Décision n° 289-AT-A-2003

le 23 mai 2003

le 23 mai 2003

DEMANDE présentée par Cathrine Dominie en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, concernant le refus de I.M.P. Group Limited exerçant son activité sous le nom, entre autres, de CanJet Airlines, A Division of I.M.P. Group Limited, de la laisser voyager sans accompagnateur entre Toronto et Halifax le 18 décembre 2002.

Référence no U3570/03-04


DEMANDE

Le 24 janvier 2003, Lew Francis, au nom de sa sœur Cathrine Dominie, a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office), la demande énoncée dans l'intitulé.

Le 10 mars 2003, I.M.P. Group Limited exerçant son activité sous le nom, entre autres, de CanJet Airlines, A Division of I.M.P. Group Limited (ci-après CanJet) a déposé sa réponse à la demande, y compris une copie du dossier de réservation de Mme Dominie et une copie de ses politiques et procédures concernant les besoins des personnes ayant une déficience, particulièrement celles qui ont une déficience visuelle ou auditive. M. Francis a déposé sa réplique le 7 avril 2003.

Le 6 mai 2003, en réponse à une demande du personnel de l'Office, Transports Canada a soumis des commentaires sur les questions de sécurité reliées au transport aérien des personnes ayant une déficience visuelle ou auditive.

QUESTION

L'Office doit déterminer si la politique de CanJet qui exige que les personnes ayant une déficience visuelle ou auditive voyagent avec un accompagnateur constitue un obstacle abusif à leurs possibilités de déplacement et si le manquement du personnel de CanJet à communiquer la politique du transporteur à Mme Dominie lors de la réservation et le manque de sensibilité du personnel de CanJet lors du traitement de Mme Dominie à l'enregistrement ont constitué des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement de Mme Dominie et, le cas échéant, quelles mesures correctives devraient être prises.

FAITS

Mme Dominie est sourde et aveugle. Cependant, elle peut lire les gros caractères et elle a un marqueur et un tableau spécial pour cette raison.

Le 17 septembre 2002, Mme Dominie a fait ses arrangements de voyage par l'entremise d'un agent de voyage, P. Lawson Travel, à Toronto pour un voyage avec CanJet sur le vol no 130 partant de Toronto pour Halifax à 13 h 15 le 18 décembre 2002 et revenant le 29 décembre 2002. Au moment de la réservation, Mme Dominie a avisé l'agent de voyage qu'elle est sourde et aveugle et qu'elle a déjà voyagé par avion plusieurs fois sans être accompagnée. L'agent de voyage a à son tour avisé CanJet.

Le dossier de réservation indique que la passagère est sourde et aveugle et qu'elle nécessite un service « d'accueil et d'assistance ».

Selon l'article 3 de la politique de CanJet :

Passager autonome : Le passager autonome est indépendant, autosuffisant et capable de prendre soin de tous ses besoins physiques au cours du vol, ne nécessite aucune attention spéciale ou inhabituelle autre que celle accordée aux autres passagers, mais il nécessite de l'assistance lors de l'embarquement ou du débarquement [traduction].

Passager non autonome : Le passager non autonome est incapable de prendre soin de lui-même au cours d'un vol et dépend d'une autre personne pour répondre à ses besoins physiques personnels. Une limitation de la compréhension de la personne peut faire que cette personne est non autonome. Un accompagnateur est nécessaire [traduction].

L'article 3.3 prévoit qu'un passager ambulatoire/autonome ou un passager non ambulatoire/autonome n'a pas besoin d'un accompagnateur. Cependant, l'article 3.4 prévoit qu'une personne qui a une déficience visuelle ou auditive a besoin d'un accompagnateur.

