Décision n° 336-AT-A-2004

le 18 juin 2004

le 18 juin 2004

DEMANDE présentée par Michel Charbonneau en vertu des paragraphes 172(1) et 172(3) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, concernant les difficultés qu'il a éprouvées dans le cadre de son voyage aller-retour avec Swiss International Air Lines Ltd. exerçant également son activité sous le nom de Swiss, entre Montréal (Québec), au Canada, et Nice, en France, via Zurich, en Suisse, au départ le 8 janvier et de retour le 6 février 2004.

Référence no U3570/04-10


DEMANDE

[1] Le 20 février 2004, Michel Charbonneau a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la demande énoncée dans l'intitulé.

[2] Le 16 mars 2004, Swiss International Air Lines Ltd. exerçant également son activité sous le nom de Swiss (ci-après Swiss) a déposé sa réponse à la demande. Le 22 mars 2004, M. Charbonneau a déposé sa réplique à la réponse de Swiss.

[3] Par la décision no LET-AT-A-107-2004 du 16 avril 2004, l'Office a sollicité les commentaires de Voyages Maritime @ la Baie (ci-après Voyages Maritime), l'agence de voyages qui a vendu les billets à M. Charbonneau. Le 17 mai 2004, Voyages Maritime a déposé son mémoire en réponse à la décision no LET-AT-A-107-2004. M. Charbonneau a fait part de ses observations le 25 mai 2004.

[4] Le 16 avril 2004, par voie de la décision no LET-AT-A-108-2004, l'Office a demandé des renseignements supplémentaires à Swiss et à M. Charbonneau. Le 28 avril 2004, M. Charbonneau a répondu à la décision no LET-AT-A-108-2004. Les 20 et 22 avril 2004, Swiss a déposé quelques-uns des renseignements demandés et fourni une copie du dossier passagers rendant compte du voyage des Charbonneau. Le 29 avril 2004, Swiss a demandé une prolongation jusqu'au 13 mai 2004 pour déposer les renseignements manquants, ce à quoi l'Office a acquiescé par la décision no LET-AT-A-126-2004 du 3 mai 2004. Le 12 mai 2004, Swiss a fourni lesdits renseignements et M. Charbonneau a fait part de ses observations sur ceux-ci le 24 mai 2004.

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

[5] Même si Voyages Maritime a déposé son mémoire après le délai prescrit, l'Office, en vertu de l'article 8 des Règles générales de l'Office national des transports, DORS/88-23, l'accepte le jugeant pertinent et nécessaire à son examen de la présente affaire.

[6] Dans sa demande, M. Charbonneau a soulevé le fait qu'il a dû débourser des frais supplémentaires de 419 $ CAN pour lui et son épouse pour le vol de Zurich à Nice. L'Office note que, selon les explications fournies par Swiss: 1) les billets achetés par M. et Mme Charbonneau comportaient certaines conditions, dont l'imposition de frais (CHF 200.00 par personne) pour apporter un changement aux billets après le commencement du voyage; 2) de tels frais sont imposés à tous les passagers, y compris ceux qui ont une déficience, qui désirent apporter un changement à leur billet d'avion après le commencement du voyage; et 3), selon la déclaration écrite faite sous serment par l'agent au sol, les frais additionnels de 419 $CAN ont été établis conformément au tarif applicable. L'Office fait observer que cette question est liée au service à la clientèle et non à la déficience de M. Charbonneau. L'Office n'en tiendra donc pas compte dans le cadre de son examen de la présente demande en vertu de l'article 172 de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC).

QUESTION

[7] L'Office doit déterminer si les sièges assignés à M. Charbonneau, lors du voyage aller retour entre Montréal (Québec), au Canada et Nice, en France, et le niveau d'assistance que Swiss lui a offert au débarquement à Nice ont constitué des obstacles abusifs à ses possibilités de déplacement, et, dans l'affirmative, quelles mesures correctives s'imposent.

FAITS

[8] M. Charbonneau marche avec l'aide d'appareils fixés à ses jambes et ne peut pas plier les jambes. Pour ces raisons, il requiert un siège avec suffisamment de dégagement aux jambes lorsqu'il voyage. Le 15 octobre 2003, M. Charbonneau a réservé, par l'entremise de son agent de voyages de l'agence Voyages Maritime, un voyage aller-retour pour lui et son épouse avec Swiss entre Montréal et Nice, avec escale à Zurich. Le départ de Montréal était prévu en janvier 2004. Au moment de la réservation, M. Charbonneau a fait part à son agent de voyages de son besoin d'un siège offrant plus d'espace pour les jambes.

