’informer le transporteur de leurs besoins liés à leur déficience et peut‑être de faire des suggestions concernant la façon d’y répondre efficacement, le transporteur est le mieux placé pour déterminer la façon d’accommoder les passagers, compte tenu de sa connaissance de ses activités et de toutes contraintes potentielles. Dans le cadre de son obligation de prendre des mesures d’accommodement, un fournisseur de services doit veiller activement à ce que les solutions d’accommodement possibles soient examinées et fournies dans la mesure où il n’en résulte pas une contrainte excessive. Selon la politique d’Air Canada, l’agente aurait dû attribuer le siège demandé ou un autre siège libre comportant les mêmes caractéristiques. Si aucun n’était libre, l’agente aurait dû inscrire des remarques dans le dossier passager et diriger M. Kruger vers le service Meda qui aurait traité la demande d’accommodement. Si la demande de M. Kruger avait été transférée au service Meda, Air Canada aurait eu la possibilité de bien évaluer les besoins de M. Kruger liés à sa déficience et de lui offrir les mesures d’accommodement dont il avait besoin.
[65] L’agente d’Air Canada, toutefois, n’a rien fait de tel et n’a donc pas appliqué la politique d’Air Canada concernant l’attribution de sièges particuliers aux personnes ayant une déficience lorsque M. Kruger a appelé en avril. Elle a plutôt informé M. Kruger qu’il devait attendre la veille de son départ pour demander de nouveau le siège, mais qu’il n’était pas garanti qu’un tel siège lui serait confirmé à ce moment-là.
[66] L’Office reconnaît depuis longtemps que lorsqu’elles font leurs plans de voyage, les personnes ayant une déficience ont droit au même degré de certitude que les autres quant à leur capacité de voyager comme prévu. Pour la plupart des gens, cette certitude est assurée par leur réservation; toutefois, les personnes ayant une déficience, pour avoir cette certitude, doivent aussi avoir l’assurance que le transporteur répondra de façon raisonnable à leurs besoins liés à leur déficience pendant leurs déplacements. Dans le cas présent, M. Kruger ne savait pas du tout s’il pourrait voyager comme prévu, ce qui lui a sans doute créé un niveau substantiel d’anxiété/de stress, qui est l’un des déclencheurs de son problème de santé.
[67] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que le défaut d’Air Canada d’appliquer sa politique et d’attribuer le siège demandé pour répondre aux besoins de M. Kruger liés à sa déficience, au moment où il en a fait la demande en avril 2013, a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement.
[68] M. Kruger fait valoir qu’aucune contrainte, barrière, impropriété ou dépense n’aurait pu toucher Air Canada ou l’empêcher de lui attribuer le siège demandé.
[69] Même si Air Canada fait valoir que M. Kruger n’a pas rencontré un obstacle abusif, elle n’a pas présenté d’éléments de preuve pour montrer que des contraintes l’ont empêchée d’appliquer sa politique dans le cas de M. Kruger. Comme Air Canada n’a pas justifié l’existence de l’obstacle, l’Office conclut que l’obstacle aux possibilités de déplacement de M. Kruger était abusif.
B. Demandes de siège particulier présentées moins de 48 heures avant le départ (ou moins de 24 heures avant le départ dans le cas des vols transfrontaliers)
Faits, éléments de preuve et présentations
[70] Dans le contexte des vols transfrontaliers, Air Canada affirme qu’elle fera de son mieux pour accommoder les passagers, même lorsque les demandes de siège sont présentées dans les 24 heures du départ.
[71] La politique d’Air Canada prévoit que l’attribution de sièges accessibles est permise jusqu’à une heure avant le départ, à l’aéroport. Toutefois, si une demande est présentée dans les 48 heures d’un vol (24 heures dans le cas des vols transfrontaliers), un siège accessible pourrait ne pas être fourni à un client ayant une déficience si tous les sièges accessibles ont été attribués à d’autres passagers avec ou sans déficience. La politique prévoit que si cette situation se présente, d’autres sièges devraient être offerts, mais que personne ne sera déplacé.
