Décision n° 34-R-1989

le 20 janvier 1989

le 20 janvier 1989

AVIS donné par l'Algoma Central Railway d'un accord visant la cession de sa division des chemins de fer à l'Algoma Central Railway Inc., conformément au paragraphe 158(2) de la Loi nationale de 1987 sur les transports, S.C. 1987, c. 34 (ci-après la LNT 1987).

DÉCISION : L'ACCORD PROPOSÉ DE CESSION DE LA DIVISION DES CHEMINS DE FER DE L'ALGOMA CENTRAL RAILWAY À L'ALGOMA CENTRAL RAILWAY INC. N'EST PAS APPROUVÉ.

Référence no 50395


CONTEXTE

Le 4 juillet 1988, l'Algoma Central Railway (ci-après l'ACR) donnait avis à l'Office national des transports (ci-après l'Office) d'un accord de cession de sa division des chemins de fer à l'Algoma Central Railway Inc. (ci-après l'ACR Inc.).

Les gares et les lignes visées par cette cession sont les suivantes :

  1. la ligne située entre Sault Ste. Marie (Ontario) et Hearst (Ontario) sur les subdivisions Soo et Northern; et
  2. la ligne située entre Hawk Junction (Ontario) et Michipicoten (Ontario) sur la subdivision Michipicoten.

Cet avis a été publié le 26 octobre 1988 dans les journaux des régions visées, et signifié aux autres intéressés. L'échéance pour le dépôt des oppositions était le 27 novembre 1988; toutefois, comme cette date tombait un dimanche, l'Office a accepté les oppositions jusqu'au lundi 28 novembre 1988, conformément au paragraphe 10(3) des Règles générales de l'Office national des transports. Des oppositions ont été déposées par le Syndicat international des Transports Communications, les Travailleurs unis des transports, la Fraternité des ingénieurs de locomotives, la Fraternité internationale des chaudronniers, constructeurs de navires en fer, forgerons, forgeurs et aides, l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aéroastronautique, la Fraternité des préposés à l'entretien des voies, la Fraternité internationale des chauffeurs et huileurs, la Fraternité des wagonniers de chemin de fer du Canada (en son propre nom et au nom des sept syndicats qui précèdent), le cabinet d'avocats de Nelligan Power au nom des huit syndicats susmentionnés, la Corporation de la Ville de Hearst, le Conseil de la Corporation de la Ville de Sault Ste. Marie, le Sault Ste. Marie and District Labour Council, le ministre des Transports pour le gouvernement de l'Ontario, M. Maurice Foster (député d'Algoma), Stephen Butland (député de Sault Ste. Marie), Karl Morin-Strom (député provincial de Sault Ste. Marie) et Bud Wildman (député provincial d'Algoma) (MM. Morin-Strom et Wildman ont présenté des oppositions conjointes), la Corporation of Mattice-Val Côté, Nord-Aski Frontier Development Inc., Lecours Lumber Co. Limited, Hearst Lumbermen's Association, Woods Cabins, Sonny-Bob Lodge et 131 particuliers.

Un certain nombre d'oppositions n'indiquaient pas qu'une copie avait été dûment signifiée à l'ACR et, dans ces cas, l'Office a veillé à ce que cette dernière reçoive la copie requise. De plus, un certain nombre d'oppositions ont été déposées auprès de l'Office quelques jours après le 28 novembre 1988. Copie en a été transmise à l'ACR et, si cette dernière avait voulu y répliquer, elle aurait pu le faire dans les dix jours suivant leur réception. L'Office a inclus ces documents déposés tardivement au dossier de l'avis, parce qu'il est convaincu que l'ACR a eu amplement l'occasion de formuler des observations sur tous les mémoires déposés auprès de l'Office. La seule réplique de l'ACR aux oppositions est parvenue à l'Office le 30 novembre 1988.

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

Dans l'examen de l'avis, l'Office a dû traiter de plusieurs questions préliminaires. Il a reçu une demande en vue de la divulgation de certains états financiers et statistiques contenus dans les rapports annuels confidentiels déposés par l'ACR auprès du Comité des transports par chemin de fer de la Commission canadienne des transports (ci-après la CCT) et de projections, également fournies par l'ACR à la CCT, relativement à ces états. Des demandes de prorogation de délai ont été présentées afin que les opposants puissent formuler des observations quant à l'information demandée. De plus, l'Office s'est vu demander de joindre à l'avis visé d'autres documents présentés à la CCT. Plus précisément, on lui a demandé d'incorporer un bon nombre de documents reçus en réponse à la demande que l'ACR avait déposée auprès de la CCT en janvier 1987, en vue de la délivrance d'un certificat de commodité et d'utilité publiques à l'égard du projet de constitution en société de l'ACR Inc., demande qui fut retirée le 11 janvier 1988.