[9] Les billets achetés par les Charbonneau donnaient droit à un transport en classe économique, à l'aller et au retour, entre Montréal et Nice, via Zurich, et comportaient des conditions relativement aux changements de réservations après le départ effectif.

[10] Le dossier passagers reflète qu'en date du 9 décembre 2003, les sièges 39A et B, situés à l'arrière de l'aéronef, ont été attribués aux Charbonneau pour le vol transatlantique vers Zurich. Cependant, le 29 décembre 2003, à la suite d'une demande de Voyages Maritime, on leur a réassigné les sièges 17G et J, situés dans la première rangée de sièges en classe économique, pour le vol transatlantique vers Zurich. On leur a de plus réservé les sièges 17B et D pour le vol transatlantique vers Montréal, puis les sièges 14A et B pour le vol entre Zurich et Nice et les sièges 17E et F pour le vol de retour entre Nice et Zurich. Le dossier passagers ne fait aucune mention de la déficience de M. Charbonneau et ne fait état d'aucune demande pour un siège particulier ni d'une demande d'assistance.

[11] M. Charbonneau et son épouse ont voyagé de Montréal à Nice, via Zurich, le 8 janvier 2004 et de Nice à Montréal, via Zurich, le 6 février 2004. L'aéronef utilisé pour les deux vols transatlantiques entre Montréal et Zurich était un Airbus A330-223 pouvant transporter entre 196 et 230 passagers. Pour les deux vols entre Zurich et Nice, l'aéronef utilisé était un BAE Avro RJ100 de 97 places; il n'y a aucune distinction entre les sièges et les dégagements aux jambes en classe affaires et ceux en classe économique à bord de tels aéronefs.

[12] À Montréal, au comptoir d'enregistrement, les Charbonneau se sont vu offrir les sièges 17J et K (côté allée et côté hublot) au lieu des sièges 17G et J. Cependant, une fois à bord de l'aéronef, parce que le siège qu'on lui a assigné ne lui procurait pas suffisamment d'espace pour les jambes, M. Charbonneau a accepté un surclassement en classe affaires, pour lui et son épouse, et payé la somme de 650 $CAN applicable pour l'aller-retour. M. Charbonneau et son épouse ont pris place en classe affaires sur les vols transatlantiques, dans les sièges 12D et G à l'aller et dans les sièges 9J et K au retour.

[13] Lors du vol de Zurich à Nice, M. Charbonneau a voyagé avec les deux jambes allongées au milieu de l'allée car aucun siège ne pouvait lui offrir un dégagement aux jambes suffisant. À l'arrivée du vol à Nice, deux employés de Swiss sont venus prêter assistance à M. Charbonneau au débarquement; ils l'ont installé dans une chaise roulante puis descendu manuellement dans l'escalier de l'aéronef.

[14] Pour le vol de retour de Nice à Zurich, le 6 février 2004, M. Charbonneau était assis dans un siège d'une rangée de trois, avec les appuis bras baissés et le dos appuyé contre le hublot.

[15] Selon la politique de Swiss concernant la prestation de services spéciaux, par exemples l'assignation de sièges offrant la possibilité d'étendre les jambes horizontalement ou l'utilisation d'un support mécanique pour les jambes, ou encore les demandes d'assistance à l'embarquement et au débarquement, y compris l'assistance avec fauteuil roulant, de tels services sont fournis lorsque Swiss en est informée à l'avance, et ce tout à fait gratuitement, sauf dans les cas où des sièges supplémentaires sont requis pour l'installation d'une civière ou lorsqu'un passager est tenu de voyager avec un accompagnateur.

POSITIONS DES PARTIES

[16] M. Charbonneau fait valoir qu'il a fait des réservations pour un vol partant de Montréal le 8 janvier et arrivant à Nice le 9 janvier, via Zurich, avec le transporteur Swiss par l'entremise de Voyages Maritime.

[17] M. Charbonneau allègue qu'il a fait part à son agent de voyages de son besoin d'un siège offrant plus d'espace pour les jambes. M. Charbonneau déclare qu'après être monté à bord de l'aéronef assurant la liaison Montréal-Zurich, il s'est aperçu que le siège qui lui était assigné ne procurait pas un dégagement aux jambes suffisant et il a dû débourser un supplément pour obtenir un siège en classe affaires. M. Charbonneau affirme s'être senti humilié d'avoir à marchander le prix d'un siège, devant tous les autres passagers qui avaient déjà pris place dans l'aéronef, alors qu'il y avait amplement de sièges libres en classe affaires.

