Décision n° 34-C-A-2018

le 27 avril 2018

DEMANDE présentée par Tessie Bencker contre Icelandair ehf (Icelandair).

Numéro de cas : 
17-03189

RÉSUMÉ

[1] Tessie Bencker a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Icelandair, alléguant que le transporteur et l’administration de l’aéroport international de Keflavik ont violé ses droits de passagère et qu’elle a été victime de harcèlement et de discrimination du fait qu’elle est une femme et qu’elle est membre d’une minorité visible.

[2] Mme Bencker réclame le remboursement de son vol, ainsi que des dommages-intérêts pour de la douleur et de la souffrance, soit un total de 12 000 $.

[3] Icelandair réfute toutes les allégations de discrimination et de mauvais traitements qui pèsent contre elle. Elle fait valoir que Mme Bencker n’a pas indiqué les dispositions de son tarif intitulé International Passenger Rules and Fares Tariff NTA (A) No. 447 (tarif) ou d’autres conditions de transport qu’elle aurait appliquées de façon incorrecte ou injustement discriminatoire.

[4] La question à trancher dans le cas présent est de savoir si Icelandair a correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif.

[5] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut qu’Icelandair a correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif.

[6] En ce qui concerne l’allégation de douleur et de souffrance de la demanderesse, l’Office n’a pas la compétence pour ordonner le paiement d’une indemnisation pour de la douleur et de la souffrance. L’Office n’a pas non plus la compétence pour étudier la plainte de Mme Bencker contre l’administration de l’aéroport international de Keflavik.

CONTEXTE

[7] Le 24 juin 2016, Mme Bencker voyageait avec sa famille d’Edmonton (Alberta), Canada, à Venise, Italie. Son itinéraire initial prévoyait un segment d’Edmonton à Reykjavik, Islande, à bord du vol n° 692 d’Icelandair, avec un vol de correspondance le 25 juin 2016 de Reykjavik à Munich, Allemagne. Finalement, ce jour-là, Mme Bencker devait prendre un vol régulier de Munich à Venise, avec un billet acheté séparément.

[8] Mme Bencker est arrivée à Reykjavik le 25 juin 2016, mais n’a pas pris le même vol que le reste de son groupe qui continuait vers Munich. Elle a plutôt pris un vol différent environ 17 heures plus tard, puis un autre vol le lendemain matin vers Venise.

[9] De plus, Mme Bencker n’a d’abord pas été autorisée à prendre le vol de retour de Reykjavik à Edmonton le 9 juillet 2016 avec sa famille, mais on lui a finalement permis d’embarquer dans l’aéronef.

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

[10] Mme Bencker indique qu’Icelandair a violé ses droits de passagère et qu’elle a été victime de harcèlement et de discrimination. Elle réclame une indemnisation pour préjudice émotionnel et mental causé par le transporteur.

[11] L’Office n’a pas la compétence pour ordonner le versement d’une indemnité pour la douleur, la souffrance ou la perte de jouissance comme il est indiqué de façon constante dans des décisions antérieures, comme la décision no 13-AT-A-2018 et la décision no 112-C-A-2017.

[12] De plus, l’Office n’a pas la compétence pour se pencher sur des plaintes contre une administration aéroportuaire, à moins que l’aéroport fasse partie du réseau de transport fédéral et que la plainte soit liée à une question d’accessibilité d’une personne ayant une déficience. Comme l’administration de l’aéroport international de Keflavik est située en Islande, l’Office conclut qu’il n’a pas la compétence pour se pencher sur l’affaire contre l’administration de l’aéroport international de Keflavik.

[13] En ce qui concerne l’affirmation de Mme Bencker selon laquelle Icelandair a violé ses droits en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la Convention européenne des droits de l’homme, la compétence de l’Office à cet égard est limitée à la protection des droits des personnes ayant une déficience à un réseau de transport accessible. L’Office n’a pas la compétence pour étudier les allégations de la demanderesse concernant de la discrimination liée à la race et au sexe. Toutefois, l’Office peut se pencher sur la question de savoir si un transporteur a appliqué des conditions énoncées dans son tarif de façon injustement discriminatoire.