Le 18 décembre 2002, au comptoir d'enregistrement de CanJet à l'Aéroport international Lester B. Pearson (ci-après l'aéroport de Toronto), Mme Dominie a été avisée par le personnel de CanJet qu'elle ne pouvait pas voyager sans accompagnateur. Le superviseur a expliqué à Mme Dominie que dans une situation d'urgence, il serait impossible de lui expliquer la situation. Le superviseur a avisé Mme Dominie qu'elle devait être accompagnée sur le vol ou que, comme solution de rechange, elle pouvait prendre un vol plus tard si elle pouvait trouver un autre passager qui agirait comme accompagnateur. L'intervenant de Mme Dominie a approché plusieurs personnes pour voir si l'une d'entre elles voudrait accompagner Mme Dominie. L'intervenant a pu trouver un passager qui voulait agir comme accompagnateur de Mme Dominie sur le vol. Mme Dominie a voyagé sur le vol no 160 de Toronto à Halifax qui partait à 17 h 55.

Le 18 décembre 2002, la liste des passagers de CanJet mentionnait : « [traduction] Andrea @ YYZ a appelé parce que la passagère n'est pas accompagnée, qu'elle est aveugle, sourde et muette. Dans une situation d'urgence, les agents de bord n'auront aucun moyen de communiquer avec cette passagère. L'embarquement a été refusé. »

Sur le vol du retour, M. Francis a accompagné Mme Dominie de Halifax à Toronto.

POSITIONS DES PARTIES

M. Francis affirme que sa sœur a éprouvé des inconvénients importants lorsqu'on lui a refusé l'accès à l'information et aux services. M. Francis explique que parce que sa sœur avait déjà voyagé seule par avion dans le passé, elle ne croyait pas avoir de problèmes.

M. Francis fait valoir que lorsque Mme Dominie et son intervenant son arrivés au comptoir de CanJet le 18 décembre 2002, l'agente du comptoir d'enregistrement s'est excusée et a indiqué qu'il y avait un problème d'imprimante. Après une attente de 30 minutes, l'agente est revenue avec un superviseur qui a avisé l'intervenant de Mme Dominie que cette dernière ne pouvait voyager que si elle était accompagnée. M. Francis précise que le superviseur de CanJet a dit à Mme Dominie qu'elle pouvait prendre un vol plus tard si elle trouvait un autre passager qui agirait comme accompagnateur. M. Francis soutient que lorsque l'intervenant de Mme Dominie a pu trouver un passager prêt à accompagner Mme Dominie, le superviseur de CanJet a insisté pour que le passager signe un formulaire disant qu'il prenait la responsabilité de Mme Dominie.

CanJet affirme que, conformément aux exigences de Transports Canada, sa responsabilité est d'assurer la sécurité de tous les passagers de façon continue et dans les situations d'urgence. CanJet explique qu'un élément important de tout plan d'intervention en cas d'urgence est de pouvoir communiquer efficacement des messages et des commandements en matière de sécurité et des procédures d'urgence à tous les passagers. CanJet fait valoir que d'être capable de communiquer efficacement avec un passager qui a une déficience visuelle ou auditive dans une situation d'urgence est un défi qui compromettrait la sécurité de ce passager et des autres passagers. CanJet explique que sa politique mentionne donc qu'un passager ayant une déficience visuelle ou auditive doit être accompagné afin « [traduction] d'assurer un niveau souhaitable de sécurité pour tous ». CanJet soutient qu'elle a, à la lumière de cette politique et afin de permettre à Mme Dominie de voyager, offert de permettre à un accompagnateur de voyager avec Mme Dominie à Halifax gratuitement. CanJet affirme aussi qu'elle a offert à M. Francis un billet gratuit pour accompagner sa sœur sur son vol de retour de Halifax à Toronto.

M. Francis indique que la politique du transporteur aérien d'exiger qu'une personne sourde et aveugle soit accompagnée n'était pas claire pour sa sœur avant son départ. M. Francis indique aussi que le fait que Mme Dominie ait dû demander de l'aide à des étrangers afin de voyager cette journée là était inacceptable. M. Francis soutient que ces actions ont donné lieu à un obstacle injuste et inutile au droit de sa sœur de voyager. Finalement, M. Francis affirme que la politique de CanJet est discriminatoire et qu'elle devrait être supprimée.