[18] Voyages Maritime déclare avoir indiqué à Swiss que M. Charbonneau avait besoin d'un siège offrant plus d'espace pour les jambes. Elle allègue aussi avoir offert aux Charbonneau des places en classe affaires au prix de 3 000 $ par personne et que ceux-ci ont refusé. M. Charbonneau réfute cette allégation.

[19] M. Charbonneau mentionne que lors du vol de Zurich à Nice, il a voyagé avec les deux jambes allongées au milieu de l'allée, puisqu'aucun des sièges ne lui offrait suffisamment d'espace pour les jambes, et que cela a contraint les autres passagers à l'enjamber au passage dans l'allée.

[20] M. Charbonneau déclare qu'au moment du débarquement à Nice, il a été installé dans un fauteuil roulant et que deux hommes l'ont par la suite descendu manuellement dans l'escalier de l'aéronef puisqu'il n'y a pas d'élévateur ou de « bus élévateur » à Nice.

[21] M. Charbonneau fait valoir que pour le vol de retour de Nice à Zurich, le transporteur, n'ayant pas de siège offrant assez d'espace pour ses jambes, Swiss lui a fait prendre place dans un siège d'une rangée de trois, avec les appuis bras baissés et le dos appuyé contre le hublot.

[22] Par suite des incidents décrits ci-dessus, M. Charbonneau demande que l'Office ordonne à Swiss de lui rembourser les frais de 1 069 $ qu'il a engagés et de lui accorder une indemnisation exemplaire pour les humiliations subies.

[23] Swiss indique ne pas avoir reçu la demande de M. Charbonneau pour un siège procurant plus d'espace pour les jambes. À cet égard, Swiss fait valoir que le dossier passagers ne fait état d'aucune demande de la sorte et ne fait aucune mention de la déficience de M. Charbonneau.

[24] Swiss affirme que, pour le vol transatlantique, des places situées à l'arrière de l'aéronef avait initialement été attribuées aux Charbonneau, mais que, par la suite, des sièges (sièges 17G et J) leur ont été réassignés dans la première rangée de sièges en classe économique, lesquels procurent plus d'espace pour les jambes. Le même genre de sièges leur ont été réservés à leur retour (sièges 17B et D).

[25] Swiss déclare qu'au comptoir d'enregistrement à Montréal, M. et Mme Charbonneau se sont vu offrir, les sièges 17J et K (côté allée et côté hublot) qu'ils ont immédiatement acceptés. Swiss ajoute que l'adjoint du chef d'escale, après avoir constaté que M. Charbonneau marchait avec l'aide d'appareils fixés à ses jambes, lui a fait savoir que les sièges qui leur avaient été assignés étaient les sièges, en classe économique, qui offraient le plus d'espace pour les jambes.

[26] Swiss allègue que, peu de temps avant le départ du vol, l'adjoint du chef d'escale a réalisé que les Charbonneau avaient pris place dans la première rangée de sièges de la classe affaires (sièges 11J et K). Swiss déclare que l'adjoint du chef d'escale a alors demandé aux Charbonneau de reprendre leurs places en classe économique et que ce n'est qu'à ce moment qu'il s'est rendu compte que M. Charbonneau ne pouvait pas du tout plier les jambes. Swiss précise que M. Charbonneau n'en avait pas fait état au personnel auparavant, ni au comptoir d'enregistrement, ni lors de l'embarquement. Swiss fait valoir que l'adjoint du chef d'escale a proposé à M. et Mme Charbonneau de garder les sièges 11J et K et de payer les frais applicables à leur surclassement en classe affaires pour les vols transatlantiques au prix global de 650 $CAN.

[27] Dans sa réplique, M. Charbonneau affirme que lui et son épouse n'étaient aucunement satisfaits des sièges qu'on leur a assignés à l'enregistrement. Il précise qu'ils ont plutôt immédiatement signalé à l'agent de bord qui venait de leur assigner les sièges que ceux-ci n'étaient pas adéquats. M. Charbonneau signale que c'est l'agent de bord qui les a fait passer en classe affaires en attendant que l'adjoint du chef d'escale vienne régler la situation. M. Charbonneau ajoute que ni lui ni son épouse n'ont jamais pris la liberté d'aller s'asseoir en classe affaires.

