Décision n° 35-R-2012
PLAINTE déposée par André Normandeau et Tammy Tymchuk en vertu de l’article 95.3 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée.
INTRODUCTION
Plainte
[1] André Normandeau et Tammy Tymchuk, au nom du Noisy Neighbour Group (NNG), ont déposé une plainte auprès de l’Office des transports du Canada (Office) en vertu de l’article 95.3 de la Loi sur les transports au Canada (LTC) contre la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) concernant le bruit et les vibrations produits par les activités ferroviaires de CP dans la cour de triage Golden West (cour de triage), située dans la ville de Golden, dans la province de la Colombie-Britannique. La plainte concerne le bruit et les vibrations produits par le sifflement et les klaxons, les locomotives fonctionnant au ralenti, les essais de frein, les activités de manœuvre et de triage et les grincements de roues.
Question
[2] L’Office doit déterminer si CP respecte ses obligations, en vertu de l’article 95.1 of de la LTC, de limiter les vibrations et le bruit produits à un niveau raisonnable, compte tenu de ses obligations relatives au niveau de service, de ses besoins en matière d’exploitation et du lieu d’exploitation en question. Dans le cas où le bruit et les vibrations ne seraient pas jugés raisonnables, l’Office peut ordonner à CP de prendre des mesures relativement à ses activités ferroviaires pour assurer qu’elle se conforme à l’article 95.1 de la LTC.
Conclusion
[3] L’Office conclut que CP a respecté son obligation de limiter le bruit et les vibrations produits à un niveau raisonnable. Par conséquent, aucune mesure ne sera ordonnée relativement aux activités ferroviaires de CP à la cour de triage.
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
1. Qui sont les parties à la plainte?
Positions des parties
[4] CP fait valoir qu’elle ne connaît pas avec certitude l’identité des plaignants dans cette affaire, hormis M. Normandeau et Mme Tymchuk. La plainte fait référence au NNG et à bon nombre d’autres résidents touchés qui vivent à proximité de la cour de triage, y compris Mme Potter, M. Graham et Mme Kriese.
[5] CP soutient qu’aucun document officiel n’indique que M. Normandeau et Mme Tymchuk agissent à titre de représentants légaux des autres personnes ou que le NNG soit une entité juridique. CP fait valoir qu’une association de fait non constituée en société telle que le NNG n’a pas la capacité juridique de déposer une plainte. CP soutient, par conséquent, que les seuls plaignants reconnus juridiquement dans cette affaire sont M. Normandeau et Mme Tymchuk.
[6] M. Normandeau et Mme Tymchuk soutiennent que le NNG se compose d’eux-mêmes ainsi que de Mme Potter, Mme Kriese, M. Graham et d’autres plaignants. Le NNG ne répond pas explicitement à l’argument de CP voulant que le NNG ne soit pas une entité juridique.
[7] Le NNG a déposé des pétitions de 74 noms de résidents de la ville de Golden et de la région A du Columbia Shuswap Regional District, ainsi qu’une autre pétition de 120 noms de résidents des collectivités municipales et rurales de Golden. Les noms de M. Normandeau, de Mme Tymchuk, de Mme Potter, de M. Graham et de Mme Kriese figurent dans ces pétitions.
Analyse
[8] L’article 95.3 de la LTC prévoit que toute personne peut déposer une plainte. Les Lignes directrices sur la résolution des plaintes relatives au bruit et aux vibrations ferroviaires de l’Office (Lignes directrices) indiquent qu’une plainte peut être déposée par un particulier, une institution, un groupe local ou une municipalité qui juge déraisonnable son niveau d’exposition au bruit et aux vibrations ferroviaires.
[9] Les cours et tribunaux administratifs, en particulier les commissions municipales, traitent de questions touchant aux associations de fait non incorporées qui sont formées de quelques propriétaires agissant dans un but particulier. La Cour d’appel du Manitoba s’est penchée précisément sur cette question dans l’arrêt Ladies of the Sacred Heart of Jesus (Convent of the Sacred Heart) v. Armstrong’s Point Association and Bulgin [1961] M.J. No. 50, une décision qui fait autorité en matière d’association de propriétaires non constituée en société.
[10] Dans l’arrêt Ladies of the Sacred Heart of Jesus, la Cour d’appel a déclaré que seules les personnes reconnues en droit ont la qualité nécessaire pour se constituer en tant que parties devant un organisme judiciaire et invoquer son processus. Les entités non incorporées et non enregistrées ne sont pas en mesure de faire valoir leur point de vue, lequel ne peut être soutenu que par une entité juridique. Au paragraphe 25 de l’arrêt, la Cour d’appel a décidé d’appliquer ce principe fondamental à l’association de propriétaires :
[Traduction] Une association telle que Armstrong’s Point Association n’est qu’un groupe de personnes physiques qui se sont unies ou regroupées dans un but particulier. Une telle association n’a pas de personnalité juridique ou de statut juridique. Elle ne peut pas se constituer partie défenderesse dans une Cour du Banc de la Reine si elle fait l’objet de poursuites en son nom propre; elle ne peut être tenue responsable des frais et n’a pas de statut dans la présente affaire.
[11] La Cour d’appel a reconnu que l’association jouait un rôle utile mais que cela ne lui accordait aucun statut pour prendre part à une procédure judiciaire. De plus, la Cour d’appel a déclaré que l’association n’est pas privée du droit de se faire entendre, puisqu’elle peut, par la nomination de représentants de l’association, agir en qualité de représentant légal ou se constituer en société.
[12] L’Office est d’avis que pour qu’une organisation ou une association telle que le NNG puisse avoir le droit de comparaître devant l’Office, son statut doit être clairement établi Plus particulièrement, si l’organisation est constituée en société, elle doit déposer les documents collectifs pertinents, y compris les détails relatifs à ses dirigeants dûment mandatés. Si l’organisation n’est pas constituée en société, elle est considérée comme étant une association non incorporée, formée de personnes regroupées aux fins du dépôt d’une plainte concernant le bruit et les vibrations. Dans ce cas, l’association doit satisfaire aux exigences de l’Office liées aux éléments de preuve visant à démontrer sa qualité de représentant légal.
[13] L’Office n’a pas traité de façon approfondie de questions liées à la représentation dans ses décisions précédentes.
[14] Toutefois, dans la décision n° 248-R-2010, Bickley c. CP, l’Office a accordé le droit de comparaître à M. Bickley et à dix résidents dont les noms figuraient sur une liste. M. Bickley n’a présenté aucun élément de preuve de l’existence d’une association communautaire ou de toute autre entité juridique au nom de laquelle il aurait été autorisé à faire des représentations, hormis les dix propriétaires. Par conséquent, pour parvenir à cette décision, l’Office a exigé des renseignements sur le groupe de résidents. Les noms, coordonnées et signatures des propriétaires confirmant l’autorité de représentation de M. Bickley et reconnaissant le caractère exécutoire de toute décision de l’Office ont été soumis à l’Office.
[15] Il est indiqué dans le Formulaire de plainte de bruit et de vibrations ferroviaires de l’Office que le plaignant doit indiquer le nom de l’institution, du groupe communautaire, de l’entreprise ou de la municipalité qu’il représente et le mandant de les représenter, et préciser également la nature de l’institution, du groupe ou de l’entreprise.
[16] Advenant qu’un plaignant n’est pas constitué en société ou qu’il ne dépose pas une preuve satisfaisante auprès de l’Office démontrant une forme d’association ou d’entité légale et sa qualité de représentant légal pour cette association ou entité, l’Office exige des éléments de preuve tels que :
- Si la plainte est déposée au nom d’un groupe, un document d’autorisation des personnes appartenant au groupe qui confirme sans ambiguïté que les plaignants représentent le groupe et déclare que toute décision quant à l’affaire s’appliquera à toutes les personnes faisant partie du groupe.
- Si la plainte est déposée au nom de plus d’un plaignant, les noms, coordonnées et signatures de tous les coplaignants ou le nom d’un représentant légal dont la qualité est clairement attestée par les signatures de tous les coplaignants qui acceptent d’être représentés par cette personne et qui déclarent que toute décision quant à l’affaire s’appliquera à tous les signataires.
- Si la plainte est déposée par une seule personne, les coordonnées complètes de cette personne.
[17] Toutes les plaintes doivent également clairement indiquer l’emplacement géographique exact de chaque plaignant par rapport à la/aux source(s) de bruit ou de vibrations.
[18] Le NNG, en tant qu’organisation, n’a pas satisfait à toutes les exigences liées aux éléments de preuve énumérées ci-dessus. Il n’y a aucune preuve du statut juridique distinct du NNG ni aucun document d’autorisation du groupe ou de personnes du groupe qui confirme sans ambiguïté que M. Normandeau et Mme Tymchuk représentent le groupe. Il n’y a aucune indication que toute décision quant à l’affaire s’appliquerait à toutes les personnes qui font partie du groupe.
[19] En outre, aucune preuve substantielle n’a été fournie pour démontrer que M. Normandeau et Mme Tymchuk représentent d’autres personnes ou pour indiquer que toute décision quant à l’affaire s’appliquera à ces autres personnes. Par conséquent, M. Normandeau et Mme Tymchuk n’ont pas satisfait au critère relatif à l’autorité de représentation en ce qui concerne Mme Potter, Mme Kriese, M. Graham ou tout autre prétendu résident touché vivant à proximité de la cour de triage.
[20] En outre, M. Normandeau et Mme Tymchuk ont fourni de nombreuses preuves à l’appui de leur propre plainte concernant le bruit et les vibrations, mais peu de preuves, sinon aucune, pour soutenir les plaintes de Mme Potter, Mme Kriese et M. Graham. L’Office en est d’autant plus conforté dans sa conclusion que cette plainte est, en effet, déposée par M. Normandeau et Mme Tymchuk en leurs propres noms.
[21] M. Graham a déposé des présentations à l’appui des allégations des plaignants. Toutefois, il indique [traduction] « […] qu’il est raisonnable de penser que les problèmes liés au bruit local ont été résolus en ce qui concerne le lieu de résidence et les opérations commerciales touristiques des Graham. » Ceci indique clairement qu’en soumettant ses présentations, M. Graham n’a pas déposé de plainte.
[22] M. Normandeau et Mme Tymchuk ont également déposé des pétitions. Ces pétitions ont été préparées pour demander au conseil municipal de Golden de veiller à ce que CP s’engage auprès de la collectivité dans un processus public de consultation et de traitement des plaintes plus ouvert. Dans les pétitions, il est indiqué que la mise sur pied par CP, la Ville et le NNG d’un comité consultatif chargé d’étudier la situation est préférable au recours à un processus officiel de plainte. Les pétitions n’ont pas été formulées pour permettre à un groupe de personnes d’acquérir la qualité d’agir devant l’Office. Les pétitions ne s’appliquent donc pas à la plainte concernant le bruit et les vibrations déposée devant l’Office et, par conséquent, ne seront pas prises en compte.
[23] Par conséquent, l’Office n’examinera que la plainte individuelle déposée par M. Normandeau et Mme Tymchuk (plaignants).
2. Les mesures de coopération ont-elles été épuisées?
[24] La LTC précise qu’avant que l’Office puisse enquêter sur une plainte concernant le bruit et les vibrations ferroviaires, il doit être convaincu que les mesures de coopération indiquées dans les Lignes directrices ont été épuisées.
[25] Les Lignes directrices prévoient qu’avant de faire connaître ses préoccupations à une compagnie de chemin de fer, un plaignant devrait consulter son administration municipale concernant le problème de bruit et de vibrations ferroviaires. L’administration municipale peut disposer d’information et d’expertise pertinentes à la résolution de la plainte et peut souhaiter participer à la discussion avec la compagnie de chemin de fer. Pour répondre aux exigences en matière de mesures de coopération des Lignes directrices, les mesures qui suivent doivent être prises : une communication directe doit être établie entre les parties, un dialogue significatif doit avoir lieu, les solutions proposées doivent être évaluées et des efforts raisonnables doivent être faits pour résoudre la plainte, y compris au moyen de la facilitation et de la médiation.
[26] Dans le cas présent, de nombreuses preuves attestent les mesures de coopération entreprises par les parties, depuis 2003, en concertation avec la Ville de Golden, sous forme d’appels téléphoniques acheminés à une ligne contact avec les collectivités et d’autres correspondances transmises par courrier électronique et postal. De plus, le 21 juillet 2010, les parties, ainsi que la Ville de Golden, ont accepté de participer à un processus de médiation de l’Office. Toutefois, le dossier a été renvoyé à l’Office le 12 décembre 2010 pour règlement dans le cadre d’un processus décisionnel formel pour cause d’échec de la médiation.
[27] L’Office accepte que les mesures de coopération ont été épuisées dans cette affaire avec une résolution insatisfaisante du différend pour les parties.
CONTEXTE
[28] La ville de Golden compte environ 4 400 habitants. Elle est située dans la vallée du Columbia de la Colombie-Britannique et a toujours été un carrefour ferroviaire pour CP. Golden a servi de camp de base pendant la construction du chemin de fer transcontinental de CP et, après son achèvement en 1885, Golden est devenue un arrêt important sur la ligne ferroviaire. La ville de Golden est située stratégiquement à la jonction des subdivisions Windermere et Mountain de CP. La subdivision Windermere est utilisée pour l’acheminement des wagons à charbon selon un axe nord-sud le long de la vallée du Columbia à partir du sud de la Colombie-Britannique. La subdivision Mountain de CP fait partie de la ligne principale du réseau transcontinental qui s’étend de l’est du Canada jusqu’au port de Vancouver. Tous les chargements de charbon à destination du port de Vancouver transitent par Golden, de la subdivision Windermere à la subdivision Mountain de CP.