[72] Le 5 juin, la veille de son départ, M. Kruger a appelé Air Canada pour choisir son siège. M. Kruger affirme que l’agente lui a dit qu’aucun siège convenable n’était disponible. M. Kruger fait valoir qu’il lui a expliqué son « besoin médical » en raison de son ESPT et l’a informée qu’il avait un certificat médical. M. Kruger indique que l’agente a répété qu’il devait prendre un autre siège.
[73] M. Kruger a ensuite parlé à Betty Ferreira, une agente du service Meda. M. Kruger explique que, même s’il a avisé Mme Ferreira que sa demande de siège était attribuable à son ESPT, elle était catégorique qu’aucune requête de la sorte ne pouvait lui être accordée. M. Kruger fait valoir que, parce qu’elle l’a informé de façon « désobligeante » et insistante qu’il ne pouvait pas avoir le siège demandé, qu’il ait un ESPT ou non, il a fait une crise d’anxiété, il est devenu bouleversé et a été incapable de parler.
[74] Mme Ferreira affirme qu’elle a posé des questions à M. Kruger pour déterminer la raison de sa demande de siège côté hublot dans la dernière rangée de l’aéronef, mais comme elle l’explique, elle n’avait pas encore été informée de son ESPT. Mme Ferreira ajoute avoir informé M. Kruger qu’elle ne pouvait pas lui donner le siège demandé puisqu’il était réservé pour le personnel de bord. Mme Ferreira affirme que comme M. Kruger était incapable de parler, elle a continué la conversation avec l’épouse de M. Kruger, qui l’a informée que la demande de siège de M. Kruger était liée à son ESPT. Air Canada fait valoir que c’était la première fois que la déficience était consignée.
[75] M. Kruger explique que son épouse a tenté à plusieurs reprises de décrire ses besoins, et que l’agente a finalement demandé qu’une copie de son certificat médical lui soit acheminée par télécopieur.
[76] Mme Ferreira affirme avoir attribué à M. Kruger le siège 33D, un siège côté allée dans la dernière rangée de l’aéronef, et avoir expliqué que le personnel de bord lui donnerait le siège côté hublot une fois qu’il serait à bord de l’aéronef. Mme Ferreira affirme que l’épouse de M. Kruger a indiqué que c’était acceptable. Selon les notes au dossier de réservation de M. Kruger, l’épouse de M. Kruger a accepté le siège 33D et indiqué qu’une note serait rédigée pour demander que les agents de bord demandent aux passagers de changer de siège avec M. Kruger.
[77] Contrairement à la déclaration de Mme Ferreira, M. Kruger fait valoir que son épouse n’a pas accepté ce siège dans l’espoir qu’un des agents de bord le déplace vers un siège côté hublot. M. Kruger soutient que son épouse sait très bien qu’il ne peut pas s’asseoir dans un siège côté allée. Selon lui, on a [traduction] « simplement avisé son épouse que c’est de cette façon qu’on procéderait ».
[78] M. Kruger affirme que plus tard ce soir-là, Air Canada a informé son épouse qu’il n’avait pas l’autorisation d’embarquer à bord de l’aéronef parce qu’on jugeait qu’il présentait un risque en matière de sécurité. M. Kruger a obtenu une autorisation de sécurité avant son voyage le lendemain et a voyagé dans le siège 33F, un siège côté hublot, dans la dernière rangée de l’aéronef.
[79] M. Kruger affirme que si Mme Ferreira s’était bien occupée de ses besoins et avait accepté son certificat médical, il n’y aurait pas eu de difficultés avec l’attribution de son siège.
Analyse et constatations
[80] Selon sa politique, Air Canada ne déplacera pas de passagers pour fournir un siège demandé par une personne ayant une déficience si la demande est présentée moins de 24 heures avant le départ d’un vol transfrontalier et si tous les sièges accessibles ont été attribués à d’autres passagers ayant une déficience ou non; elle offrira plutôt un autre siège. Toutefois, comme il a été indiqué plus haut, l’Office est d’avis que, dans de telles situations, le transporteur doit faire un effort raisonnable pour déplacer les passagers n’ayant pas de déficience afin d’attribuer un siège qui répond aux besoins d’une personne liés à sa déficience, et ainsi garantir l’égalité d’accès au réseau de transport fédéral. L’Office reconnaît néanmoins que des changements de siège pourraient ne pas toujours être possibles à la dernière minute. Cela dit, une politique qui ne permet pas que des efforts soient faits ne représente pas un effort raisonnable pour répondre aux besoins en matière de sièges des personnes ayant une déficience.
