Décision n° 290-AT-A-2000
le 26 avril 2000
DEMANDE présentée par Ed Smith, en vertu des paragraphes 172(1) et (3) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, relativement aux tarifs imposés pour son transport sur une civière et pour le transport de son accompagnateur, au niveau de service fourni et aux difficultés qu'il a rencontrées au moment du débarquement, lors d'un vol avec Air Canada entre St. John's (Terre-Neuve) et Toronto (Ontario), le 24 août 1998.
Référence no U 3570/99-49
DEMANDE
Le 8 octobre 1999, Ed Smith a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la demande énoncée dans l'intitulé.
Dans sa décision no LET-AT-A-292-1999 en date du 15 novembre 1999, l'Office accordait à Air Canada une prolongation de délai pour répondre à la plainte. Le 10 décembre 1999, le transporteur aérien a fait parvenir sa réponse et le 13 janvier 2000, M. Smith y a répliqué. Les deux parties ont soumis des commentaires additionnels.
Aux termes du paragraphe 29(1) de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC), l'Office est tenu de rendre sa décision au plus tard 120 jours après la date de réception de la demande, sauf s'il y a accord entre les parties pour une prolongation du délai. Dans le cas présent, les parties ont convenu de prolonger le délai jusqu'au 1er mai 2000.
QUESTIONS
L'Office doit déterminer si les tarifs imposés par Air Canada pour le service d'ambulance aérienne fourni à M. Smith et le niveau de service offert ont constitué des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement de celui-ci et, le cas échéant, les mesures correctives devant être prises.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
Même si M. Smith a déposé sa réponse après le délai prévu dans les Règles générales de l'Office national des transports (DORS/88-23), l'Office, conformément à l'article 6 de ces Règles, l'accepte comme étant pertinente et nécessaire à l'examen de la question.
FAITS
M. Smith est quadriplégique et a le cou fracturé. Le 24 août 1998, il a été transporté, en tant que patient sur une civière, à bord du vol no 133 d'Air Canada, entre St. John's et Toronto. Le transporteur aérien utilisait un aéronef A320 pour ce vol. M. Smith bénéficiait des services d'un accompagnateur et ses frais de déplacement étaient assumés par des sociétés d'assurance-maladie. Pour répondre aux besoins des passagers allongés sur une civière et de leurs accompagnateurs, Air Canada réserve six sièges à bord d'aéronefs comprenant une double rangée de sièges ou neuf sièges s'il s'agit d'aéronefs ayant une triple rangée de sièges. Air Canada multiplie le tarif régulier aller simple par six dans le cas du transport du passager sur une civière et impose un tarif réduit de moitié dans le cas de l'accompagnateur. Au moment de la réservation, on a indiqué, par erreur, à l'épouse de M. Smith un prix de solde pour chacun des sièges demandés. Toutefois, lorsqu'elle a précisé que M. Smith devrait être transporté sur une civière et qu'il voyagerait avec un accompagnateur, le transporteur aérien a imposé un tarif multiplié par six, soit 5 733 $ en tout pour le voyage aller seulement et la moitié du plein tarif pour l'accompagnateur.
Pour répondre aux besoins de cette catégorie de passager, Air Canada dépose la civière sur des sièges qui ont été repliés et la fixe sur les rails des fauteuils au plancher. À bord de l'avion A320, la première civière est fixée dans les trois dernières rangées de sièges. Même si la procédure prévoit l'installation d'un rideau opaque autour de la civière, cela n'a pas été le cas pour M. Smith.
Les préposés du service d'ambulance engagés par le passager fournissent une assistance à l'embarquement et au débarquement, ce qui comprend le transfert du passager entre la civière et celle d'Air Canada. M. Smith est monté à bord de l'avion à St. John's sans grande difficulté, contrairement à son arrivée à l'aéroport de Toronto. À cet endroit, les préposés du service d'ambulance et le personnel d'Air Canada n'ont pas été en mesure de libérer la civière du rail de fixation; c'est grâce à la suggestion d'un membre de l'équipe de nettoyage de la cabine si on a pu le faire. Les préposés du service d'ambulance ont amené M. Smith jusqu'à l'avant de l'appareil mais n'ont pas réussi à franchir la porte avec la civière. Après plusieurs tentatives, M. Smith a été déposé dans une couverture et c'est de cette façon qu'il a pu quitter l'appareil, non sans avoir ressenti beaucoup d'inconfort.
POSITIONS DES PARTIES
Selon M. Smith, le tarif imposé par Air Canada pour lui et son accompagnateur n'est pas justifié et est de nature discriminatoire pour les personnes ayant une déficience. Il accepte de payer un tarif pour les six ou neuf sièges qui sont nécessaires pour le transport de la civière, mais il refuse qu'on lui impose le plein tarif alors que le transporteur offre les autres sièges à rabais.