[29] La subdivision Mountain de CP, qui traverse les montagnes Rocheuses, est le segment le plus achalandé du réseau de CP, et un total de 32 à 34 trains y voyagent quotidiennement vers l’est ou l’ouest. CP doit gérer l’ensemble du transport de marchandises en provenance et à destination du port de Vancouver par l’intermédiaire de cette plaque tournante ferroviaire. Le transport comprend les trains de céréales, les trains de potasse, les trains intermodaux et une variété d’autres trains de marchandises. La cour de triage, laquelle est située à l’extrémité nord de la subdivision Windemere, directement au sud de la subdivision Mountain, observe un volume de trafic quotidien d’environ 10 à 15 trains.
[30] Dans les années 1970, au moment où CP a décidé qu’il lui fallait une cour de triage pour répondre à la circulation accrue des trains de charbon, CP a examiné plusieurs endroits situés à l’ouest de Golden. Toutefois, la Ville de Golden a demandé que la cour de triage soit installée à Golden en raison des nombreuses retombées attendues, notamment sur le plan des possibilités d’emploi pour la collectivité. CP a accepté cette demande.
[31] La construction de la cour de triage a été réalisée pendant les années 1980 sur une parcelle de terrain attenante à la subdivision Windermere de CP située à la périphérie de Golden (extrémité sud). La cour de triage a été ouverte en 1987. Au sud et à l’ouest, la cour de triage est bordée de plaines marécageuses et de broussailles, du fleuve Columbia et de la vallée du fleuve Columbia qui s’y étend. Le principal complexe domiciliaire et commercial de Golden se situe au nord de la cour de triage. Environ la moitié de la longueur de la cour de triage est séparée de Golden par l’autoroute 95, laquelle est une importante autoroute à quatre voies qui raccorde Golden et ses environs à la Transcanadienne (route 1) et est adjacente à la limite nord de la cour de triage. De plus, l’aéroport municipal de Golden se trouve à côté du fleuve Columbia à moins d’un kilomètre au nord de la cour de triage.
[32] Les fonctions de la cour de triage à Golden comprennent ce qui suit :
- lorsque les trains qui transportent du charbon atteignent la fin de la subdivision Windermere, CP doit leur ajouter une locomotive afin d’assurer une puissance suffisante pour la montée vers les subdivisions Mountain et Shuswap. Les locomotives supplémentaires sont rassemblées dans la cour de triage, prêtes à être ajoutées aux trains de charbon à leur arrivée;
- inspection des wagons de charbon vides;
- remplacement sur les trains-blocs des wagons vides qui nécessitent de l’entretien et des réparations;
- réparation des wagons – la cour de triage dispose d’un atelier de réparation et d’entretien de wagons;
- formation des trains destinés au transport local de marchandises.
[33] La résidence des plaignants est située à l’extérieur des limites de la ville de Golden, plein ouest du côté nord de la cour de triage. Les plaignants ont acheté leur propriété et y ont construit un petit pavillon en 1985. Ils en font leur résidence principale depuis les 12 dernières années. Ils sont situés dans un milieu rural entouré de terrains non exploités. Leur propriété se trouve sur une pente à une élévation supérieure à la cour de triage. Ils habitent à 325 mètres de l’extrémité de la propriété du chemin de fer.
[34] La plainte concerne principalement le bruit nocturne des locomotives fonctionnant au ralenti, du sifflement et des klaxons, des essais de frein, des manœuvres excessives, des vibrations et des grincements de roue produits par les activités de la cour de triage. Les plaignants déclarent que le bruit et les vibrations ont perturbé leur sommeil et ont eu des effets à long terme sur leur capacité de travailler, leur mode de vie et leur santé. Ils déclarent également avoir subi des dommages et des pertes de valeur relativement à leur maison et leur propriété. Les plaignants affirment avoir réalisé des investissements considérables dans leur maison pour y atténuer le bruit produit par les activités ferroviaires de CP, y compris l’installation de fenêtres à triple vitrage avec couche supplémentaire d’air isolant et vitrage acoustique, de panneaux d’isolation phonique sous le plâtre à stuc, et le recouvrement d’autres fenêtres.
CONTEXTE LÉGISLATIF
[35] L’article 95.1 de la LTC impose une obligation aux compagnies de chemin de fer de limiter les vibrations et le bruit produits à un niveau raisonnable, compte tenu de leurs obligations de service, de leurs besoins en matière d’exploitation et du lieu d’exploitation du chemin de fer.
[36] En vertu de l’article 95.3 de la LTC, sur réception d’une plainte selon laquelle une compagnie de chemin de fer ne se conforme pas à l’article 95.1 de la LTC, l’Office peut ordonner à la compagnie de chemin de fer de prendre les mesures en matière de construction ou d’exploitation du chemin de fer que l’Office estime raisonnables pour assurer qu’elle respecte son obligation concernant le bruit et les vibrations prévue dans cet article.
ANALYSE VISANT À DÉTERMINER SI LE BRUIT ET LES VIBRATIONS SONT RAISONNABLES
Évaluation du caractère raisonnable du bruit et des vibrations
Conciliation des droits
[37] Les plaignants reconnaissent l’importance de CP pour la région. Toutefois, ils affirment que le bruit excessif, qui a commencé avec la construction par CP du détournement du chemin de fer Windermere et de la nouvelle cour de triage attenante aux zones résidentielles existantes, les a affectés négativement. Ils font valoir que depuis l’ouverture de la cour de triage en 1987, CP utilise un nombre croissant de trains, des locomotives plus puissantes, des wagons à charbon de plus grande capacité et des trains plus longs qui ont amélioré la rentabilité de CP et des expéditeurs de charbon, tandis que Golden doit supporter le fardeau de plus en plus lourd du bruit des activités de la cour de triage 24 heures par jour et 7 jours par semaine. La plainte en
cours résulte d’un changement apparent des activités de CP qui s’est traduit par un accroissement du sifflement en mars 2008 et une augmentation de la marche au ralenti des locomotives en 2009.
[38] CP soutient que l’Office doit demeurer attentif au respect des principes de coexistence et au fait que le bruit ferroviaire est réputé acceptable et conforme à la loi s’il s’accorde dans une mesure raisonnable aux exigences en vigueur concernant le service ferroviaire, l’exploitation, la sécurité et l’endroit. CP fait valoir également que l’Office doit concilier les intérêts envisagés dans la LTC – un équilibre qui autorise les compagnies de chemin de fer de compétence fédérale à mener des activités produisant du bruit et des vibrations à un niveau raisonnable établi en fonction du service, de l’exploitation, de l’endroit et d’autres contraintes.
[39] Comme l’indiquent les Lignes directrices, le défi dans ce type de plainte réside dans l’atteinte d’un équilibre entre les préoccupations des collectivités et la nécessité pour une compagnie de chemin de fer de maintenir une exploitation ferroviaire efficace et économiquement viable. De manière générale, cet équilibre est inhérent à l’exigence réglementaire de limiter le bruit et les vibrations produits à un niveau raisonnable.
[40] L’Office a confirmé ce principe dans la décision no 221-R-2010, Antoon Groenestein et Robyn Wiltshire c. l’Agence métropolitaine de transport :
Le cadre législatif et la politique nationale des transports contenue dans l’article 5 de la LTC établissent clairement que, dans l’exercice de son mandat en vertu de l’article 95.3, l’Office doit soupeser les intérêts des différentes parties. Les compagnies de chemin de fer et les administrations de transport de banlieue, d’une part, participent à des activités qui causent nécessairement du bruit et des vibrations, et ces activités sont nécessaires pour leur permettre de respecter leurs diverses obligations en matière de niveaux de service et d’exigences opérationnelles, ainsi que pour maintenir « un système de transport national compétitif et rentable qui […] est essentiel à la satisfaction des besoins de ses usagers et au bien-être des Canadiens et favorise la compétitivité et la croissance économique dans les régions rurales et urbaines partout au Canada ». Cependant, d’autre part, les intérêts de la communauté affectée par ce bruit et ces vibrations doivent être pris en considération, d’abord par les compagnies de chemin de fer et les administrations de transport de banlieue dans la détermination de la meilleure approche pour effectuer ces activités afin de respecter leurs obligations en vertu de l’article 95.1, puis par l’Office, pour déterminer si le bruit et les vibrations sont raisonnables dans les circonstances.
[41] Le cadre juridique envisagé dans la LTC en matière de plaintes concernant le bruit et les vibrations est semblable à celui du droit de la nuisance, c’est-à-dire qu’il s’efforce de concilier des droits et des demandes contradictoires de propriétaires fonciers. Bien que l’Office ne soit pas strictement lié par les principes du droit de la nuisance, il est d’avis que la jurisprudence établie par les tribunaux sur ces questions lui est utile pour analyser les plaintes concernant le bruit et les vibrations. En outre, avant l’adoption des dispositions de la LTC concernant le bruit et les vibrations, les tribunaux ont été appelés à définir les nuisances phoniques liées aux compagnies de chemin de fer. Dans l’arrêt Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Brocklehurst, [2000] A.C.F. no 2020, la Cour d’appel fédérale a reconnu que dans le cas où la compagnie de chemin de fer n’a pas exproprié de terrain, la règle veut qu’une personne ne puisse formuler une plainte que par la voie d’une action en common law pour nuisance si elle a allégué qu’une compagnie de chemin de fer produisait trop de bruit et de vibrations dans le cadre de ses activités quotidiennes.
[42] Dans l’arrêt St. Pierre c. Ontario (ministre des Transports et des Communications), [1987] 1 R.C.S. 906, la Cour suprême du Canada, aux paragraphes 7 et 10, fait référence au « critère » et à la « définition globale » (et applique ce critère et cette définition) du terme nuisance énoncés dans The Law of Torts, 4th ed. (Sydney: Law Book Co., 1971) de John G. Flemming :
[Traduction] Le plus grave problème dans le droit de la nuisance consiste donc à établir un équilibre tolérable entre des réclamations incompatibles de propriétaires fonciers qui invoquent chacun le privilège d’exploiter les ressources et de jouir des agréments de leurs biens sans avoir à se soumettre indûment aux intérêts réciproques d’autrui. La conciliation s’obtient par le compromis, et le fondement du rajustement est l’utilisation raisonnable. L’intervention de la loi n’est justifiée que lorsqu’une utilisation excessive du bien cause des inconvénients qui vont au-delà de ce que les autres occupants dans les environs peuvent s’attendre de supporter, compte tenu des normes de confort acceptées à cette époque et à cet endroit. Dans ce contexte, le caractère raisonnable présente deux volets. Il est envisagé non seulement du point de vue de l’agrément du défendeur, mais il doit également tenir compte de l’intérêt des occupants des environs. Il ne suffit pas de se demander si le défendeur utilise son bien d’une façon qui serait raisonnable s’il n’avait pas de voisin. La question est plutôt de savoir s’il l’utilise de manière raisonnable, compte tenu du fait qu’il a un voisin.
[soulignement ajouté]
[43] Afin d’établir si CP a limité le bruit et les vibrations à un niveau raisonnable, l’analyse de l’Office gagnera à tenir compte des principes du droit de la nuisance avant d’évaluer le bruit et les vibrations qui importunent les plaignants en fonction des critères définis dans la LTC.
Principe du caractère raisonnable et facteurs à examiner
[44] Les Lignes directrices prévoient que l’Office détermine ce qu’est un bruit ou une vibration « raisonnable » en tenant compte de tous les éléments qui y sont mentionnés, ainsi que de la jurisprudence concernant ce qui est « raisonnable ». Le caractère raisonnable d’un élément doit être déterminé de façon ponctuelle, afin de déterminer objectivement ce qui est juste et convenable dans un cas particulier. Ce qui est raisonnable dans certaines circonstances peut ne pas l’être dans d’autres.
[45] Le sens du mot « déraisonnable » par rapport à une nuisance susceptible d’action a été interprété par la Cour suprême du Canada comme étant [traduction] « les seuls inconvénients qui préjudicient sensiblement au confort ordinaire selon les normes de ceux qui ont un goût simple et réservé » (voir Tock c. St. John’s Metropolitan Area Board, [1989] 2 R.C.S. 1181) [Tock]. La Cour suprême du Canada affirme par ailleurs que le préjudice à la tranquillité et à la jouissance peut être classé comme [traduction] « nuisance […] à l’origine d’un malaise personnel appréciable […] tout ce qui perturbe ou a un effet négatif sur les sens ou les nerfs ».
[46] Dans Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, [2008] 3 R.C.S. 392, au paragraphe 77, une affaire de troubles de voisinage liés à l’exploitation d’une cimenterie, la Cour suprême du Canada a déclaré que [traduction] « […] [l]a perturbation doit être intolérable pour une personne ordinaire […] ».