[81] Dans le cas présent, M. Kruger a communiqué avec Air Canada à midi le 5 juin. Son vol devait partir le lendemain à 10 h 20, de telle manière que sa deuxième demande de siège a été présentée moins de 24 heures avant le départ de son vol. Même si les parties ne s’entendent pas sur le moment où M. Kruger a communiqué sa déficience au service Meda ce jour‑là, il est clair, d’après les preuves, qu’Air Canada n’a pas tenté de déplacer les passagers ni offert un autre siège pour répondre aux besoins de M. Kruger liés à sa déficience.
[82] À terme, M. Kruger s’est vu attribuer le siège demandé, mais seulement le jour même du voyage. L’offre d’Air Canada d’attribuer à M. Kruger un siège côté allée et de le faire changer de siège après qu’il serait à bord de l’aéronef a entraîné beaucoup d’incertitude pour lui, qui est l’un des déclencheurs de son problème de santé.
[83] L’Office conclut que la politique d’Air Canada de ne pas déplacer les passagers dans le cas de demandes d’accommodement en matière de sièges présentées moins de 48 heures avant le départ (ou moins de 24 heures avant le départ des vols transfrontaliers) constitue un obstacle aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience qui demandent un accommodement en matière de sièges, y compris M. Kruger.
[84] De plus, Air Canada n’a pas présenté de preuve pour établir qu’elle subirait une contrainte excessive qui l’empêcherait de faire des efforts raisonnables pour déplacer les passagers afin d’attribuer un siège répondant aux besoins d’une personne liés à sa déficience lorsque la demande est présentée moins de 48 heures avant le départ (ou moins de 24 heures dans le cas des vols transfrontaliers). Air Canada n’a pas justifié l’existence d’un obstacle, de telle sorte que l’Office conclut que l’obstacle aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience, y compris M. Kruger, est abusif.
QUESTION 3 : L'EXIGENCE D'AIR CANADA VOULANT QUE M. KRUGER SOIT ASSUJETTI À UNE AUTORISATION DE SÉCURITÉ SUPPLÉMENTAIRE POUR SON VOL DU 6 JUIN 2013 A-T-ELLE CONSTITUÉ UN OBSTACLE ABUSIF À SES POSSIBILITÉS DE DÉPLACEMENT?
Faits, éléments de preuve et présentations
5 juin 2013
[85] Comme il a été noté plus haut, lorsque M. Kruger a été informé par Mme Ferreira du service Meda qu’il ne pouvait pas avoir le siège demandé à titre d’accommodement en raison de sa déficience, il est devenu bouleversé et n’était plus en mesure de poursuivre la conversation, ce qui, selon lui, est normal lorsqu’doit s’asseoir dans un « siège non sécuritaire ».
[86] Air Canada fait valoir qu’une série de circonstances ont amené M. Kruger à devoir obtenir une autorisation de sécurité pour voyager. Mme Ferreira affirme qu’en raison du comportement de M. Kruger au téléphone, elle craignait qu’il ne soit pas en mesure de voyager sans un accompagnateur.
[87] Mme Patte, une infirmière de la santé au travail à Air Canada, explique qu’après avoir reçu le certificat médical de M. Kruger, elle a communiqué avec lui pour mieux comprendre sa demande. M. Kruger fait valoir que Mme Patte lui a posé de nombreuses questions concernant son ESPT et son anxiété. M. Kruger affirme l’avoir rassurée qu’il n’y aurait pas de problème si on lui donnait un siège sécuritaire. M. Kruger affirme que Mme Patte l’a informé qu’il n’avait pas l’autorisation de voyager vers Panama parce qu’Air Canada se préoccupait de la sécurité à bord de l’aéronef. M. Kruger ajoute que le personnel d’Air Canada était insensible et que, par conséquent, il s’est encore effondré et son épouse a dû prendre le relais de la conversation avec Mme Patte.
