Décision n° 301-AT-A-2014
Demande présentée par Robert Lowe contre WestJet.
INTRODUCTION
[1]
Robert Peter Lowe a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10., modifiée (LTC) contre WestJet concernant sa politique relative au transport des aides à la mobilité alimentées par des batteries au lithium-ion.
QUESTIONS
-
M. Lowe est-il une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC?
-
Dans l’affirmative, la politique et les procédures de WestJet relatives au refus d’accepter de transporter les batteries au lithium-ion pour l’alimentation des aides à la mobilité constituent-elles un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience qui utilisent ce genre d’aide, y compris M. Lowe?
-
Si l’Office conclut à un obstacle abusif, quelles mesures correctives devraient être ordonnées, le cas échéant?
LA LOI
[2]
Lorsqu’il doit statuer sur une demande en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, l’Office applique une procédure particulière en trois temps pour déterminer s’il y a eu obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne ayant une déficience. L’Office doit déterminer :
-
si la personne qui est l’auteur de la demande a une déficience aux fins de la LTC;
- si la personne a rencontré un obstacle du fait qu’on ne lui a pas fourni un accommodement approprié pour répondre aux besoins liés à sa déficience. Un obstacle est une règle, une politique, une pratique, un obstacle physique, etc. qui a pour effet de priver la personne de l’égalité d’accès aux services offerts aux autres voyageurs par le fournisseur de services de transport;
-
si l’obstacle est « abusif ». Un obstacle est abusif à moins que le fournisseur de services de transport ne puisse prouver qu’il y a des contraintes qui rendraient l’élimination de l’obstacle déraisonnable, peu pratique ou impossible, de sorte qu’il ne peut pas fournir l’accommodement sans se voir imposer une contrainte excessive. Si l’obstacle est jugé abusif, l’Office ordonnera la prise de mesures correctives pour éliminer l’obstacle abusif.
QUESTION 1 : M. LOWE EST-IL UNE PERSONNE AYANT UNE DÉFICIENCE AU SENS DE LA PARTIE V DE LA LTC?
[3]
Pour déterminer s’il y a obstacle aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l’Office doit d’abord déterminer si la demande a été déposée par une personne ayant une déficience ou en son nom.
[4]
Dans le cas présent, M. Lowe a une mobilité réduite et il utilise une aide à la mobilité motorisée. WestJet ne conteste pas le fait que M. Lowe soit une personne ayant une déficience.
[5]
À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que M. Lowe est une personne ayant une déficience aux fins de l’application des dispositions en matière d’accessibilité de la LTC.
QUESTION 2 : LA POLITIQUE ET LES PROCÉDURES DE WESTJET RELATIVES AU REFUS D’ACCEPTER DE TRANSPORTER LES BATTERIES AU LITHIUM-ION POUR L'ALIMENTATION DES AIDES À LA MOBILITÉ CONSTITUENT-ELLES UN OBSTACLE ABUSIF AUX POSSIBILITÉS DE DÉPLACEMENT DES PERSONNES AYANT UNE DÉFICIENCE QUI UTILISENT CE GENRE D'AIDE, Y COMPRIS M. LOWE?
Démarche de l’Office pour conclure à l’existence d’un obstacle
[6]
L’Office définit un obstacle dans le réseau de transport fédéral comme étant une règle, une politique, une pratique, un obstacle physique, etc. qui est :
-
soit direct, c’est-à-dire qu’il s’applique à une personne ayant une déficience;
- soit indirect, c’est-à-dire que, bien qu’il soit le même pour tous, il a pour effet de priver une personne ayant une déficience d’un avantage;
-
et qui prive une personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services accessibles aux autres voyageurs de sorte que le fournisseur de services doit fournir un accommodement.
[7]
Pour qu’un obstacle existe, le problème doit être rattaché à la déficience de la personne. Par exemple, un problème de service à la clientèle ne devient pas un obstacle du simple fait qu’il est éprouvé par une personne ayant une déficience.
[8]
Les fournisseurs de services ont l’obligation d’offrir un accommodement aux personnes ayant une déficience. Une personne ayant une déficience rencontre un obstacle à ses possibilités de déplacement si elle démontre qu’elle a besoin d’un accommodement qu’on ne lui a pas fourni, ce qui revient à la priver de l’égalité d’accès aux services accessibles aux autres passagers dans le réseau de transport fédéral.
[9]
Un service ou une mesure dont le but est de répondre aux besoins liés à la déficience d’une personne est défini comme étant un « accommodement approprié ». S’il est déterminé que la personne a bénéficié d’un accommodement approprié, il est alors impossible de prétendre qu’elle a rencontré un obstacle.