[47] Un jugement de premier plan en Colombie-Britannique en matière de droit de la nuisance est le Royal Anne Hotel Co. Ltd. v. Village of Ashcroft, [1979] B.C.J. No. 2068, où le refoulement d’une conduite d’égout municipale a causé des dommages. Le juge McIntyre, J.C.A., a expliqué le caractère déraisonnable de la manière suivante au paragraphe 14 :
[Traduction] Qu’est-ce qu’une atteinte déraisonnable aux droits fonciers? Dans la réponse donnée à cette question, il importe évidemment de tenir compte de toutes les circonstances. Ce qui peut être raisonnable à un moment ou à un endroit donné peut être complètement déraisonnable à un autre. Chaque odeur, odeur de fumée, bruit issu de machines ou de musique n’autorise certainement pas un plaignant outré à obtenir une indemnisation. Il est impossible d’établir des normes précises et détaillées, mais l’atteinte doit être importante et grave et d’une nature telle qu’il est clair que, selon les notions acceptées à ce jour, celle-ci devrait être une transgression susceptible d’action. Il a été dit, voir McLaren, « La nuisance au Canada », précité, que les juges canadiens, dans Walter v. Selfe (1851), 4 De G. & Sm. 315, [p. 322], 64 English Reports 849, ont adopté les principes du vice-chancelier Knight Bruce selon lesquels la possibilité d’être poursuivi résultera d’une perturbation aux « commodités matérielles ordinaires de l’existence humaine, non seulement en fonction de modes et d’habitudes de vie élégants ou coquets, mais en fonction de notions claires, réfléchies et simples ». Ce précepte a été approuvé par le juge Middleton de la Haute Cour de l’Ontario dans Appleby v. Erie Tobacco Co. (1910), 22 Ontario Law Reports 533, aux pp. 535-536 […]
[soulignement ajouté]
[48] Pour ce qui est des cours de l’Ontario, le jugement rendu dans Walker et al. v. Pioneer Construction Co. (1967) Ltd., [1975] O.J. No. 2254 (Haute Cour de justice de l’Ontario) fait figure de jugement de principe. La Haute Cour a fait la déclaration suivante au paragraphe 41 :
[Traduction] […] Une nuisance alléguée du type de celle en l’espèce, pour être susceptible de donner matière à des poursuites :
[…] doit représenter une perturbation importante au confort ou aux commodités de l’existence selon des critères qui s’appliquent à une personne moyenne. […] En outre, l’inconfort doit être important non seulement en ce qui concerne le plaignant; il doit avoir une envergure telle qu’il serait important pour toute personne qui occuperait la résidence du plaignant, sans tenir compte de son occupation professionnelle, de son âge ou de son état de santé. Il doit s’agir « d’une perturbation qui porte préjudice aux commodités matérielles ordinaires de l’existence humaine […] ». (Walter v. Selfe [1851] 4 De G. & Sm. 315, 322).
[49] Afin de déterminer si le bruit et les vibrations sont raisonnables, il existe des facteurs qui doivent être évalués en matière de droit de la nuisance. À maintes reprises, ces facteurs ont été pris en compte par de nombreux tribunaux (voir Tock), ainsi que dans les cas les plus récents provenant de la Colombie-Britannique. (Susan Heyes Inc. [c.o.b. Hazel & Co.] v. Vancouver [City]), [2009] B.C.J. No. 1046) et d’Ontario (Balmain Hotel Group L.P. v. 1547648 Ontario Ltd. [c.o.b. Ménage], [2009] O.J. No. 2280 (QL). Ces facteurs sont la gravité et la nature de la perturbation, l’utilité de l’activité du défendeur, la particularité du voisinage et la sensibilité du plaignant.
[50] Des parallèles clairs peuvent être établis avec le cadre juridique de la LTC : la perturbation est le bruit et les vibrations, l’utilité de l’activité peut être liée aux obligations en matière de niveau de service et aux besoins en matière d’exploitation de la compagnie de chemin de fer, et la particularité du voisinage correspond au lieu où les activités sont menées.
[51] Dans le cadre de la LTC, tout en reconnaissant la valeur de la jurisprudence issue du droit de la nuisance et en appliquant cette dernière, l’Office doit d’abord déterminer l’existence de bruit et de vibrations qui constituent la perturbation importante au confort ordinaire ou aux commodités de l’existence selon des normes qui s’appliquent à une personne moyenne (perturbation importante). Si l’Office estime que le bruit et les vibrations n’entraînent pas une perturbation importante, il n’y a pas lieu de poursuivre l’analyse. Dans le cas contraire, un deuxième niveau d’analyse s’impose à l’Office, à savoir une évaluation du bruit et des vibrations en fonction des critères énoncés à l’article 95.1 de la LTC. Cette évaluation vise à déterminer si, dans ce contexte, le bruit et les vibrations sont raisonnables, à défaut de quoi, des mesures d’atténuation peuvent être ordonnées par l’Office.
[52] CP prétend que Mme Tymchuk manifeste une hypersensibilité à tout bruit ferroviaire qui émane de la cour de triage. CP fait valoir que la norme applicable en matière de bruit et de vibrations est fondée sur les réactions d’une personne moyenne. Selon CP, c’est la réaction moyenne qui doit guider l’Office dans son évaluation du caractère raisonnable de l’incidence d’une activité ferroviaire donnée. Dans le cas présent, CP fait valoir que, tandis qu’il existe bon nombre de preuves d’une réaction individuelle, il n’y a que peu, ou pas de preuves directes de ce qu’est ou était la réaction moyenne. CP déclare que la norme employée pour déterminer si son activité entraîne une perturbation déraisonnable est objective.
[53] CP ajoute qu’au vu de la doctrine juridique, la perturbation causée doit être importante et dépasser le désagrément ou quelque chose qui trouble la tranquillité d’esprit.
[54] CP déclare que parmi les centaines de résidents de Golden qui vivent à une distance comparable de la cour de triage (à environ moins de 1 000 mètres), aucune plainte en bonne et due forme n’a été déposée. Selon CP, en fait, c’est tout le contraire. CP soutient que le dossier devant l’Office montre que les responsables de Golden et les élus qui représentent en droit et en pratique la collectivité acceptent tous les niveaux de bruit et de vibrations actuels.
[55] Les cours ont eu l’occasion d’examiner la question de la pertinence d’autres plaintes, ou de l’absence de plainte, dans le voisinage du lieu où sont situées les résidences des plaignants. Dans Woodman v. Capital (Regional District), [1999] B.C.J. No. 2262 (BCSC), la Cour suprême de la Colombie-Britannique a examiné les plaintes possibles d’autres citoyens qui vivaient ou avaient vécu dans le voisinage immédiat d’une installation de laquelle du bruit était censé émaner. C’était également le cas dans Walker et al. v. Pioneer Construction Co. (1967) Ltd., [1975] O.J. No. 2254, où la Haute Cour de justice de l’Ontario a examiné [traduction] « ce que les autres occupants du voisinage peuvent devoir s’attendre à supporter ».
[56] L’Office est d’avis que pour effectuer l’évaluation au regard des normes qui s’appliquent à une personne moyenne, des résidences comparables doivent être situées dans la même zone d’exposition, c’est-à-dire dans la région où le bruit et les vibrations peuvent avoir des répercussions. Bien que la résidence de M. Graham se trouve dans les environs de celle des plaignants, elle est située à une élévation supérieure, ce qui la place en retrait de l’exposition sonore. À ce titre, la comparaison ne peut pas être réputée acceptable. De plus, selon les photographies aériennes soumises par CP, d’autres résidents de Golden, qui vivent à une distance comparable, sont protégés par les bâtiments voisins et par la topographie naturelle, ce qui n’est pas le cas des plaignants.
[57] L’Office conclut donc que les plaignants se trouvent dans une situation unique, en raison de la proximité de leur lieu de résidence et de la topographie qui peuvent avoir une incidence sur leur exposition au bruit et aux vibrations produits par les activités de CP, laquelle situation ne peut pas être comparée à celle des autres résidences du voisinage.
CP a-t-elle produit du bruit et des vibrations qui constituent une perturbation importante?
[58] Dans son analyse du bruit et des vibrations, l’Office a indiqué dans ses Lignes directrices qu’il examinera les éléments suivants :
- les caractéristiques et l’importance du bruit ou des vibrations (comme le niveau et les types de bruit [ponctuel ou continu], l’heure, la durée et la fréquence);
- les mesures ou études pertinentes sur le bruit et les vibrations effectuées dans le lieu touché;
- la présence de bruits environnants autres que ceux émanant de l’exploitation ferroviaire, tels que le bruit d’une autoroute;
- les répercussions, sur les personnes touchées, des perturbations causées par le bruit ou les vibrations;
- les normes pertinentes pour évaluer l’importance des effets du niveau de bruit et de vibrations.
[59] L’Office est chargé d’analyser le bruit et les vibrations, en gardant à l’esprit les éléments mentionnés dans les Lignes directrices, lorsqu’ils sont applicables.
Bruits produits par les activités de manœuvre et de triage et le grincement de roues
Positions des parties
[60] Les plaignants déclarent que les activités de manœuvre et de triage se déroulent à tout moment du jour et de la nuit, et sont très dérangeants. Bien qu’ils affirment qu’il s’agit d’un problème important, ils reconnaissent, toutefois, que les activités de triage se font désormais du côté sud de la cour de triage et qu’elles ne se font pas la nuit. De plus, ils déclarent que grâce aux améliorations acoustiques qu’ils ont réalisées dans leur maison, les bruits des activités de manœuvre ont été efficacement atténués.
[61] CP déclare que les activités de manœuvre et de triage sont menées principalement pour remplacer sur les trains-blocs de charbon les wagons qui nécessitent de l’entretien et des réparations, et pour la formation des trains destinés au transport local de marchandises. En août 2008, CP a déplacé ses activités de triage à l’extrémité sud de la cour de triage, les éloignant davantage de toute résidence située à proximité de la limite nord de la cour de triage.
[62] En octobre 2008, CP a également supprimé certaines activités de nuit, dont l’une des affectations de manœuvre, et a augmenté ses activités de triage pendant d’autres quarts de travail réguliers. De plus, CP soutient qu’elle limite la vitesse d’accouplement dans la cour de triage à un maximum de quatre milles à l’heure afin de minimiser le bruit produit par la réaction des attelages ou par les accouplements pendant les activités de triage.
[63] Enfin, CP a repositionné ses wagons en attente d’un déplacement, et les place désormais sur la voie extérieure à l’extrémité nord de la cour de triage de façon à ce que les wagons puissent former une barrière acoustique.
[64] Les plaignants mentionnent également dans leur plainte qu’ils sont dérangés par le bruit causé par le grincement de roues. CP n’a pas commenté cette allégation.
Analyse
[65] CP a cessé ses activités de triage de nuit et les a déplacées pour que la plupart des activités de manœuvre et de triage se déroulent au sud de la cour de triage où le bruit a moins d’incidence sur les membres de la collectivité. L’Office note, par ailleurs, que les plaignants ont également pris leurs propres mesures d’atténuation du bruit en installant dans leur maison des dispositifs d’isolation acoustique, et qu’ils reconnaissent que les bruits liés aux activités de manœuvre et de triage ont été efficacement atténués.
[66] L’Office conclut que le bruit produit par les activités de manœuvre et de triage ne constitue pas une perturbation importante pour les plaignants. Par conséquent, l’Office conclut qu’il n’y a pas lieu de prendre d’autres mesures concernant ces activités, ni d’évaluer le bruit en fonction des critères énoncés dans la LTC.
[67] Quant au bruit lié au grincement de roues allégué par les plaignants, ces derniers n’ont déposé aucune preuve quant à sa nature précise, sa durée ou son incidence. L’Office ne peut effectuer aucune évaluation pour déterminer si le bruit existe ou s’il constitue une perturbation importante pour les plaignants. Par conséquent, l’Office conclut qu’il n’y a pas lieu de prendre d’autres mesures concernant ce bruit en vertu de la LTC.
Sifflement et klaxons, essais de frein et locomotives fonctionnant au ralenti dans la cour de triage
a) Nature, fréquence et durée du bruit et des vibrations et incidence sur les plaignants
Positions des parties
[68] Les plaignants décrivent le bruit et les vibrations produits par la marche au ralenti des locomotives et le bruit produit par les essais de frein comme étant un grondement constant de basse fréquence qui nuit à leur qualité de vie et entraîne une perte de sommeil, une impression d’être privé de son chez-soi, une souffrance morale et un piètre rendement au travail. Ils font également valoir qu’ils ont des effets néfastes à long terme sur leur capacité de travailler, leur mode de vie, leur santé, et qu’il y a eu des dommages causés à leur maison et leur propriété et la perte de valeur connexe. Le dérangement devient déraisonnable la nuit lorsque CP stationne des locomotives et effectue des essais de frein à proximité de leur maison. Ces dérangements ont lieu la nuit. La mise en attente des trains de charbon se fait directement devant leur maison. Pour pouvoir dormir la nuit, ils laissent un ventilateur électrique en marche et portent des bouchons d’oreille.
[69] Les plaignants soutiennent également que le bruit produit par le sifflement et les klaxons se présente généralement sous forme de petits coups brefs dont la tonalité semble différente des sifflets qu’on fait retentir sur les trains en mouvement le long de la principale ligne de chemin de fer de CP.
[70] CP reconnaît qu’il ne fait aucun doute que ses activités à la cour de triage produisent du bruit, mais le bruit et les vibrations ferroviaires contestés provenant de ces activités sont principalement, sinon entièrement, liés à la mise en attente des trains de charbon destinés à l’exportation. Les chargements de ces trains doivent être livrés directement et dans des délais raisonnables aux navires à quai au port de Vancouver. CP indique que pendant la phase de marche au ralenti de l’activité de mise en attente des trains de charbon à destination des montagnes Rocheuses, ses locomotives produisent du bruit et des vibrations de basse fréquence.
[71] CP décrit le sifflement comme une brève impulsion sonore. Elle soutient que bien que le sifflement puisse se produire à n’importe quel moment, la fréquence est plutôt insignifiante, le nombre de trains quotidien étant restreint.
Analyse
[72] Les deux parties offrent une description semblable de la nature du bruit et des vibrations. Toutefois, l’évaluation de l’incidence du bruit et des vibrations est subjective. Cette situation était à prévoir, comme l’a reconnu la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Mandrake Management Consultants Ltd. v. Toronto Transit Commission (Ont. C.A.), [1993] O.J. No. 995, qui se rapportait à des lignes de métro produisant du bruit et des vibrations et dans laquelle la Cour a conclu que [traduction] « toute évaluation du niveau de bruit et de vibrations est forcément une question d’impression et de sensibilité personnelles. »
[73] Dans le cas présent, les plaignants ont fourni une preuve sous forme de journal quotidien portant sur la période de 2003 à 2010 et de nombreux courriels à destination et en provenance de CP. Le journal quotidien démontre les problèmes liés au bruit de sifflement de 2003 à 2010 et ceux liés à la marche au ralenti des locomotives à partir de 2009. Les courriels portent sur la période de 2008 à 2010 et concernent les mêmes problèmes.