[88] Mme Patte affirme que plus tard ce jour-là, M. Kruger a reçu l’autorisation de voyager d’un médecin d’Air Canada. Mme Patte ajoute toutefois que, comme M. Kruger est devenu trop perturbé pour poursuivre la conversation avec elle, il fallait absolument s’assurer qu’il serait en mesure de voyager sans « s’effondrer de la sorte de nouveau ».
[89] Mme Patte fait valoir avoir par conséquent communiqué avec Neil Armstrong, directeur de la sécurité/enquêteur d’Air Canada à l’aéroport de Toronto, qui était d’accord avec elle qu’en raison du comportement de M. Kruger avec elle et une agente du service Meda, M. Kruger aurait besoin d’une autorisation de sécurité avant de voyager le lendemain. Air Canada explique que M. Armstrong a été identifié comme étant la personne qui fournirait l’autorisation de sécurité pour aider M. Kruger à se sentir à l’aise avec le processus d’autorisation, puisque M. Armstrong est également un ancien policier de l’Ontario.
[90] Air Canada indique que le comportement de M. Kruger et son incapacité de poursuivre une conversation avec les agents du service Meda et l’infirmière ont mené à la conclusion qu’il pourrait avoir une conduite interdite une fois à bord de l’aéronef d’Air Canada. La règle 75 du tarif international d’Air Canada à la section « Conduite d’un passager – refus de transport – conduite interdite et sanctions » prévoit ce qui suit :
A) sans restreindre la portée générale de ce qui précède, ce qui suit constitue des exemples de conduite interdite pour lesquels le transporteur, usant de discrétion raisonnable, peut juger nécessaire de prendre des mesures afin de veiller au confort ou à la sécurité de la personne, des autres passagers (au moment présent ou ultérieurement) ou des employés du transporteur, de la sécurité de l’appareil, ou de l’exécution sans entraves des tâches qui incombent à l’équipage ou de l’exploitation sécuritaire et adéquate du vol :
(2) la personne se signale ou s’est signalée par un état ou une conduite abusive, offensante, menaçante, intimidante, violente ou autrement désordonnée, et, de l’avis raisonnable d’un employé responsable du transporteur, il est possible que ce passager perturbe le confort ou la sécurité des autres passagers ou des employés du transporteur, ou y porte gravement atteinte, entrave l’exécution des tâches d’un membre d’équipage ou mette autrement en péril l’exploitation sécuritaire et adéquate du vol;
[91] M. Kruger affirme que, vers 20 heures, son épouse a reçu un appel d’Air Canada qui les informait que M. Kruger ne pouvait plus prendre le vol en raison de préoccupations liées à la sécurité à bord de l’aéronef. M. Kruger fait valoir que son épouse a demandé comment cette décision pouvait être corrigée et que l’agente d’Air Canada a indiqué que M. Kruger serait autorisé à prendre le vol s’il convainquait le chef de la sécurité d’Air Canada qu’il pouvait voyager sans accompagnateur en toute sécurité. L’agente a fourni un numéro de téléphone pour joindre M. Armstrong à 8 h 30 le lendemain.
[92] M. Kruger affirme que la conduite des employés d’Air Canada et la discrimination dont ils ont fait preuve ont été la cause de son comportement au téléphone, et que son épouse et lui ont immédiatement expliqué la situation au personnel d’Air Canada par courriel, qui a plus tard été étayée par une lettre de son psychiatre.
6 juin 2013
[93] M. Kruger explique qu’en raison de l’heure du départ de son vol, il n’aurait pas eu le temps d’obtenir par téléphone la permission de voyager puis de faire le trajet de deux heures jusqu’à l’aéroport de Toronto. M. Kruger a donc conduit jusqu’à l’aéroport sans savoir s’il pourrait voyager. Il affirme qu’après avoir été informé au bureau d’Air Canada à l’aéroport que son billet était annulé, il a appelé M. Armstrong et a expliqué la situation.
[94] M. Armstrong est d’avis que lorsqu’un passager s’effondre au téléphone, il y a un risque qu’il ne soit pas stable à bord de l’aéronef d’Air Canada.