LA LOI

[14] Le paragraphe 110(4) du RTA exige que le transporteur aérien, lors de l’exploitation d’un service international, applique correctement les conditions de transport énoncées dans son tarif.

Lorsqu’un tarif déposé porte une date de publication et une date d’entrée en vigueur et qu’il est conforme au présent règlement et aux arrêtés de l’Office, les taxes et les conditions de transport qu’il contient, sous réserve de leur rejet, de leur refus ou de leur suspension par l’Office, ou de leur remplacement par un nouveau tarif, prennent effet à la date indiquée dans le tarif, et le transporteur aérien doit les appliquer à compter de cette date.

Application « injustement discriminatoire » des conditions du tarif d’un transporteur

[15] La compétence de l’Office concernant les plaintes portant sur les prix et les conditions applicables aux services de transport à destination et en provenance du Canada est définie dans les articles 111 et 113 du RTA.

[16] L’article 111 du RTA prévoit que :

  1. Les taxes et les conditions de transport établies par le transporteur aérien, y compris le transport à titre gratuit ou à taux réduit, doivent être justes et raisonnables et doivent, dans des circonstances et des conditions sensiblement analogues, être imposées uniformément pour tout le trafic du même genre.
  2. En ce qui concerne les taxes et les conditions de transport, il est interdit au transporteur aérien :

a. d’établir une distinction injuste à l’endroit de toute personne ou de tout autre transporteur aérien;

b. d’accorder une préférence ou un avantage indu ou déraisonnable, de quelque nature que ce soit, à l’égard ou en faveur d’une personne ou d’un autre transporteur aérien;

c. de soumettre une personne, un autre transporteur aérien ou un genre de trafic à un désavantage ou à un préjudice indu ou déraisonnable de quelque nature que ce soit.

3. L’Office peut décider si le trafic doit être, est ou a été acheminé dans des circonstances et à des conditions sensiblement analogues et s’il y a ou s’il y a eu une distinction injuste, une préférence ou un avantage indu ou déraisonnable, ou encore un préjudice ou un désavantage au sens du présent article, ou si le transporteur aérien s’est conformé au présent article ou à l’article 110.

[17] De plus, si l’Office détermine que le transporteur aérien a contrevenu à l’article 111 du RTA, l’Office peut, en vertu de l’article 113 du RTA :

  1. suspendre tout ou partie d’un tarif qui paraît ne pas être conforme aux paragraphes 110(3) à (5) ou aux articles 111 ou 112, ou refuser tout tarif qui n’est pas conforme à l’une de ces dispositions;
  2. établir et substituer tout ou partie d’un autre tarif en remplacement de tout ou partie du tarif refusé en application de l’alinéa a).

Application correcte des conditions énoncées dans le tarif d’un transporteur

[18] Si l’Office conclut qu’un transporteur aérien n’a pas correctement appliqué son tarif, l’article 113.1 du RTA confère à l’Office le pouvoir d’accorder certains types de recours.

Si un transporteur aérien n’applique pas les prix, taux, frais ou conditions de transport applicables au service international qu’il offre et figurant à son tarif, l’Office peut lui enjoindre :

  1. de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées;
  2. de verser des indemnités à quiconque pour toutes dépenses qu’il a supportées en raison de la non-application de ces prix, taux, frais ou conditions de transport.

POSITIONS DES PARTIES

Position de Mme Bencker

[19] Mme Bencker affirme qu’en raison d’agissements discriminatoires à son endroit, Icelandair a violé ses droits de passagère. Elle allègue que les incidents de harcèlement et de discrimination à son endroit se sont produits après son arrivée à l’aéroport international de Keflavik. Mme Bencker indique qu’on l’a empêchée de prendre son vol de correspondance à destination de Munich, et que même si elle a avisé le personnel qu’elle voyageait avec d’autres membres de sa famille, ses préoccupations ont été ignorées et elle a été placée avec un groupe d’autres personnes ayant été exclues.