CanJet reconnaît qu'elle aurait pu prévenir la situation si son département des réservations avait communiqué le besoin d'un accompagnateur à Mme Dominie en septembre 2002. Cependant, elle fait aussi valoir qu'une fois que le problème a été identifié, elle a pris des mesures correctives pour le rectifier. CanJet ajoute qu'elle prendra des mesures pour modifier ses procédures afin de permettre aux passagers qui ont une déficience visuelle ou auditive et qui sont autonomes de voyager sans accompagnateur. Finalement, CanJet a indiqué qu'elle s'assurera aussi que ses employés connaissent la politique.

M. Francis voudrait que la politique de CanJet qui oblige les personnes sourdes et aveugles à voyager avec un accompagnateur soit supprimée et demande une excuse écrite de la part du transporteur à sa sœur. Il demande aussi que le personnel du transporteur soit mieux formé pour s'occuper des personnes qui ont une déficience visuelle ou auditive afin de prévenir des situations comme celle qu'a vécue sa sœur.

COMMENTAIRES DE TRANSPORTS CANADA

Selon les normes relatives à la sécurité des cabines de Transports Canada, il n'existe aucune réglementation précise qui exige qu'un passager ayant une déficience visuelle ou auditive soit accompagné. Les décisions à cet égard sont prises par l'exploitant aérien pour assurer la sécurité de toutes les personnes à bord. Le paragraphe 705.104(2) du Règlement de l'aviation canadien (ci-après le RAC) exige que l'exploitant aérien attribue à chaque membre d'équipage les fonctions qu'il/elle doit exercer en cas d'urgence, y compris une évacuation d'urgence, et doit démontrer que ces fonctions peuvent être exercées de façon satisfaisante pour répondre à toute situation d'urgence pouvant raisonnablement être prévue. Le RAC exige également que ces procédures d'urgences soient soumises à l'approbation de Transports Canada et, une fois approuvées, qu'elles soient suivies par l'exploitant aérien. Donc, le transport d'un accompagnateur d'un passager ayant une déficience visuelle ou auditive n'est pas réglementé en vertu d'une réglementation précise. Cependant, cela devient une exigence lorsque l'exploitant aérien a fait approuver cette procédure par Transports Canada dans le cadre de ses procédures d'urgence.

Transports Canada mentionne aussi que les exploitants aériens estiment qu'un accompagnateur est nécessaire pour les voyageurs ayant certaines déficiences en raison de la nature de diverses situations d'urgence qui pourraient survenir à bord de l'aéronef, comme la décompression en vol, ou un atterrissage d'urgence et l'évacuation lors des phases de décollage ou d'atterrissage du vol.

Transports Canada affirme que, même si le paragraphe 705.43(3) du RAC prévoit un exposé supplémentaire aux passagers ayant des besoins précis avant le décollage, il pourrait être difficile de communiquer avec un passager ayant une déficience visuelle ou auditive en situation d'urgence et que les procédures d'urgences et les commandements sont communiqués en criant.

Transports Canada soutient qu'en raison des situations comme la décompression en vol ou un atterrissage d'urgence et l'évacuation lors des phases de décollage ou d'atterrissage du vol, il est préoccupé par le fait qu'un passager ayant une déficience visuelle ou auditive n'entendrait pas les procédures et les commandements d'urgence oraux, et il ne verrait pas les actions des autres passagers. Sans un accompagnateur pour aider ce passager, ce n'est pas seulement la sécurité du passager qui pourrait être compromise, mais il y a aussi une possibilité qu'au cours d'une évacuation ce passager puisse nuire à l'évacuation des autres.