[95] M. Armstrong affirme que lorsqu’il a parlé à M. Kruger au téléphone, M. Kruger était calme et a expliqué qu’il avait besoin d’un siège particulier en raison de son ESPT. M. Armstrong a par la suite autorisé M. Kruger à voyager. À 8 h 45, M. Armstrong a écrit à Mme Patte, [traduction] « bureau médical d’AC » et « clinique YVR », pour expliquer qu’il avait parlé avec M. Kruger et qu’il [traduction] « a voyagé à plusieurs reprises avec nous, alors veuillez l’autoriser à voyager – pouvons‑nous lui accorder le siège qu’il demande? ». Comme il a été indiqué plus haut, M. Kruger a voyagé le 6 juin dans le siège côté hublot 33F, situé dans la dernière rangée de l’aéronef.
[96] Air Canada fait valoir que le dossier de M. Kruger a été correctement traité compte tenu du comportement qu’il a démontré envers les agents d’Air Canada lorsqu’il a demandé un siège particulier. Air Canada indique également que les employés d’Air Canada ont fait de leur mieux pour que M. Kruger puisse voyager le 6 juin.
Analyse et constatations
[97] L’Office accepte et reconnaît qu’il est important que le personnel de services de transport reçoive de la formation pour pouvoir agir adéquatement et avec sensibilité lors de leurs interactions avec les personnes ayant une déficience. Comme il est indiqué dans le Règlement sur la formation du personnel en matière d’aide aux personnes ayant une déficience (DORS/94-42) de l’Office, les fournisseurs de services de transport doivent s’assurer que leurs employés et leur personnel contractuel qui fournissent des services liés au transport et qui peuvent être appelés à transiger avec le public ou à prendre des décisions concernant le transport des personnes ayant une déficience reçoivent une formation adaptée aux besoins de leurs fonctions, dans les domaines suivants :
- les politiques et procédures du fournisseur de services de transport à l’égard des personnes ayant une déficience, y compris les exigences réglementaires pertinentes;
- les besoins des personnes ayant une déficience qui sont les plus susceptibles de nécessiter des services additionnels, la reconnaissance de ces besoins et les responsabilités du transporteur ou de l’exploitant de terminal à l’égard de ces personnes, y compris l’étendue de l’aide, les méthodes de communication et les appareils ou dispositifs dont ces personnes ont généralement besoin;
- les compétences nécessaires pour aider les personnes ayant une déficience, y compris le rôle de l’accompagnateur, les besoins des personnes ayant une déficience qui voyagent avec un animal aidant ainsi que le rôle et les besoins de celui-ci.
[98] En ce qui a trait aux passagers ayant des problèmes de santé mentale, on s’attend à ce que la formation porte sur la façon dont les employés et le personnel contractuel du fournisseur de services de transport transigent avec des personnes ayant divers problèmes de santé, y compris un ESPT.
[99] Dans le cas présent, comme il a été indiqué plus haut, Air Canada n’a pas appliqué sa politique et n’a pas attribué le siège demandé pour répondre aux besoins de M. Kruger liés à sa déficience lorsqu’il en a fait la demande en avril 2013. Dans ses interactions avec M. Kruger, en réponse à ses explications répétées concernant son besoin d’avoir un siège particulier, le personnel d’Air Canada n’a pas bien réagi devant le caractère sérieux des besoins de M. Kruger en matière de sièges en raison de ses problèmes de santé mentale, ni devant l’anxiété qu’il a ressentie en conséquence de la façon dont on l’a traité.
[100] L’Office reconnaît néanmoins que les fournisseurs de services de transport sont tenus de se conformer aux différentes règles de sécurité et de sûreté et qu’ils peuvent également mettre en place leurs propres politiques et procédures pour assurer la sécurité et la sûreté de leurs activités. L’Office reconnaît également qu’il revient aux fournisseurs de services de transport de prendre des décisions concernant la sécurité et la sûreté, y compris de déterminer si un passager doit obtenir une autorisation de sécurité supplémentaire avant son voyage.
