Décision n° 31-C-A-2018

le 6 avril 2018

DEMANDE présentée par Revaben Patel contre Air India Limited (Air India) et Air Canada exerçant également son activité sous le nom d’Air Canada rouge et d’Air Canada Cargo (Air Canada).

Numéro de cas : 
17-03078

RÉSUMÉ

[1] Revaben Patel a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Air India concernant son refus de la transporter de Toronto (Ontario), Canada, à Ahmedabad, en Inde, via Londres, au Royaume-Uni, le 21 septembre 2016.

[2] Mme Patel réclame une indemnisation de 8 053,56 $CAN, qui comprend 1 504,16 $CAN pour le billet qu’elle a dû acheter après s’être vu refuser le transport, 2 549,40 $CAN pour le coût de son billet original, 2 000 $CAN pour l’hébergement à Delhi en Inde, et 2 000 $CAN pour l’hébergement non remboursable à Londres que Mme Patel n’a pu utiliser parce qu’elle n’a pas transité par Londres.

[3] Les actes de procédure ont été ouverts et les défendeurs sont Air Canada (le transporteur exploitant) et Air India (le transporteur commercial).

[4] L’Office se penchera sur la question suivante :

Air India a-t-elle correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif intitulé International Scheduled Tariff NTA(A) No. 317 (tarif), relativement au refus de transport, conformément au paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié (RTA), lorsqu’elle a refusé de transporter Mme Patel? Si Air India n’a pas correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif, quel recours, le cas échéant, est à la disposition de Mme Patel?

[5] Pour les raisons énoncées ci-après, l’Office conclut qu’Air Canada, agissant en tant que transporteur exploitant le vol d’Air India, a correctement appliqué les conditions énoncées dans la règle 25 du tarif d’Air India lorsqu’elle a refusé de transporter Mme Patel le 21 septembre 2016. Par conséquent, l’Office rejette la demande.

CONTEXTE

[6] Mme Patel a acheté un billet d’Air India pour un vol le 14 mai 2016 d’Ahmedabad à Toronto via Londres, avec un vol de retour le 21 septembre 2016, de Toronto à Ahmedabad via Londres. Le vol de Toronto à Londres était un vol en partage de code exploité par Air Canada.

[7] Mme Patel, citoyenne indienne, est arrivée au Canada le 14 mai 2016 avec un visa à entrées multiples valide jusqu’au 25 août 2016. À son arrivée, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada a estampillé son passeport avec une date qui lui permettait de rester au Canada pendant une période maximale de six mois, soit jusqu’au 13 novembre 2016.

[8] Le 21 septembre 2016, Mme Patel s’est vu refuser le transport par Air Canada pour son vol de Toronto à Londres, car celle-ci était d’avis que Mme Patel ne pourrait pas transiter par Londres parce qu’elle ne détenait pas les documents de voyage requis.

[9] L’agent d’Air Canada a indiqué à Mme Patel qu’elle devait acheter un nouveau billet pour un vol ne passant pas par le Royaume-Uni. Mme Patel a acheté un nouveau billet pour un vol de Toronto à Delhi, puis de Delhi à Ahmedabad.

OBSERVATION PRÉLIMINAIRE

[10] L’Office s’est penché sur la question de savoir lequel des tarifs d’Air Canada ou d’Air India s’appliquait à l’itinéraire de Mme Patel. L'itinéraire de Mme Patel  comprenait un vol de Toronto à Ahmebadad via Londres. Le vol de Toronto à Londres était un vol en partage de code entre Air Canada et Air India, qui portait initialement le n° AI7310, et était exploité par Air Canada. Le vol de Londres à Ahmebadad était exploité par Air India.

[11] Le partage de code constitue une entente entre des transporteurs aériens dans le cadre de laquelle un transporteur aérien (transporteur commercial) vend des services de transport en son nom (sous son code) sur des vols exploités par le transporteur aérien partenaire (transporteur exploitant), et le tarif du transporteur commercial s’applique à l’ensemble du voyage. Dans la décision n° 287‑C‑A-2009, au paragraphe 55, l’Office a indiqué ce qui suit :

Relativement à la présentation d’Air Canada, selon [lequel] dans le cadre d’un accord de partage de code les conditions du transporteur qui exploite le vol s’appliquent, l’Office rappelle au transporteur que ce point de vue est incompatible avec les décisions de l’Office relatives aux demandes d’autorisation de partage de code. Ces décisions énoncent la condition que le transporteur qui vend le billet au passager doit appliquer ses tarifs publiés, déposés au dossier de l’Office et en vigueur, même si un autre transporteur exploite le vol.

[12] Le billet de Mme Patel indique qu’Air India était le transporteur commercial. En conséquence c’est son tarif qui s’applique dans le cas présent.

LA LOI

[13] Le paragraphe 110(4) du RTA exige que le transporteur aérien, lors de l’exploitation d’un service international, applique correctement les conditions de transport énoncées dans son tarif.