Transports Canada précise que le RAC est conçu pour la sécurité collective de tous les occupants de l'aéronef. Transports Canada soutient que la sécurité collective de tous les passagers et de l'équipage doit avoir priorité sur les exigences personnelles d'un seul passager. Transports Canada estime que la décision prise par les exploitants aériens de mettre en œuvre une procédure obligeant un passager ayant une déficience visuelle ou auditive à être accompagné par une personne qui serait assise à côté de ce passager et qui en serait responsable assurerait que ce passager bénéficie du même niveau de sécurité que celui offert aux autres voyageurs.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.

La demande doit être présentée par une personne ayant une déficience ou en son nom. Dans le cas présent, Mme Dominie est sourde et aveugle. Elle est donc une personne ayant une déficience aux fins de l'application des dispositions d'accessibilité de la LTC.

Pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si les possibilités de déplacement de la personne qui présente la demande ont été restreintes ou limitées par un obstacle. Le cas échéant, l'Office doit alors décider si l'obstacle était abusif. Pour répondre à ces questions, l'Office doit tenir compte des circonstances de l'affaire dont il est saisi.

Les possibilités de déplacement ont-elles été restreintes ou limitées par un obstacle ?

L'expression « obstacle » n'est pas définie dans la LTC, ce qui donne à penser que le Parlement ne voulait pas limiter la compétence de l'Office compte tenu de son mandat d'éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. De plus, le terme « obstacle » a un sens large et s'entend habituellement d'une chose qui entrave le progrès ou la réalisation.

Pour déterminer si une situation constitue ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience dans un cas donné, l'Office se penche sur les déplacements de cette personne qui sont relatés dans la demande. Dans le passé, l'Office a conclu qu'il y avait eu des obstacles dans plusieurs circonstances différentes. Par exemple, dans certains cas des personnes n'ont pas pu voyager, d'autres ont été blessées durant leurs déplacements (notamment quand l'absence d'installations convenables durant le déplacement affecte la condition physique du passager) et d'autres encore ont été privées de leurs aides à la mobilité endommagées pendant le transport. De plus, l'Office a identifié des obstacles dans les cas où des personnes ont finalement été en mesure de voyager, mais les circonstances découlant de l'expérience ont été telles qu'elles ont miné leur sentiment de confiance, de dignité, de sécurité, situation qui pourrait décourager ces personnes de voyager à l'avenir.

Le cas présent

La politique de CanJet

L'Office note qu'il n'existe pas de réglementation précise obligeant une personne sourde et aveugle à être accompagnée lorsqu'elle voyage par avion. Selon les normes relatives à la sécurité des cabines de Transports Canada, le RAC exige que les transporteurs soumettent des procédures d'urgence à l'approbation de Transports Canada et que, une fois approuvées, ces procédures soient suivies par l'exploitant. Même si le transport d'un accompagnateur d'une personne qui a une déficience auditive ou visuelle n'est pas une exigence réglementaire, cela devient une exigence après que Transports Canada a approuvé la politique du transporteur dans le cadre de ses procédures d'urgence. Les transporteurs aériens ont déterminé qu'un accompagnateur doit accompagner les passagers ayant certaines déficiences en raison de la nature des diverses situations d'urgence qui pourraient survenir à bord d'un aéronef.

L'Office reconnaît que la capacité du transporteur de répondre aux besoins des passagers ayant une déficience pourrait être affectée par les exigences de sécurité auxquelles il doit se conformer. À cet égard, l'Office note que CanJet a soumis que, conformément à ses procédures normales qui ont été approuvées par Transports Canada, Mme Dominie a été avisée qu'elle avait besoin d'un accompagnateur pour voyager.

L'Office reconnaît aussi le droit d'une personne à l'autodétermination. L'Office note que la politique et les procédures de CanJet concernant le transport des personnes ayant une déficience reconnaissent aussi ce principe et font une distinction entre une personne non autonome et une personne autonome. Cependant, même si la politique de CanJet reconnaît le droit à l'autodétermination dans les cas où la personne est ambulatoire ou non ambulatoire, ce n'est pas le cas d'un passager qui a une déficience visuelle ou auditive.