[101] À la lumière de ce qui précède, l’Office est d’avis qu’Air Canada a tenu compte de la nature particulière de la déficience de M. Kruger, ainsi que des questions de sécurité et de sûreté qu’elle a jugé pertinentes. Même si l’Office reconnaît les difficultés rencontrées par M. Kruger, l’Office accepte qu’Air Canada exige que M. Kruger obtienne une autorisation de sécurité supplémentaire avant son voyage. L’Office conclut donc que l’exigence d’Air Canada voulant que M. Kruger soit assujetti à une autorisation de sécurité supplémentaire pour son vol du 6 juin 2013 n’a pas constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement. Comme il n’a pas conclu à l’existence d’un obstacle, l’Office n’a pas à déterminer s’il est abusif.
QUESTION 4 : LE REFUS D'AIR CANADA DE COMMUNIQUER À COPA AIRLINES ET À TACA AIRLINES LES BESOINS DE M. KRUGER LIÉS À SA DÉFICIENCE POUR SES PROCHAINS SEGMENTS DE VOL A-T-IL CONSTITUÉ UN OBSTACLE ABUSIF À SES POSSIBILITÉS DE DÉPLACEMENT?
Faits, éléments de preuve et présentations
M. Kruger
[102] M. Kruger indique que les deux autres transporteurs aériens de son itinéraire, Copa Airlines et TACA Airlines, ont été annoncées par Air Canada en tant que partenaires du réseau Star Alliance. M. Kruger fait valoir qu’un tel marketing porterait toute personne raisonnable à croire qu’il y a une affiliation et une responsabilité entre les transporteurs aériens. M. Kruger affirme également que les transporteurs aériens du réseau Star Alliance sont assujettis aux billets émis par Air Canada. Il ajoute qu’il revient à Air Canada de prendre soin des passagers qui voyagent à bord des vols qu’elle annonce.
[103] Dans son courriel du 5 juin au service Meda, M. Kruger a demandé qu’Air Canada informe, si possible, les deux autres transporteurs aériens de son itinéraire de ses besoins médicaux, afin d’éviter qu’il soit encore plus perturbé avec les autres transporteurs. M. Kruger fait valoir qu’Air Canada ne l’a pas fait et qu’elle semble avoir fait abstraction de l’information que renfermait son courriel.
[104] M. Kruger affirme que le 6 juin, après l’émission de son billet et l’attribution du siège qu’il avait demandé à bord du vol d’Air Canada, il a demandé à une agente d’Air Canada si elle pouvait s’occuper de réserver un siège sécuritaire à bord de l’aéronef qui le mènerait d’Orlando à Panama. Selon M. Kruger, l’agente l’a informé qu’elle ne pouvait pas faire cela et qu’il faudrait qu’il transige avec chaque transporteur, peu importe son problème médical, même si les autres transporteurs aériens sont des partenaires du réseau Star Alliance.
[105] M. Kruger fait valoir qu’à son arrivée à Orlando, il a demandé un siège sécuritaire pour son vol avec Copa Airlines, ce qu’on lui a une fois de plus refusé, et qu’il a été en attente pendant trois heures avant de pouvoir prendre un vol à bord duquel un siège était libre à l’arrière de l’aéronef. M. Kruger fait valoir que le refus d’Air Canada de l’aider à aviser ses partenaires du réseau Star Alliance de son besoin d’un siège particulier lui a fait rater son vol de correspondance à partir d’Orlando.
Air Canada
[106] Air Canada explique que même si l’itinéraire de M. Kruger comprenait un segment exploité par Air Canada, M. Kruger a acheté un billet intercompagnies, faisant aussi intervenir Copa Airlines et TACA Airlines. Air Canada fait valoir que cela est évident puisque le code de chaque transporteur apparaît sur l’itinéraire, contrairement aux situations de partage de codes où le code d’Air Canada aurait été inscrit pour tous les segments de l’itinéraire.
[107] Air Canada affirme que sur un segment intercompagnies d’un itinéraire, le service de transport fourni par un autre transporteur ne constitue pas du transport de passagers et de bagages par Air Canada. Elle ajoute que, dans un réel voyage intercompagnies, qui n’est pas un accord de partage de codes où Air Canada est le transporteur exploitant ou commercial, Air Canada n’est pas responsable des conditions de transport des autres transporteurs aériens.