[14] Si l’Office conclut qu’un transporteur aérien n’a pas correctement appliqué son tarif, l’article 113.1 du RTA confère à l’Office le pouvoir d’ordonner au transporteur :

  1. de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées;
  2. de verser des indemnités à quiconque pour toutes dépenses qu’il a supportées en raison de la non-application de ces prix, taux, frais ou conditions de transport.

[15] La règle 25(A) du tarif d’Air India porte sur les conditions entourant le refus de transport :

[traduction]

REFUS, ANNULATION OU DÉBARQUEMENT

(1). Le transporteur refusera le transport au passager, annulera sa place réservée ou le fera débarquer en cours de route :

[…]

(b) Lorsqu’une telle mesure est nécessaire pour prévenir la violation de toutes lois ou ordonnances, ou de tous règlements applicables de tout État ou pays de destination, d’origine ou devant être survolé;

[…]

(3) Sous réserve des dispositions de la règle 87 (COMPENSATION POUR REFUS D’EMBARQUEMENT) le seul recours qui s’offre à toute personne qui se voit ainsi refuser l’embarquement ou que l’on débarque en route pour l’une ou l’autre des raisons précitées est le remboursement de toute partie inutilisée de son ou ses billets, comme le prévoit la règle 90 ci-après (REMBOURSEMENTS).

[16] La règle 45 du tarif d’Air India énonce les conditions entourant les documents de voyage :

[traduction]

FORMALITÉS ADMINISTRATIVES – PASSEPORTS, VISAS ET CARTES DE TOURISTE

(A) OBSERVATION DES RÈGLEMENTS

Le passager doit se conformer à toutes les lois, ordonnances et requêtes, à tous les règlements, ou à toutes les exigences des pays d'origine, de destination ou de transit, ainsi qu'à toutes les règles et directives et tous les règlements du transporteur. […]

[...]

(B) PASSEPORTS ET VISAS

(1) Sur demande, le passager est tenu de présenter tous les documents de sortie, d’entrée et autres documents requis par les lois, les règlements, les ordonnances, les demandes ou les exigences des États en question. Le transporteur n’est pas responsable envers le passager des pertes subies ni des frais engagés en raison de son défaut d’obtenir les documents requis, peu importe que le transporteur fournisse ou non le transport au passager. Le transporteur refusera le transport à tout passager qui, au su du transporteur, ne se conforme pas aux lois, aux règlements ou aux exigences des États en question relativement aux documents de sortie, d’entrée et autres documents applicables, et le transporteur n’est pas responsable envers le passager des pertes subies ni des frais engagés en raison du refus du transporteur de transporter le passager.

POSITIONS DES PARTIES ET CONSTATATIONS DE FAITS

Position de Mme Patel

[17] Mme Patel fait valoir que le personnel d’Air Canada lui a refusé à tort l’embarquement à Toronto le 21 septembre 2016 pour le segment de son itinéraire de Toronto à Londres. (Comme il a été indiqué plus haut, il s’agissait du segment de son itinéraire avec Air India ce jour-là qui était exploité par Air Canada.) Mme Patel fait valoir qu’elle n’avait pas besoin de visa canadien de visiteur pour transiter par Londres, car elle avait été en sol canadien au cours des six derniers mois et pouvait donc utiliser un visa expiré. Elle fait donc valoir qu’Air Canada n’a pas correctement appliqué l’élément pertinent de son tarif.

[18] Selon Mme Patel, le manuel d’information de voyage (TIM), publié par l’Association du transport aérien international (IATA), prévoit que lorsqu’ils transitent par le Royaume-Uni, les passagers peuvent y faire un arrêt côté ville s’ils prennent un vol en partance du Canada moins de six mois après la date à laquelle ils sont entrés au Canada, même si leur visa est expiré. Selon Mme Patel, il est également indiqué dans le TIM qu’un passager peut prendre un vol à destination le même jour s’il part du même aéroport sans passer par les services frontaliers du Royaume-Uni.

[19] Mme Patel affirme qu’une de ses amies qui avait des documents identiques aux siens (c.-à-d. un passeport indien et un visa expiré, et qui voyageait avant l’expiration de l’estampe d’autorisation de séjour) , a été autorisée à prendre le même vol le 21 septembre 2016.

[20] Mme Patel affirme qu’elle a été en mesure d’entrer au Canada à partir des États-Unis d’Amérique à la frontière de Niagara Falls le 18 septembre 201[6], après l’expiration de son visa canadien de visiteur.

Position d’Air Canada

[21] Air Canada indique que Mme Patel s’est vu refuser le transport parce qu’elle ne détenait pas les documents nécessaires pour transiter par le Royaume-Uni. Air Canada affirme que le visa canadien de visiteur de Mme Patel a expiré le 25 août 2016, et n’était donc pas valide au moment du vol le 21 septembre 2016, et deviendrait donc nul et non avenu après son départ du Canada.