M. Smith soutient également qu'au moment de la réservation, Air Canada l'a informé qu'on procéderait à l'enlèvement des sièges situés dans la partie avant de l'avion pour qu'on puisse y déposer la civière et installer un rideau opaque. La civière a plutôt été déposée sur un ensemble de sièges qui avaient été repliés : la civière était ainsi située au-dessus du hublot et le visage de M. Smith s'est retrouvé à quelques pouces seulement du porte-bagages. En outre, aucun rideau opaque n'avait été installé, ce qui signifiait qu'il était à la vue de tous les passagers, ce qui n'a pas été sans lui causer beaucoup d'embarras et d'humiliation.
Selon le passager, au moment du débarquement à Toronto, on l'a brusquement sorti de l'avion pour le déposer sur la civière de l'ambulance, opération délicate en raison de son cou fracturé. M. Smith estime que les agents de bord auraient pu faire plus attention à son état et faciliter les choses. Ainsi, il est d'avis qu'Air Canada devrait lui accorder une certaine indemnité pour la souffrance, le risque médical, l'humiliation et l'outrage auxquels il a été exposé et demande au transporteur aérien de revoir sa procédure pour le débarquement des personnes ayant une déficience.
En ce qui concerne la question des tarifs, Air Canada est un des seuls transporteurs commerciaux en Amérique du Nord qui assure le transport des passagers sur des civières, la plupart des autres compagnies aériennes faisant appel à des exploitants de service d'ambulance aérienne. Selon Air Canada, ses tarifs correspondent à ceux de ses concurrents et tiennent compte des coûts qu'il doit assumer pour le transport sûr des passagers blessés.
Air Canada regrette sincèrement de ne pas avoir préservé l'intimité de M. Smith comme il s'y attendait à bord de l'avion. D'autre part, le 15 décembre 1999, le transporteur a commencé à utiliser de nouvelles civières munies d'un rideau opaque et faciles à installer par les agents de bord dans tout secteur de la cabine. Par conséquent, le personnel de piste n'aura plus à installer un rideau avant l'embarquement. Selon Air Canada, les nouvelles civières permettront de garantir l'intimité dont ont besoin les clients transportés sur une civière.
Air Canada regrette également de ne pouvoir déterminer pourquoi le personnel du service d'ambulance a rencontré des difficultés lors du débarquement de M. Smith. Le transporteur précise qu'il n'a pu obtenir des précisions de l'équipage en raison du temps qui s'est écoulé depuis l'incident, ajoutant qu'aucun rapport n'a été rédigé à ce sujet. Air Canada est toutefois d'avis que les difficultés ont peut-être été causées par un panneau situé dans la partie avant de l'aéronef A320. Selon lui, il se peut que le panneau n'ait pas été déplacé pour faciliter le déplacement de la civière dans la cabine. Le personnel de vol d'Air Canada est au courant de cette caractéristique, dont fait état la publication 123 (Normes de rendement et d'exploitation commerciale), mais le transporteur a indiqué, dans une lettre en date du 3 mars 2000, que son Bulletin 356 portant sur les renseignements d'urgence et les premiers soins renferme maintenant des renseignements à ce sujet. Tous les membres d'équipage ont un exemplaire du bulletin avec eux lorsqu'ils sont de service. Air Canada précise que la publication 356 fait partie de la formation initiale des nouveaux employés.
ANALYSE ET CONSTATATIONS
Dans ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les documents présentés par les parties au cours des plaidoiries.
Aux termes de l'alinéa 170(1)c) de la LTC :
L'Office peut prendre des règlements afin d'éliminer tous obstacles abusifs, dans le réseau de transport assujetti à la compétence législative du Parlement, aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience et peut notamment, à cette occasion, régir :
c) toute mesure concernant les tarifs, taux, prix, frais et autres conditions de transport applicables au transport et aux services connexes offerts aux personnes ayant une déficience.
Le paragraphe 172(1) de la LTC prescrit ce qui suit :
Même en l'absence de disposition réglementaire applicable, l'Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l'un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
L'Office est saisi de demandes relatives à des obstacles abusifs que rencontrent des personnes ayant une déficience au sein du réseau de transport de compétence fédérale. Dans une décision antérieure traitant de la plainte d'une personne qui, en raison de sa déficience, nécessitait l'utilisation de trois sièges pour pouvoir effectuer le voyage en position ventrale, l'Office avait signifié que quiconque, quelle que soit sa déficience, a le droit d'avoir un accès raisonnable aux services de transport. L'Office avait ajouté qu'il est injuste pour une personne ayant une déficience d'avoir à subir un préjudice financier découlant de l'imposition de tarifs additionnels lorsqu'elle utilise les mêmes services qu'une personne sans déficience. Dans cette décision, l'Office avait ajouté que les tarifs payés par le demandeur pour l'utilisation de sièges additionnels, en raison de sa déficience, avait constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.