[108] Air Canada explique que dans le cas de voyages intercompagnies, les agents informeront les passagers qu’ils doivent prendre des dispositions particulières avec chacun des transporteurs exploitants. En ce qui a trait aux vols en partage de codes exploités par un autre transporteur, Air Canada fait référence à son tarif international qui prévoit que les personnes ayant une déficience qui demandent un siège particulier doivent communiquer avec le centre de réservation d’Air Canada ou directement avec le transporteur exploitant. Air Canada précise dans sa politique qu’elle ne peut pas garantir les sièges confirmés à bord de tous les aéronefs de ses partenaires en partage de codes.
[109] Mme Ferreira affirme que dans des cas où des passagers demandent des accommodements précis pour un itinéraire faisant intervenir des transporteurs intercompagnies, la procédure standard est de laisser savoir aux passagers qu’ils doivent prendre des dispositions auprès de chaque transporteur. En ce qui a trait à la discussion du 5 juin concernant le voyage de M. Kruger, Mme Ferreira affirme que, comme M. Kruger voyageait avec différents transporteurs entre le Canada et le Panama, elle aurait probablement informé son épouse qu’il devait également prendre des dispositions distinctes auprès des transporteurs exploitants.
Analyse et constatations
[110] L’Office est d’avis qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un transporteur commercial transmette à ses partenaires en partage de codes les besoins d’une personne liés à sa déficience, car le transporteur commercial doit veiller à ce que ses conditions de transport soient respectées par le transporteur exploitant. Toutefois, en ce qui a trait aux voyages intercompagnies, y compris ceux faisant intervenir des partenaires du réseau Star Alliance, l’Office est d’avis qu’il serait difficile pour le transporteur commercial qui émet le billet de communiquer à un transporteur intercompagnies les besoins d’une personne liés à sa déficience, car cette mesure ne garantirait pas à la personne que le transporteur intercompagnies exploitant le segment intercompagnies de l’itinéraire répondrait à ses besoins, car ses conditions de transport ne sont pas nécessairement les mêmes que celles du transporteur commercial.
[111] Pour déterminer ce qui constitue un accommodement approprié, le premier critère à prendre en compte est l’efficacité, et même si les mesures d’accommodement peuvent s’avérer nécessaires, elles doivent être efficaces sans créer un faux sentiment de sécurité. L’Office est d’avis que le fait de transmettre les besoins d’une personne liés à sa déficience à un transporteur intercompagnies pourrait très probablement créer ce faux sentiment de sécurité en raison de l’incertitude à savoir si le transporteur intercompagnies répondra vraiment, au bout du compte, aux besoins de la personne. Par conséquent, l’Office conclut qu’il revient à la personne ayant une déficience de demander l’accommodement nécessaire auprès de chaque transporteur intercompagnies de son itinéraire.
[112] En fonction de ce qui précède, l’Office conclut que le refus d’Air Canada de communiquer à ses partenaires du réseau Star Alliance les besoins de M. Kruger liés à sa déficience n’a pas constitué un obstacle aux possibilités de déplacement de M. Kruger. Comme il n’a pas conclu à l’existence d’un obstacle, l’Office n’a pas à déterminer s’il est abusif.
[113] Toutefois, afin de faire savoir aux passagers qu’il leur revient de veiller à ce que leurs besoins liés à leur déficience soient satisfaits, l’Office est d’avis que la politique d’Air Canada sur la communication aux partenaires intercompagnies des renseignements à propos d’une déficience devrait se retrouver également dans ses procédures et son tarif. Même si Air Canada et Mme Ferreira parlent d’une procédure qui prévoit que les agents doivent informer les passagers qu’ils doivent prendre des dispositions particulières avec chaque transporteur exploitant, dans le cas de vols intercompagnies, les extraits de la politique et du tarif déposés par Air Canada ne renferment aucune procédure de la sorte.
QUESTION 5 : LA SUGGESTION D'AIR CANADA QUE M. KRUGER SOIT AMENÉ EN FAUTEUIL ROULANT À LA PORTE DE L'AÉRONEF A-T-ELLE CONSTITUÉ UN OBSTACLE ABUSIF À SES POSSIBILITÉS DE DÉPLACEMENT?