[28] Pour ce qui est de sa déficience, M. Charbonneau soutient que c'est l'adjoint du chef d'escale à Montréal qui les a fait passer devant la file d'attente à l'aéroport et que c'est aussi ce même employé qui les a fait embarquer les premiers à bord de l'aéronef à cause de sa déficience. De plus, M. Charbonneau explique qu'il a bien précisé, au moment de l'embarquement, qu'il souhaitait que son siège réponde à ses besoins et qu'il en avait fait part à plusieurs reprises à l'agent de voyages.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

[29] Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.

[30] La demande doit être présentée par une personne ayant une déficience ou en son nom. M. Charbonneau marche avec l'aide d'appareils fixés à ses jambes et il ne peut pas plier les jambes. Il est donc une personne ayant une déficience aux fins de l'application des dispositions d'accessibilité de la LTC.

[31] Pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si les possibilités de déplacement de la personne qui présente la demande ont été restreintes ou limitées par un obstacle. Le cas échéant, l'Office doit alors décider si l'obstacle était abusif. Pour répondre à ces questions, l'Office doit tenir compte des circonstances de l'affaire dont il est saisi.

Les possibilités de déplacement ont-elles été restreintes ou limitées par un obstacle ?

[32] L'expression « obstacle » n'est pas définie dans la LTC, ce qui donne à penser que le Parlement ne voulait pas limiter la compétence de l'Office compte tenu de son mandat d'éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. De plus, le terme « obstacle » a un sens large et s'entend habituellement d'une chose qui entrave le progrès ou la réalisation.

[33] Pour déterminer si une situation constitue ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience dans un cas donné, l'Office se penche sur les déplacements de cette personne qui sont relatés dans la demande. Dans le passé, l'Office a conclu qu'il y avait eu des obstacles dans plusieurs circonstances différentes. Par exemple, dans certains cas des personnes n'ont pas pu voyager, d'autres ont été blessées durant leurs déplacements (notamment quand l'absence d'installations convenables durant le déplacement affecte la condition physique du passager) et d'autres encore ont été privées de leurs aides à la mobilité endommagées pendant le transport. De plus, l'Office a identifié des obstacles dans les cas où des personnes ont finalement été en mesure de voyager, mais les circonstances découlant de l'expérience ont été telles qu'elles ont miné leur sentiment de confiance, de dignité, de sécurité, situation qui pourrait décourager ces personnes de voyager à l'avenir.

Le cas présent

Assignation des sièges

Montréal-Zurich et Zurich-Montréal

[34] M. Charbonneau a indiqué qu'il avait fait part à son agent de voyages de son besoin d'un siège offrant plus d'espace pour les jambes.

[35] Le dossier passagers du transporteur ne fait aucune mention de la déficience de M. Charbonneau ni état d'une demande d'assistance ou de siège pour répondre à des besoins précis. À la fin décembre 2003, Voyages Maritime a indiqué à Swiss que M. Charbonneau avait besoin d'un siège offrant plus d'espace pour les jambes et, en réponse, Swiss a assigné à M. et Mme Charbonneau des sièges en classe économique situés dans la rangée 17, lesquels sont les sièges qui offrent le plus d'espace pour les jambes. Parce que M. Charbonneau ne pouvait plier ses jambes, un siège en classe affaires lui a été assigné, moyennant le paiement d'un supplément. M. Charbonneau a mentionné qu'il s'est senti humilié d'avoir à marchander le prix d'un siège devant tous les autres passagers qui avaient déjà pris place à bord de l'avion.

[36] L'Office estime qu'il incombe aux transporteurs aériens de s'adapter et de répondre aux besoins des passagers ayant une déficience. À cet égard, les transporteurs aériens ont adopté des politiques et mis des procédures en place. Ils doivent cependant connaître les besoins spécifiques de ces passagers afin d'assurer que les politiques et procédures en place soient appliquées. Dans le cas présent, il semble que l'agent de voyages a omis d'informer Swiss que M. Charbonneau est une personne ayant une déficience et qu'il a des besoins précis en matière de siège. L'agent de voyages a simplement indiqué que M. Charbonneau avait besoin d'espace supplémentaire pour ses jambes. Ainsi, Swiss n'a pas été informée à l'avance de la déficience et des besoins particuliers de M. Charbonneau.