[22] Air Canada fait valoir que comme Mme Patel ne détenait pas tous les documents de voyage nécessaires, elle ne se conformait pas à toutes les exigences de voyage des États en question, et Air Canada était dans son droit de lui refuser le transport. Air Canada affirme que selon l’information concernant son itinéraire dans le TIM, Mme Patel n’aurait pas été autorisée à transiter par Londres à destination de l’Inde. Air Canada fait également valoir que le passager a la responsabilité de se conformer à toutes les exigences de voyage des États en question.

[23] Air Canada indique également que même si son interprétation du TIM et de la validité des documents de voyage de Mme Patel était incorrecte, elle n’est pas responsable du préjudice subi par Mme Patel, parce qu’elle a fait cette interprétation de bonne foi.

Position d’Air India

[24] Air India affirme que Mme Patel s’est vu refuser le transport parce qu’elle ne détenait pas les documents de voyage requis. Air India indique que pour établir les exigences qui permettraient à Mme Patel de transiter par Londres, Air Canada s’est appuyée sur le TIM de l’IATA, dans lequel il est indiqué que les citoyens indiens qui transitent par Londres doivent détenir un visa canadien de visiteur valide, ou encore un visa de transit aéroportuaire direct (VTAD) pour le Royaume-Uni. Air India fait valoir que l’énoncé du TIM auquel Mme Patel fait référence porte sur le transit côté ville, et n’est donc pas pertinent au cas présent. Air India indique que les exigences de transit côté piste s’appliquent au cas présent.

[25] Air India affirme avoir remboursé à Mme Patel la portion inutilisée de son billet, après avoir déduit les pénalités, soit un montant de 96,06 $CAN.

Constatations de faits

[26] Les parties ne contestent pas le fait que le visa canadien de visiteur de Mme Patel expirait le 25 août 2016, avant la date de son vol du 21 septembre 2016. De plus, Air Canada s’est appuyée sur ce fait pour lui refuser l’embarquement ce jour-là pour son vol de Toronto à Londres.

ANALYSE ET DÉTERMINATIONS

[27] Conformément à un principe bien établi sur lequel s’appuie l’Office lorsqu’il examine de telles demandes, il incombe au demandeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur n’a pas correctement appliqué les conditions de transport énoncées dans son tarif ou qu’il ne les a pas appliquées de façon uniforme.

[28] La règle 45(B)(1) du tarif d’Air India prévoit qu’Air India peut refuser de transporter un passager s’il semble ne pas détenir des documents de voyage valides. Air Canada s’est appuyée sur le TIM, qui prévoit que les citoyens indiens transitant par Londres doivent détenir un visa canadien de visiteur ou encore un VATD pour le Royaume-Uni.

[29] L’Office conclut que les exigences de transit côté ville auxquelles Mme Patel fait référence ne s’appliquent pas à ses déplacements, car elles s’appliquent aux passagers qui passent les services frontaliers du Royaume-Uni (pour enregistrer de nouveau leurs bagages, y passer la nuit, ou changer d’aéroport). Le transit côté piste inclut toutefois toutes les zones sécurisées dans un aéroport auxquelles on accède par aéronef (p. ex., portes d’embarquement). Dans le cas présent, comme Mme Patel restait à l’intérieur des zones sécurisées de l’aéroport et ne devait pas passer par les services frontaliers du Royaume-Uni pour refaire l’enregistrement de ses bagages, y passer la nuit, ou encore changer d’aéroport, elle effectuait un transit côté piste.

[30] La validité du TIM a déjà été reconnue par l’Office dans des décisions antérieures. Dans la décision n° 178-C-A-2008, l’Office a affirmé que le TIM est un document reconnu dans l’industrie du transport aérien comme étant une source d’information fiable en ce qui a trait aux exigences en matière d’entrée dans divers pays, et qu’il est raisonnable pour un transporteur de se servir du TIM pour établir les exigences d’entrée dans divers pays.

[31] Même si Mme Patel fait valoir qu’une autre personne ayant les mêmes documents de voyage a été autorisée à prendre le même vol, l’Office note que la seule question qu’il a à trancher est de savoir si Air Canada a correctement appliqué le tarif d’Air India lorsqu’elle a refusé le transport à Mme Patel.

[32] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut qu’il était légitime pour Air India de s’appuyer sur le TIM pour déterminer les exigences en matière d’entrée au Royaume-Uni, et que son refus de transporter Mme Patel était approprié compte tenu des renseignements fournis dans le TIM.

[33] L’Office conclut que Mme Patel n’a pas démontré qu’Air Canada, en tant que transporteur commercial pour le vol d’Air India, n’a pas correctement appliqué les conditions de transport énoncées dans le tarif d’Air India. Pour ces raisons, l’Office conclut qu’Air Canada a correctement appliqué le tarif d’Air India lorsqu’elle a refusé de transporter Mme Patel le 21 septembre 2016.

CONCLUSION

[34] L’Office rejette la demande.

Membre(s)

William G. McMurray
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