L'Office, après avoir étudié tous les arguments présentés quant aux questions préliminaires, a ordonné, dans une lettre datée du 3 janvier 1989, que les états financiers et statistiques déposés par l'ACR auprès de la CCT ne soient pas mis à la disposition du public car, à son avis, toute divulgation de leur contenu causerait vraisemblablement un tort direct et précis. La demande de divulgation a été rejetée, tout comme les demandes de prorogation de délai. En outre, l'Office a décidé que toute la correspondance et tous les mémoires déposés auprès de la CCT par des opposants en réponse à la demande présentée par l'ACR en 1987 soient inclus au dossier de l'avis par renvoi. Parmi ces mémoires figurent le document présenté par l'ACR aux sous-ministres du gouvernement de l'Ontario le 6 mai 1986, les remarques formulées par S.A. Black (vice-président des activités ferroviaires pour l'ACR) à l'adresse de tous les employés de chemin de fer vers la fin de 1986, ainsi que les déclarations faites par l'ACR aux syndicats le 12 novembre 1986, lorsque s'est amorcée la négociation d'une convention collective.

En décembre 1988, l'Office a demandé à l'ACR des copies des accords d'aide financière qu'elle avait passés avec le gouvernement du Canada et le gouvernement de l'Ontario, de l'accord de cession en vertu duquel l'ACR acceptait de céder sa division des chemins de fer à l'ACR Inc., ainsi que les documents de constitution en société de l'ACR Inc. L'Office a également informé l'ACR de son intention d'utiliser, dans son examen de l'avis, les projections financières et statistiques déjà déposées. L'Office a reçu l'information demandée le 8 décembre 1988. L'ACR a déposé les deux accords d'aide financière à titre de documents privilégiés et confidentiels réservés à l'usage de l'Office. L'ACR a déclaré que les projections avaient été déposées à titre confidentiel, mais qu'elle ne s'opposait pas à ce qu'elles soient utilisées sous cette réserve.

Par une lettre d'accompagnement datée du 15 décembre 1988, l'Office a remis aux opposants et aux autres parties intéressées les documents reçus de l'ACR le 8 décembre 1988, à l'égard desquels aucune demande de confidentialité n'avait été formulée. Par la même occasion, il a invité ces personnes à lui présenter d'autres mémoires sur ces documents. Pour sa part, l'ACR s'est vue offrir l'occasion de répondre à ces nouveaux mémoires. D'autres avis d'opposition à la cession de la division des chemins de fer de l'ACR ont été déposés par la Corporation de la Ville de Hearst, la Corporation de la Ville de Sault Ste. Marie et Nord-Aski Frontier Development Inc. Dans une lettre datée du 23 décembre 1988, Nelligan Power a demandé, au nom des syndicats intéressés, la divulgation des accords d'aide financière et d'autres renseignements. L'ACR s'y est opposée dans une lettre datée du 29 décembre 1988. Le 30 décembre 1988, l'Office a informé Nelligan Power que sa demande de documents et de renseignements supplémentaires était rejetée parce que la divulgation publique causerait vraisemblablement un tort direct et précis.

De nombreux opposants ont demandé la tenue d'une audience publique sur la proposition. Comme on l'a indiqué précédemment, les opposants ont également demandé des prorogations de délai en vue de présenter des mémoires sur le projet de cession. De plus, le ministre des Transports du gouvernement de l'Ontario a demandé que l'on somme l'ACR de fournir tous les détails sur la cession. L'ACR, dans sa réponse aux avis d'opposition, a soutenu que l'Office était au courant de tous les faits et que la tenue d'une audience publique n'était pas réellement justifiée.

L'Office a examiné attentivement toute l'information en main au sujet du projet de cession de la division des chemins de fer, entre autres les renseignements déposés par des opposants en 1987 à l'égard d'une demande antérieure de l'ACR qui fut retirée, ainsi que le rapport annuel public de l'ACR pour 1987. De l'avis de l'Office, l'information contenue au dossier est suffisante pour lui permettre de rendre une décision. Par conséquent, il ne convoque pas une audience publique sur cet avis. Également, l'Office constate que les détails du projet de cession qui ont été déposés par l'ACR sont suffisants et que les parties intéressées ont eu suffisamment de temps pour exposer leurs doléances. Par conséquent, l'Office confirme par les présentes sa décision antérieure de ne pas accorder de prorogation pour le dépôt de mémoires supplémentaires.