[37] L'Office est d'avis que le personnel de Swiss a pris les mesures appropriées en l'espèce. Voyant que le siège assigné à M. Charbonneau en classe économique ne répondait pas à ses besoins, le personnel du transporteur lui a offert, à prix réduit, un siège en classe affaires. Dans ces circonstances, l'Office estime que le siège de la classe économique assigné à M. Charbonneau par Swiss pour le vol entre Montréal et Zurich n'a pas constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement puisque ce siège était celui qui, en classe économique, offrait le plus d'espace pour les jambes. De plus, après avoir payer un supplément, M. Charbonneau a pu prendre place dans un siège répondant à ses besoins, en classe affaires.

[38] Les agences de voyages et les voyagistes ne relèvent pas de la compétence de l'Office, mais ce dernier reconnaît que, parce qu'ils agissent comme intermédiaires entre les passagers ayant une déficience et les fournisseurs de services de transport, ils ont un rôle important à jouer sur le plan de l'accessibilité du réseau de transport fédéral. Ils doivent connaître les politiques et procédures des transporteurs portant sur le transport des passagers ayant une déficience et doivent s'assurer que toute information pertinente soit transmise adéquatement aux passagers ayant une déficience afin de permettre à ceux-ci de prendre des décisions éclairées à la lumière des services que fournit le transporteur et de leurs besoins particuliers en matière de transport. De plus, des procédures simples devraient être en place pour assurer la transmission des renseignements fournis par une personne ayant une déficience au sujet de ses besoins spécifiques entre les agents de voyages, les voyagistes et les transporteurs, et ce, afin d'assurer que le transporteur soit informé de la déficience du passager, et de ses besoins, et qu'il puisse prendre les mesures nécessaires pour répondre aux besoins de la personne tout au long du voyage. De telles procédures devraient, d'une part, exiger des agents de voyage qu'ils confirment, par écrit, les demandes de services spéciaux transmises au voyagiste et au transporteur, et, d'autre part, exiger du transporteur qu'il confirme, par écrit, au voyagiste et à l'agent de voyages les mesures qu'il entend prendre pour répondre aux besoins de la personne tout au long du voyage. L'Office note que les difficultés éprouvées par M. Charbonneau sont un exemple de ce qui peut arriver lorsque la communication est rompue entre les intermédiaires et les fournisseurs de services de transport.

Zurich - Nice

[39] L'aéronef utilisé pour assurer les vols entre Zurich et Nice, est un aéronef de 97 places. Les sièges de cet aéronef sont les mêmes en classe affaires que ceux en classe économique, de sorte que le dégagement aux jambes qu'ils offrent est le même. De plus, cet aéronef est beaucoup plus petit que celui qu'utilise Swiss pour assurer les vols transatlantiques, et les sièges offrent moins d'espace pour les jambes.

[40] L'Office note que M. Charbonneau a voyagé avec les deux jambes allongées au milieu de l'allée et que les autres passagers devaient l'enjamber au passage dans l'allée. L'Office note aussi que le personnel de Swiss, voyant que le siège assigné à M. Charbonneau ne répondait pas à ses besoins et que les autres passagers devaient l'enjamber, n'a pas offert à M. Charbonneau une solution de rechange. Ainsi, l'Office estime que le personnel de Swiss a placé M. Charbonneau dans une position où il risquait de se faire blesser. Par conséquent, l'Office détermine que le siège assigné à M. Charbonneau à bord de ce vol a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement.

Nice - Zurich

[41] Comme il a été mentionné précédemment, l'aéronef utilisé pour assurer ce vol est plus petit et les sièges à bord de celui-ci offrent moins d'espace pour les jambes. M. Charbonneau a pris place dans un siège d'une rangée de trois, avec les appuis bras baissés, le dos appuyé contre le hublot et les jambes allongées sur les autres sièges. L'Office reconnaît cependant que, compte tenu des dimensions de l'aéronef, le personnel de Swiss a fait ce qu'il pouvait pour que M. Charbonneau puisse voyager de façon convenable. Dans ces circonstances, l'Office estime que le siège assigné à M. Charbonneau par Swiss sur le vol de Nice à Zurich n'a pas constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement.