Finalement, l'Office reconnaît qu'il existe différents degrés de capacités et d'invalidités fonctionnelles pour les passagers et que le transporteur ne devrait pas faire de présomptions à cet égard. L'Office est d'avis que, plutôt que de déclarer automatiquement un passager « non autonome », il devrait y avoir une consultation avec le passager sourd et aveugle, au moment de la réservation, au sujet des capacités et des invalidités fonctionnelles du passager pour déterminer si le degré d'acuité auditive ou visuelle de la personne satisfait à certaines exigences de sécurité. L'Office note que la politique de CanJet ne traite pas du spectre des déficiences visuelles ou auditives. Par exemple, une personne ayant une déficience visuelle minime ou une déficience auditive minime aurait automatiquement besoin d'un accompagnateur alors qu'une personne non ambulatoire autonome n'en aurait pas besoin. L'Office croit que cela est inacceptable.

L'Office note que CanJet a reconnu les problèmes de sa politique et a indiqué que la politique serait modifiée pour permettre aux personnes qui ont une déficience visuelle ou auditive mais qui sont autonomes de voyager sans accompagnateur.

Par conséquent, l'Office estime que la politique de CanJet exigeant que les personnes ayant une déficience visuelle ou auditive voyagent avec un accompagnateur constitue un obstacle à leurs possibilités de déplacement.

Manquement du personnel de CanJet à communiquer la politique du transporteur à Mme Dominie au moment de la réservation et avant le voyage

L'Office note que les arrangements de voyage de Mme Dominie ont été faits par l'entremise d'un agent de voyage chez P. Lawson Travel et qu'au moment de la réservation, on a dit à l'agent de voyage que Mme Dominie est sourde et aveugle et qu'elle a déjà voyagé sans accompagnateur. L'Office note, selon la preuve au dossier, que l'agent de voyage a communiqué les déficiences de Mme Dominie au transporteur en plus du fait que Mme Dominie voyageait seule et qu'elle l'avait fait par le passé. En fait, le dossier de réservation contient la note : « [traduction] la passagère est aveugle et sourde et nécessite un service d'accueil et d'assistance ». Malgré cela, c'est seulement au comptoir d'enregistrement à l'aéroport de Toronto, après une attente de 30 minutes, que le personnel de CanJet a informé Mme Dominie de sa politique selon laquelle les personnes qui ont une déficience visuelle ou auditive doivent avoir un accompagnateur et qu'elle ne pouvait voyager sur ce vol à moins d'être accompagnée.

Malgré le fait que la politique de CanJet est clairement reflétée dans son manuel sur les services passagers, l'agent de voyage ne connaissait pas cette politique. De plus, l'Office signale que le dossier de réservation a été créé en septembre pour un voyage en décembre et que CanJet avait suffisamment de temps avant l'enregistrement pour informer Mme Dominie de sa politique. La note dans le dossier de réservation aurait dû fournir un signal clair au transporteur de la probabilité de refus d'embarquement pour Mme Dominie. Si Mme Dominie avait été informée de la politique de CanJet avant le jour du voyage, elle aurait eu l'occasion de prendre des décisions éclairées à propos de ses options de voyage. Dans ce cas, CanJet n'a pas pris avantage de l'occasion qu'elle avait avant la journée du voyage de communiquer sa politique à Mme Dominie. L'Office estime donc que ce manquement a constitué un obstacle aux possibilités de déplacement de Mme Dominie puisque cela a entraîné de l'incertitude et le fait qu'elle a manqué son vol prévu ainsi qu'une situation déplaisante et gênante lorsqu'elle a dû demander de l'aide à des étrangers afin de trouver quelqu'un prêt à agir comme accompagnateur sur l'autre vol.