Faits, éléments de preuve et présentations
M. Kruger
[114] M. Kruger fait valoir que le 5 juin, lorsqu’il a appelé Air Canada pour choisir son siège, l’agente d’Air Canada a suggéré qu’il soit amené à l’aéronef en fauteuil roulant pour indiquer au personnel de bord qu’il avait besoin d’une assistance spéciale avant l’embarquement en raison de sa « maladie mentale ». M. Kruger affirme avoir trouvé cette suggestion très déplacée et l’avoir refusée.
[115] M. Kruger fait valoir que, comme il n’a pas de déficience physique, une telle offre témoigne d’une conduite déplacée et irrespectueuse du personnel d’Air Canada à l’égard de sa déficience. M. Kruger estime que le personnel d’Air Canada ne semblait pas compétent ou bien formé pour répondre à ses besoins particuliers.
Air Canada
[116] Mme Ferreira affirme qu’en raison de l’état de M. Kruger durant la conversation téléphonique du 5 juin, elle a offert le service de fauteuil roulant pour M. Kruger. Elle indique n’avoir jamais recommandé qu’un tel service lui soit fourni. Elle affirme avoir plutôt cru que d’offrir le service à M. Kruger réduirait son taux d’anxiété entourant ses voyages avec Air Canada.
Analyse et constatations
[117] Les parties ne contestent pas le fait que Mme Ferreira a offert le service de fauteuil roulant pour M. Kruger. Il n’y a pas de preuve montrant qu’elle n’a pas offert le service de fauteuil roulant dans un effort visant à réduire le taux d’anxiété de M. Kruger entourant ses voyages avec Air Canada. Bien que M. Kruger ait trouvé cette offre déplacée, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un transporteur fasse des suggestions de mesures d’accommodement, particulièrement dans des situations où la nature de la déficience d’une personne et ses besoins ne sont pas évidents.
[118] Dans le cas présent, l’Office convient que l’offre d’assistance avec fauteuil roulant de Mme Ferreira a été présentée dans un effort sincère d’aider M. Kruger, en explorant des mesures qui pourraient être utiles pour tenir compte du caractère unique de ses besoins. Il va sans dire que l’offre d’assistance avec fauteuil roulant de Mme Ferreira a été proposée pour que M. Kruger la considère et ait le choix, à terme, de l’accepter ou de la refuser. Par conséquent, l’Office conclut que l’offre d’assistance avec fauteuil roulant n’a pas constitué un obstacle aux possibilités de déplacement de M. Kruger. Comme il n’a pas conclu à l’existence d’un obstacle, l’Office n’a pas à déterminer s’il est abusif.
ORDONNANCE
[119] L’Office a conclu que les aspects suivants ont constitué des obstacles abusifs dans le cas présent :
- Le défaut d’Air Canada d’appliquer sa politique et d’attribuer le siège nécessaire pour répondre aux besoins de M. Kruger liés à sa déficience lorsque la demande a été présentée en avril 2013;
- La politique d’Air Canada de ne pas déplacer des passagers dans le cas de demandes d’accommodement en matière de sièges présentées moins de 48 heures avant le vol (ou moins de 24 heures dans le cas des vols transfrontaliers).
[120] Par conséquent, l’Office ordonne à Air Canada :
- d’émettre un bulletin pour rappeler à son personnel sa politique visant l’attribution du siège demandé pour répondre aux besoins d’un passager ayant une déficience lorsque la personne le demande au moins 48 heures avant le départ;
- de modifier sa politique et ses procédures, de même que son matériel de formation connexe, pour prévoir que le transporteur fera un effort raisonnable pour déplacer des passagers n’ayant pas de déficience afin de fournir un accommodement en matière de sièges aux personnes ayant une déficience lorsque la demande est présentée moins de 48 heures avant le départ (ou moins de 24 heures dans le cas des vols transfrontaliers) et, s’il ne peut le faire, offrir une occasion à la personne de prendre place à bord du prochain vol possible et attribuer le siège demandé à ce moment-là.
[121] L’Office exige qu’Air Canada dépose auprès de l’Office une copie du bulletin et de la politique susmentionnés, de même que des procédures connexes, et mette son site Web à jour afin qu’il reflète cette politique. Air Canada a jusqu’au 31 juillet 2014 pour se conformer à cette ordonnance.
Membre(s)
- Date de modification :