AVIS ET ANALYSE DE L'OFFICE

En vertu du paragraphe 158(3) de la LNT 1987, l'Office doit approuver l'accord de cession, sauf s'il estime que celle-ci est contraire à l'intérêt public ou que le cessionnaire n'est pas habilité à exploiter la ligne ou le tronçon.

L'Office doit donc se prononcer uniquement sur la question de l'intérêt public. Or, l'article 4 de la LNT 1987 définit cette expression comme suit :

"intérêt public" Qualité de ce qui est compatible avec la politique nationale des transports énoncée au paragraphe 3(1), avec les directives générales données au titre de l'article 23 et, s'agissant de la partie II, avec les directives données par le ministre au titre de l'article 86.

Dans l'affaire en cause, aucune directive pertinente ne s'applique en vertu de l'article 23 ou de l'article 86. Par conséquent, l'Office juge que l'avis est régi par le paragraphe 3(1) de la LNT 1987 qui prévoit ce qui suit :

3.(1) Il est déclaré que, d'une part, la mise en place d'un réseau sûr, rentable et bien adapté de services de transport viables et efficaces, utilisant au mieux et aux moindres frais globaux tous les modes de transport existants, est essentielle à la satisfaction des besoins des expéditeurs et des voyageurs en matière de transports comme à la prospérité et à la croissance économique du Canada et de ses régions, d'autre part, ces objectifs ont le plus de chances de se réaliser en situation de concurrence, dans et parmi les divers modes de transport, entre tous les transporteurs, à condition que, compte dûment tenu de la politique nationale et du contexte juridique et constitutionnel :

a) le réseau national des transports soit conforme aux normes de sécurité les plus élevées possible dans la pratique;

b) la concurrence et les forces du marché soient, chaque fois que possible, les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces;

c) la réglementation économique des transporteurs et des modes de transport se limite aux services et aux régions à propos desquels elle s'impose dans l'intérêt des expéditeurs et des voyageurs, sans pour autant restreindre abusivement la libre concurrence entre transporteurs ou modes de transport;

d) les transports soient reconnus comme un facteur primordial du développement économique régional et la viabilité commerciale des lignes de transport doit être mis en balance avec les objectifs du développement économique régional de sorte que les atouts économiques potentiels de chaque région puissent être exploités pleinement;

e) chaque transporteur ou mode de transport supporte, dans la mesure du possible, une juste part du coût réel des ressources, installations et services mis à sa disposition sur les fonds publics;

f) chaque transporteur ou mode de transport soit, dans la mesure du possible, indemnisé, de façon juste et raisonnable, du coût des ressources, installations et services qu'il est tenu de mettre à la disposition du public;

g) les liaisons assurées en provenance ou à destination d'un point du Canada par chaque transporteur ou mode de transport s'effectuent, dans la mesure du possible, à des prix et selon des modalités qui ne constituent pas :

(i) un désavantage injuste pour les autres liaisons de ce genre, mis à part le désavantage inhérent aux lieux desservis, à l'importance du trafic, à l'ampleur des activités connexes ou à la nature du trafic ou du service en cause,

(ii) un obstacle abusif à la circulation des personnes, y compris les personnes handicapées,

(iii) un obstacle abusif à l'échange des marchandises à l'intérieur du Canada,

(iv) un empêchement excessif au développement des secteurs primaire ou secondaire, aux exportations du Canada ou de ses régions, ou au mouvement des marchandises par les ports canadiens.

Il est en outre déclaré que la présente loi vise à la réalisation de ceux de ces objectifs qui portent sur les questions relevant de la compétence législative du Parlement en matière de transports.

L'Office reconnaît que l'ACR, dans sa décision de céder sa division des chemins de fer à une compagnie distincte, en propriété exclusive, agit comme une société ouverte dont la responsabilité première est envers ses actionnaires. Toutefois, l'Office, dans son examen, ne doit pas tenir compte uniquement des intérêts de la société commerciale, étant donné que la décision se répercute sur la population, l'économie et le bien-être global d'une région. L'intérêt particulier d'une société commerciale et l'intérêt public sont étroitement liés, ce qu'a reconnu le Parlement lorsqu'il a confié à l'Office la tâche d'examiner les questions d'intérêt public dans les circonstances particulières indiquées dans la LNT 1987.