[74] Au vu de la preuve, le sifflement n’est pas particulièrement long, mais il est très fort et réveille les plaignants. Quant à la marche au ralenti des locomotives, les plaignants ont fourni la preuve qu’elle se poursuit sur de longues durées.
[75] L’Office est convaincu qu’il y a eu du bruit lié au sifflement et à la marche au ralenti des locomotives aux dates mentionnées par les plaignants, à l’exception de quelques occasions contestées par CP.
b) Moment auquel le bruit et les vibrations se produisent
Positions des parties
[76] Les plaignants ont fourni de nombreuses preuves subjectives attestant qu’ils sont très affectés par le bruit produit par les locomotives fonctionnant au ralenti et le sifflement qui émanent de la cour de triage pendant la nuit. On compte parmi ces preuves un registre des appels acheminés à la ligne contact avec les collectivités de CP qui contient les heures et les dates auxquelles le bruit produit par le sifflement les a réveillés pendant la nuit, ainsi que les périodes prolongées de bruit de locomotives fonctionnant au ralenti et de bruit de compresseur d’air, en particulier la nuit. CP n’a pas contesté cette preuve.
[77] Des photographies aériennes déposées par CP ont permis d’identifier d’autres sources de bruit dans la région, y compris l’aéroport municipal de Golden, la Transcanadienne et le fleuve Columbia. CP soutient que toutes ces sources de bruit contribuent à l’ensemble du bruit de fond ambiant pendant le jour et la nuit.
Analyse
[78] Le bruit pendant la nuit peut être beaucoup plus dérangeant pour les personnes que pendant le jour. Dans le jugement Walker et al. v. Pioneer Construction Co. (1967) Ltd., [1975] O.J. No. 2254, la Haute Cour de justice a jugé de manière distincte les activités se déroulant la nuit et tôt le matin. La Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 43 :
[Traduction] […] En se plaignant du bruit la nuit et, ce qui est plus en accord avec la preuve faite relativement aux activités récentes, tôt le matin, je ne crois pas que les demandeurs manifestent une sensibilité ou une délicatesse anormales. Je ne crois pas que « la loi des concessions mutuelles » les oblige à tolérer cette perturbation sans aucune forme de redressement. Le caractère du voisinage n’est pas tel que le défendeur puisse raisonnablement s’attendre à employer les heures normalement consacrées au sommeil comme celles du reste de la journée. Outre les bruits intermittents de la circulation, dont l’intensité est réduite pendant la nuit, et le passage occasionnel de trains, la preuve n’indique aucune autre source importante de son ou de bruit dans la région pendant la nuit et tôt le matin. Cette tranquillité relative est considérablement troublée par la mise en marche de l’usine d’asphalte, dont la plupart des activités commencent à 6 heures. Bien qu’il puisse être important pour le défendeur de commencer tôt du point de vue de son intérêt propre, il est déraisonnable de s’attendre à ce que les plaignants supportent le bruit à ce moment-là ou plus tôt. À cet égard, pour faire référence au jugement de Fleming cité plus tôt, le défendeur n’utilise pas sa propriété raisonnablement compte tenu du fait qu’il a un voisin.
[79] L’Office convient que le bruit peut être plus dérangeant la nuit que le jour. Toutefois, il est important, comme il est indiqué ci-dessus, de tenir compte également des sources de bruit ambiant. Dans le cas présent, l’incidence de toute autre source de bruit ambiant sur les plaignants n’est pas connue. Bien que CP ait fait mention d’autres sources de bruit, aucune preuve n’a été déposée concernant le niveau de bruit ambiant qui en résulte. Cette preuve aurait pu démontrer l’incidence réelle du bruit ambiant en comparaison à celui de la cour de triage. Par conséquent, il n’est pas possible pour l’Office de prendre en compte l’incidence du bruit ambiant.
c) Emplacement de la résidence des plaignants
Positions des parties
[80] Selon les représentations, la résidence des plaignants est située sur une pente élevée au-dessus du fleuve Columbia. dans un milieu rural entouré de terrains non exploités. CP croit que les bruits de la cour de triage résonnent, dans une certaine mesure, dans la vallée du fleuve Columbia, et indique que la portée ou l’intensité de cette résonance peuvent être fonction du temps, de l’heure de la journée et de la saison.
[81] CP indique que B.C. Hydro est en train de construire une importante ligne électrique près de la propriété des plaignants. Cette ligne remplacera la ligne existante qui alimente Golden en électricité. Une nouvelle sous-station sera construite à proximité de la résidence des plaignants. On s’attend à ce que la construction de la ligne électrique donne lieu à l’enlèvement de la végétation et des arbres le long du corridor de B.C. Hydro qui borde la propriété des plaignants. Selon CP, l’enlèvement des barrières acoustiques formées de la végétation pourrait exposer davantage les plaignants au bruit d’autres sources, y compris de la cour de triage.
Analyse
[82] L’Office reconnaît que l’incidence du bruit produit sur une pente élevée en région montagneuse peut produire des niveaux de bruit différents comparativement à un terrain plat. Les niveaux de bruit peuvent varier en raison d’une atténuation réduite au sol et des conditions météorologiques particulières aux régions montagneuses. De plus, il est possible que de multiples réflexions dans la vallée convergent vers la résidence des plaignants. L’Office convient que la résidence des plaignants est peut-être située à un endroit unique tel que l’incidence de l’exposition des plaignants au bruit est plus importante que pour d’autres personnes habitant la région en général.
[83] Aucun renseignement n’a été fourni à l’Office concernant l’incidence de l’enlèvement des barrières acoustiques formées de la végétation sur le niveau de bruit produit par la cour de triage et perçu à partir de la résidence des plaignants.
d) Niveau de bruit et de vibrations
Positions des parties
[84] Les plaignants ont présenté en preuve le C.P. Rail Special Projects, Golden B.C. Environmental Impact Assessment Wildlife & Acoustical Studies (Rapport sur le bruit) préparé par Talisman Land Resource Consultants en 1983. L’étude a été réalisée avant l’ouverture de la cour de triage. Ce Rapport sur le bruit donne une directive générale quant aux niveaux de bruit liés à des activités ferroviaires particulières et souligne quelques stratégies d’atténuation.
Analyse
[85] Bien que les rapports ou les études historiques puissent être utiles à l’examen des plaintes concernant le bruit et les vibrations, le Rapport sur le bruit n’établit pas les niveaux d’exposition de bruit prévisibles liés aux opérations pendant le jour ou la nuit. Il ne quantifie pas non plus l’atténuation de la propagation sonore de l’extérieur vers l’intérieur de la résidence des plaignants. Le Rapport sur le bruit ne contient pas plus d’information sur les incidences particulières qui touchent la résidence des plaignants. Par conséquent, le Rapport sur le bruit n’est pas d’une très grande utilité pour l’examen de cette plainte par l’Office.
[86] L’Office note également qu’aucun test récent n’a été réalisé sur les niveaux effectifs de décibels produits par le sifflement et la marche au ralenti des locomotives. Par conséquent, l’Office ne peut s’appuyer sur aucune preuve objective quant au niveau particulier de bruit produit par les activités ferroviaires. En ce qui a trait à l’incidence du bruit et des vibrations, les plaignants fondent leurs déclarations sur leur expérience personnelle concrète, par exemple le manque de sommeil, pour affirmer que le niveau de bruit produit par les activités de CP est trop élevé.
[87] Les plaignants peuvent soumettre toutes les preuves qu’ils souhaitent pour étayer leur cas, toutefois, le recours à des preuves uniquement subjectives est problématique. Cette difficulté a été soulevée par les tribunaux. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a eu du mal dans deux cas à donner du poids à une preuve subjective. Dans Suzuki v. Munroe, [2009] B.C.J. No. 2019, le plaignant s’est appuyé sur le témoignage de plusieurs personnes concernant le niveau de bruit d’un climatiseur. Il n’y a eu aucune preuve fournie concernant les niveaux de bruits mesurés pour ce dispositif ou pour tout autre climatiseur dans le voisinage. La Cour n’a accordé que peu de poids aux descriptions subjectives du niveau de bruit données par l’ensemble des témoins.
[88] De la même façon, dans Gichuru v. York, [2011] B.C.J. No. 463, l’affaire concernait la musique d’un café qui dérangeait un locataire de l’édifice. Les sons de basse produits par les enceintes acoustiques placées près du mur mitoyen nuisaient au sommeil du plaignant. La Cour a fourni les lignes directrices suivantes aux paragraphes 28 et 29 :
La preuve du « caractère déraisonnable » doit être évaluée au cas par cas, en tenant compte des circonstances. Cet aspect de l’objectivité de la preuve peut être satisfait par différents moyens, y compris le témoignage d’autres personnes qui ont fait l’expérience de la même nuisance alléguée. Les expériences d’autres personnes peuvent accroître l’objectivité s’il s’agit de tierces personnes qui n’ont pas d’intérêt dans l’affaire. Même si tel n’est pas le cas, une preuve de ce type peut servir à confirmer l’expérience du plaignant et, ainsi, à convaincre la cour que la nature et la gravité du bruit sont telles qu’elles ne sauraient être tolérées par un occupant ordinaire.
Bien que rien n’empêche la cour d’être convaincue du caractère objectif de la nuisance alléguée par le seul témoignage du plaignant, dans la plupart des cas, il sera très difficile pour un plaignant de faire admettre sa preuve s’il n’a soumis que des éléments de preuve tirés de son expérience et de son évaluation subjective.
(soulignement ajouté)
[89] L’Office est d’accord avec la déclaration faite par la Cour dans Gichuru voulant qu’il soit très difficile pour les plaignants qui ne s’appuient que sur des preuves subjectives de prouver qu’une compagnie de chemin de fer a produit du bruit et des vibrations à un niveau déraisonnable. Contrairement à des décisions antérieures de l’Office où les niveaux de bruit ont été évalués, il n’y a aucune preuve, du type études, évaluations ou enquêtes, qui atteste des niveaux d’exposition au bruit produit par les activités ferroviaires de la cour de triage pendant la nuit.
[90] Néanmoins, il s’agit d’une situation exceptionnelle et en l’espèce, l’Office conclut qu’il n’est pas nécessaire de faire une détermination fondée sur des niveaux de bruit objectifs. Les deux parties conviennent que l’exploitation ferroviaire de CP génère du bruit dans le secteur, et un volumineux dossier de correspondance et de courriels échangés entre les parties confirme et témoigne de l’incidence du bruit sur les plaignants.
Détermination de l’Office sur le bruit
[91] Se fondant sur les éléments de preuve déposés par les plaignants sur la nature, la durée et la fréquence du bruit produit durant la nuit et l’incidence de ce bruit sur les plaignants, et compte tenu de l’aveu de CP que ses locomotives fonctionnant au ralenti sont une source de bruit, au même titre que les essais de frein et le sifflement des trains, l’Office conclut, de fait, que les activités d’exploitation de CP dans la cour de triage produisent du bruit et que le bruit produit par les locomotives fonctionnant au ralenti, les essais de frein avant le départ des trains et le sifflement des trains constitue une perturbation importante pour les plaignants.
Détermination de l’Office sur les vibrations
[92] Pour ce qui est des vibrations, les plaignants n’ont déposé que quelques éléments de preuve. Ils font référence aux vibrations dans quelques courriels (le 18 avril 2011, vibrations et grondement persistants; le 8 mai 2010, réveillé par ces vibrations et bruit sourd persistants […] grondement des vieilles locomotives et du système d’air; le 31 mai 2010, vibrations causées par les vieilles locomotives) et CP admet que les locomotives fonctionnant au ralenti produisent des vibrations. Toutefois, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que tout mouvement au sol (vibrations au sol) est de nature à entraîner une importante perturbation pour les plaignants. Autrement, l’Office reconnaît que le bruit de basse fréquence peut provoquer des vibrations causées par le bruit aérien à des éléments structuraux légers d’un immeuble. Par conséquent, l’Office peut raisonnablement conclure que les vibrations structurelles alléguées par les plaignants sont attribuables au bruit aérien de basse fréquence, même si elles ne sont pas causées par des vibrations au sol générées dans la cour de triage.
[93] Par conséquent, l’Office n’émettra aucune ordonnance en ce qui a trait à la composante concernant les vibrations contenue dans la plainte. De plus, le bruit aérien de basse fréquence, lequel peut produire des vibrations, sera examiné dans cette décision dans le contexte de la plainte des plaignants relative au bruit.
Demande des plaignants pour une évaluation du bruit
Positions des parties
[94] Les plaignants demandent à l’Office d’ordonner la conduite de tests et d’une évaluation du bruit, y compris une détermination quant à l’incidence du bruit de basse fréquence sur la résidence des plaignants. Ils déclarent que les études acoustiques devraient être aujourd’hui reconduites en raison du trafic ferroviaire accru. Les plaignants ont également demandé, pour la même raison, que des études sur la pollution de l’air soient menées à nouveau.
[95] CP confirme qu’aucune étude acoustique n’a été entreprise et elle ne conteste pas que ses activités produisent du bruit lié à la marche au ralenti des locomotives, aux essais de frein et au sifflement. Toutefois, CP soutient que « la mesure réelle du bruit » n’est pas essentielle dans le cas présent, puisque les faits montrent que CP agit raisonnablement et a pris toutes les mesures d’atténuation possibles dans le secteur.
Analyse
[96] En vertu de la LTC, l’Office peut nommer des experts ou autres spécialistes compétents pour le conseiller sur des questions dont il est saisi. Par conséquent, l’Office peut recourir à sa discrétion pour ordonner la conduite d’une évaluation du bruit et des vibrations.
[97] Dans l’arrêt R. c. Mohan, [1994] S.C.J. no 36, la Cour suprême du Canada a décidé que l’admission d’une preuve d’expert est subordonnée à l’application des critères suivants : la pertinence, la nécessité d’aider le juge des faits, l’absence de toute règle d’exclusion et la qualification suffisante de l’expert. Aux fins de la demande des plaignants, seuls les deux premiers critères sont applicables dans cette affaire.