Manque de sensibilité du personnel de CanJet

L'Office note que lorsque Mme Dominie est arrivée au comptoir d'enregistrement, le personnel de CanJet ne lui a pas immédiatement indiqué qu'il y avait un problème avec son vol prévu ou qu'elle aurait besoin d'un accompagnateur même s'il est évident que l'agente d'enregistrement savait déjà que cela était possible. Au lieu d'aviser immédiatement Mme Dominie de son inquiétude à cet égard, et du fait qu'elle aurait besoin d'aller chercher son superviseur et qu'il y aurait un délai, l'agente d'enregistrement a laissé Mme Dominie pendant 30 minutes sans explication. Cette situation a entraîné de l'incertitude et de la confusion pour Mme Dominie. De plus, il semble évident que le personnel de CanJet a omis de s'informer des capacités fonctionnelles de Mme Dominie. Cela aurait pu facilement être fait en entamant un dialogue avec Mme Dominie. L'Office note également que les commentaires dans le manifeste de passagers de CanJet indique que le personnel de CanJet a présumé, à tort, que Mme Dominie était muette et qu'elle n'avait aucun moyen de communiquer alors qu'en fait elle n'est pas muette et elle peut lire les gros caractères d'imprimerie et elle voyage avec un marqueur et un tableau pour cette raison. Dans ce cas, l'Office est d'avis que le personnel de CanJet a omis d'avoir un dialogue adéquat au sujet des capacités fonctionnelles de Mme Dominie afin d'évaluer son niveau d'autonomie. L'Office estime que le personnel de CanJet a manqué de sensibilité en faisant des présomptions quant aux capacités de Mme Dominie, ce qui a entraîné la note incorrecte dans son dossier.

Le manque de sensibilité susmentionné de la part du personnel de CanJet a causé de la confusion et de l'incertitude pour Mme Dominie et a créé un stress inutile. Par conséquent, l'Office estime que cela a constitué un obstacle aux possibilités de déplacement de Mme Dominie.

L'obstacle était-il abusif ?

À l'instar du terme « obstacle », l'expression « abusif » n'est pas définie dans la LTC, ce qui permet à l'Office d'exercer sa discrétion pour éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. Le mot « abusif » a également un sens large et signifie habituellement que quelque chose dépasse ou viole les convenances ou le bon usage (excessif, immodéré, exagéré). Comme une chose peut être jugée exagérée ou excessive dans un cas et non dans un autre, l'Office doit tenir compte du contexte de l'allégation d'obstacle abusif. Dans cette approche contextuelle, l'Office doit trouver un juste équilibre entre le droit des passagers ayant une déficience d'utiliser le réseau de transport de compétence fédérale sans rencontrer d'obstacles abusifs, et les considérations et responsabilités commerciales et opérationnelles des transporteurs. Cette interprétation est conforme à la politique nationale des transports établie à l'article 5 de la LTC et plus précisément au sous-alinéa 5g)(ii) de la LTC qui précise, entre autres, que les modalités en vertu desquelles les transporteurs ou modes de transport exercent leurs activités ne constituent pas, dans la mesure du possible, un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

L'industrie des transports élabore ses services pour répondre aux besoins des utilisateurs. Les dispositions d'accessibilité de la LTC exigent quant à elles que les fournisseurs de services de transport du réseau de transport de compétence fédérale adaptent leurs services dans la mesure du possible aux besoins des personnes ayant une déficience. Certains empêchements doivent toutefois être pris en considération, par exemple les mesures de sécurité que les transporteurs doivent adopter et appliquer, les horaires qu'ils doivent s'efforcer de respecter pour des raisons commerciales, la configuration du matériel et les incidences d'ordre économique qu'aura l'adaptation d'un service sur les transporteurs aériens. Ces empêchements peuvent avoir une incidence sur les personnes ayant une déficience. Ainsi, ces personnes ne pourront pas nécessairement embarquer avec leur propre fauteuil roulant, elles peuvent devoir arriver à l'aérogare plus tôt aux fins de l'embarquement et elles peuvent devoir attendre plus longtemps pour obtenir de l'assistance au débarquement que les personnes n'ayant pas de déficience. Il est impossible d'établir une liste exhaustive des obstacles qu'un passager ayant une déficience peut rencontrer et des empêchements que les fournisseurs de services de transport connaissent dans leurs efforts pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience. Il faut en arriver à un équilibre entre les diverses responsabilités des fournisseurs de services de transport et le droit des personnes ayant une déficience à voyager sans rencontrer d'obstacle, et c'est dans cette recherche d'équilibre que l'Office applique le concept d'obstacle abusif.