Selon le paragraphe 3(1), le principe de l'intérêt public recoupe beaucoup plus que les questions liées uniquement à la direction et aux actionnaires de l'ACR. La convenance du réseau, les besoins de transport des expéditeurs et des voyageurs, ainsi que le rôle essentiel du transport pour le développement économique des régions sont d'importantes considérations d'intérêt public. Dans beaucoup de régions du Canada, les transports jouent un rôle clé dans l'accessibilité des industries aux marchés. Cela se vérifie particulièrement dans le Nord de l'Ontario. L'article 3 vise donc à renforcer le rôle que jouent les transports dans le développement des assises industrielles. Compte tenu de ce qui précède, l'Office doit évaluer les répercussions de l'accord de cession proposé par l'ACR à la lumière des faits suivants :

  1. les répercussions des activités ferroviaires sur les particuliers, les entreprises commerciales et le développement économique de la région d'Algoma;
  2. les perspectives financières et économiques des activités ferroviaires; et
  3. la capacité, pour l'ACR Inc., d'exploiter un service qui favorise un réseau de transport rentable, bien adapté et efficace, en conformité avec le paragraphe 3(1) de la LNT 1987.

I. Incidence régionale des activités ferroviaires

D'après les mémoires déposés par les opposants et d'après les documents présentés par l'ACR aux sous-ministres de l'Ontario, à ses employés de chemin de fer et à ses syndicats, il est évident que les activités ferroviaires de l'ACR sont importantes et, dans certains cas, essentielles pour les collectivités, les entreprises commerciales et les particuliers qui comptent sur elles.

De nombreux opposants, y compris les députés des régions visées et les exploitants de l'industrie du bois et du tourisme, soutiennent que le service ferroviaire exploité par l'ACR revêt une importance fondamentale pour les industries desservies. Cela se vérifie plus particulièrement dans le cas de l'exploitation minière et forestière et de l'industrie touristique qui sont des composantes essentielles à la viabilité économique de la région. Les trains de voyageurs de la compagnie de chemin de fer sont très importants, non seulement pour desservir environ 12 000 passagers de point à point qui les utilisent chaque année, mais également pour soutenir l'industrie touristique de Sault Ste. Marie et de la région environnante. En effet, environ 115 000 touristes utilisent le chemin de fer chaque année. Dans sa présentation aux sous-ministres du gouvernement de l'Ontario en mai 1986, l'ACR a indiqué que ses deux excursions les plus grandes constituent le principal intérêt touristique du Nord de l'Ontario. Dans la même présentation, l'ACR évalue que les dépenses des passagers soutiennent environ 1 553 emplois, dont 87 emplois à plein temps, à temps partiel et saisonniers liés directement aux trains de voyageurs. De plus, le service ferroviaire exerce une influence considérable sur d'autres collectivités. L'exploitation de la division minière d'Algoma de l'Algoma Steel Corporation, Limited, près de Wawa en Ontario, dépend de l'ACR pour ses besoins de transport. L'ACR, dans sa présentation de mai 1986, a souligné que la fermeture de cette division s'avérerait fatale pour la ville de Wawa et très coûteuse pour la collectivité de Hawk Junction. L'Office est également bien conscient de l'importance directe et considérable du service ferroviaire pour le bien-être des quelque 400 employés que comptait la division des chemins de fer en mai 1986.

À la lumière de ce qui précède, l'Office, comme l'ACR et tous les intéressés, estime que les activités ferroviaires ont une importance socio-économique fondamentale pour la région touchée.

II. Perspectives financières et économiques des activités ferroviaires

La division des chemins de fer exploite des services de transport de marchandises, de voyageurs et d'excursions touristiques. Elle fait face à des défis considérables que l'ACR a elle-même reconnus. Le grand défi que doit relever la division des chemins de fer est de livrer aux aciéries le minerai fritté, produit par la division minière d'Algoma près de Wawa, à un prix qui fait concurrence aux autres sources de minerai de fer au Canada et aux États-Unis. Si cela n'était pas possible, il se pourrait fort bien que la division minière d'Algoma à Wawa doive fermer. Les frais de transport jusqu'à Sault Ste. Marie représentent une proportion considérable du coût du minerai. Ils doivent donc être assez bas pour que le minerai extrait près de Wawa demeure concurrentiel avec le minerai d'autres sources, tout en étant suffisamment élevé pour que l'ACR puisse récupérer ses coûts et faire un bénéfice raisonnable. Dans ses diverses présentations, l'ACR s'est dite grandement inquiète de son aptitude à exiger des prix de transport de marchandises qui soient concurrentiels tout en conservant au minerai un prix compétitif. L'ACR a déclaré qu'elle devrait probablement mettre un terme à toutes ses activités ferroviaires si elle ne pouvait plus compter sur le transport du minerai fritté. Selon le rapport annuel de 1987 de l'ACR, les perspectives de la division des chemins de fer restent incertaines au-delà des deux ou trois prochaines années. Pendant cette période, il se pourrait fort bien que du minerai de fer moins dispendieux remplace le minerai produit en bordure de la ligne de la compagnie. La perte des recettes de ce trafic sans remplacement aurait de graves répercussions sur l'avenir des activités ferroviaires de la compagnie.