[98] La pertinence est une question qui doit être décidée par l’Office. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Mohan, cet examen peut être décrit comme une analyse du coût et des bénéfices, à savoir « si la valeur de la nomination d’un expert en vaut le coût ». Le coût dans ce contexte n’est pas utilisé dans le sens économique traditionnel du terme, mais plutôt par rapport à son impact sur le procès. La Cour suprême du Canada déclare que la preuve qui est par ailleurs logiquement pertinente peut être exclue sur ce fondement si sa valeur probante est surpassée par son effet préjudiciable, si elle exige un temps excessivement long qui est sans commune mesure avec sa valeur ou si elle peut induire en erreur en ce sens que son effet sur le juge des faits est disproportionné par rapport à sa fiabilité.
[99] Le recours à l’aide spécialisée ne sera pas toujours nécessaire parce que les coûts supplémentaires et les retards ne seront justifiés que lorsqu’une telle assistance est nécessaire, et non lorsqu’elle est simplement utile. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Mohan, la nécessité établit une norme trop stricte. L’exigence est que l’opinion soit nécessaire au sens qu’elle fournit des renseignements qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance de l’Office. La preuve d’expert doit être nécessaire pour permettre à l’Office d’apprécier les questions en litige étant donné leur nature technique. La contribution d’un ou de plusieurs experts est appropriée seulement quand [traduction] « l’objet de l’analyse est tel qu’il est peu probable que des personnes ordinaires puissent former un jugement juste à son égard sans l’assistance de personnes possédant des connaissances spéciales ».
[100] Si un expert est nommé, celui-ci peut être perçu comme ayant plus d’influence ou de crédibilité auprès de l’Office que les experts présentés par les parties. L’Office accepte le raisonnement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans Hiebert v. Hiebert, [2006] B.C.J. No. 302, où la Cour a déclaré que les litiges sont un processus accusatoire et que le recours trop rapide ou trop étendu à des experts nommés par l’Office pourrait diriger le processus vers un mode inquisitoire. Les parties devraient d’abord épuiser les approches raisonnables et conventionnelles au rassemblement de preuves, ce qui n’a pas été fait dans le cas présent.
[101] CP ne conteste pas que ses activités produisent du bruit lié à la marche au ralenti des locomotives, aux essais de frein et au sifflement. L’Office conclut que bien qu’une évaluation du bruit puisse être pertinente et utile pour déterminer le niveau de bruit produit par les activités ferroviaires, une telle évaluation n’ajouterait pas de valeur probante pour l’Office dans le cas présent, en ce qui concerne une décision voulant que les plaignants aient connu une perturbation importante.
[102] L’Office est également d’avis qu’il est possible, dans le cas présent, de procéder à un réexamen de la décision suivant les critères énoncés dans la LTC sur le caractère raisonnable du bruit à la résidence des plaignants sans mener d’étude d’évaluation du bruit. Par conséquent, l’Office n’exigera pas qu’une évaluation du bruit soit conduite.
[103] En ce qui concerne de nouvelles études sur la pollution de l’air, cette dernière ne relève pas des critères de bruit et de vibrations de la LTC et, dans le cadre de cette plainte, n’est pas une question que l’Office est habilité à traiter.
Caractère raisonnable du bruit dans le cadre de la LTC
[104] Ayant déterminé que les activités de la cour de triage produisent effectivement du bruit, l’Office doit également déterminer si ce bruit est raisonnable. L’alinéa 95.1c) de la LTC prévoit que la compagnie de chemin de fer qui exploite un chemin de fer doit limiter le bruit et les vibrations produits à un niveau raisonnable, compte tenu de ses obligations de service, de ses besoins en matière d’exploitation et du lieu d’exploitation du chemin de fer.
[105] Les besoins en matière d’exploitation d’une compagnie de chemin de fer comprennent non seulement les opérations nécessaires pour gérer efficacement un chemin de fer, mais également toute obligation statutaire ou juridique en vertu d’autres lois telles que la Loi sur la sécurité ferroviaire, L.R.C. (1985), ch. 32 (4e suppl.) [LSF].
Sifflement et klaxons
[106] Les parties font référence dans leurs présentations aux termes « sifflement » et « klaxon », sans toutefois distinguer les deux termes. Par conséquent, pour les besoins de cette décision, l’Office juge que le terme « sifflement » comprend « klaxon » et inversement.
Positions des parties
[107] Les plaignants ont fourni un journal quotidien et des courriels montrant que les plaintes concernant le sifflement pendant la nuit ont commencé épisodiquement en 2004, et se sont poursuivies jusqu’à ce jour. Ce journal indique que le sifflement s’est particulièrement accentué depuis mars 2008. Les plaignants demandent que le sifflement cesse pendant la nuit.
[108] Les plaignants ont également fourni de la correspondance provenant de CP qui indique que cette dernière ne respecte pas ses obligations relatives au sifflement selon ses politiques d’exploitation internes. En réponse à la demande des plaignants à savoir si CP pourrait utiliser des cloches dont le son n’est pas aussi dérangeant que les klaxons, CP a répondu qu’elle avait [traduction] « […] tendance à être d’accord et notre politique mise à jour exige que la cloche soit utilisée en premier lieu et, en cas d’échec, le recours au sifflet est alors exigé ». CP déclare également que : [traduction] « Bien que la réglementation de Transports Canada prescrit l’utilisation du klaxon, nous pouvons privilégier l’utilisation de la cloche en premier lieu et nous continuerons de le faire. Toutefois, si un opérateur de locomotive estime que le klaxon doit être utilisé dans une situation où des personnes ou des animaux se trouvent sur la voie ou à proximité de celle-ci, alors Transports Canada (REFC) lui donne le droit d’en faire usage tout en bénéficiant de la protection pleine et entière de la loi. […] ».
[109] CP déclare qu’elle doit respecter le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REFC) et est tenue d’utiliser le sifflet dans les cas suivants :
- Passages à niveau publics : CP a noté qu’à la suite d’un accident mortel survenu en 1997, Transports Canada a rétabli l’obligation pour les équipes de trains d’actionner le sifflet au passage à niveau du point milliaire 35,0 de la subdivision Mountain. À la suite d’une réunion avec la Ville de Golden et d’une réduction du nombre de cas d’intrusion près du passage à niveau, CP a collaboré avec Transports Canada pour assurer que les règles de sécurité soient en place pour permettre le retrait de l’ordre de siffler et abolir l’usage du sifflet à ce passage à niveau. L’ordre de siffler a été supprimé et les équipes de trains n’actionnent plus le sifflet à ce passage à niveau.
- Avertissements : la région abrite une faune sauvage importante, ce qui oblige les équipes à actionner le sifflet. De plus, il existe des cas d’intrusion, et chaque fois qu’une personne se trouve sur la voie ou à proximité de celle-ci, l’équipe doit utiliser le sifflet. À titre d’exemple, en décembre 2008, le personnel de CP a remarqué dans la neige de nombreuses pistes d’animaux (chevreuils) et d’humains à l’extrémité nord de la cour de triage. Les sifflets doivent retentir pour prévenir les personnes et les animaux du danger imminent à l’approche d’un train.
- Contrôles de sécurité : Si un train n’a pas roulé depuis huit heures ou plus, l’équipe qui monte à bord doit s’assurer que tous ses appareils de sécurité sont en ordre de marche. Une part de cet exercice concerne le sifflement. CP a également déclaré que les sifflets sont utilisés sur les voies de dépôt de l’atelier diesel pour une inspection de sécurité des locomotives, laquelle est exigée par Transports Canada. CP soutient que cette obligation ne peut pas être modifiée. En octobre 2008, en réponse à des plaintes, CP a changé l’emplacement désigné pour tester les sifflets, tout en demeurant en conformité avec le REFC. Ces contrôles sont désormais conduits à l’extrême pointe nord de la cour de triage au point milliaire 144,0 de la subdivision Windermere. Lorsque les équipes prennent en charge un train, elles sont tenues de s’avancer au point milliaire 144,0 avant de tester le sifflet.
Analyse
[110] Comme il est indiqué ci-dessus, CP a fait valoir qu’il y a une exemption de sifflement au passage à niveau situé au point milliaire 35,0 de la subdivision Mountain et, à ce titre, le train ne siffle plus à ce passage à niveau. Par conséquent, en l’espèce, il n’y a aucune question à examiner concernant le sifflement au franchissement public.
[111] De plus, l’Office reconnaît que le réaménagement de l’emplacement des contrôles de sécurité des sifflets à l’extrême pointe nord de la cour de triage au point milliaire 144,0 de la subdivision Windermere a eu pour résultat d’éloigner davantage la source de bruit de la résidence des plaignants. CP applique également une politique interne qui exige que les cloches soient utilisées comme premier signal d’avertissement et, en cas d’échec, que les sifflets soient actionnés. L’Office reconnaît que le son des cloches n’est pas aussi fort ou dérangeant que celui des sifflets. L’Office admet que ces deux mesures réduisent l’incidence du bruit de sifflets sur les plaignants.
[112] Mises à part ces mesures d’atténuation, CP fait valoir que le sifflement est un besoin en matière d’exploitation en ce qui a trait à la sécurité et aux avertissements, et que les tests de sifflet sont également des mesures de sécurité essentielles. Ceci soulève deux questions connexes. Premièrement, les « besoins en matière d’exploitation » d’une compagnie de chemin de fer sont un élément dont l’Office doit tenir compte au moment de déterminer, en vertu de l’article 95.1 de la LTC, si la compagnie de chemin de fer a limité les vibrations et le bruit produits à un niveau raisonnable. Deuxièmement, si le bruit produit par le sifflement des trains constitue pour les plaignants une perturbation importante, comment est-il possible de déterminer si la compagnie de chemin de fer a limité les vibrations et le bruit produits à un niveau raisonnable, étant donné que les procédures relatives au sifflement des trains sont un besoin en matière d’exploitation?
[113] Cette deuxième question est essentiellement similaire à un moyen de défense prévu par la loi. La jurisprudence relative à cette défense a été établie par les cours dans le droit de la nuisance. L’Office conclut que la jurisprudence est utile dans cette affaire. La déclaration classique de la défense a été faite par le vicomte Dunedin dans City of Manchester v. Farnworth, [1930] A.C. 171 (H.L.) au paragraphe 183 :
[Traduction] Lorsque le Parlement a permis qu’une chose donnée soit faite à un endroit donné, il ne peut y avoir d’action fondée sur la nuisance causée par la chose qui est faite si la nuisance est le résultat inévitable de la chose autorisée. Le fardeau d’établir que le résultat est inévitable incombe à ceux qui désirent se dégager de leur responsabilité à l’égard de la nuisance, mais le critère du caractère inévitable de la nuisance n’est pas ce qui est théoriquement possible, mais ce qui est possible suivant l’état des connaissances scientifiques à l’époque, compte tenu également d’une saine appréciation, qu’on ne peut pas définir de façon précise, de la possibilité pratique de réalisation étant donné la situation et le coût.
[114] Dans Tock, la Cour suprême du Canada a décidé que les tribunaux doivent se demander si une loi autorise explicitement ou implicitement la nuisance dont on se plaint et si l’organisme touché a fait la preuve que le préjudice est inévitable. La Cour suprême du Canada a expliqué que l’organisme touché doit établir à la satisfaction de la cour que [traduction] « compte tenu à la fois des connaissances techniques dont disposait l’organisme public en question et des restrictions de coûts, il était manifestement impossible pour cet organisme de fournir un service sans causer de nuisance ».
[115] À cette fin, la Cour suprême du Canada a déclaré dans l’arrêt Ryan c. Victoria (City), [1999] A.C.S. 201 ce qui suit :
Le défendeur doit établir qu’il n’existe aucun autre moyen d’exécuter l’ouvrage. Le simple fait qu’un moyen soit considérablement moins onéreux ne sera pas retenu. S’il n’existe qu’un seul moyen réalisable sur le plan pratique, il faut établir qu’il était pratiquement impossible d’éviter la nuisance. Il ne suffit pas que le défendeur établisse l’absence de négligence. […]
[116] En outre, il est clair que le pouvoir statutaire peut être conféré par des dispositions législatives subordonnées. Dans l’arrêt In the Matter of a Reference as to the Validity of Regulations in Relation to Chemicals, [1943] S.C.R. 1, le juge en chef Duff a dit :
[Traduction] Une observation à caractère général demeure. Il est possible que dans ce qui précède, on n’ait pas suffisamment insisté que chaque décret en conseil, règlement, règle, ordonnance émanant directement ou non de Son Excellence le Gouverneur général en conseil ou d’un organisme subordonné, puise sa force juridique uniquement dans la Loi sur les mesures de guerre ou toute autre loi du Parlement. Tous ces instruments tirent leur validité de la loi qui crée le pouvoir et non de l’organe exécutif qui les a établis. (The Zamora [1916] 2 A.C. 77 au paragraphe 90).
[117] Cela a été réaffirmé dans le jugement Susan Heyes Inc. (c.o.b. Hazel & Co.) v. Vancouver (City), [2011] B.C.J. No. 250.
[118] Dans le cas présent, l’argument de la défense reposant sur le pouvoir statutaire émane de la LSF. Le paragraphe 23.1 (3) de la LSF prévoit que l’opérateur du train peut utiliser le sifflet dans une situation d’urgence, lorsque les règles en vigueur sous le régime des articles 19 ou 20 l’exigent ou lorsque l’inspecteur de la sécurité ferroviaire estime que les normes de construction ou d’entretien des lignes de chemin de fer ou du matériel ferroviaire de la compagnie de chemin de fer risquent de compromettre la sécurité ferroviaire.
[119] L’article 19 de la LSF prévoit que le ministre peut enjoindre à une compagnie de chemin de fer d’établir des règles concernant l’exploitation ou l’entretien des lignes de chemin de fer et la conception, la construction, la modification, l’exploitation ou l’entretien de matériel ferroviaire. Pour que ces règles soient en vigueur, le ministre doit être convaincu qu’elles contribuent à la sécurité de l’exploitation ferroviaire. Ces règles ont été délivrées sous la forme du REFC.