Le cas présent

Ayant conclu que la politique de CanJet exigeant que les personnes qui ont une déficience auditive ou visuelle voyagent avec un accompagnateur constitue un obstacles à leurs possibilités de déplacement; que le manquement du personnel de CanJet à communiquer la politique du transporteur à Mme Dominie lors de la réservation et avant le voyage; et que le manque de sensibilité du personnel de CanJet lors de leur traitement de Mme Dominie à l'enregistrement ont constitué des obstacles aux possibilités de déplacement de Mme Dominie, l'Office doit maintenant déterminer si ces obstacles étaient abusifs.

La politique de CanJet

L'Office a longtemps reconnu le principe fondamental du droit d'une personne à l'autodétermination. En réalité, ce principe de base est une exigence réglementaire et il est reflété dans la partie VII du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié (ci-après le RTA), concernant les conditions de transport pour les personnes ayant une déficience. Plus précisément, l'article 154 déclare :

Le transporteur aérien doit accepter la décision, prise par la personne ou en son nom, qu'elle n'aura pas besoin de services inhabituels durant le vol.

Comme il a déjà été dit, l'Office note que la politique et les procédures de CanJet pour le transport des personnes ayant une déficience font la distinction entre une personne non autonome et une personne autonome. De plus, il est évident que même si la politique de CanJet reconnaît le droit à l'autodétermination pour les passagers ambulatoires ou non ambulatoires, ce droit n'est pas appliqué dans le cas d'un passager qui a une déficience auditive ou visuelle. La politique exige que toutes les personnes ayant une déficience visuelle ou auditive voyagent avec un accompagnateur, quelles que soient les capacités fonctionnelles de la personne. L'Office est d'avis que la politique ne reconnaît pas tout le spectre des déficiences visuelles et auditives. L'Office estime donc que la politique de CanJet qui exige que les personnes ayant une déficience auditive ou visuelle voyagent avec un accompagnateur dans tous les cas n'est pas conforme au RTA.

L'Office note que CanJet reconnaît le besoin de modifier sa politique et ses procédures actuelles et qu'elle prendra les mesures nécessaires pour que les passagers qui ont une déficience visuelle ou auditive puissent voyager sans accompagnateur dans les cas où ils sont autonomes. L'Office est d'avis qu'une telle modification serait conforme au principe d'autodétermination.

Selon ce qui précède, l'Office conclut que la politique et les procédures de CanJet constituent un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience visuelle ou auditive qui sont autonomes.

Manquement du personnel de CanJet à communiquer la politique du transporteur à Mme Dominie au moment de la réservation et avant le voyage

La déficience de Mme Dominie était notée dans le dossier de réservation et, à ce titre, CanJet savait ou aurait dû savoir que selon sa politique, Mme Dominie aurait besoin d'un accompagnateur pour voyager. L'Office est d'avis que si l'agente de réservation avait des doutes quant à la déficience de Mme Dominie et à ses besoins précis, l'agente avait l'obligation de demander des précisions à l'agent de voyage ou à Mme Dominie. Le manquement de l'agente de réservation à informer Mme Dominie de la politique de CanJet signifie que Mme Dominie a seulement été informée à l'aéroport qu'elle ne pouvait voyager que si elle trouvait un accompagnateur. L'Office estime que CanJet avait l'information nécessaire à l'avance pour aviser Mme Dominie de sa politique, mais que pour des raisons inconnues elle ne l'a pas fait.