L'autre défi que doit relever la division des chemins de fer concerne ses services de voyageurs. L'ACR reconnaît que son service de trains de touristes au canyon Agawa, offert du début de juin à la mi-octobre de chaque année, atteint à peu près le seuil de rentabilité. Dans sa présentation aux sous-ministres adjoints du gouvernement de l'Ontario, en mai 1986, l'ACR a déclaré que le service régulier de trains de voyageurs entre Sault Ste. Marie et Hearst enregistrait des pertes annuelles d'environ trois millions de dollars depuis les quelques dernières années. L'ACR a déjà présenté à la CCT, le 1er octobre 1976, une demande en vue de mettre un terme à l'exploitation de ce service. Le 13 décembre 1977, la CCT a décidé que ce service devait être maintenu, et elle a reconduit cette décision à deux reprises par la suite, lors du réexamen à intervalles de cinq ans, les 13 décembre 1982 et 11 décembre 1987. Par suite de cette obligation de poursuivre le service, le gouvernement du Canada a dû éponger 80 p. 100 des pertes du service et l'ACR, les 20 p. 100 qui restent.

Le fait que ces activités ne sont pas rentables et ne laissent pas une marge brute d'autofinancement suffisante rend la situation difficile pour l'ACR, étant donné qu'il compromet son aptitude à mettre en place un programme satisfaisant d'immobilisations pour le remplacement efficace, en temps opportun, de la voie, des ouvrages et de l'équipement. Les voitures de voyageurs de l'ACR atteindront bientôt la fin de leur vie utile. Leur entretien et leur exploitation sont maintenant devenus onéreux et difficiles.

L'Office a soigneusement examiné la question de la viabilité des activités ferroviaires. Il reconnaît les défis cruciaux auxquels la division des chemins de fer doit faire face; toutefois, il est également conscient du fait que les perspectives immédiates de ces activités ne sont pas totalement sombres et qu'il existe des possibilités de diversification.

L'Office remarque que l'ACR, au sujet des oppositions concernant la viabilité, a mentionné un contrat confidentiel de cinq ans avec son principal client en vue du transport du minerai de fer fritté de Wawa à Sault Ste. Marie, à des prix compensatoires sous le régime de la LNT 1987. De plus, la compagnie touche à l'heure actuelle des subventions de développement touristique de la province de l'Ontario et du gouvernement du Canada.

L'Office estime également que les débouchés des activités ferroviaires ont été minimisés dans les mémoires. L'ACR jouit d'une bonne situation géographique, tant du point de vue du développement des ressources que des raccordements avec les principales compagnies ferroviaires des États-Unis. Elle occupe une position stratégique pour profiter de grands marchés et pour maximiser son trafic grâce aux dispositions sur l'accès concurrentiel aux chemins de fer contenues dans la LNT 1987.

Plus précisément, les nouvelles dispositions de la loi touchant les prix de ligne concurrentiels sont conçues pour fournir des services et des prix de ligne concurrentiels aux expéditeurs de matières premières qui sont captifs d'une seule compagnie de chemin de fer et qui offrent leurs produits sur des marchés éloignés. Le Nord de l'Ontario compte un grand nombre de tels expéditeurs, surtout dans les secteurs des produits forestiers et des mines. Dans la plupart des cas, de longues distances séparent ces expéditeurs des points de correspondance avec d'autres services ferroviaires concurrentiels. Avant l'adoption de la nouvelle loi, ces expéditeurs captifs avaient peu de services ferroviaires compétitifs à leur disposition, sinon aucun. Toutefois, grâce aux dispositions de la nouvelle loi, ils peuvent maintenant profiter de services et de prix de ligne concurrentiels. Les lignes de l'ACR raccourcissent de plusieurs centaines de milles la distance entre ces expéditeurs et les principales destinations du Midwest des É.-U. Par conséquent, l'ACR est bien placée pour attirer ce trafic.

Étant donné ce qui précède, l'Office conclut que les activités ferroviaires présentent des difficultés et des perspectives similaires à celles des autres entreprises commerciales dans un milieu dynamique. Sa viabilité dépend de sa capacité de relever les défis et de profiter des occasions.