[120] Le REFC s’applique à toutes les compagnies de chemin de fer du Canada. Le REFC traite de tous les aspects de l’exploitation du chemin de fer pour les équipes de trains, les employés d’entretien des voies et les contrôleurs de la circulation ferroviaire.
[121] L’article 14 du REFC traite de l’utilisation des signaux par sifflet de locomotive, et l’un des signaux concerne l’avertissement des personnes ou des animaux qui se trouvent sur la voie ou à proximité de celle-ci. Dans un tel cas, le signal qui doit être utilisé est une succession de coups brefs.
[122] Quant au sifflement pour les contrôles de sécurité, l’alinéa 18(1)a) de la LSF prévoit que le gouverneur en conseil peut, par règlement, régir toute question concernant l’exploitation ou l’entretien des lignes de chemin de fer. Le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités a mis en place une telle réglementation en adoptant le Règlement relatif à l’inspection et à la sécurité des locomotives de chemin de fer, TC O-112 (Règlement relatif à la sécurité). L’article 8.1 du Règlement relatif à la sécurité prévoit qu’aux endroits autres que les lieux désignés pour les inspections de sécurité, si une locomotive est mise en service ou a été immobilisée pendant plus de huit heures, elle doit au moins faire l’objet d’une inspection avant départ par le conducteur, ou par une autre personne qualifiée, qui vérifiera les points cités à l’annexe I. Cette annexe prévoit ce qui suit :
Conformément à l’article 8.1, une inspection avant départ de la locomotive, portant sur les points ci-dessous, devra être effectuée par le conducteur ou par une autre personne qualifiée :
- essai de frein et essai de fonctionnement du dispositif de veille automatique;
- frein à main;
- phares avant et phares de fossé;
- bogies et organes de roulement;
- tout autre risque apparent pour la sécurité qui pourrait causer des accidents ou des blessures.
[123] Le contrôle du sifflet relève de l’alinéa 8.1e) du Règlement relatif à la sécurité. Le sifflet de locomotive est un élément lié à la sécurité qui doit être testé pour éviter des accidents ou des blessures. En effet, le sifflet doit être actionné au besoin pour assurer la sécurité de l’équipe du train et celle du grand public. S’il arrivait qu’un sifflet ne fonctionne pas, la cause d’un accident pourrait être attribuée au fait que le sifflet de la locomotive ne s’est pas fait entendre pour prévenir les usagers de la route de l’arrivée du train.
[124] Dans le cas présent, CP n’a recours au sifflement que lors de circonstances précises qui concernent notamment les contrôles de sécurité et les avertissements. Les plaignants ont soumis la preuve de nombreux autres incidents de retentissement du sifflet, ainsi que les explications données par CP relativement à certains de ces cas, où le sifflet a été actionné. Bien qu’il y ait eu quelques incidents isolés du côté de CP, tels qu’un opérateur appuyant par erreur sur le bouton de sifflet ou le retentissement du sifflet le 11 novembre pour la commémoration des anciens combattants, la preuve accablante fournie par les plaignants démontre que CP se conforme à la section 14 du REFC en sifflant pour avertir des personnes ou des animaux qui se trouvent à proximité de la voie. Quant aux contrôles de sécurité, CP se conforme à l’article 8.1 du Règlement relatif à la sécurité.
[125] Bien que CP ait émis une politique interne sur l’utilisation de la cloche dans une tentative de réduire le dérangement causé par le sifflement, lorsqu’il s’agit d’avertir des personnes ou des animaux qui se trouvent près de la voie, en particulier la nuit, cette politique ne supplante pas le REFC.
[126] Le bruit de sifflement est le résultat inévitable de l’obligation de CP en vertu du REFC et du Règlement relatif à la sécurité de faire retentir le sifflet pour des raisons de sécurité telles que les cas d’intrusion et les contrôles de sécurité. Conformément aux directives ministérielles, CP n’a pas le pouvoir discrétionnaire de faire autrement en vertu du REFC et du Règlement relatif à la sécurité.
[127] Par conséquent, l’Office conclut qu’en ce qui concerne le sifflement, CP a respecté son obligation de limiter le bruit à un niveau raisonnable, compte tenu de ses besoins en matière d’exploitation.
Locomotives fonctionnant au ralenti dans la cour de triage utilisées pour les compositions de traction
Positions des parties
[128] Les plaignants soutiennent que les locomotives qui fonctionnent au ralenti près de leur résidence pour des périodes pouvant aller jusqu’à 24 heures par jour ont représenté la plus grande source de nuisance acoustique depuis 2009. Les plaignants ont témoigné d’incidents où des trains ont été laissés en marche au ralenti toute la nuit, même en été. Ils se plaignent que les locomotives munies du dispositif de démarrage et d’arrêt automatiques « smart-start » ne sont pas toujours utilisées, ou sont laissées en marche au ralenti de toute façon, et que les locomotives fonctionnent constamment au ralenti à proximité de leur résidence.
[129] CP fait valoir que la cour de triage et ses activités sont à l’heure actuelle à la fine pointe et ont été mises au point en collaboration étroite et suivie avec les responsables et les élus de la Ville de Golden. CP soutient qu’en 2009, dans le cadre de cet effort de concertation, elle a mis sur pied un processus visant à permettre aux locomotives d’être attelées plus rapidement aux trains de charbon chargés, réduisant ainsi au minimum le temps passé par une locomotive au rassemblement sur la voie Z qui est plus courte et située à l’extrémité nord de la cour de triage. De plus, CP indique qu’en 2010, elle a émis un communiqué appelant à garer les locomotives de triage dans une autre zone que celle situé à son extrémité nord.
[130] De plus, CP explique que la cour de triage ne dispose que d’un nombre restreint de voies à l’extrémité sud, ce qui limite les activités. Les trains-blocs de charbon chargés, arrivant en direction nord à la cour de triage, reçoivent une locomotive de pousse insérée à la tête du train derrière la locomotive de tête afin de fournir l’énergie nécessaire pour franchir les cols montagneux entre Golden et Vancouver. La voie principale qui mène à la cour de triage ne permet pas d’exécuter cette manœuvre ailleurs qu’à l’extrémité nord de la cour de triage. L’aire de mise en attente à l’extrémité nord est munie d’une voie courte où ces locomotives de pousse sont mises en attente près des heures de trains. Il s’agit du processus le plus efficace qui occasionne le moindre temps de marche au ralenti.
[131] CP déclare que la marche au ralenti des locomotives est nécessaire lorsqu’on augmente la puissance des trains de départ qui doivent parcourir le trajet entre Golden et Vancouver. Cependant, CP fait également valoir que la marche au ralenti et le bruit et les vibrations associés à la cour de triage sont maintenus au strict minimum grâce aux modifications apportées à la structure et à l’exploitation de la cour de triage, du recours à des technologies à la fine pointe et de la vigilance interne permanente.
[132] CP soutient qu’elle a réalisé des investissements considérables pour équiper ses flottes de locomotives de ligne et de triage de technologies anti-ralenti, telles que le dispositif « smart-start”. Depuis février 2011, 85 pour cent de la totalité de la flotte de locomotives de l’ensemble du réseau canadien de CP ont été équipées de la technologie anti-ralenti, et toutes les nouvelles locomotives achetées sont déjà munies de ce type de dispositifs. CP indique également qu’elle a adopté la technologie la plus récente en matière de locomotives pour assurer le transport du charbon dans la cour de triage. CP utilise des locomotives de la flotte GE Tier 2 EVO pour son service de charbon, et 100 pour cent de ces locomotives sont équipées du dispositif « smart-start ». Toutefois, CP indique que bien que cette technologie présente des avantages importants, les moteurs des locomotives ne seront pas coupés lorsque la température descend en dessous de 5 °C. CP ajoute que l’utilisation de cette technologie dépend de paramètres précis tels que la température du liquide de refroidissement des moteurs, la pression de l’air dans les cylindres de freins, la tension de batterie et le courant de charge, ainsi que la température de l’air ambiant. CP explique que les locomotives n’utilisent pas d’antigel et ne peuvent donc pas démarrer par temps froid. Qui plus est, si l’eau qui est utilisée comme liquide de refroidissement gèle, le moteur se fissurera. CP explique que bien que ces locomotives s’arrêtent après dix minutes de marche au ralenti continue, elles se remettent en marche lorsque les paramètres susmentionnés ne sont pas respectés.
[133] Les plaignants affirment également que le dispositif « smart-start » ne fonctionne que trois mois pendant l’année, et encore, seulement quand CP l’utilise. Ils ajoutent qu’il y a eu de nombreuses occasions où des locomotives ont fonctionné au ralenti toute la nuit en été.
[134] CP déclare qu’il est inexact de dire que le dispositif « smart-start » ne fonctionne que pendant trois mois. Ces dispositifs arrêtent automatiquement les locomotives pendant les mois où les températures sont supérieures à 5 °C. CP soutient que la technologie « smart-start » réduit le temps de ralenti de 80 pour cent.
[135] En réponse à une question de l’Office de savoir si les locomotives fonctionnant au ralenti positionnées à l’extrémité nord de la cour de triage peuvent être déplacées à son extrémité sud, CP affirme qu’elle a travaillé en étroite collaboration avec le maire, le conseil municipal et la collectivité de Golden et qu’elle a accepté en 2008 de déplacer ses activités de manœuvre à l’extrémité sud de la cour de triage, plus loin des résidences situées à son extrémité nord. CP fait valoir que compte tenu du fait que la relocalisation des activités de manœuvre a été effectuée pour répondre aux préoccupations de l’ensemble de la collectivité, CP ne peut pas aujourd’hui faire marche arrière, et déplacer ses activités de locomotives à l’extrémité sud de la cour de triage, ce qui entraînerait le rétablissement des activités de manœuvre au nord, plus près des zones résidentielles.
Analyse
[136] L’Office doit déterminer si le bruit produit par la marche au ralenti des locomotives garées à l’extrémité nord de la cour de triage pour l’attelage aux trains de charbon chargés est raisonnable, compte tenu des obligations de CP relatives au niveau de service, de ses besoins en matière d’exploitation et du lieu où sont menées les activités. La question des locomotives fonctionnant au ralenti utilisées pour les compositions de traction relève principalement des obligations de CP relatives au niveau de service. C’est également une question liée aux besoins en matière d’exploitation de CP.
Obligations de CP relatives au niveau de service
[137] Les articles 113 et 114 de la LTC énoncent les provisions relatives aux obligations de la compagnie de chemin de fer en matière de niveau de service, lesquelles sont généralement désignées sous l’appellation d’« obligations de transporteur public ». En vertu de ces articles, chaque compagnie de chemin de fer doit fournir, dans le cadre de ses attributions, des installations convenables pour la réception, le chargement, le transport, le déchargement et la livraison des marchandises à transporter par chemin de fer. Plus précisément, l’alinéa 113(1)c) de la LTC prévoit que chaque compagnie de chemin de fer doit recevoir, transporter et livrer ces marchandises sans délai et avec le soin et la diligence voulus.
[138] Comme il est indiqué dans la décision no 323-R-2002, Naber Seed & Grain Co. Ltd. c. la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, l’Office a jugé comme étant inacceptable le fait qu’une compagnie de chemin de fer se limite à fournir le transport de base du point A au point B sans entretenir une interaction régulière et systémique avec les autres maillons de la chaîne logistique relative à l’exportation afin d’accroître l’efficacité de l’ensemble du réseau de transport et de manutention. Par conséquent, dans le cas présent, l’Office doit tenir compte des obligations en matière d’exploitation du point de vue du chargement et du déchargement de ces wagons de charbon.
[139] Grâce aux documents soumis par CP concernant le transport de charbon, l’Office comprend clairement les besoins de la cour de triage relativement au transport du charbon. CP soutient que l’exploitation de nouvelles mines de charbon à ciel ouvert au sud de la Colombie-Britannique pendant les années 1970 a mené au besoin d’une cour de triage pour assurer le transport de ce charbon jusqu’au port de Vancouver. CP affirme que la cour de triage a été construite explicitement pour effectuer le transport du charbon de l’entreprise Teck. Depuis ce temps, la production de charbon au sud de la Colombie-Britannique a connu un essor important.
[140] Il ne fait aucun doute que les activités de CP sont essentielles à l’entreprise Teck, même si elles causent des inconvénients aux plaignants. Teck est le deuxième plus grand exportateur mondial de charbon cokéfiable dur par bateau, un exportateur de premier plan, et qui contribue de manière importante à l’économie canadienne. La vente de charbon métallurgique (utilisé dans le processus de fabrication d’acier) est une des exportations les plus importantes du Canada. Selon CP, Teck exploite actuellement cinq mines dans le sud de la Colombie-Britannique : Fording River, Greenhills, Line Creek, Elkview et Coal Mountain. Le charbon est extrait de ces mines à ciel ouvert 24 heures par jour, 7 jours par semaine (24/7). La plus grande partie du charbon doit ensuite être expédié à 1 100 kilomètres à Westshore Terminals (Westshore) situé à Roberts Bank, au sud de Vancouver, ou à Neptune Terminals situé à Burrard Inlet, Vancouver, où le charbon est déchargé des trains de CP et chargé sur des navires pour l’exportation internationale.
[141] Des 28 millions de tonnes de charbon exportées par le Canada annuellement, Westshore manutentionne plus de 20 millions de tonnes à ses deux postes d’amarrage en eau profonde qui sont en service 24/7. Les projets d’investissement récents de modernisation de Westshore permettront une augmentation de la capacité de manutention pouvant aller jusqu’à 29 millions de tonnes par année. Ce résultat a été obtenu grâce à des relations à long terme avec les fournisseurs des principales entreprises d’exploitation de charbon de l’Ouest canadien, y compris Teck. Ce travail est davantage soutenu par un service ferroviaire dédié assuré par CP, CN et le BNSF.