[20] Mme Bencker affirme qu’elle-même et d’autres membres de minorités visibles ont été exclus, interrogés, et traités incorrectement. Selon Mme Bencker, d’après l’attitude brusque et irrespectueuse du personnel à son endroit et le type de questions qu’on lui a posées, il était évident que ses origines raciales posaient problème.

[21] Mme Bencker fait également valoir que lors de son vol de retour, le personnel d’Icelandair a refusé qu’elle embarque dans l’aéronef à Reykjavik avec sa famille. Elle affirme que devant l’insistance de son époux, on l’a finalement laissée prendre le vol.

[22] Mme Bencker affirme qu’en tant que femme d’une minorité visible, de descendance polynésienne- samoane, elle aurait dû être traitée de la même façon que des hommes et des personnes n’appartenant pas à une minorité. Elle prétend toutefois que les agissements du transporteur sont systémiques et témoignent de l’intolérance de certaines personnes envers des minorités visibles, des personnes âgées, ou des gens ayant des problèmes de santé.

Position d’Icelandair

[23] Icelandair réfute l’ensemble des allégations de Mme Bencker concernant de la discrimination et des mauvais traitements.

[24] Icelandair indique que, parce que l’incident allégué s’est produit il y a plus de 18 mois, il est très difficile de trouver des membres de son personnel qui se souviennent de Mme Bencker. Le transporteur affirme qu’il est également difficile de vérifier les affirmations de Mme Bencker, puisqu’elle n’a pas indiqué si c’est le personnel d’Icelandair ou encore celui de l’administration aéroportuaire qui l’aurait exclue elle et d’autres personnes. Icelandair affirme que Mme Bencker n’a pas non plus donné le nom des membres du personnel qui auraient eu les agissements allégués, ni le nom d’autres personnes ayant été exclues. De plus, le transporteur indique que Mme Bencker n’a pas donné de détails concernant les types de questions qui lui ont été posées.

[25] Icelandair reconnaît que le vol n° 692 d’Edmonton à Reykjavik a été retardé, de sorte que Mme Bencker a manqué son vol de correspondance vers Munich. Le transporteur indique que s’il n’a pas plus de renseignements, il ne peut que spéculer à savoir pourquoi Mme Bencker n’a pas pris le même vol que le reste de sa famille. Icelandair suggère qu’en raison du retard du vol de retour, il est possible qu’il n’y ait pas eu assez de places libres à bord du vol suivant vers Munich, ce qui aurait eu comme conséquence que seulement quelques membres de son groupe auraient obtenu un siège. Toutefois, le transporteur maintient qu’il ne sépare pas forcément les groupes de voyageurs. Icelandair affirme que les personnes qui voyageaient avec Mme Bencker auraient pu décider de rester avec elle et de prendre le prochain vol, mais qu’ils ont plutôt décidé de partir quand même.

[26] En ce qui concerne l’allégation de Mme Bencker selon laquelle on a d’abord refusé qu’elle embarque avec sa famille dans l’aéronef du vol de retour, Icelandair explique que pour de nombreux vols, l’embarquement se fait en fonction de la zone où se trouve le siège du passager. Sans avoir de détails, Icelandair suggère la possibilité que le siège de Mme Bencker se trouvait dans une zone différente de celle des autres membres de sa famille, ce qui l’aurait empêchée d’embarquer exactement en même temps que les autres personnes de son groupe.

[27] Finalement, Icelandair indique que lorsqu’une plainte est déposée auprès de l’Office, il revient au demandeur de prouver que le transporteur a appliqué les conditions de son tarif de façon incorrecte ou injustement discriminatoire. Icelandair fait valoir que Mme Bencker ne s’est pas acquittée de ce fardeau, car elle n’a pas prouvé que des conditions de son tarif n’ont pas été correctement appliquées.

[28] Icelandair reconnaît néanmoins que Mme Bencker a droit à une indemnisation de 600 euros pour avoir manqué son vol de correspondance, conformément au Règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 (règlement (CE) n° 261/2004). Icelandair indique que même si ce montant a été offert à la demanderesse et qu’elle l’a refusée, elle maintient son offre.