III. Capacité de l'ACR Inc. de favoriser un réseau rentable et bien adapté de services de transport viables et efficaces conformément au paragraphe 3(1) de la LNT 1987

L'ACR projette de céder ses activités et ses actifs ferroviaires à sa filiale l'ACR Inc. Un accord de cession a été déposé en ce sens. Étant donné l'importance que revêt le chemin de fer pour la région d'Algoma, et vu les défis majeurs auxquels doit faire face la compagnie, l'Office est très sensible à l'incidence que pourrait avoir la cession proposée de la division des chemins de fer sur les activités ferroviaires futures. L'aptitude à relever les défis dépendra en grande partie de la situation financière et de la solidité de l'entité qui contrôlera et exploitera le chemin de fer.

A. Structure actuelle de l'ACR

L'ACR a été constituée en société en 1899. Pendant de nombreuses années, elle a exploité un chemin de fer de brousse pour le transport du minerai de fer et des produits forestiers du Nord de l'Ontario. Le 31 décembre 1987, l'ACR était propriétaire des filiales suivantes :

  • Algoma Steamships Limited - propriétaire d'un navire exploité par l'ACR
  • Herb Fraser and Associates Limited - entreprise d'entretien et de réparation de navires
  • Algowest Shipping Ltd. - responsable des négociations avec les expéditeurs en vue du transport du grain
  • Algocen Mines Limited - détentrice d'une concession minière au nord de Hearst
  • Algocen Realty Holdings Limited - propriétaire de biens immobiliers à Sault Ste. Marie et Elliot Lake
  • ACR Delaware, Inc. - société de portefeuille pour des placements aux É.-U.
  • Algocen, Florida, Inc. - promoteur immobilier en Floride

L'ACR et ses filiales exploitent plusieurs divisions. La compagnie, qui s'est départie de sa division de camionnage, exploite une division du transport maritime, une division des chemins de fer et une division de l'immobilier. Voici une brève description des divisions du transport maritime et de l'immobilier, ainsi qu'une description plus détaillée de la division des chemins de fer.

Division du transport maritime

La division du transport maritime est principalement exploitée par l'ACR, de concert avec l'Algoma Steamships Limited, Herb Fraser and Associates Limited et l'Algowest Shipping Ltd.

Le 31 décembre 1987, l'ACR exploitait une flotte de 18 navires de transport de marchandises sèches en vrac, surtout sur les Grands Lacs et la voie maritime du Saint-Laurent. En 1987, la division du transport maritime a transporté 19 631 000 tonnes nettes de produits, entre autres du minerai, du charbon et du coke, du grain, du sel et de la pierre. Du point de vue des actifs et des recettes, elle constitue, et de loin, la division la plus importante de l'ACR.

Division de l'immobilier

En date du 31 décembre 1987, l'ACR effectuait la plupart de ses opérations immobilières par l'intermédiaire de ses filiales, Algocen Realty Holdings Limited, ACR Delaware, Inc. et Algocen, Florida, Inc.

Ces compagnies ont mis sur pied des complexes commerciaux et immobiliers à Sault Ste. Marie et Elliot Lake, en Ontario. Plus précisément, elles possèdent un centre commercial, un hôtel, une tour de bureaux ainsi qu'un immeuble d'habitation à Sault Ste. Marie. Elles détiennent également un ensemble hôtelier avec centre commercial et surface de bureaux à Elliot Lake. De plus, les compagnies ont construit et possédé, en Floride, des condominiums qu'elles ont vendus en 1987. La division de l'immobilier a eu des recettes de 9 072 000 $ en 1987. Son actif net totalisait 32 808 000 $ à la fin de la même année.

Division des chemins de fer

Les activités ferroviaires sont surtout effectuées par l'ACR. Le rapport annuel de 1987 indique également que l'ACR supervise l'utilisation et l'aménagement de 850 000 acres de terrain qu'elle détient dans la région d'Algoma.

L'ACR offre un service d'excursions au canyon Agawa, tous les jours du début de juin à la mi-octobre. Ce canyon est situé à environ 114 milles au nord de Sault Ste. Marie, sur la voie principale de l'ACR en direction de Hearst. Cent deux mille personnes ont effectué cette visite en 1987. Du point de vue financier, cette activité atteint à peu près le seuil de rentabilité.

L'ACR exploite un service régulier de trains de voyageurs entre Sault Ste. Marie et Hearst, en Ontario. Les voyageurs empruntent habituellement ce service pour des excursions de camping, de pêche, de chasse, de ski, ou pour se rendre au travail. Ces trains transportent également des touristes qui font les excursions Snow Train et Tour of the Line, et ils prennent l'excédent des clients du service d'excursions au canyon Algoma.