[142] CP est le seul fournisseur de services ferroviaires dans la région où se trouve l’exploitation minière de Teck et, par conséquent, CP expédie les marchandises de Teck par l’intermédiaire de la cour de triage de Golden. CP soutient que le charbon de Teck est actuellement chargé sur des trains-blocs d’environ 124 wagons. En moyenne, CP exploite 12 trains de charbon par jour (six chargés et six vides). CP fait valoir qu’à la cour de triage de Golden, elle doit faire entrer les trains de charbon dans les créneaux disponibles sur la subdivision Mountain entre environ 20 autres types de trains sur le réseau. CP affirme que cette tâche est difficile, étant donné que la subdivision Mountain de CP qui traverse les montagnes Rocheuses est le segment le plus achalandé de son réseau.
[143] Les trains de charbon étant souvent destinés à des navires déterminés en attente au port, en particulier Westshore, CP fait valoir que les engagements en matière d’exploitation associés à ce transport de charbon nécessitent qu’elle mène ses activités 24/7.
[144] CP fait également valoir que selon ses ententes contractuelles relatives au port, elle doit assurer le mouvement continuel des trains de charbon entre les mines de Teck et les terminaux du port de Vancouver, et que tout retard de transport en cours de route compromettra sa capacité de respecter les ententes commerciales et logistiques convenues.
[145] CP déclare que, bien que les articles 113 et 114 de la LTC l’obligent légalement à transporter les marchandises de Teck, [traduction] « l’importance vitale de cela [les activités] ne peut pas être surestimée. Teck est le plus important client de transport de marchandises de CP, comptant pour plus de 25 pour cent des revenus bruts d’exploitation de CP. Afin de réaffirmer l’importance de l’exploitation et des revenus, CP et Teck ont annoncé récemment une entente de 10 ans relative au transport de charbon de Teck à Vancouver ». De plus, l’Office note que dans le communiqué de presse soumis par CP et annonçant l’entente, Teck déclare que [traduction] « cette entente nous donne l’assurance que Teck pourra réaliser sa stratégie de croissance dans le secteur du charbon et livrer sa production accrue à ses marchés clés dans les délais prescrits ».
[146] Par conséquent, l’Office est d’avis que CP a une obligation de fournir un service ferroviaire pour transporter le charbon de Teck, et cette obligation exige que les activités de la cour de triage soient menées sur une base continue de 24/7 afin de coïncider avec les activités de production de charbon, ainsi que le chargement aux terminaux portuaires.
[147] L’Office estime qu’il est dans l’intérêt de l’industrie du charbon et de la force économique du pays que CP maintienne son niveau de service afin de continuer de fournir à Teck un service de transport efficace.
[148] Dans la recherche d’un équilibre entre l’importante perturbation causée aux plaignants et les obligations de CP en matière de niveau de service à l’endroit de Teck, l’Office conclut que les intérêts de CP prédominent. Cette conclusion tient compte de la politique nationale des transports prévue à l’article 5 de la LTC dans laquelle l’Office se voit confier le mandat de maintenir un système de transport national compétitif et rentable. Teck contribue de manière importante à l’économie canadienne, et les obligations de CP en matière de niveau de service justifient le besoin et le positionnement des locomotives fonctionnant au ralenti dans la cour de triage sur une base 24/7 de façon à fournir les compositions de traction nécessaires pour franchir les subdivisions Mountain et Shuswap. De plus, l’Office reconnaît et convient que CP a pris des mesures pour atténuer le bruit produit par les locomotives fonctionnant au ralenti.
[149] Par conséquent, en tenant compte et en convenant des obligations en matière de niveau de service de CP dans le cas présent, et en appliquant les critères énoncés à l’alinéa 95.1a) de la LTC, l’Office conclut qu’en ce qui a trait aux locomotives dont le moteur tourne au ralenti utilisées pour les compositions de traction, CP a limité le bruit produit à un niveau raisonnable.
Besoins de CP en matière d’exploitation
[150] L’Office reconnaît que chaque train-bloc de charbon chargé exige l’ajout d’une locomotive supplémentaire dans la cour de triage pour traverser le terrain montagneux entre Golden et Vancouver. La configuration des voies qui se trouvent dans la cour de triage et d’autres activités de la cour entraînent une réduction du nombre d’endroits où une locomotive supplémentaire peut être ajoutée. La voie principale menant à la cour de triage et le nombre réduit de longues voies à l’extrémité sud de la cour utilisées pour le triage ne doivent pas être bloquées par les locomotives en attente de rassemblement. La courte voie Z située à l’extrémité nord de la cour de triage a été conçue pour l’ajout efficace d’une locomotive supplémentaire pour les compositions de traction avec le minimum de marche au ralenti des locomotives.
[151] Par conséquent, l’Office conclut que le rassemblement et la marche au ralenti des locomotives à l’extrémité nord de la cour de triage pour ajouter des locomotives supplémentaires aux compositions de traction est un besoin en matière d’exploitation de CP.
[152] L’Office reconnaît également que CP a réduit au minimum le temps durant lequel les locomotives fonctionnent au ralenti en apportant des modifications à la structure et à l’exploitation de la cour de triage, telles que la livraison en temps opportun des locomotives à la voie Z et le recours à des technologies de pointe, en particulier le dispositif « smart-start ».
[153] En ce qui a trait à l’utilisation du dispositif « smart-start », les parties ont déposé, dans une certaine mesure, des éléments de preuve contradictoires.
[154] CP déclare que 100 pour cent de sa flotte de locomotives utilisée pour le service d’exportation de charbon est équipée de la technologie anti-ralenti « smart-start ». Les plaignants contredisent CP en déclarant que ce dispositif ne fonctionne que trois mois pendant l’année, et que CP ne l’utilise que durant cette période. CP explique que les locomotives ne peuvent pas être arrêtées lorsque certains paramètres ne sont pas respectés, dont la température de l’air, la température du liquide de refroidissement, la charge de batterie et la pression de freinage. Toutefois, CP explique également que les locomotives sont munies de détecteurs « smart-start », lesquels permettent d’arrêter les locomotives et de ne les remettre en marche que lorsque les paramètres ne sont pas respectés. CP fait valoir que le dispositif « smart-start » permet une réduction de la marche au ralenti des locomotives, mais les plaignants ne peuvent s’attendre à ce qu’elle soit entièrement éliminée.
[155] L’Office accepte l’explication de CP relative au dispositif « smart-start », et reconnaît que si CP utilise ce dispositif, il y aura une réduction significative du fonctionnant au ralenti des locomotives utilisées pour les compositions de traction.
[156] L’Office reconnaît également que CP utilise la technologie et applique des politiques qui devraient réduire le bruit produit par les locomotives fonctionnant au ralenti. Conformément à une conclusion similaire formulées dans la décision no 454-R-2008, Chantal Roger c. CP, l’Office est convaincu que CP s’est engagée à prendre des mesures d’atténuation que l’Office pourrait, par ailleurs, estimer nécessaires.
[157] Enfin, dans la décision no 221-R-2010, Antoon Groenestein et Robyn Wiltshire c. l’Agence métropolitaine de transport, l’Office a examiné les intérêts des compagnies de chemin de fer et des plaignants, de même que ceux de la collectivité. L’Office devra donc, dans son examen des questions spécifiques liées aux plaintes de bruit et de vibrations, également tenir compte de l’ensemble des préoccupations de la collectivité, le cas échéant. Dans le cas présent, en ce qui a trait aux locomotives fonctionnant au ralenti utilisées pour les compositions de traction, il importe de soupeser les intérêts des plaignants et ceux de la collectivité de Golden.
[158] Dans la recherche de l’équilibre de ces intérêts, l’Office conclut que les intérêts de la collectivité prédominent. CP a fait valoir de façon probante qu’il serait déraisonnable de déplacer le lieu d’entreposage des locomotives utilisées pour les compositions de traction vers le sud, ce qui éloignerait le lieu d’entreposage des résidences des plaignants, mais occasionnerait le rétablissement des activités de triage plus près d’autres secteurs résidentiels de Golden vers le nord. Cette situation pourrait accroître le bruit perçu par d’autres résidents de la collectivité de Golden et raviver certaines préoccupations qui ont été résolues en 2008.
[159] Par conséquent, en tenant compte et en convenant des besoins en matière d’exploitation de CP dans le cas présent, y compris que la configuration des voies qui se trouvent dans la cour de triage limite la zone d’arrêt des locomotives utilisées pour les compositions de traction, et en appliquant le critère énoncé à l’alinéa 95.1b) de la LTC, l’Office conclut que le bruit produit dans la cour de triage par les locomotives fonctionnant au ralenti utilisées pour les compositions de traction est raisonnable.
Locomotives fonctionnant au ralenti dans la cour de triage utilisées pour les essais de frein
Positions des parties
[160] Les plaignants font référence à la marche au ralenti des locomotives utilisées pour les essais de conduites de frein comme l’un des principaux facteurs sur lequel repose leur plainte concernant le bruit. Les plaignants déclarent que les locomotives fonctionnant au ralenti garées devant leur maison produisent du bruit de basse fréquence pendant des périodes prolongées. Ils déclarent qu’une conduite souterraine d’alimentation en air auparavant utilisée pour les essais de frein s’est rompue au cours du premier hiver d’exploitation et au lieu de la réparer, CP utilise maintenant deux vieilles locomotives de triage comme système d’air pour effectuer les essais de frein. Les plaignants font valoir que ces vieilles locomotives ne s’arrêtent jamais, polluent et, puisqu’elles sont situées directement devant leur résidence, elles sont très bruyantes. Les plaignants voudraient que la conduite d’alimentation du compresseur d’air soit réparée et que les locomotives fonctionnant au ralenti soient déplacées pour ne plus être devant leur maison. Dans l’attente de cette solution permanente, les plaignants indiquent que CP devrait déplacer ces locomotives plus au sud, de façon à ce qu’elles ne soient pas directement devant leur maison ou que CP devrait faire l’acquisition de locomotives plus récentes pour le travail à la cour de triage.
[161] CP déclare que deux types d’essais de frein sont effectués dans la cour de triage. L’un d’entre eux consiste à utiliser des locomotives pour tester les conduites de frein d’un train avant son départ. Le deuxième type est mené dans le cadre des activités de l’atelier de réparation de CP, qui est situé au coin sud-ouest de la cour de triage. CP confirme que la tuyauterie du système de contrôle de l’atelier de réparation de la cour de triage provenait à l’origine d’un compresseur d’air. Cependant, des fuites sont devenues chroniques partout dans la cour de triage lorsque des conduites souterraines se sont déplacées en raison du gonflement du sol humide sous l’effet du gel. CP a finalement abandonné l’utilisation de la source de compression souterraine et a retiré le compresseur de la cour de triage, il y a quelques années. CP fait également valoir que cet essai particulier de réparations est une pratique courante de l’industrie et qu’il est seulement appliqué de façon ponctuelle. CP estime que cet essai représente une part négligeable de ce que les plaignants perçoivent comme la marche au ralenti chronique des locomotives.
[162] Dans la correspondance entre CP et les plaignants relative à la question plus générale de l’essai de conduites de frein des trains au départ, CP confirme qu’elle utilise une locomotive de triage comme système d’air pour effectuer l’essai des freins des tranches de wagons et ensuite pour les déplacer vers un autre emplacement. CP soutient qu’il s’agit d’une partie intégrante des activités régulières et que rien n’a changé depuis l’ouverture de la cour de triage. Les plaignants ont été informés par CP que, dans la mesure du possible, les tranches de wagons seraient poussées le plus loin possible au sud pour les éloigner de leur résidence.
[163] CP déclare qu’à mesure que les affaires prospèrent, les besoins de travail mécanique augmentent aussi, et dans l’optique d’une exploitation efficace, les locomotives sont placées stratégiquement dans la section nord de la cour de triage pour permettre l’utilisation du compresseur d’air de locomotive comme système d’air. Il est ainsi possible de réaliser efficacement les inspections mécaniques et les essais de conduites de frein nécessaires avant que les trains reçoivent l’ordre de quitter la cour de triage.
[164] En ce qui concerne la mention faite à de « vieilles locomotives », CP maintient que cette déclaration est trompeuse et hors de propos quant aux questions d’atténuation du bruit lié à la marche au ralenti des locomotives. Les locomotives sont conçues pour avoir une durée de vie utile de 40 à 60 ans et les locomotives de triage font l’objet d’une révision complète tous les 10 ans, de sorte qu’il n’y a aucune corrélation entre l’âge de la locomotive et le bruit produit par sa marche au ralenti. CP ajoute qu’il peut y avoir jusqu’à quatre locomotives de triage qui fonctionnent en même temps dans la cour de triage.
[165] De plus, CP déclare que les locomotives SD40 utilisées pour les activités de la cour de triage sont équipées du même dispositif « smart-start » que les locomotives utilisées sur les compositions de traction. Les locomotives SD40 sont programmées pour s’arrêter après 20 minutes de temps de marche au ralenti. CP déclare que si les paramètres, dont la température de l’air, la température du liquide de refroidissement, la charge de batterie et la pression de freinage, ne sont pas respectés, les locomotives vont se remettre en marche.
[166] De plus, pour toutes les locomotives non équipées de la technologie « smart-start », CP applique une politique d’arrêt manuel qui exige l’arrêt des locomotives lorsque les mêmes conditions sont remplies. CP déclare que la conformité à cette politique est vérifiée à l’interne et qu’elle atteint une conformité de 90 pour cent.
[167] CP soutient qu’elle a examiné certaines des plus récentes présentations des plaignants alléguant la non utilisation du dispositif « smart-start » et a constaté que la température de l’air ambiant était, dans tous les cas, en dessous de 5 °C et, par conséquent, le dispositif « smart-start » ne pouvait pas être utilisé. CP fait valoir que le problème que soulèvent les plaignants semble être que la technologie « smart-start » n’est pas adaptée pour être utilisée dans des conditions météorologiques extrêmes qui prévalent dans les montagnes Rocheuses en hiver.