Fardeau de la preuve
[10]
Il incombe au demandeur de fournir des éléments de preuve suffisamment convaincants pour établir son besoin d’accommodement et pour prouver que ce besoin n’a pas été satisfait. La norme de preuve qui s’applique au fardeau de la preuve est la prépondérance des probabilités.
Démarche de l’Office pour conclure à l’existence d’un obstacle abusif
[11]
Un obstacle est abusif à moins que le fournisseur de services puisse justifier son existence. Dès lors que l’Office a déterminé qu’une personne ayant une déficience a rencontré un obstacle, le fournisseur de services peut :
-
soit fournir l’accommodement approprié ou offrir une autre solution qui répond tout autant aux besoins de la personne liés à sa déficience. En pareil cas, l’Office déterminera les mesures correctives qui s’imposent pour s’assurer que l’accommodement approprié est fourni;
-
soit justifier l’existence de l’obstacle en prouvant qu’il ne peut pas raisonnablement fournir l’accommodement approprié ou toute autre forme d’accommodement raisonnable sans se voir imposer une contrainte excessive. À défaut de ce faire, l’Office ordonnera des mesures correctives pour s’assurer que l’accommodement est fourni.
[12]
Dans les situations où le fournisseur de services est d’avis qu’il ne peut pas fournir l’accommodement adapté aux besoins de la personne ayant une déficience, le fournisseur de services doit justifier l’existence de l’obstacle.
[13]
Le critère que doit respecter un fournisseur de services pour justifier l’existence d’un obstacle comporte trois éléments. Le fournisseur de services doit prouver :
-
que la source de l’obstacle est rationnellement liée à la fourniture du service de transport;
-
que la source de l’obstacle a été adoptée selon la conviction honnête et de bonne foi qu’elle était nécessaire pour fournir le service de transport;
-
qu’il ne peut fournir aucun accommodement sans se voir imposer une contrainte excessive.
Fardeau de la preuve
[14]
Il incombe au fournisseur de services de fournir des éléments de preuve suffisamment convaincants pour établir selon la prépondérance des probabilités que l’obstacle est justifié (c.‑à‑d. que la fourniture de l’accommodement entraînerait une contrainte excessive).
[15] Si un fournisseur de services s’acquitte du fardeau de la preuve, l’Office conclura que l’obstacle n’est pas abusif et il n’ordonnera pas de mesures correctives.
LE CAS PRÉSENT
Faits, éléments de preuve et présentations
M. Lowe
[16]
M. Lowe affirme qu’en dépit de l’additif no 4, édition de 2011-2012, des Instructions techniques pour la sécurité du transport aérien des marchandises dangereuses de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), qui sont en place depuis plus de deux ans, WestJet refuse de transporter les aides à la mobilité alimentées par des batteries au lithium-ion, comme l’aide à la mobilité que M. Lowe utilise.
[17]
M. Lowe souligne que le site Web de WestJet indique que les personnes ayant une déficience doivent faire savoir à WestJet si leur aide à la mobilité est alimentée par une batterie au lithium, et que certaines batteries au lithium ne peuvent pas être transportées dans la cabine ou avec les bagages enregistrés. M. Lowe souligne également que le site Web de WestJet précise que les quadriporteurs qui pèsent jusqu’à 45 kg (100 lb) et dont la batterie est expressément conçue pour être facilement enlevée, laquelle batterie n’est pas située à la base du quadriporteur, sont considérés comme des aides à la mobilité démontables dont les batteries ne peuvent être transportées dans la cabine, avec les bagages enregistrés ou en tant que marchandises pour le moment.
[18]
M. Lowe ajoute que le site Web indique que des modifications pourraient être apportées aux lignes directrices et aux procédures de WestJet à mesure que l’utilisation des batteries au lithium se généralise, et il affirme que ces batteries sont classées comme des marchandises dangereuses, de sorte que des restrictions s’appliquent, et qu’il faut obtenir une autorisation pour transporter ces articles parce qu’ils nécessitent des mesures de sécurité supplémentaires relativement à la manutention et à l’emballage.
[19]
Selon M. Lowe, même si WestJet affirme qu’elle fait tout ce qu’elle peut pour achever le processus d’approbation, elle n’a pas élaboré de procédures internes même si elle disposait de presque 28 mois pour le faire depuis la publication de l’additif de l’OACI. Il fait valoir que d’autres transporteurs aériens ont mené à bien leur processus interne en 30 jours.