L'ACR exploite un grand service de transport de marchandises par chemin de fer. La division minière de l'Algoma de l'Algoma Steel Corporation, Limited est le principal utilisateur de ce service. La division minière de l'Algoma fait du minage et du frittage du fer près de Wawa en Ontario. L'ACR exploite un embranchement de 26 milles depuis Hawk Junction (sur sa ligne principale) jusqu'à Michipicoten Harbour, via Wawa. L'embranchement est principalement consacré aux activités de la division minière de l'Algoma.

La majeure partie du trafic transporté est constituée de minerai de fer fritté. Le reste consiste de calcaire, de coke, de fines de minerai et de scories de laminoir. L'agrégat fritté est transporté de Wawa via Hawk Junction jusqu'à Sault Ste. Marie. Le coke, le calcaire, les scories de laminoir et certaines fines de minerai sont transportés de Sault Ste. Marie à Wawa. La grande partie du calcaire et des fines de minerai, ainsi qu'une certaine partie du coke et des scories de laminoir, sont amenés à Michipicoten Harbour par navires cargos de marchandises en vrac à déversement autonome, puis chargés à bord de wagons en vue de leur transport jusqu'à la division minière de l'Algoma.

B. Situation financière de l'ACR

Le bilan consolidé indique que la situation financière de l'ACR est saine et vigoureuse. Il montre un surplus de fonds de roulement de 26 785 000 $ au 31 décembre 1987. Le ratio d'endettement de la compagnie est positif. Il est également à signaler que la situation financière connue de l'ACR deviendrait bien meilleure si les terres forestières que détient la compagnie (environ 850 000 acres qui lui ont été cédées pour la construction de la ligne de chemin de fer) figuraient dans le bilan selon leur valeur marchande plutôt que leur valeur nominale. La valeur intrinsèque et possible de ces terres est considérable.

C. Structure proposée - ACR Inc.

L'ACR propose de céder ses activités ferroviaires et les biens qui s'y rattachent à sa filiale ACR Inc. Elle conserverait ses divisions du transport maritime et de l'immobilier, ainsi que ses autres filiales. L'accord de cession exclut expressément la cession de terres que le Comité de direction de l'ACR a déclarées superflues pour les besoins de la compagnie de chemin de fer. L'ACR reconnaît qu'elle conserverait la plus grande partie des quelque 850 000 acres qui lui ont été cédées, pour la plupart, par les gouvernements en vue de la construction, de l'expansion et de l'exploitation du chemin de fer.

La grande crainte de nombreux opposants réside surtout dans le fait que l'ACR projette de conserver la majeure partie des terres qui lui ont été cédées, ce qui affaiblirait la situation financière de l'ACR Inc. en lui laissant peu d'actif foncier. Les opposants soutiennent que ces terres ont été cédées à l'ACR par les gouvernements dans le but d'assurer la viabilité à long terme de la compagnie de chemin de fer, or puisque ces terres sont détenues en fiducie pour le public, permettre à l'ACR de les conserver au profit de ses actionnaires constituerait un abus de confiance.

L'ACR déclare que le fait de conserver les terres non requises pour la compagnie de chemin de fer représenterait tout probablement un facteur positif, car elles seraient mieux administrées et mises en valeur, ce qui serait bénéfique pour l'économie et le niveau d'emploi de la région. De plus, elle compte qu'il s'ensuivrait une augmentation du trafic pour la compagnie de chemin de fer. L'ACR soutient que, dans les cas où la gestion des terres a été soustraite au contrôle administratif de compagnies de chemin de fer, on a constaté une accélération du développement économique. Bien que l'Office ne trouve, dans la loi, aucune interdiction de dissocier les terres cédées des biens des compagnies de chemin de fer, il estime que cela ne serait pas à l'avantage des activités ferroviaires.

Les terres qui ont été cédées figurent à leur valeur nominale dans les états financiers de l'ACR. Toutefois, leur valeur intrinsèque et possible est manifestement très grande. L'Office convient avec les opposants que le fait que l'ACR conserve la plupart de ces terres affecterait passablement la stabilité financière de l'ACR Inc. Lorsque ces terres seraient mises en valeur dans l'avenir, l'ACR Inc. ne toucherait aucune recette qui pourrait soutenir les activités ferroviaires. Sans ces terres, l'actif de base de l'ACR Inc. est insuffisant, ce qui risque de compromettre sa stabilité financière. Ce facteur lui nuira si elle décide de procéder à une mobilisation de capitaux, sans avoir recours à l'ACR, dans le but de remplacer ses immobilisations dépréciées. Il est évident, d'après les propres déclarations de l'ACR, que des dépenses en capital importantes pourraient devoir être engagées à très court terme. Il est fort peu probable que ces dépenses pourraient être financées par l'ACR Inc. seule.