[168] CP déclare que non seulement elle a investi dans de la nouvelle technologie, mais chaque fois que c’est possible, le bruit peut être atténué grâce à la recherche de moyens plus efficaces de respecter les exigences réglementaires. CP indique qu’elle a récemment commencé à exploiter des trains-blocs de charbon entre les mines de charbon d’Elk Valley et de la côte Ouest en utilisant l’essai Automated Train Brake Effectiveness (ATBE) (essai automatisé des freins de train) plutôt que l’essai de frein no 1 traditionnel, dont la réalisation nécessite environ une heure. Les essais ATBE utilisent des données reçues des détecteurs de boîtes chaudes pour surveiller la température des roues et valider que les freins d’un wagon fournissent un effort décélérateur efficace ou qu’ils sont desserrés. L’essai ATBE est exécuté pendant que le train est en route vers la cour de triage. Seuls les wagons qui ne satisfont pas aux exigences de température sont signalés dans le système et ceux-ci sont ensuite retirés aux fins de réparation et d’essai.
[169] CP fait également valoir que les trains ATBE exploités en vertu de l’Exemption d’essai de frein à air no 1 de Transports Canada doivent avoir au moins 95 pour cent de leurs freins en service. Les trains utilisés pour les compositions de traction qui satisfont aux exigences de l’exemption ne subiront pas d’essai de frein no 1. En fait, CP fait valoir que le recours aux nouvelles procédures ATBE devrait donner lieu à une détermination plus efficace du besoin d’essais de frein, ce qui entraînera moins d’essais et moins de bruit.
Analyse
[170] Dans son examen des présentations des parties, il est utile pour l’Office de fournir un aperçu des exigences réglementaires relatives aux essais de frein. Conformément à une exigence de Transports Canada liée à la sécurité, des essais de conduites de frein doivent être effectués sur tous les trains de marchandises avant leur départ de la cour de triage.
[171] Le Règlement relatif à l’inspection et à la sécurité des freins sur les trains de marchandises et de voyageurs, TC O-150 (Règlement relatif à l’inspection des freins) prévoit ce qui suit :
10.1 Un train ne peut quitter son point de départ avant d’avoir été soumis avec succès aux essais de frein décrits dans la présente partie ainsi que dans les marches à suivre et les instructions de travail de la compagnie ferroviaire et avant que tous les documents appropriés aient été remplis.
10.2 Chaque train doit, au moyen de l’une ou l’autre des méthodes indiquées ci-après, être soumis aux essais de frein nº 1 et 1A prescrits dans le présent Règlement ainsi que dans les marches à suivre et les instructions de travail de la compagnie :
- méthode de l’étanchéité de la conduite générale ou
- méthode du débit d’air.
[172] Le REFC indique également dans la définition de « transfert » qu’avant de transférer le train sur une ligne principale, « [l]e mécanicien de locomotive ou l’opérateur de loco-commande doit vérifier qu’il y a suffisamment de freins opérationnels pour contrôler la marche du transfert et en obtenir la confirmation au moyen d’un essai de frein en marche le plus tôt possible. Sauf là où la protection est assurée par des signaux de canton, tout le matériel roulant du transfert doit être alimenté en air. Il faut vérifier que les freins des trois derniers wagons ou voitures, le cas échéant, sont opérationnels. »
[173] En ce qui concerne les essais de frein, CP fonde essentiellement son argument de défense sur le pouvoir statutaire. Comme il a été indiqué précédemment, le pouvoir statutaire peut être conféré par des mesures législatives subordonnées. Qu’il s’agisse de l’exemption ministérielle ou du Règlement relatif à l’inspection des freins, ces deux instruments sont assimilables à des mesures législatives subordonnées.
[174] Le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités a accordé à CP une Exemption d’essai de frein à air no 1 en vertu du paragraphe 22(4) de la LSF qui soustrait CP à l’application des articles 10.1, 10.2 et de 11.1 du Règlement relatif à l’inspection des freins pour ce qui est des trains-blocs de charbon en service entre les mines de charbon à proximité de Sparwood (Colombie-Britannique) et les ports de la côte Ouest à proximité de Vancouver (Colombie-Britannique).
[175] Par conséquent, en ce qui a trait aux trains-blocs de charbon, l’Office est d’avis qu’aucun essai de frein ne devrait avoir lieu devant la résidence des plaignants, puisque les trains, soit satisfont aux exigences de l’essai ATBE lors de leur évaluation en cours de route vers la cour de triage, soit sont retirés lorsqu’ils entrent dans la cour de triage pour être réparés à l’atelier de réparation.
[176] L’Office note toutefois qu’en vertu de l’exemption de CP, si des wagons sont ajoutés à un train, ils doivent être soumis à un essai de frein no 1 avant le départ. De la même façon, tout train-bloc de charbon qui n’a pas fait l’objet d’un balayage ATBE fructueux doit subir un essai de frein n° 1. En plus du service de charbon, la cour de triage gère un train régulier quotidien qui est destiné au trafic local. Ce train serait également assujetti à un essai de frein no 1.
[177] Par conséquent, l’Office accepte que CP n’a aucun pouvoir discrétionnaire en vertu du REFC et du Règlement relatif à l’inspection des freins, lesquels sont conçus à des fins de sécurité, et doit donc suivre des procédures relatives aux essais de frein dans certaines situations.
[178] Toutefois, la façon dont les essais de frein à air sont réalisés n’est pas prescrite par le REFC et, par conséquent, est une question que doit examiner l’Office.
[179] L’Office a examiné les présentations des parties sur la conduite d’alimentation du compresseur d’air, laquelle représente une façon d’effectuer les essais de frein à air. Les plaignants voudraient que la conduite d’alimentation du compresseur d’air soit réparée. CP a répondu que la longueur des trains-blocs de charbon rend cette conduite d’alimentation d’air comprimé fixe obsolète, parce qu’elle se trouverait souvent dans le mauvais placement, et que la conduite n’est pas en mesure de remplir la fonction pour laquelle elle a été conçue à l’origine. Selon CP, ce système de réalimentation du circuit de freinage n’est plus raisonnable, sécuritaire et efficace pour ses activités actuelles. Même si le système fonctionnait, l’infrastructure fixe ne peut plus répondre aux exigences en matière de performance et d’essais de trains plus longs, lesquels exigent un système flexible et une source mobile pour la réalisation des essais.
[180] Compte tenu de ce qui précède, l’Office conclut qu’une conduite d’alimentation d’air comprimé fixe souterraine ne peut pas être utilisée, et que la manière dont CP effectue actuellement les essais de frein à air pour les trains-blocs de charbon et les trains réguliers est une méthode appropriée pour les essais de frein n° 1. Le bruit produit par la marche au ralenti des locomotives utilisées pour les essais de frein de ces trains est donc le résultat inévitable de l’obligation imposée à CP en vertu du REFC et du Règlement relatif à l’inspection des freins.
[181] L’Office reconnaît que CP utilise de la technologie et applique des politiques qui devraient atténuer le bruit produit par les locomotives fonctionnant au ralenti. CP déclare que ses locomotives de triage SD40 sont équipées de la même technologie « smart-start » que les locomotives utilisées pour les compositions de traction. CP applique également une politique d’arrêt manuel pour les locomotives non équipées du dispositif « smart-start ». Bien que ces procédures anti-ralenti aient des limitations relativement à la température, à la pression du circuit de freinage et à la charge de batterie, CP a pris des initiatives afin de réduire au minimum le temps de marche au ralenti des locomotives de triage.
[182] Par conséquent, en tenant compte et en convenant des besoins en matière d’exploitation de CP dans le cas présent et en appliquant le critère énoncé à l’alinéa 95.1b) de la LTC, l’Office conclut qu’en ce qui a trait aux locomotives fonctionnant au ralenti utilisées pour les essais de frein, CP a limité le bruit produit à un niveau raisonnable.
[183] Quant aux réparations de frein, l’Office accepte que les réparations de frein ponctuelles représentent une part insignifiante des causes de la marche au ralenti des locomotives. L’Office conclut donc que le bruit produit par l’activité de réparation ne constitue pas une perturbation importante pour les plaignants. Par conséquent, aucune mesure ne sera ordonnée quant à l’activité de réparation de frein.
ANALYSE VISANT À DÉTERMINER SI DES MESURES DEVRAIENT ÊTRE PRISES À L’ÉGARD DES ACTIVITÉS DE CP
[184] Conformément à l’article 95.3 de la LTC, l’Office peut ordonner à une compagnie de chemin de fer de prendre des mesures à l’égard de ses activités si l’Office estime que les niveaux de bruit et de vibrations produits par ces activités ne sont pas raisonnables compte tenu des critères énoncés dans l’article 95.1 de la LTC.
[185] L’Office ayant conclu dans le cas présent que CP a respecté ses obligations de limiter le bruit et les vibrations produits à un niveau raisonnable en vertu de l’article 95.1 de la LTC, aucune mesure n’est ordonnée.
[186] Toutefois, l’Office estime indiqué de se prononcer sur certains des recours demandés par les plaignants.
[187] CP, par l’entremise de mesures de coopération suivies avec Golden, a entrepris des changements opérationnels majeurs dans l’aménagement de sa cour de triage et dans les normes relatives au matériel en vue d’atténuer l’incidence du bruit sur la collectivité. De plus, les présentations faites par les plaignants indiquent que les employés de CP ont répondu avec la diligence voulue à beaucoup d’incidents rapportés liés à la marche au ralenti excessive des locomotives pour tenter d’expliquer la cause du bruit et les atténuer dans la mesure du possible. Toutefois, l’Office reconnaît également que ces mesures n’ont pas permis de régler complètement la plainte.
[188] L’Office invite donc CP à continuer de chercher des moyens d’atténuer le bruit dans la cour de triage et de demeurer vigilante quant au maintien d’une communication efficace avec toutes les personnes touchées par les activités de CP relatives à la cour de triage, y compris les responsables et les élus de Golden. Cette pratique est conforme à la politique de coexistence de CP avec les collectivités où elle mène ses activités et reflète la compréhension de CP de la portée juridique, sociale, opérationnelle et économique de ses engagements continus.
[189] En outre, en tenant compte des arguments de CP relativement à l’efficacité de la technologie anti-ralenti utilisée de pair avec la politique d’arrêt manuel qui exige l’arrêt des locomotives de CP, l’Office s’attend à ce que CP continue de s’assurer que la technologie anti-ralenti, y compris le dispositif « smart-start », soit entièrement utilisée dans la cour de triage sur les locomotives utilisées pour les compositions de traction et dans la cour de triage, et qu’elle continuera à surveiller le respect de toutes les politiques anti-ralenti applicables de CP.
[190] Les plaignants demandent également une révision de la ligne contact avec les collectivités de CP qui gère les pratiques liées aux plaintes concernant le bruit ferroviaire. L’Office est d’avis qu’une telle révision n’est pas justifiée, mais invite CP (et s’attend à ce que CP s’y engage) à s’assurer que ses pratiques relatives aux plaintes liées à la cour de triage soient tout aussi diligentes que celles appliquées à toutes les autres plaintes qu’elle reçoit.
[191] En outre, les plaignants ont demandé une indemnité pour certains dommages. Les plaignants doivent prendre note du fait que l’Office n’a aucun pouvoir exprès pour déterminer ou fixer une indemnité ou ordonner à une compagnie de chemin de fer de verser une indemnité en vertu de l’article 95.3 de la LTC.
[192] Dans le cadre de son examen d’une autre disposition de la LTC, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Brocklehurst, a clairement indiqué que l’indemnisation pour les dommages qui concernent une compagnie de chemin de fer doit être expressément indiquée dans la LTC pour que l’Office ait compétence. L’article 95.3 de la LTC ne contient pas une telle disposition expresse. Par conséquent, l’Office n’est pas habilité à examiner les demandes d’indemnité.
CONCLUSION
[193] L’Office conclut ce qui suit :
- En ce qui a trait au bruit produit par le grincement de roues, il n’y a aucune preuve que le bruit cause une perturbation importante aux plaignants.
- En ce qui a trait aux activités de manœuvre, de triage et de réparation de frein, le bruit produit ne cause pas une perturbation importante aux plaignants.
- En ce qui a trait au sifflement, compte tenu des besoins en matière d’exploitation de CP en vertu de l’alinéa 95.1b) de la LTC, et acceptant ces besoins, l’Office conclut que CP a limité le bruit produit à un niveau raisonnable.
- En ce qui a trait aux vibrations, la preuve est insuffisante pour conclure que les vibrations au sol ressenties par les plaignants sont telles qu’elles leur causeraient une perturbation importante. Par contre, il peut y avoir des vibrations causées par le bruit aérien de basse fréquence produit par les locomotives fonctionnant au ralenti dans la cour de triage, et cette question est traitée dans les conclusions qui suivent, lesquelles ont trait au bruit produit par les locomotives fonctionnant au ralenti.
- En ce qui a trait aux locomotives fonctionnant au ralenti dans la cour de triage utilisées pour les compositions de traction, compte tenu des obligations de CP en matière de niveau de service en vertu de l’alinéa 95.1a) de la LTC et de ses besoins en matière d’exploitation en vertu de l’alinéa 95.1b) de la LTC, et acceptant ces obligations et besoins, l’Office conclut que CP a limité le bruit produit à un niveau raisonnable.
- Concernant les locomotives fonctionnant au ralenti dans la cour de triage utilisées pour les essais de frein, compte tenu des besoins en matière d’exploitation de CP en vertu de l’alinéa 95.1b) de la LTC, et acceptant ces besoins, l’Office conclut que CP a limité le bruit produit à un niveau raisonnable.
[194] Par conséquent, l’Office rejette la plainte.
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