L'Office note que CanJet reconnaît qu'il y a eu un problème de communication et que « [traduction] le département de réservation aurait pu mieux communiquer les exigences à Mme Dominie ». L'Office est préoccupé par des cas comme celui-ci où des employés d'un transporteur aérien omettent de répondre de manière opportune aux besoins précis des personnes ayant une déficience et où des procédures en place pour s'assurer que le transporteur réponde à ces besoins, comme le dossier de réservation, ne sont pas utilisées correctement.

Par conséquent, l'Office conclut que le manquement du personnel de CanJet à communiquer la politique du transporteur à Mme Dominie au moment de la réservation et avant le voyage a constitué un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de Mme Dominie.

Manque de sensibilité du personnel de CanJet

L'Office note que le personnel de CanJet a démontré un manque de sensibilité lorsqu'il a fait attendre Mme Dominie pendant 30 minutes au comptoir d'enregistrement sans explication et qu'il a fait des présomptions quant à ses capacités et à son autonomie. La situation à laquelle Mme Dominie a fait face à l'aéroport de Toronto illustre ce qui peut arriver lorsque le transporteur ne connaît pas clairement les besoins d'un passager ayant une déficience et souligne l'importance d'entamer un dialogue avec le passager afin de préciser ces besoins. L'Office est d'avis que CanJet a la responsabilité de s'assurer que ses procédures et politiques concernant le transport des personnes ayant une déficience sont connues, comprises et transmises par ses employés d'une façon appropriée et opportune.

L'Office souligne que l'alinéa 4a) du Règlement sur la formation du personnel en matière d'aide aux personnes ayant une déficience (ci-après le règlement sur la formation) exige que la formation sur les politiques et les procédures du transporteur aérien en ce qui concerne les personnes ayant une déficience, y compris les exigences réglementaires, soit offerte aux employés et aux entrepreneurs qui fournissent des services reliés au transport, interagissent avec le public ou prennent des décisions concernant le transport des personnes ayant une déficience.

L'Office note que CanJet reconnaît le besoin de modifier ses procédures et de les communiquer à ses employés. L'Office est préoccupé par les cas où les employés qui interagissent avec le public ou qui prennent des décisions concernant le transport des personnes ayant une déficience et qui ont reçu une formation sur les politiques et procédures du transporteur aérien, y compris les exigences réglementaires, ne les suivent pas.

Selon ce qui précède, l'Office conclut que le manque de sensibilité du personnel de CanJet a constitué un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de Mme Dominie.

CONCLUSION

Selon les constatations qui précèdent, l'Office enjoint par les présentes à CanJet de mettre en œuvre les mesures suivantes dans les trente (30) jours suivant la date de cette décision :

  • modifier sa politique et ses procédures afin de permettre à un passager qui a une déficience visuelle ou auditive de voyager sans accompagnateur dans les cas où le passager est autonome. CanJet doit aussi soumettre à l'Office une copie de la politique et des procédures modifiées et une copie de la communication envoyée aux employés afin de les aviser de la politique et des procédures modifiées;
  • publier un bulletin pour ses employés, y compris les agents de réservation, ainsi qu'une copie à l'Office, résumant l'incident qu'a vécu Mme Dominie et soulignant les principes du droit à l'autodétermination et l'importance d'entamer des discussions avec une personne ayant une déficience ou son représentant afin de s'assurer que les besoins et les capacités de la personne sont clairement compris.
  • fournir une copie de son programme de formation, y compris l'information établie dans l'annexe (article 11) du règlement sur la formation de l'Office. L'Office a comme intérêt principal les dispositions dans le programme de formation de CanJet qui traitent des préoccupations soulevées dans la demande de Mme Dominie en ce qui concerne la sensibilisation du personnel aux procédures, politiques et conditions de transport du transporteur, le droit à l'autodétermination et le besoin d'entamer un dialogue sur les capacités fonctionnelles de la personne afin d'évaluer le niveau d'autonomie de la personne.

À la suite de son examen de l'information requise, l'Office déterminera si des mesures supplémentaires sont requises.

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