Dans le cas présent, toutefois, M. Smith et son accompagnateur n'ont pas subi de préjudice financier en ce qu'ils n'avaient pas à assumer les tarifs additionnels. Par conséquent, l'Office détermine qu'il n'y a pas eu d'obstacle abusif. L'organisation qui a eu à payer les tarifs n'est pas partie à cette demande.
L'Office a examiné la politique du transporteur relativement à l'utilisation de civières et observe qu'elle exige l'installation d'un rideau opaque. Dans ce cas-ci, l'absence du rideau opaque a causé un obstacle à M. Smith du fait que ce dernier a souffert d'embarras et d'humiliation lorsqu'il a été laissé à la vue des autres passagers. L'Office juge cet obstacle abusif en ce qu'il aurait pu être facilement évité si le personnel du transporteur aérien avait suivi la politique établie en faisant l'installation du rideau opaque autour de la civière.
L'Office constate que depuis cet incident, Air Canada a remplacé ses civières afin de mieux répondre au besoin d'intimité de ses clients transportés sur une civière. Selon l'Office, les nouvelles civières d'Air Canada fourniront l'intimité requise au passager, ce qui permettra d'éviter de nouvelles sources d'embarras comme cela a été le cas pour M. Smith. Ainsi, l'Office n'envisage aucune autre mesure relativement à cette question.
En ce qui concerne les difficultés rencontrées au moment de l'arrivée à Toronto, l'Office reconnaît qu'en vertu d'un contrat, le débarquement d'un passager transporté sur une civière est effectué par des employés d'un service d'ambulance et non pas du transporteur aérien. Il n'en demeure pas moins qu'Air Canada a la responsabilité de s'assurer que le personnel de bord connaît les caractéristiques d'accessibilité de l'aéronef. Dans le cas présent, il était indispensable que les employés sachent que le panneau avant pouvait s'ouvrir pour permettre le transport d'une civière à l'intérieur ou à l'extérieur de l'aéronef. Selon l'Office, l'ignorance de cette caractéristique par le personnel de vol d'Air Canada a causé un obstacle à M. Smith du fait que le débarquement a été assuré d'une façon inhabituelle et que cela aurait pu avoir de sérieuses conséquences. L'obstacle est d'autre part jugé abusif en ce qu'il aurait pu facilement être évité si les mesures nécessaires avaient été prises par le personnel de bord au moment du débarquement.
L'Office émet des réserves quant à l'ignorance du personnel du transporteur aérien au sujet de deux services de base requis par les passagers transportés sur une civière, à savoir l'installation d'un rideau opaque et le panneau amovible à l'intérieur de l'aéronef pour faciliter le débarquement du passager sur une civière. L'Office constate qu'en vertu du Règlement sur la formation du personnel en matière d'aide aux personnes ayant une déficience, Air Canada dispose de programmes de formation à l'intention de ses agents de bord et du personnel au sol des services des aéronefs qui portent, notamment, sur l'utilisation des civières. Dans le programme destiné au personnel au sol, Air Canada énonce les responsabilités des préposés au service aux passagers, du personnel des services des aéronefs et des préposés au service d'ambulance. Air Canada se réfère également à son bulletin sur les opérations côté piste, qui renferme des directives sur l'installation des civières et des rideaux.
Même si Air Canada fait désormais mention du panneau amovible de l'aéronef A320 dans deux bulletins, dont un est à la disposition des membres d'équipage et fait partie de leur formation initiale, rien n'indique que la formation pour l'actualisation des connaissances traite de ce point. L'Office estime qu'Air Canada devrait donc s'assurer que l'information nécessaire au sujet du panneau est incluse dans les programmes de formation pour l'actualisation des connaissances des employés qui assisteraient à l'embarquement ou au débarquement d'un passager transporté sur une civière.
Dans le cas présent, même si l'Office reconnaît que M. Smith a été confronté des obstacles abusifs, aucune preuve que des frais ont été supportés à cause des obstacles abusifs n'a été présentée durant les plaidoiries. L'Office n'a pas la compétence d'accorder des dommages-intérêts pour la souffrance, le risque médical, l'humiliation et l'outrage éprouvés.
CONCLUSION
L'Office conclut que l'absence d'un rideau opaque et l'ignorance du personnel de bord d'Air Canada au sujet du panneau amovible à bord de l'aéronef A320 ont constitué des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement de M. Smith. En ce qui a trait au panneau amovible, Air Canada est tenu de soumettre à l'Office, dans un délai de trente (30) jours suivant la date de cette décision, un exemplaire des programmes de formation pour l'actualisation des connaissances à l'intention des employés concernés.
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