WestJet
[20]
WestJet reconnaît que son refus actuel d’accepter de transporter dans la cabine d’un aéronef les batteries au lithium-ion pour l’alimentation des aides à la mobilité constitue un obstacle pour les personnes ayant une déficience qui utilisent une aide à la mobilité alimentée par ce type de batterie.
[21]
WestJet souligne qu’elle accepte actuellement de transporter ces batteries à bord de ses vols exploités par Thomas Cook à destination et en provenance d’Hawaii, ce qui ne cadre pas avec les vols exploités par WestJet. WestJet affirme donc que son manuel d’exploitation au sol, son manuel de personnel de bord, son manuel d’exploitation de la compagnie et son manuel d’exploitation des vols doivent être mis à jour afin d’assurer l’acceptation universelle en fonction des directives de l’OACI et sous réserve de l’approbation de Transports Canada.
[22]
WestJet précise que ses procédures incluront l’acceptation par des agents qualifiés qui s’assureront que les batteries ne sont pas endommagées; les procédures prévoiront également le rangement des batteries dans un sac du fabricant ou son équivalent pour les placer dans les compartiments de rangement supérieurs. WestJet fait valoir que sa base de données de référence générale interne, qui est utilisée par les agents des aéroports et des centres d’appels, et le site Web public seront mis à jour en conséquence.
[23]
WestJet affirme qu’elle prévoit présenter tous les bulletins sur les manuels réglementés et toutes les révisions à Transports Canada au cours de la première semaine d’août 2014. WestJet ajoute que sa date cible pour achever l’élaboration de procédures pour les aéroports, les vols, et l’exploitation au sol et en vol est le 30 août 2014. WestJet fait valoir qu’elle fait tout son possible pour achever le processus d’approbation de ses procédures. Elle ajoute toutefois qu’elle n’exerce aucun contrôle sur le processus d’approbation ou le calendrier des documents réglementés comme le manuel du personnel de bord, qui sont assujettis à la disponibilité des ressources de Transports Canada.
Analyse et constatations
[24]
L’Office est d’avis que, pour bénéficier de l’égalité d’accès au réseau de transport fédéral de la même façon que tout autre voyageur, une personne ayant une déficience qui a besoin d’une aide à la mobilité alimentée par une batterie doit être en mesure de voyager avec son aide à la mobilité. La politique de WestJet qui consiste à refuser de transporter les batteries au lithium-ion pour l’alimentation des aides à la mobilité ne permet pas à une personne ayant une déficience qui a besoin d’une aide à la mobilité alimentée par une batterie au lithium-ion de voyager avec l’aide.
[25]
WestJet admet dans sa réponse que sa politique constitue un obstacle pour les personnes ayant une déficience qui utilisent une aide à la mobilité alimentée par une batterie au lithium-ion. L’Office accepte l’aveu de WestJet, et conclut donc que la politique et les procédures de WestJet relatives au refus de transporter des batteries au lithium-ion pour l’alimentation des aides à la mobilité constituent un obstacle aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience qui utilisent ce genre d’aide, y compris M. Lowe.
[26]
En tant que fournisseur de services, WestJet a le fardeau de prouver que l’obstacle que présentent sa politique et ses procédures n’est pas abusif. WestJet n’a présenté aucun élément de preuve qui justifie l’existence de l’obstacle que présente son refus de transporter des aides à la mobilité alimentées par des batteries au lithium-ion ou qui prouve qu’il y a des contraintes qui rendraient l’élimination de l’obstacle une contrainte excessive. En fait, WestJet élabore présentement des politiques et des procédures pour l’acceptation de transporter ces aides à la mobilité.
[27]
L’Office conclut donc que la politique et les procédures de WestJet relatives au refus de transporter des batteries au lithium-ion pour l’alimentation des aides à la mobilité constituent un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience qui utilisent ce genre d’aide, y compris M. Lowe.
ORDONNANCE
[28]
À la lumière de la constatation susmentionnée concernant l’obstacle abusif, l’Office enjoint à WestJet d’achever et de mettre en œuvre une politique et des procédures qui l’autoriseront à accepter les aides à la mobilité alimentées par des batteries au lithium-ion, au plus tard le 4 septembre 2014.
Si WestJet estime avoir besoin d’un délai supplémentaire pour mettre en œuvre sa politique et ses procédures, elle devra soumettre à l’Office un calendrier et une justification aux fins d’examen et d’approbation.
Membre(s)
- Date de modification :