Débarquement à Nice

[42] Lors du débarquement à l'aéroport de Nice, puisque M. Charbonneau ne peut descendre des escaliers, le personnel de Swiss l'a fait asseoir dans un fauteuil roulant et deux employés l'ont ensuite descendu manuellement dans l'escalier de l'aéronef. L'Office note qu'il n'y a aucune preuve au dossier attestant que M. Charbonneau a subi des conséquences néfastes résultant de la façon dont le débarquement a été effectué. À la lumière de ce qui précède, l'Office détermine que le niveau d'assistance fourni à M. Charbonneau lors du débarquement n'a pas constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement.

[43] Néanmoins, l'Office est d'avis que les personnes ayant une déficience devraient pouvoir débarquer des aéronefs dignement et en toute sécurité, et reconnaît que le soulèvement physique des personnes ayant une déficience devrait seulement être effectué lorsque d'autres méthodes de débarquement ne sont pas disponibles ou réalisables et lorsque le passager accepte d'être débarqué de cette manière. Idéalement, les personnes ayant une déficience devraient avoir un accès indépendant à l'équipement et aux installations de transport. Cependant, bien que les transporteurs doivent prendre toutes les mesures possibles pour optimiser l'accessibilité de l'équipement qu'ils choisissent d'utiliser afin de répondre aux besoins des personnes ayant une déficience, dignement et en toute sécurité, l'Office reconnaît que parfois ces équipements ont des limites qui font en sorte qu'un accès indépendant n'est pas toujours possible.

L'obstacle était-il abusif ?

[44] À l'instar du terme « obstacle », l'expression « abusif » n'est pas définie dans la LTC, ce qui permet à l'Office d'exercer sa discrétion pour éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. Le mot « abusif » a également un sens large et signifie habituellement que quelque chose dépasse ou viole les convenances ou le bon usage (excessif, immodéré, exagéré). Comme une chose peut être jugée exagérée ou excessive dans un cas et non dans un autre, l'Office doit tenir compte du contexte de l'allégation d'obstacle abusif. Dans cette approche contextuelle, l'Office doit trouver un juste équilibre entre le droit des passagers ayant une déficience d'utiliser le réseau de transport de compétence fédérale sans rencontrer d'obstacles abusifs, et les considérations et responsabilités commerciales et opérationnelles des transporteurs. Cette interprétation est conforme à la politique nationale des transports établie à l'article 5 de la LTC et plus précisément au sous-alinéa 5g)(ii) de la LTC qui précise, entre autres, que les modalités en vertu desquelles les transporteurs ou modes de transport exercent leurs activités ne constituent pas, dans la mesure du possible, un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

[45] L'industrie des transports élabore ses services pour répondre aux besoins des utilisateurs. Les dispositions d'accessibilité de la LTC exigent quant à elles que les fournisseurs de services de transport du réseau de transport de compétence fédérale adaptent leurs services dans la mesure du possible aux besoins des personnes ayant une déficience. Certains empêchements doivent toutefois être pris en considération, par exemple les mesures de sécurité que les transporteurs doivent adopter et appliquer, les horaires qu'ils doivent s'efforcer de respecter pour des raisons commerciales, la configuration du matériel et les incidences d'ordre économique qu'aura l'adaptation d'un service sur les transporteurs aériens. Ces empêchements peuvent avoir une incidence sur les personnes ayant une déficience. Ainsi, ces personnes ne pourront pas nécessairement embarquer avec leur propre fauteuil roulant, elles peuvent devoir arriver à l'aérogare plus tôt aux fins de l'embarquement et elles peuvent devoir attendre plus longtemps pour obtenir de l'assistance au débarquement que les personnes n'ayant pas de déficience. Il est impossible d'établir une liste exhaustive des obstacles qu'un passager ayant une déficience peut rencontrer et des empêchements que les fournisseurs de services de transport connaissent dans leurs efforts pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience. Il faut en arriver à un équilibre entre les diverses responsabilités des fournisseurs de services de transport et le droit des personnes ayant une déficience à voyager sans rencontrer d'obstacle, et c'est dans cette recherche d'équilibre que l'Office applique le concept d'obstacle abusif.

Le cas présent

[46] Ayant déterminé que le siège assigné à M. Charbonneau lors du vol de Zurich à Nice a constitué un obstacle à ses possibilité de déplacement, l'Office doit maintenant déterminer si cet obstacle était abusif.

[47] L'Office s'attend à ce que les transporteurs fassent des efforts raisonnables pour assurer la prestation de services pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience, même si ces services ne sont pas demandés au préalable.