L'Office a analysé attentivement les états de l'ACR en ce qui concerne la structure proposée du capital et de la dette de l'ACR Inc. Cette structure prévoit pour l'ACR Inc. 60 p. 100 de l'avoir et 40 p. 100 de la dette. La nouvelle compagnie aurait la compagnie mère, l'ACR, pour seul créancier. Indépendamment de ce qui précède, l'Office est d'avis que l'ACR Inc. n'aurait ni l'envergure ni la diversité d'exploitation de l'ACR, ce qui la rendrait vulnérable.

Étant donné les défis auxquels devront faire face les activités ferroviaires, l'Office estime que l'ACR Inc. devrait avoir une base solide afin d'être en position de force pour s'attaquer aux défis qui l'attendent. Toutefois, l'Office constate le contraire et partage l'avis des opposants selon lesquels la mise sur pied de l'ACR Inc. créerait une filiale économiquement faible. En effet, celle-ci devrait faire face aux mêmes difficultés qui, selon l'ACR, ont résulté de l'exploitation ferroviaire, mais avec une base financière et un actif plus faibles.

Avantages sociaux des employés

Certains opposants, plus particulièrement les syndicats, s'inquiètent de ce qui adviendra des avantages sociaux des employés s'il y a cession de la division des chemins de fer. Selon les syndicats, l'ACR a déclaré que les employés de chemin de fer devraient compter sur l'ACR Inc., dont les recettes et l'actif sont restreints, pour les avantages sociaux acquis par les employés. Or l'ACR déclarait concurremment que tous les avantages sociaux des employés continueraient à être protégés et que les régimes de pension passés, présents et futurs n'étaient aucunement menacés.

Ces déclarations apparemment contradictoires laissent planer un doute certain quant à la sûreté des avantages sociaux des employés. Cette incohérence inquiète l'Office qui croit qu'il s'agit là d'une préoccupation justifiée en matière d'intérêt public.

RÉSUMÉ

L'ACR souhaite que l'Office approuve l'accord de cession de la division des chemins de fer de l'ACR à l'ACR Inc. Cette cession vise à rendre l'exploitation ferroviaire plus viable. Selon l'ACR, la viabilité future de la division sera meilleure grâce à sa gestion et à son exploitation par une société axée sur l'optimisation des activités ferroviaires, à la consolidation des activités ferroviaires actuelles et à la diversification dans le nouveau milieu ferroviaire au Canada, de manière à ce que l'ACR Inc. ne dépende pas d'un seul expéditeur, comme c'est le cas sous le régime actuel. L'ACR ajoute qu'elle espère que la réorganisation globale s'avérera bénéfique à long terme pour les activités ferroviaires, par la création, dans la région, d'un milieu d'exploitation plus sain favorisant l'économie générale de Sault Ste. Marie et d'Algoma. L'Office considère ces objectifs comme étant valables et légitimes. Toutefois, les moyens avancés par l'ACR pour les atteindre, nommément la création d'une entité juridique distincte, l'ACR Inc., ont, à son avis, plus de chance de réduire grandement la viabilité des activités ferroviaires.

L'Office conclut que la structure de l'ACR Inc. repose sur des assises financières plus faibles que l'actuelle division de chemins de fer de l'ACR face à des difficultés et des perspectives économiques identiques. Le manque d'envergure et de diversité de l'ACR Inc., conjugué à l'exclusion de la plupart des terres cédées, tel que le propose l'accord de cession, diminuerait la capacité de la compagnie de financer le remplacement de ses immobilisations vieillissantes et l'exécution de ses activités actuelles et futures. Ces assises financières précaires pourraient donner lieu à une réaction en chaîne. En effet, l'ACR Inc. serait moins apte à relever les défis des activités ferroviaires et moins à même de profiter des occasions du nouveau milieu concurrentiel et, par conséquent, plus vulnérable devant une situation économique ou financière difficile. Cette vulnérabilité menacerait directement les services ferroviaires actuellement offerts par l'ACR et la fin de l'exploitation de ces services aurait des répercussions néfastes non seulement sur les employés de la compagnie de chemin de fer et sur leurs avantages sociaux, mais aussi sur le développement économique de la région. Par conséquent, l'Office conclut que la cession de la division des chemins de fer de l'ACR à l'ACR Inc. suivant l'accord proposé ne servirait pas l'intérêt public et il ne l'approuve pas.

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