ANALYSE ET DÉTERMINATIONS

[29] Conformément à un principe bien établi sur lequel s’appuie l’Office lorsqu’il examine de telles demandes, il incombe au demandeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur n’a pas correctement appliqué les conditions de transport énoncées dans son tarif ou qu’il ne les a pas appliquées de façon uniforme. À cet égard, l’Office note que Mme Bencker n’a pas fourni d’arguments concernant l’application du tarif d’Icelandair.

[30] De plus, l’Office note que Mme Bencker n’a pas fourni de précisions sur les incidents qui se seraient produits, de sorte qu’on ne sait trop si les questions ont été posées par Icelandair, l’administration aéroportuaire, des agents des douanes et de l’immigration, ou d’autres agents affiliés. De plus, Mme Bencker n’a pas fourni de renseignements concernant les questions qui lui auraient été posées et qui donneraient à penser qu’il y avait un problème avec son sexe, son âge ou encore ses origines raciales.

[31] Mme Bencker indique avoir été séparée de sa famille et s’être fait dire qu’elle ne pouvait pas poursuive son voyage. Icelandair fait valoir que Mme Bencker n’a pas précisé comment les autres membres de son groupe ont continué sans elle. Icelandair affirme qu’elle ne peut que spéculer sur les événements qui se seraient produits, mais maintient qu’elle ne sépare pas forcément les groupes de voyageurs. L’Office note que le dossier n’indique pas clairement si les membres du groupe qui voyageaient avec Mme Bencker ont été en mesure de prendre le vol de correspondance comme prévu, ou si le retard du vol n° 692 a fait en sorte que toute sa famille a dû être réacheminée à bord de vols subséquents, mais à bord desquels les places étaient limitées. Devant le manque de preuves, l’Office ne peut pas évaluer ce qui s’est passé avec Mme Bencker et les autres personnes de son groupe.

[32] Mme Bencker affirme que d’autres membres de minorités visibles ont également été exclues. Toutefois, l’Office note qu’elle n’a pas fourni d’informations à propos de ces personnes, comme leur nom, le nombre de passagers touchés, ou encore les circonstances précises qui ont mené à leur exclusion. Finalement, on ne sait pas vraiment ce que Mme Bencker entend par le mot « exclu », car elle n’indique pas si les autres personnes ont été séparées de leur famille, mises à part des autres passagers, ou retenues plus longtemps que nécessaire.

[33] Ayant considéré les présentations au dossier, et comme Mme Bencker n’a pas déposé de réplique à la réponse du transporteur, l’Office conclut que Mme Bencker n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’Icelandair a appliqué de façon injustement discriminatoire les conditions énoncées dans son tarif.

[34] En ce qui concerne les retards, la règle 85 (HORAIRES, RETARDS ET ANNULATIONS DE VOLS) du tarif d’Icelandair prévoit ce qui suit :

[traduction]

B. ANNULATIONS, RÉACHEMINEMENTS, RETARDS, ETC.

Le transporteur prendra toutes les mesures nécessaires pour éviter le retard à transporter le passager et ses bagages. Dans le cadre de ces mesures, et afin de prévenir l’annulation de vols, dans des circonstances exceptionnelles, le transporteur peut prendre des dispositions pour des vols qui pourront être exploités en son nom par un autre transporteur ou aéronef. En cas d’annulation ou de retard de vol, le transporteur offre de l’assistance et une indemnisation aux passagers touchés, conformément au règlement (CE) n° 261/2004.

[35] Les articles 6 (Retards) et 7 (Droit à indemnisation) du règlement (CE) n° 261/2004 prévoient que lorsqu’un transporteur aérien exploitant prévoit raisonnablement qu’un vol sera retardé de quatre heures ou plus par rapport à l’heure de départ prévue, les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à 600 euros.

[36] L’Office conclut que Mme Bencker a droit à une indemnisation de 600 euros selon la règle 85 du tarif d’Icelandair, et qu’Icelandair, en indiquant être disposée à fournir l’indemnisation, a correctement appliqué son tarif.

CONCLUSION

[37] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut qu’Icelandair a correctement appliqué les conditions de son tarif.

Membre(s)

Scott Streiner
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