[48] L'Office note que l'adjoint du chef d'escale à Montréal a avisé les Charbonneau que l'aéronef utilisé pour les vols entre Zurich et Nice était beaucoup plus petit que celui utilisé pour les vols transatlantiques entre Montréal et Zurich et que l'espace pour les jambes fournis par les sièges serait restreint. L'Office estime que le personnel de Swiss aurait pu profiter de cette occasion pour entamer un dialogue avec M. Charbonneau afin de déterminer ses besoins particuliers et transmettre les renseignements pertinents au personnel de Swiss à l'aéroport de Zurich.

[49] L'Office estime que les notes portées au dossier passagers ont pour but d'informer le transporteur, avant le voyage, des besoins des passagers pour un service particulier ou une assistance quelconque. À cet égard, l'Office note que le dossier passagers du transporteur ne fait état d'aucune demande de services particuliers concernant M. Charbonneau. Le transporteur n'a donc pas reçu l'information nécessaire pour être en mesure de répondre aux besoins de M. Charbonneau.

[50] Néanmoins, l'Office estime qu'il incombe aux personnes ayant une déficience de s'identifier comme telles et de faire connaître clairement leurs besoins particuliers au transporteur afin de permettre à celui-ci de prendre les mesures nécessaire pour y répondre. En l'espèce, l'Office note qu'il n'y a aucune preuve au dossier établissant que M. Charbonneau a informé Swiss, au moment de l'enregistrement à Zurich, qu'il est une personne ayant une déficience et qu'il avait besoin d'un siège offrant plus d'espace pour les jambes.

[51] Par conséquent, l'Office détermine que le siège assigné à M. Charbonneau sur le vol de Zurich à Nice n'a pas constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.

COMPENSATION

[52] Le paragraphe 172(3) de la LTC prévoit que :

En cas de décision positive, l'Office peut exiger la prise de mesures correctives indiquées ou le versement d'une indemnité destinée à couvrir les frais supportés par une personne ayant une déficience en raison de l'obstacle en cause, ou les deux.

[53] Dans le cas présent, l'Office a conclu qu'il n'y a pas eu d'obstacle abusif aux possibilités de déplacement de M. Charbonneau et qu'il n'a donc pas droit à une indemnisation en vertu du paragraphe 172(3) de la LTC.

CONCLUSION

[54] À la lumière des constatations qui précèdent, l'Office conclut qu'il n'y a pas eu d'obstacle abusif au possibilités de déplacement de M. Charbonneau. Par conséquent, l'Office n'envisage aucune mesure dans cette affaire.

[55] Dans le contexte de cette demande, Swiss a déposé une copie des conditions générales qu'elle applique au transport des passagers et des bagages. L'article 5.4 de ces conditions générales, qui porte sur l'attribution des sièges, prévoit que le transporteur s'efforcera d'honorer les demandes d'attribution de siège, mais qu'il ne peut garantir l'attribution d'un siège quelconque. Il est noté que cet article ne tient pas compte des demandes faites à l'avance par les personnes ayant une déficience pour un siège répondant à leurs besoins. Un tel fait préoccupe l'Office et il recommande donc à Swiss de revoir cet article de sorte que les passagers ayant une déficience puissent être assurés de pouvoir voyager sans que leurs possibilités de déplacement soient restreintes ou limitées par un obstacle abusif.

[56] L'Office a aussi pris note des dispositions qui touchent au transport des passagers ayant une déficience contenues dans le tarif du transporteur, NTA(A) no 496, qui énonce les règles et les prix applicables au transport international de passagers. En vertu de l'article 7, il est prévu que le transporteur acceptera la déclaration faite par les passagers à mobilité réduite qu'ils n'auront pas besoin de services qui ne sont pas habituellement fournis lorsqu'ils voyagent en provenance ou à destination d'un point au Canada, ou via un tel point. L'Office constate que ce droit est limité aux passagers à mobilité réduite. L'Office est d'avis que le transporteur doit accepter la déclaration d'autonomie faite par tous les passagers ayant une déficience, et non seulement ceux à mobilité réduite. L'Office est préoccupé du fait que de telles dispositions tarifaires et conditions générales ne s'appliquent actuellement qu'aux passagers à mobilité réduite. Il recommande donc à Swiss de revoir son tarif, et les conditions générales précitées, pour s'assurer que les dispositions visées s'appliquent à tous les passagers ayant une déficience.

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